Analyse / Et si l'Allemagne soutenait l'Ukraine pour des raisons démographiques?
Panneaux d'information à destination des réfugiés ukrainiens, début mars 2022 à la Gare Centrale de Berlin. © Leonhard Lenz
L'apparente irrationalité des gouvernements occidentaux dans leur soutien inconditionnel à l'effort de guerre ukrainien laisse perplexe. Le cas de l'Allemagne est particulièrement énigmatique.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’irrationalité de la plupart des gouvernements européens, aveuglément alignés sur les intérêts de Washington, saute aux yeux. L’Union européenne est en effet devenue, pour reprendre les mots de Zbigniew Brzezinski, «un protectorat américain et ses Etats rappellent ce qu’étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires» (Brzezinski, Le grand échiquier, 2010, p. 88).
La vassalité, cependant, ne peut être un facteur unique d’explication. L’incapacité allemande, en particulier, à défendre l’approvisionnement en gaz de son industrie après le sabotage du Nord Stream laisse perplexe. La hausse subséquente des prix de l’énergie a plombé l’économie germanique, qui a basculé dans le rouge en 2023.
Malgré ce contexte de crise, Berlin se refuse toujours à rouvrir les vannes du Nord Stream, dont une partie des tubes est encore en état de fonctionner. C’est d’autant plus énigmatique que la nation allemande s’était transformée, depuis sa réunification, en véritable «société-machine» dédiée à la production. En outre, l’Allemagne a massivement soutenu l’effort de guerre ukrainien, débloquant près de 18 milliards d’euros d’aide militaire entre le 24 février 2022 et le 24 janvier 2024. Seuls les Etats-Unis ont fait mieux (voir graphique ci-dessous), mais toujours au bénéfice de leur industrie de l’armement.
L'explication psychologique
Est-il possible de trouver une explication rationnelle au comportement du gouvernement allemand, en dépit de l’imbécillité apparente de ses décisions stratégiques? Deux pistes offrent des perspectives de réflexion intéressantes. La première, évoquée par Emmanuel Todd dans son dernier livre (La défaite de l’Occident, Gallimard, 2023) est d’ordre psychologique.
Le peuple allemand entretiendrait une mauvaise conscience historique due à ses responsabilités durant la Deuxième Guerre mondiale. Sorte de traumatisme national, qui infuse les soubassements de la psyché collective. «Assoiffée d’expiation, l’Allemagne aspire à être désormais du côté du bien: l’évidence de l’agression russe – le Mal en marche, si l’on ne réfléchit pas – facilite une telle posture. Comment ne pas être solidaire avec la petite Ukraine?» (p. 179)
L'axiome migratoire
La seconde explication est de nature démographique. L’Allemagne, comme beaucoup d’autres pays européens (en particulier à l’Est du continent), dispose d’un taux de fécondité extrêmement bas (1,5 enfant par femme en 2021). Trop bas pour que sa population se renouvelle. Elle joue donc sa survie en tant que nation. Seule l’immigration peut actuellement compenser ce déclin. De fait, comme le rappelle là encore Emmanuel Todd dans Où en sommes-nous? Une esquisse de l’histoire humaine (Seuil, 2017): «Dans le cas de l’Allemagne, la recherche, non seulement de main-d’œuvre mais aussi d’une immigration de peuplement, est devenue pour le patronat et le gouvernement une obsession.»
Sans cette immigration, l’industrie allemande, notamment, péricliterait à moyen-long terme. Par conséquent, «nous ne pouvons comprendre la politique extérieure allemande si nous oublions cet objectif démographique: la recherche d’immigrés est désormais l’un des objectifs prioritaires de Berlin. Cet axiome permet de comprendre des comportements difficilement explicables autrement.» (Todd, Où en sommes-nous?, p. 538)
Ukraine, vivier de main-d'œuvre
Dans ce contexte, l’Europe de l’Est et l’Europe du Sud sont devenues des viviers de main-d’œuvre pour l’Allemagne, qui n’hésite pas non plus, depuis 2015, à ouvrir grand ses frontières à l’immigration extra-européenne (Turquie et Syrie en particulier). Parmi les ressortissants européens en Allemagne, les Ukrainiens sont les plus nombreux (1'164'200 en 2022, selon les statistiques du Budesamt). A noter que c’était déjà le cas avant le déclenchement de la guerre avec la Russie.
Selon Emmanuel Todd, cet «axiome migratoire» explique sans doute «l’activisme de la République fédérale dans les affaires ukrainiennes, dont la logique est tout à fait indépendante des rêves géopolitiques américains, à la Brzezinski, antirusses et planétaires». De fait, la pression occidentale sur l’Ukraine, loin de stabiliser le pays (contrairement à ce qui est promis) le transforme en pool de main-d’œuvre. Ainsi: «La désintégration de l’Ukraine pourrait assurer à l’Allemagne un approvisionnement abondant en main-d’œuvre et en immigrés. Dans ces conditions, entretenir le désordre ukrainien pourrait bien à nouveau apparaître comme "rationnel".» (Todd, Où en sommes-nous?, p. 542)
Cette analyse formulée par Todd en 2017 offre une grille de lecture intéressante dans le contexte de la guerre en Ukraine. Depuis le début des hostilités, en effet, plus d’un million d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Allemagne, beaucoup espérant «s’y installer durablement», indique Le Monde. Cet afflux massif a engendré une forte augmentation de la population allemande totale, la plus importante depuis la réunification de l'Allemagne de l'Est et de l'Allemagne de l'Ouest en 1990.
Déstabilisation interne
La politique jusqu’au-boutiste de «soutien» (il faudrait plutôt écrire «accompagnement vers la désintégration») allemand à l’Ukraine pourrait sembler paradoxale, tant elle pénalise l’industrie allemande, qui subit de plein fouet la hausse des prix de l’énergie engendrée par la rupture des approvisionnements russes. Mais l’industrie allemande est historiquement résiliente. Il est donc envisageable que Berlin, pesant les intérêts économiques à long terme de son économie, ait accepté de sacrifier provisoirement son secteur industriel (qu’elle sait résilient) pour favoriser ses intérêts démographiques, qui obéissent à d’autres rythmes. En outre, l’immigration pèse aussi tendanciellement à la baisse sur les salaires, ce qui est susceptible de profiter aux entreprises.
Terminons ce court essai par l’analyse globale d’Emmanuel Todd concernant la politique migratoire allemande:
«La rationalité limitée du système mercantiliste allemand, qui recherche inlassablement la puissance commerciale et monétaire, aggrave le problème jusqu’à le rendre insoluble. Toujours plus d’immigrés, telle est la logique du système, qui inclut en son cœur la vague conscience d’une ultime impossibilité. Le sentiment de vertige qui en découle a fini par suggérer à l’Allemagne, en 2015, un saut dans le vide: l’appel et la porte ouverte à un afflux massif de réfugiés venus de Syrie et d’Afghanistan, mais aussi d’autres pays appartenant à la sphère arabe et musulmane. Croyant affirmer des valeurs universelles, Angela Merkel a en réalité cédé à l’illusion d’un homo economicus abstrait, dépourvu de culture spécifique.
(…) Nous atteignons ici le terme du paradoxe: l’extraversion de l’économie allemande devrait finalement conduire, comme le choix japonais de l’introversion, à un repli du pays sur lui-même. Le vrai risque est celui du durcissement interne d’une société allemande au sein de laquelle l’anxiété conduirait à une gestion policière de la différence des mœurs. L’autoritarisme et l’esprit de système inhérents à la culture allemande faciliteraient une telle orientation.» (Todd, Où en sommes-nous?, pp. 543-547)
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Sorte de traumatisme national, qui infuse les soubassements de la psyché collective. «Assoiffée d’expiation, l’Allemagne aspire à être désormais du côté du bien: l’évidence de l’agression russe – le Mal en marche, si l’on ne réfléchit pas – facilite une telle posture. Comment ne pas être solidaire avec la petite Ukraine?» (p. 179)</p> <h3>L'axiome migratoire</h3> <p>La seconde explication est de nature démographique. L’Allemagne, comme beaucoup d’autres pays européens (en particulier à l’Est du continent), dispose d’un taux de fécondité extrêmement bas (1,5 enfant par femme en 2021). Trop bas pour que sa population se renouvelle. Elle joue donc sa survie en tant que nation. Seule l’immigration peut actuellement compenser ce déclin. De fait, comme le rappelle là encore Emmanuel Todd dans <em>Où en sommes-nous? Une esquisse de l’histoire humaine </em>(Seuil, 2017): «Dans le cas de l’Allemagne, la recherche, non seulement de main-d’œuvre mais aussi d’une immigration de peuplement, est devenue pour le patronat et le gouvernement une obsession.»</p> <p>Sans cette immigration, l’industrie allemande, notamment, péricliterait à moyen-long terme. Par conséquent, «nous ne pouvons comprendre la politique extérieure allemande si nous oublions cet objectif démographique: la recherche d’immigrés est désormais l’un des objectifs prioritaires de Berlin. Cet axiome permet de comprendre des comportements difficilement explicables autrement.» (Todd, <em>Où en sommes-nous?</em>, p. 538) </p> <h3>Ukraine, vivier de main-d'œuvre</h3> <p>Dans ce contexte, l’Europe de l’Est et l’Europe du Sud sont devenues des viviers de main-d’œuvre pour l’Allemagne, qui n’hésite pas non plus, depuis 2015, à ouvrir grand ses frontières à l’immigration extra-européenne (Turquie et Syrie en particulier). Parmi les ressortissants européens en Allemagne, les Ukrainiens sont les plus nombreux (1'164'200 en 2022, selon les statistiques du Budesamt). A noter que c’était déjà le cas avant le déclenchement de la guerre avec la Russie.</p> <p>Selon Emmanuel Todd, cet «axiome migratoire» explique sans doute «l’activisme de la République fédérale dans les affaires ukrainiennes, dont la logique est tout à fait indépendante des rêves géopolitiques américains, à la Brzezinski, antirusses et planétaires». De fait, la pression occidentale sur l’Ukraine, loin de stabiliser le pays (contrairement à ce qui est promis) le transforme en <em>pool</em> de main-d’œuvre. Ainsi: «La désintégration de l’Ukraine pourrait assurer à l’Allemagne un approvisionnement abondant en main-d’œuvre et en immigrés. Dans ces conditions, entretenir le désordre ukrainien pourrait bien à nouveau apparaître comme "rationnel".» (Todd, <em>Où en sommes-nous?</em>, p. 542) </p> <p>Cette analyse formulée par Todd en 2017 offre une grille de lecture intéressante dans le contexte de la guerre en Ukraine. Depuis le début des hostilités, en effet, plus d’un million d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Allemagne, beaucoup espérant «s’y installer durablement», <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/23/l-allemagne-refuge-privilegie-des-exiles-ukrainiens_6218170_3210.html">indique</a> <em>Le Monde</em>. 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Fondée en 2018, elle a pour but de perturber le modèle économique des médias propageant de la «désinformation» en ligne, en les privant de financement (concrètement: en avertissant les agences de publicité que ces médias ont une image dangereuse, et qu'il est donc préférable de ne pas signer de contrats publicitaires avec eux). </p> <p>GDI utilise une IA pour scanner le web et dénicher les publications douteuses selon ses critères. L'organisation a été fondée par Clare Melford et Daniel Rogers. Un rapide coup d’œil à leur biographie révèle quels sont les intérêts derrière GDI et les autres outils de suppression des «récits contradictoires». </p> <p>Clare Melford, selon <a href="https://www.weforum.org/people/clare-melford/">sa bio du WEF</a>, «a dirigé la transition du Conseil européen pour les relations internationales (European Council on Foreign Relations), qui faisait partie de la Fondation Open Society de George Soros, vers un statut indépendant». Daniel Rogers a, avant de co-fonder GDI, lancé Terbium Labs (revendue depuis à Deloitte), une startup spécialisée dans la sécurité de l'information et le renseignement sur le dark web. Il a aussi travaillé au sein de <a href="https://en.unesco.org/inclusivepolicylab/user/7798">la «communauté du renseignement américain»</a>. </p> <p>De fait, GDI est ou a été financé par la Fondation Open Society de Soros, le Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth (Grande-Bretagne), l'Union européenne, le ministère des Affaires étrangères allemand et Disinfo Cloud (une entité créée par le Département d’Etat américain). En 2022, GDI a publié <a href="https://www.disinformationindex.org/research/2022-10-21-brief-disinformation-risk-in-the-united-states-online-media-market-october-2022/">un rapport</a> sur les médias en ligne aux Etats-Unis. 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De son côté, l'Inde paie ses importations de pétrole russe en dirhams des Emirats arabes unis. Les pays membres du BRICS+ ambitionnent de promouvoir les transactions commerciales dans une devise commune nouvellement établie. Le géant français Total Energies a aussi réalisé <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/totalenergies-livre-a-la-chine-du-gnl-paye-en-yuans-une-premiere-957227.html">sa première transaction</a> de gaz naturel en yuan en mars 2023. Autant d’indices qui indiquent la fin progressive du dollar en tant que monnaie de référence dans les échanges commerciaux, selon Myret Zaki. La journaliste considère cela comme «une normalisation historique»: «Ce rééquilibrage prendra du temps, car les Etats-Unis utiliseront leur puissance militaire, indiscutablement supérieure, pour maintenir le plus longtemps possible la suprématie du dollar, qui sera donc conservé comme monnaie de référence de manière artificielle (c’est déjà le cas depuis plusieurs années), grâce à la planche à billets.» </p> <p>Les guerres récentes seraient-elles donc liées, de près ou de loin, au maintien de la primauté du dollar, qui a permis jusqu’ici aux États-Unis de soutenir un important déficit commercial et leur a donné une grande latitude pour mener les politiques domestiques et internationales de leur choix? Il est intéressant de considérer les guerres d’Irak (2003), de Lybie (2009) et d’Ukraine (2022) <a href="https://eclaireur.substack.com/p/la-guerre-en-ukraine-cest-la-guerre">sous cet angle</a>, même si les explications sont toujours multifactorielles. </p> <p>Au début des années 2000, Saddam Hussein a annoncé son souhait de vendre les hydrocarbures et le gaz de son pays en euro. Il était le premier à soulever la question de la légitimité du pétrodollar. En 2003, les Etats-Unis ont envahi l’Irak. La coïncidence est troublante. Des politologues comme William Clark, de la Johns Hopkins University, <a href="https://www.letemps.ch/economie/scenario-catastrophe-americain-petrole-se-payait-euros">y ont vu</a> l'une des motivations de la guerre. En 2009, cette explication a été qualifiée <a href="https://foreignpolicy.com/2009/10/07/debunking-the-dumping-the-dollar-conspiracy/">de «conspirationniste»</a> par la très officielle revue américaine <i>Foreign Policy</i>. Reste que le dollar a immédiatement été restauré comme monnaie de transaction du pétrole suite au changement de régime en Irak.</p> <p>En Lybie, Mouammar Kadhafi avait proposé à tout le continent africain de créer une union monétaire panafricaine indépendante du dollar américain et du franc CFA. D’aucuns considèrent le soutien des Etats-Unis à l’invasion française de 2009 comme une réponse au projet monétaire de Kadhafi. Selon un courriel adressé par Sidney Blumenthal à Hillary Clinton, l’intervention de Nicolas Sarkozy en Libye aurait été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/11/l-etrange-memo-americain-sur-la-tresorerie-de-kadhafi_4844960_3210.html">en partie motivée</a> par cette décision du dictateur africain.</p> <p><em>Quid</em> de la guerre en Ukraine? Il n’est un secret pour personne que la Russie, puissance énergétique de premier plan, mène le mouvement en faveur d’une dédollarisation des échanges commerciaux. Le gouvernement russe s’est ainsi progressivement <a href="https://photo.capital.fr/vladimir-poutine-se-debarrasse-de-la-dette-americaine-au-profit-de-l-or-voici-pourquoi-31029#alors-que-les-tensions-geopolitiques-font-rage-la-russie-tire-un-trait-sur-la-dette-americaine-535289">débarrassé</a> des bons du Trésor américain qu'il détenait. Dans ses transactions avec la Chine, de grandes quantités de produits énergétiques sont payées en yuan chinois et en rouble russe. Il ne s’agit pas de la cause unique derrière le conflit ukrainien, mais c’est sans doute l’un des facteurs de tensions entre les protagonistes. L’hebdomadaire britannique <i>The Economist</i> a d’ailleurs <a href="https://www.economist.com/briefing/2023/02/18/ukraines-fate-will-determine-the-wests-authority-in-the-world">reconnu</a> que l’issue de la guerre en Ukraine déterminera l’avenir de la suprématie occidentale (<em>i.e.</em> américaine) dans le monde. 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On peut considérer que tout l'art de César à cet égard a été de parvenir à un équilibre subtil en présentant les choses à son avantage sans perdre sa crédibilité par des manipulations excessives de la réalité.</p> <p>La propagande moderne, cependant, est née lors de la Première Guerre mondiale. Des services dédiés ont alors inventé la plupart des techniques utilisées aujourd’hui. Edward Bernays, le père des relations publiques, a travaillé dans l’un de ces services: la «Commission Creel». Cette dernière a été créée le 14 avril 1917 (après l'entrée en guerre des USA le 6 avril) par le président Wilson pour mettre sur pied un arsenal mental, une machinerie destinée à retourner l'opinion publique américaine et à accompagner l'effort de guerre, faisant de la propagande durant la Première Guerre mondiale les prémices d'une «science». Les techniques modernes de communication et le développement des nouvelles technologies n’ont fait que rendre cette propagande plus efficace et raffinée. 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Dans son livre à succès, <em>Principes élémentaires de propagande de guerre: utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède</em> (Labor, 2001), elle synthétise les 10 techniques presque toujours utilisées pour manipuler l’opinion publique. Détaillons quelques-unes de ces techniques.</p> <h3>Le camp adverse est seul responsable de la guerre</h3> <p>Dans chaque guerre, les gouvernements présentent le voisin ou adversaire comme le responsable du conflit, comme l’agresseur. L’objectif est de légitimer devant l’opinion publique l’entrée en guerre, en utilisant l’argument de la riposte à une agression. Pourtant, il est rare qu’on sache clairement, au moment où une guerre éclate, qui est le véritable agresseur. Lors de la guerre du Kosovo (1998-1999), l’OTAN assure par exemple réagir à une campagne de «purification ethnique» des Serbes contre les Albanais. 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Pour obtenir ce consentement, il faut imprimer à la guerre un motif honorable, dissimuler ses véritables raisons d’être sous des principes nobles (aider le peuple ukrainien envahi par l’agresseur russe, par exemple, ou exporter les principes de la démocratie). </p> <p>De l’aveu même de Woodrow Wilson, président des Etats-Unis: «la semence de la guerre dans le monde moderne, c’est la rivalité industrielle et commerciale» (1919). Exemple relativement récent: les bombardements contre la Yougoslavie, en détruisant l’économie socialiste du pays, ont fait place nette aux multinationales qui rêvaient depuis longtemps de s’y installer et d’y faire de bonnes affaires.</p> <h3>L'ennemi commet sciemment des atrocités</h3> <p>Les récits des atrocités commises par l’ennemi constituent un élément essentiel de la propagande de guerre. Pillages, vols, viols, incendies sont monnaie courante lors d’une guerre dans chacun des camps en conflit. Ce qui est spécifique à la propagande de guerre, c’est de faire croire que seul l’ennemi est coutumier du fait, tandis que notre armée est au service de la population et aimée d’elle. Ainsi, en Europe occidentale, il est courant de présenter les soldats américains comme nos sauveurs du nazisme. En 2003, l’historien J. Robert Lilly <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/la-face-cach%25C3%25A9e-des-gis-9782228930833">évalue</a> pourtant à 17’000 le nombre de viols commis par les GIs sur des femmes britanniques, françaises et allemandes lors de la Seconde Guerre mondiale. </p> <p>Des atrocités commises à l’encontre d’enfants sont souvent mises en scène, voire inventées de toutes pièces, pour servir la propagande. C’est l’exemple des bébés belges aux mains coupées par les soldats allemands lors de la Première Guerre mondiale, ou des couveuses dans la maternité de Koweït City avant la première guerre d’Irak en 1990. Mais aussi, très récemment, l’affaire des 40 bébés décapités et pendus suite à l’attaque de combattant du Hamas le 7 octobre en Israël, finalement non confirmée. Le 19 octobre, le quotidien <em>Haaretz</em> <a href="https://www.haaretz.com/haaretz-explains/2023-10-19/ty-article-magazine/israels-dead-the-names-of-those-killed-in-hamas-massacres-and-the-israel-hamas-war/0000018b-325c-d450-a3af-7b5cf0210000">publie</a> les noms des victimes de l'attaque du 7 octobre dont les identités ont été confirmées, mais sur les 541 victimes dont l'âge est indiqué, ne figure aucun bébé. </p> <h3>Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause</h3> <p>La propagande comme toute forme de publicité repose sur l’émotion et sa manipulation. Dans cet effort de manipulation, les artistes et intellectuels sont mobilisés et mis à contribution pour diffuser les bobards de guerre de manière convaincante. La Première Guerre mondiale fut un moment fondateur de cette pratique, un grand nombre d’intellectuels prenant fait et cause pour leur nation. Pour citer le pacifiste français Romain Rolland: «Les universités formaient un ministère de l’intelligence domestiquée». Aux Etats- Unis, durant la Seconde Guerre mondiale, le cinéaste Frank Capra participa notamment à l’effort de guerre en produisant des films de propagande. Walt Disney également, contre rémunération. Un véritable effort de guerre culturelle fut entrepris durant la guerre froide, du côté américain comme Soviétique. Heureusement, des intellectuels s’opposent toujours à la guerre. En 2003, 14'000 universitaires, intellectuels et écrivains américains signèrent une pétition d’opposition à la guerre contre l’Irak. Récemment, il semble qu’un moins grand nombre d’intellectuels se disent publiquement en faveur de la paix. 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Lors de la guerre froide, il était courant d’être accusé de «communiste» en cas de remise en question de la position américaine, en particulier aux Etats-Unis. 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Le pays abrite aussi la base militaire de Camp Bondsteel, l’un des points d’ancrage les plus importants de l’OTAN en Europe. Les Etats-Unis sont aujourd’hui, avec certains pays de l’Union européenne, les principaux soutiens et bailleurs de fonds du Kosovo, dont les structures étatiques souffrent d’une corruption «omniprésente», <a href="https://www.eda.admin.ch/deza/fr/home/pays/kosovo.html/content/dezaprojects/SDC/fr/2012/7F08427/phase2">de l’avis</a> de la Confédération helvétique.</p> <p>En arrivant dans Pristina depuis l’aéroport, je passe devant un bâtiment imposant et flambant neuf: l’ambassade américaine, où siègerait aussi une antenne de la CIA. Quelques centaines de mètres plus loin, le nouveau bâtiment municipal de la ville, visiblement construit au rabais, fait pâle figure en comparaison. Un pan de son mur s’est d’ailleurs récemment écroulé, blessant un habitant. Bill Clinton et George W. Bush disposent respectivement d’un boulevard et d’une rue à leur nom, tandis qu’un buste de Madeleine Albright trône à deux pas de la Banque centrale. Le nom de Tony Blair, grand artisan de l’intervention occidentale lors de la guerre du Kosovo, occupe également une bonne place dans la ville. Les locaux avec qui j’ai discuté – tous très accueillants – reconnaissent volontiers que leur pays est sous la dépendance des puissances occidentales. Mais ils soulignent unanimement préférer cela au despotisme de Belgrade.</p> <h3>Un îlot d'occidentalisation</h3> <p>Si l’existence juridique du Kosovo est fragile, le pays se développe rapidement. A Pristina, vitrine du pays, la présence occidentale s’accompagne d’une modernisation rapide qui ne s’embarrasse pas d’écologie, et dont l’islam local (peu intégriste) s’accommode parfaitement. Hôtels de luxe et immeubles de logements sortent de terre à un rythme soutenu chaque année. De nombreux restaurants proposent une nourriture de grande qualité, au niveau des standards suisses ou français. Tout est fait pour stimuler la consommation, à commencer par l’énorme Mall de la ville, le plus grand des Balkans (plus de 200 commerces), inauguré en 2023. Je note aussi avec étonnement l’absence de journaux imprimés, la presse écrite n’étant accessible qu’en ligne. Ainsi que l’absence de boîtes aux lettres dans les immeubles – il faut régler ses factures via internet et se faire livrer en poste restante.</p> <p>Cette effervescence cache cependant plusieurs problèmes, bien visibles sur place: une forte pollution de l’air due aux rejets de l’usine de charbon située à quelques kilomètres de la ville, des rues jonchées d’ordures, un plan d’aménagement peu cohérent et surtout l’absence ressentie de vie culturelle (reflet, là aussi, de notre modernité). Le musée national – le seul de la ville – est désert et peu entretenu: on y entre comme dans un moulin et les collections intéressent visiblement peu les locaux. La Bibliothèque nationale, datant de l’époque yougoslave, semble encagée dans un grillage de fer. Son architecture, des plus originales, tranche cependant agréablement avec les immeubles alentour. Il y a aussi plusieurs mosquées et une cathédrale très récente et surtout bien vide. Au détour d’une discussion dans un café, un Kosovar détenteur d’un doctorat en sciences politiques me glisse que la ville a été choisie comme capitale justement en raison de son peu d’histoire récente, afin de ne pas froisser les six communautés ethniques du pays. C’est cependant dans ce lieu que parut en 1685 le <i>Cuneus Profetarum</i> (le «Groupe des Prophètes»), premier ouvrage en albanais rédigé par Pjetër Bogdani. 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Entre 1998 et 1999, la guerre opposant l'Armée de libération du Kosovo (l’UÇK, soutenue par l’OTAN) et la Serbie a engendré de nombreuses pertes civiles. Le Fonds pour le droit humanitaire (FHP), une organisation non gouvernementale basée à Belgrade, a établi une liste de 13’472 victimes (dont 9'260 Albanais et 2'488 Serbes). Pour l'ONG Human Rights Watch, les frappes de l'OTAN <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2000/02/07/human-rights-watch-publie-le-bilan-des-victimes-civiles-dans-la-guerre-du-kosovo">ont tué</a> environ 500 civils. Après l’intervention de l’OTAN, la population serbe a souvent été réprimée. A Prizren, ville importante sous l’ère ottomane, elle a été chassée à la suite de pogroms en 2004. Cette expulsion s'est accompagnée de l'incendie des églises orthodoxes de la ville ainsi que de la résidence de l'évêque. La cathédrale est depuis protégée par la police du Kosovo.</p> <p>Des troupes de l’OTAN protègent aussi le très beau monastère orthodoxe de Dečani, situé dans le nord du pays, région où vivent quelque 120’000 Serbes. J’ai pu me rendre en voiture dans ce haut lieu de la mémoire nationale serbe, inscrit à l’UNESCO. Dans le magasin du monastère, il est toujours possible de payer en dinars, même si les transactions commerciales dans cette monnaie sont interdites par le gouvernement kosovar depuis le 1<sup>er</sup> février 2024. Les mesures punitives ont été repoussées de peur d’attiser les tensions communautaires. En pratique, de nombreux habitants de ces régions du nord travaillent ou ont travaillé pour des institutions serbes, avec des salaires ou retraites payés en dinars. Belgrade, qui n’a jamais reconnu l’indépendance du Kosovo, y soutient la communauté serbe via des emplois ou des aides financières. 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1 Commentaire
@stef 29.07.2024 | 17h42
«Excellente analyse, merci »