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Dans son dernier ouvrage, le sociologue Michel Maffesoli décrypte comment ce qu’il appelle la «caste dominante» s’arc-boute sur ses positions et ses valeurs à l’aide de stratégies de contrôle et d’asservissement de la pensée. Dans la crise que traverse actuellement l’Occident, il voit poindre les germes d’un renouveau civilisationnel.



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«Celui qui contrôle la peur des gens, devient le maître de leur âme». C’est par cette phrase de Machiavel que Michel Maffesoli, professeur émérite à la Sorbonne, débute son dernier livre intitulé justement Le Temps des peurs. Dans cet essai, paru ce mois, le sociologue revient sur la «psycho-pandémie» de Covid, dont la survenue a révélé selon lui toutes les limites de la civilisation moderne occidentale: aseptie de la vie sociale, tyrannie sécuritaire et plus généralement valorisation d’un bien-être quantitatif, consommatoire, économique et matérialiste au détriment de valeurs transcendentales. «Il devient de plus en plus évident que nous sommes en transit vers une autre manière d’être-ensemble. Pour le dire en des termes plus soutenus, nous vivons une transition épochale. Et ceci, ce qui est normal, dans la crainte et le tremblement. De telles mutations suscitent de la part des pouvoirs en place une rigidification de leurs attitudes». 

Stratégie de la peur

Cette rigidification s’incarne notamment à travers la mise en place d’une stratégie de la peur, afin de contraindre les comportements et de restreindre les relations sociales. Ainsi, les procédés de contrôle et d’asservissement se multiplient. La surveillance devient omniprésente et toute déviance à la norme admise est d’abord scrutée puis, le cas échéant, marginalisée. L’environnement psycho-sociétal ainsi généré conduit à un anéantissement de la pensée, à une mise en scène du réel, à la théâtralisation de la vie publique.

Dans cette société du spectacle, deux concepts sont à la mode depuis quelques années: le «complotisme» et le «wokisme». Maffesoli s’emploie à en décrypter la signification réelle. Le premier est balayé d’un revers de plume, comme étant ni plus ni moins qu’un anathème employé par les garants de la doxa pour stigmatiser les réflexions hétérodoxes. Quand une idée dérange le narratif officiel, en effet, il est aisé de la discréditer en la qualifiant de «complotiste». Cette disqualification a priori possède en outre l’avantage de ne pas avoir à réfuter les arguments avancés.

Le «wokisme» (de l’anglais woke, qui signifie «éveillé»), quant à lui, est considéré comme un «éveil factice» de la part de Maffesoli. Apparence de contestation, qui ne serait en fait qu’une suite logique de la modernité, d’où ses étranges similitudes idéologiques avec le transhumanisme (explorées dans cet article). C’est ce que révèle d’ailleurs l’étymologie du mot contester, con-testare, «témoigner avec», c’est-à-dire se situer dans la même sphère que ce que l’on prétend combattre. Dit autrement, «le wokisme est un élément de la stratégie de la peur, en focalisant l’attention sur des contestataires qui n’en sont pas vraiment, ce qui conforte le mécanisme de soumission généralisée que le système promeut». Cette stratégie de la peur, «élaborée par une élite en déshérence», peut se maintenir un moment. Mais elle finit toujours par céder. Tout passe, tout lasse, tout casse!, comme le dit la sagesse populaire.

Un renouveau spirituel

Toute crise, aussi profonde soit-elle, conduit en effet à un renouveau civilisationnel. La décrépitude latente des institutions issues de la modernité occidentales procède d’une telle crise. Fort heureusement, dans l’époque troublée que nous traversons apparaissent déjà les lueurs, encore faibles, de la «post-modernité». Dans tous les domaines de la vie, de nouveaux élans sont visibles. C’est le cas dans les sciences, qui cherchent de plus en plus à se libérer de leur carcan matérialiste/réductionniste. Partout surgit le besoin de sens (sens de la vie, du travail, etc.), qui procède en fait d’une volonté d’abandonner les dogmes et de retrouver des valeurs spirituelles.

Observant les respirations de l’être social, Maffesoli voit poindre l’émergence d’une nouvelle «culture de l’esprit», l’amorce d’une «utopie ésotérique», «unification de la mystique et de la rationalité». Ce bourgeonnement exprime la nécessité de sortir de l’«ère de la page de variété» (Herman Hesse, Le jeu des perles de verres), de se reconnecter aux autres et à la nature. Ainsi naissent des «tribus post-modernes» où sont expérimentées de nouvelles modalités de vivre ensemble, un nouvel idéal communautaire encore anarchique, mais «qui engendrera progressivement une résistance généralisée vis-à-vis de l’oligarchie médiatico-politique».


«Le temps des peurs», Michel Maffesoli, Editions du Cerf, 212 pages.

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