"Jeune femme couchée en costume espagnol", Edouard Manet, 1862-1863.
Remarquable et passionnant, «Atopiques. De Manet à Ryman», de Jean Clay, qui vient de paraître à L’Atelier contemporain, nous fait revivre le rapport de la génération mai 68 avec les pratiques artistiques les plus avancées de l’époque.
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De 1935 à 1936, elle en fait émigrer 120. Passant le printemps 1935 en Palestine, elle en revient, tout en restant attachée à ce pays, vaccinée contre le sionisme.</p> <p>En 1936 Anders part pour les Etats-Unis. Au printemps, un certain Heinrich Blücher assiste à une conférence d’Hannah Arendt. Hannah a 29 ans, lui 36. En juin, quelques jours après le départ de Günther, attirée par l’humour et l’intelligence de ce Berlinois, elle l’invite avec un autre ami à diner dans sa chambre d’hôtel et succombe à son charme.</p> <p>Un dialogue intense s’établit entre eux. Heinrich n’y va pas de main morte pour critiquer les sionistes. Sur la Palestine, il lui écrit: «Vouloir en cadeau tout un pays, pour ainsi dire, par charité, n’est-ce pas comme si on voulait faire en sorte qu’une femme qui ne peut pas vous aimer couche quand même avec vous, par charité chrétienne – ou juive?» </p> <p>Le 4 mai 1936 voit la victoire du Front populaire en France. Le 17 juillet, la guerre d’Espagne éclate. En 1937, Hannah et Heinrich s’installent ensemble et l’amitié tient une place centrale dans leur vie. Fritz Fränkel, un médecin et ami, vit au 10, rue Dombasle dans le 15ème arrondissement, dans un immeuble neuf en béton armé où habitent aussi Rudolph Neumann et sa femme; Fränze, Arthur Koestler et sa compagne, Daphné Hardy et à partir de janvier 1938, Walter Benjamin.</p> <p>Hannah et Heinrich s’y rendent souvent. On y joue au poker ou aux échecs. On peut y croiser Mina Flake, médecin, Dora Benjamin, Robert Gilbert, compositeur et parolier, Erich Cohn-Bendit, avocat spartakiste et Herta David. C’est grâce à cette petite tribu qu’ils se sentent chez eux à Paris.</p> <h3>D’«indésirables» à «ennemis d’Etat» (1938-1939)</h3> <p>Quelques jours après la Nuit de cristal, le décret-loi du gouvernement Daladier portant sur la police et le statut des étrangers aggrave leurs conditions de vie. En mai 1939, Martha, la mère d’Hannah vient s’installer avec le couple. Ils vivent dans un appartement à dix minutes à pied de la rue Dombasle. Depuis la fin 1938, Hannah travaille pour le<em> Central Bureau for the Settlement of German Jews</em> pour lequel elle négocie avec les autorités françaises des visas de transit. </p> <p>Le 23 août 1939 est signé le pacte germano-soviétique. La guerre, inévitable, éclate. Les réfugiés Blücher, Benjamin, Cohn-Bendit, Fränkel, Neumann et Krüger, sont arrêtés.</p> <h3>Dans les camps de la République (1939-1940)</h3> <p>Ils sont tous emmenés au Stade olympique de Colombes et incarcérés en plein air, sans couvertures, sans rien. Heinrich s’empresse de rassurer Hannah. Quand on lit ce qu’il lui écrit, on pleure: </p> <p>«<em>Ma petite,</em></p> <p><em>Je me suis couché pendant deux nuits sur une belle pelouse. Cohn et moi, nous avons trouvé ces nuits fort belles mais assez fraîches. J’ai trouvé ici tous les copains – y compris le malheureux Benji. Tous les Militaires et les agents sont pleins de gentillesses. 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Cela lui redonne de la force et il se lance dans un cours de philosophie en plein air pour lequel il demande, en rémunération de chaque leçon, trois Gauloises, un clou ou un crayon. La libraire Adrienne Monnier, qui connaît du monde, parvient finalement à le faire libérer.</p> <h3>L’hiver obscur de la «drôle de guerre»</h3> <p>Pour conjurer la douloureuse séparation de trois mois qu’ils viennent de vivre, le 16 janvier 1940, Hannah et Heinrich se marient. Walter Benjamin se réfugie dans le travail, le <em>black-out</em> l’angoisse, mais il croit à la défaite rapide de l’Allemagne. Heinrich affirme que l’armée française est l’une des meilleures d’Europe. Hannah dépose une demande de visa à l’ambassade des Etats-Unis et elle entraîne Heinrich et Walter dans des cours d’anglais.</p> <h3>Le supplice administratif d’Arthur Koestler</h3> <p>Le 17 janvier 1940, Koestler est relâché du camp de Vernet. Après cela, il reçoit des sursis à son expulsion du pays qui varient de quarante-huit heures à un mois. Il échoue à se faire enrôler dans l’armée anglaise et à la Croix-Rouge. Il sollicite l’aide de Léon Blum qui appelle le chef du service des étrangers à la Sureté nationale, M. Combe, mais lorsque Koestler s'y rend, il lui est impossible de le rencontrer. Arthur abandonne et se réfugie dans le je-m’en-foutisme; il termine la rédaction du<i> Zéro et l’Infini</i> qui deviendra un best-seller mondial. </p> <p>Le 10 mai, l’Allemagne envahit la Belgique. Le 12 paraît un avis enjoignant les hommes d’origine allemande de 17 à 55 ans, les femmes célibataires ou mariées sans enfant de rejoindre des centres de Rassemblement. Henri Hoppenot, un diplomate ami intervient: Benjamin, Kracauer et Koestler n’ont pas à se rendre au stade Buffalo. Blücher et Fränkel s’y rendent. Le lendemain, Hannah et Fränze Neumann partent en métro jusqu’au stade du Vélodrome d’hiver. Au 10, rue Domsbale, le chauffage central cesse de fonctionner, puis l’eau chaude, puis l’ascenseur. Le jour de l’invasion allemande, le téléphone est coupé.</p> <p>Une semaine plus tard, des policiers ordonnent à Koestler de se rendre au stade où il arrive ivre mort et raconte des mensonges à l’officier qui l’accueille. L’officier le relâche. Désormais hors la loi, le 25 mai, Daphné et lui fuient Paris.</p> <h3>Le camps de Gurs </h3> <p>Une semaine après leur arrivée au Vélodrome d’hiver, les femmes sont déportées au camp de Gurs, immense étendue désertique et insalubre dans les Pyrénées, ne comportant ni arbre ni buisson, mais des rangées de baraques alignées à perte de vue, entourées de barbelés de deux mètres de haut. Les prisonniers y sont 12'000 dont, outre Hannah Arendt, sept autres de ses connaissances, telle Dora, la sœur de Walter. On ne leur donne rien à manger. Dans la baraque baptisée «Infirmerie», il n’y a ni lit, ni médicaments. 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C’est l’homme, le mari, qui, suite à diverses péripéties, y est en charge du <i>care</i> et Sandra, l’épouse, qui multiplie les rencontres sexuelles. </p> <p>Alors que chez un réalisateur comme Abdellatif Kechiche, lors des scènes de sexe on voit tout, nous dit Geneviève Sellier, on ne ressent rien; chez les réalisatrices, on ne voit pas grand-chose, mais on ressent tout. </p> <h3>Le cinéma du <em>milieu</em></h3> <p>Le film social souffre en France de dramatisation abusive. Il est souvent caricatural. N’est pas Ken Loach qui veut. On retrouve donc ici et aujourd’hui le débat qui existait entre les revues <i>Positif</i> (1952) et <i>Les</i> <i>Cahiers du Cinéma</i> (1951). Vu bien sûr, à présent, à l’aune d’un regard féministe mais pas seulement. Il peut même sembler que l’entre-soi élitiste des cinéastes et critiques du cinéma d’auteur, ne vivant principalement que de subventions, soit encore plus nocif que la misogynie crasse et le paternalisme inusable régnant dans ce petit milieu consanguin. L’autrice défend l’aspect sociologique qui déplait tant à la critique cinéphilique. Par exemple les films de Jaoui-Bacri, le cinéma du «milieu».</p> <p>Un film avec des acteurs professionnels et des acteurs non-professionnels, c’est bien, écrit-elle. Cela donne de la «saveur» au film. Et si ça se passe en province, c’est encore mieux.</p> <p>La plupart des films de réalisatrices relèvent donc de ce cinéma du «milieu», se situant entre le cinéma commercial et celui d’auteur, avec une volonté de sortir de l’entre-soi. Côté travail, <i>Vénus Beauté (Institut)</i> de Tonie Marshall prend au sérieux les clients et les employées d’un institut de beauté. 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Catherine Corsini, dans <i>La Fracture</i>, rend compte du mouvement des Gilets jaunes et de la crise de l’hôpital public, en écho direct aux événements de 2019 à La Pitié-Salpêtrière, une réussite qui s’apparente justement aux meilleurs œuvres de Ken Loach. </p> <h3>La France, pays de l'impunité artistique</h3> <p>En France, si l’antisémitisme ou le racisme ne sont plus acceptés, la violence contre les femmes continue à être banalisée, voire valorisée. </p> <p>En se débarrassant de la monarchie, la France a inventé le culte laïc du génie, l’écrivain romantique qui doit lutter contre la femme qui peut le priver de son autonomie artistique car du fait de son aliénation aux fonctions reproductives, celle-ci ne peut accéder au ciel des idées. </p> <h3>Aujourd'hui</h3> <p>Voilà donc la tâche qui s’impose à présent: revisiter – sans forcément les renier entièrement – les admirations qui nous ont construits, en ouvrant les yeux sur les abus de pouvoir que nos «grands hommes» pratiquaient au nom de l’Art. 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Mais cette rupture n’étant pas facile à vivre, doutant d’elle-même, isolée, pour ne pas trop déprimer, elle se met à dessiner jours et nuits. </p> <p>Aux Beaux-Arts de Nantes, où elle entre sans difficulté et se sent bien, son travail étant apprécié par les enseignants, elle découvre les dernières nouveautés de l’époque, Internet et les jeux vidéo, ainsi qu’un condisciple, Stéphane, chez qui elle aime tout: chanteur dans un groupe de rock et fumeur de joints, Stéphane se dit d’extrême gauche, et, très vite, la narratrice va s'installer chez lui.</p> <p>Mais lui, la jugeant trop introvertie, se dessine avec une hache brandie très haut, hache qu’il aimerait abattre sur son bunker caractériel pour le faire exploser. Comment peut-il ne pas sentir que ce dont elle a besoin, c’est de douceur et non de violence? Chacun de leurs rapports sexuels est un viol et elle, en silence, souffre. Jusqu’à en vomir. 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Elle peut s’extirper un temps de ce marasme de fumeurs de joints. Et bien sûr, ça lui plait de fréquenter d’autres gens que le pesant Stéphane. Le fait que son travail soit très apprécié la gratifie aussi beaucoup. Néanmoins, elle retourne tous les week-ends à Nantes, continue à payer le loyer, pendant que lui, n’ayant aucun projet à part celui de se plaindre tout le temps, n’en branle toujours pas une. Elle rêve de le quitter mais, horreur au carré, elle se retrouve enceinte. Avorter? Le vieux credo maternel le lui interdit. Prise au piège, elle loue un petit appartement à Paris, et y emmène un Stéphane amorphe, tellement défoncé qu’il en est devenu parano et s’imagine que les RG le suivent. Lui? Quelle bonne blague!</p> <p>L’échographie leur apprend que c’est un garçon qu’elle attend. Oui, elle va générer son futur propre oppresseur. Stéphane lui répète que dans sa boite, s’ils l’ont engagée, c’est parce qu’elle est une femme. 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Un mois après l’attentat contre <i>Charlie Hebdo</i>, à la sortie de l’école, elle les retrouve avec des cagoules noires.</p> <p>Stéphane, devenu maçon comme il le souhaitait avec un corps dur, pleure néanmoins sa pseudo masculinité perdue avec ses amis masculinistes du web. Quand il voyage avec les enfants, c’est pour aller au musée du Tank à Saumur, y disserter sur les mérites comparés du Panzer IV, du Tigre et du M4 Sherman...</p> <p>Il la traite de sale bourgeoise mais elle ne peut plus payer le chauffage (électrique) et mange des pâtes au rabais. Lui se pense en petit blanc mais, sans arrêt, touche des héritages. L’un d’eux s'élève à quatre-vingt mille euros! Le bourgeois, c’est lui.</p> <h3>Désastre</h3> <p>La narratrice contemple ses deux petits et se rend compte qu’elle a engendré l’ennemi, des enfants mâles qui la saluent d’un <i>Heil Hitler</i>!</p> <p>Pendant des années, elle a patienté, les enfants ont grandi. Quand elle regarde en arrière, elle voit Stéphane, tout seul, attendant la guerre. Le constat est plus qu’amer. Le poison diffusé sur les réseaux a fait effet. Partout en Europe l’extrême droite prospère.</p> <p>L’un des enfants lui annonce qu’il arrête ses études et s'engage dans l’armée. Ça l’achève. Elle marche dans les rues. Il n’y a plus d’immeubles, d’arbres, de ciel nuageux mais partout, hallucinante, une armée de phallus géant. 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Faire sentir le passage du temps, pour ce lecteur assidu de Marcel Proust, a toujours été l’un de ses désirs majeurs. Et voici qu’alors germe en lui l’idée de peindre l’arrivée du printemps dans le paysage normand. </p> <p>Pour ce faire, Hockney acquiert une maison isolée. Une rangée de hauts peupliers borde la rivière, un cours d’eau traverse le terrain qui l’entoure, un ancien pressoir peut servir d’atelier. Il retourne à Los Angeles, passe par Amsterdam pour son exposition au musée Van Gogh, <i>The Joy of the Nature</i>. Van Gogh et lui étant exposés côte à côte! Jean Frémon le retrouve là-bas et ils visitent cette fois-ci une exposition Rembrandt honorant le 350ème anniversaire de la mort du maitre batave.</p> <p>Le 2 mars 2020, Hockney est en Normandie. Le Covid venant, sûr de ne pas être dérangé, il peut enfin se concentrer sur le but qu’il s’est fixé. Il dessine sur des carnets en accordéon un panorama à 360 degrés et ceci, quatre fois de suite. Nous sommes à la fin de l’hiver, les couleurs arrivent petit à petit. Il ne dessine pas le ciel parce que, dit-il, celui-ci change trop vite. Il fait réaliser des agrandissements de ses carnets pour pouvoir les accrocher au mur et pour finir, ce sont deux de ces carnets agrandis qui seront exposés. Douze mètres de longueur (le mur de la galerie Lelong mesure 13,50 mètres), l’un au-dessus de l’autre pour que l’on puisse voir le même motif à deux moments de l’année. L’été venu, Hockney peint à l’acrylique quatre arbres fruitiers du jardin avec un ciel bleu formé de centaines de marques qui se tortillent. C’était voulu vibrant et ça l’est. Puis un double tableau horizontal, ce qu’on voit en arrivant sur la propriété mais transposé en une puissante image transcendant cette réalité. </p> <p>Un tableau d’Hockney doit toujours être regardé deux fois nous apprend Jean Frémon, grand connaisseur. Une fois de près, pour la singularité du langage, la touche, une fois de loin, pour la magie de l’image. Réfléchissez: quels sont les tableaux dont vous avez gardé une image mentale claire? Un Manet, un Degas, un Ensor, un Malévitch? Et un Hockney, non?</p> <p>David Hockney porte une grande attention au titre. Au dernier moment, il décide d’ajouter un tableau dans l’exposition, le seul de 2020, la pluie tombant dans une mare, <i>Some Small Splashes</i>, référence à son vieux tableau <i>A Bigger Splash</i>, (80 millions d’euros). Hockney va continuer son cycle du printemps sur l’iPad. En quelques mois, privé donc de toutes visites par le confinement, il va achever plus de cent images. 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L’auteur de ses chroniques, à peine sorti de l’enfance, Jean Clay (1934), a fréquenté des artiste tels Jean Dubuffet et Georges Mathieu car l’un de ses amis était le fils d’un galeriste. Assidu au Louvre dès l’âge de 16 ans, il entre au Monde comme stagiaire à 18, en 1952, et de 1958 à 1971, est journaliste à Réalités, la revue illustrée la plus lue d’après-guerre. Du coup, il rencontre de nombreux artistes tel Marcel Duchamp ou Andy Warhol et écrit le premier article en français sur le minimalisme américain.
Les années Robho
Avec le performeur Julien Blaine, en 1966, il fonde la revue Robho, périodique qui tout en relayant des pratiques artistiques n’en dénonce pas moins les excès de la société du spectacle.
Dans les écrits qu’il consacre à l’art optique, l’art du mouvement, l’art-événement et l’art-environnement, il utilise un vocabulaire étendu de la description et fait preuve d’une observation minutieuse et aiguë.
Il se montre grand défenseur de Jesús Rafael Soto, le destructeur méthodique de toute forme stable, de toute forme figée. Dorénavant, toute évaluation vivante du réel doit englober des données comme l’espace-temps, la transformabilité permanente des choses, la fluidité et la ductilité des phénomènes naturels, le caractère corpusculaire et ondulatoire de la matière énergie.
C’est Clay qui trouve l’appellation Pénétrable pour l’œuvre de 400 m2 accrochée entre les deux ailes du Palais de Chaillot: une pluie faite de milliers de fils de nylon suspendus provoquant, d’après lui, ivresse et joie chez le spectateur.
La peinture est finie, dit-il, et cette intuition, on pouvait déjà la pressentir dans les formes rongées de Rembrandt, vaporeuses de Watteau, noyées de Turner. Dès 1960, Allan Kaprow a proposé l’abandon de l’idée de permanence et l’utilisation de matériaux de la vie de tous les jours.
Chaque individu, passif et actif, doit devenir partie intégrante de l’œuvre, spectateur et acteur. Nous savons que l’art aujourd’hui se situe dans un nouveau dialogue avec le réel – que le vrai rapport n’est plus à l’intérieur de l’œuvre, mais entre l’œuvre et la vie, écrit-il.
Hans Haacke, formellement inventif et conceptuellement gênant pour les institutions culturelles capitalistes, correspond au type d’artiste qu’il soutient. Ses œuvres dérangeantes, manipulables et anonymes, vont défaire l’institution. A la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence, par exemple, il construit un spectacle dénonçant l’aspect commercial de cette fondation.
Triomphe de l’art bourgeois
En 1968, considérant intolérable la confiscation de la créativité à des fins d’embellissement d’une société obscène, Jean Clay se déclare être pour l’artiste offensif, pour le mouvement, la participation du public, le Pénétrable, le happening et l’art conceptuel et contre l’art activité inoffensive, marginale et décorative. Il soutient toutes les entreprises fondées sur l’absence de limites, toutes les initiatives dont en commençant, on ne connaît pas le terme.
Mais dès 1971, il constate que la culture, devenue chaque jour davantage l’ingrédient indispensable à toute opération d’intoxication commerciale ou politique, contribue à la crétinisation générale des consciences et à l’abrutissement des masses par les intellectuels qui apportent une aura de spiritualité à la marchandise et à ce qui l’emballe. La répétition du signe de Daniel Buren, par exemple, étant la même que celle d’un chevron qui représente une marque automobile, le logotype d’un produit-marchandise.
A présent, on passe de l’artiste marginal à l’artiste vedette, excentrique et sublime (Warhol) ou légendaire (Pollock mort) et le système impose partout ses trois conditions: l’artiste doit réduire sa recherche à la production d’objets commercialisables, la valeur d’échange de son travail doit l’emporter sur sa valeur d’usage et il doit constamment réaffirmer la pureté de ses intentions et de son travail.
Esthétisation de l’aliénation
Oui, cette société du chloroforme se satisfait d’un art constat, d’un art de la non-intervention qui reflète et favorise la réification collective et dans laquel l’importance supposée de l’artiste est inversement proportionnelle à l’originalité de son acte. Max Baxter urine dans la neige. Bruce Nauman demande à un conservateur de musée de faire des bonds. Robert Barry diffuse dans des parcs des gaz invisibles. Edward Ruscha présente des photos d’anciennes petites amies. On Kawara envoie chaque jour une carte postale spécifiant l’heure à laquelle il s’est levé. Ambitions minuscules dans lesquelles la société bourgeoise se découvre avec ravissement telle qu’elle se rêve: immuable et universelle.
Le commerce de détail liquide le cinétisme en de multiples gadgets qui simulent le mouvement pour ne pas avoir à le vivre. Vasarely inspire papiers peints et bottines de femmes. Au rayon emballage, personne n’a poussé plus avant que lui l’esthétisation de l’inhumanité de la vie urbaine.
Les années Macula
Créée en 1976 et devenue une maison d’édition en 1979, Macula nait dans une époque surexcitante intellectuellement, nous dit Jean Clay. Walter Benjamin enfin traduit, lecture de Roland Barthes, fréquentation du séminaire d’Hubert Damisch, où s’articule une parole euphorisante, rencontre de Christian Bonnefoi, découverte de Robert Ryman.
Les années révolutionnaires sont révolues. Personne ne croit plus que l’art peut changer le monde. Plus un mot sur la politique, rien que formes, matériaux, techniques et virtuosité jubilatoire dans l’analyse des œuvres.
L’art comme interrogation
La modernité, pour Jean Clay, de Cézanne à Ryman, en passant par Pontormo, est l’art de transposer dans la peinture les propriétés du dessin.
Et partant de là, toute une histoire revient: Seurat et ses tableaux à la matière homogène, sans commencement, ni fin. Les papiers peints de Vuillard, sa dilution de la figure, non pas dans la lumière, mais dans la texture, la tâche, la touche, ses personnages rongés, mités, abolis dans la tavelure qui les cerne, l’épaisseur, le feuilletage, l’interpénétration des couches, l’interférence des strates, les grattages.
Monet, le précurseur, qui n’a atteint son public que dans les années 1950, avec une génération de peintres américains qui reconnaît être en dette envers lui et ses Nymphéas, dix-neuf panneaux de continuum spatiotemporel, de tissu sans couture, d’espace sans charnière.
Cette mise en crise est aussi le résultat du travail de Malevitch, de ses deux achromes accrochés horizontalement au plafond ou de Piet Mondrian, qui pointe l’ambivalence et l’incertitude restées inaperçues dans les formes classiques des arts, de Van Doesburg qui retournait les peintures face au mur afin de les utiliser simplement comme éléments de division de l’espace, des Texturologies de Dubuffet, sans centre ni cible.
Les purs: Robert Ryman & Martin Barré
Ryman gagne sa vie en étant gardien de musée. La première fois que notre auteur va dans son atelier, il passe devant un tableau blanc sans comprendre qu’il vient de passer devant une œuvre! Dans Macula, il lui consacre un époustouflant entretien de 37 pages.
Ryman, sa force, est d’interroger méthodiquement tout: le statut de la signature, l’éclairage de la galerie, la géométrie du boulon porteur, la persistance du pinceau à se soutenir égal tout au long du recouvrement systématique d’une surface, les variations discrètes de deux ou trois modules de brosse, le changement de pigment, huile puis émail, la subreptice réduction ou suppression d’un élément dans une série.
Martin Barré, lui, se demande: Qu’en est-il du fond comme limite? Et envisage chaque tableau à la fois en lui-même et comme un élément en relation avec les autres œuvres de la série auquel il appartient. Il mène un travail précis, où s’élaborent des articulations choisies entre couleurs et réserves, premiers et arrières plans, espace pictural et hors-champ, transparence et bordure.
Edouard Manet, le précurseur
C’est à Manet que Clay fait remonter le repérage des éléments centraux de l’esthétique moderne et de la mise en crise de la peinture tout entière. Il est le premier peintre à ressentir comme dissociable tous les constituants matériels du tableau tels que surface, limite, couleur, texture, geste, – et à les traiter comme un jeu de variables. Moire des tissus, satin, taffetas, creps – paravents, tapisseries, papiers peints. Puisant chez les peintres anciens tels Titien ou Goya, mélangeant et synthétisant Carrache et Rubens, empruntant à l’art japonais, s’inspirant de la photographie, il subvertit les notions de continuité linéaire, de progrès, d’origine. Il n’a pas de style et il les a tous. Chacune de ses œuvres est contredite par la suivante. Qui poussa aussi loin, avant lui, l’écart entre peinture et ossature, accentua la déconstruction gestuelle de la figure humaine jusqu’à traiter de la même façon tête, vêtements, décor? Et pour finir, apothéose, Jean Clay le compare à Jean-Luc Godard!
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A Francfort, des universitaires, dont Adorno, ayant bloqué la candidature de Günther Stern, le couple déménage à Berlin où Günther contacte Bertolt Brecht, qui le recommande à un quotidien dont il devient, sous le pseudonyme de Gustave Anders, l’homme à tout faire et à tout écrire.</p> <h3>Hitler chancelier</h3> <p>Le 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier de la République allemande. Le 27 février a lieu l'incendie du Reichstag. Aussitôt toutes les libertés civiles et politiques sont suspendues. 4'000 personnes sont arrêtées. Hannah Arendt entre résolument en politique et décide d’aider les persécutés. En juillet 1933, sa mère et elle sont arrêtées. Sa mère est relâchée rapidement et elle, huit jours plus tard. Elles sont accueillies ensuite par une amie à Genève où Hannah travaillera pendant deux mois à la SDN avant de partir pour Paris.</p> <h3>Paris, capitale des Années folles</h3> <p>Sa mère, jeune, a passé trois ans à Paris et y a toujours des amis. 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De 1935 à 1936, elle en fait émigrer 120. Passant le printemps 1935 en Palestine, elle en revient, tout en restant attachée à ce pays, vaccinée contre le sionisme.</p> <p>En 1936 Anders part pour les Etats-Unis. Au printemps, un certain Heinrich Blücher assiste à une conférence d’Hannah Arendt. Hannah a 29 ans, lui 36. En juin, quelques jours après le départ de Günther, attirée par l’humour et l’intelligence de ce Berlinois, elle l’invite avec un autre ami à diner dans sa chambre d’hôtel et succombe à son charme.</p> <p>Un dialogue intense s’établit entre eux. Heinrich n’y va pas de main morte pour critiquer les sionistes. Sur la Palestine, il lui écrit: «Vouloir en cadeau tout un pays, pour ainsi dire, par charité, n’est-ce pas comme si on voulait faire en sorte qu’une femme qui ne peut pas vous aimer couche quand même avec vous, par charité chrétienne – ou juive?» </p> <p>Le 4 mai 1936 voit la victoire du Front populaire en France. Le 17 juillet, la guerre d’Espagne éclate. En 1937, Hannah et Heinrich s’installent ensemble et l’amitié tient une place centrale dans leur vie. Fritz Fränkel, un médecin et ami, vit au 10, rue Dombasle dans le 15ème arrondissement, dans un immeuble neuf en béton armé où habitent aussi Rudolph Neumann et sa femme; Fränze, Arthur Koestler et sa compagne, Daphné Hardy et à partir de janvier 1938, Walter Benjamin.</p> <p>Hannah et Heinrich s’y rendent souvent. On y joue au poker ou aux échecs. On peut y croiser Mina Flake, médecin, Dora Benjamin, Robert Gilbert, compositeur et parolier, Erich Cohn-Bendit, avocat spartakiste et Herta David. C’est grâce à cette petite tribu qu’ils se sentent chez eux à Paris.</p> <h3>D’«indésirables» à «ennemis d’Etat» (1938-1939)</h3> <p>Quelques jours après la Nuit de cristal, le décret-loi du gouvernement Daladier portant sur la police et le statut des étrangers aggrave leurs conditions de vie. En mai 1939, Martha, la mère d’Hannah vient s’installer avec le couple. Ils vivent dans un appartement à dix minutes à pied de la rue Dombasle. Depuis la fin 1938, Hannah travaille pour le<em> Central Bureau for the Settlement of German Jews</em> pour lequel elle négocie avec les autorités françaises des visas de transit. </p> <p>Le 23 août 1939 est signé le pacte germano-soviétique. La guerre, inévitable, éclate. Les réfugiés Blücher, Benjamin, Cohn-Bendit, Fränkel, Neumann et Krüger, sont arrêtés.</p> <h3>Dans les camps de la République (1939-1940)</h3> <p>Ils sont tous emmenés au Stade olympique de Colombes et incarcérés en plein air, sans couvertures, sans rien. Heinrich s’empresse de rassurer Hannah. Quand on lit ce qu’il lui écrit, on pleure: </p> <p>«<em>Ma petite,</em></p> <p><em>Je me suis couché pendant deux nuits sur une belle pelouse. Cohn et moi, nous avons trouvé ces nuits fort belles mais assez fraîches. J’ai trouvé ici tous les copains – y compris le malheureux Benji. Tous les Militaires et les agents sont pleins de gentillesses. 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Cela lui redonne de la force et il se lance dans un cours de philosophie en plein air pour lequel il demande, en rémunération de chaque leçon, trois Gauloises, un clou ou un crayon. La libraire Adrienne Monnier, qui connaît du monde, parvient finalement à le faire libérer.</p> <h3>L’hiver obscur de la «drôle de guerre»</h3> <p>Pour conjurer la douloureuse séparation de trois mois qu’ils viennent de vivre, le 16 janvier 1940, Hannah et Heinrich se marient. Walter Benjamin se réfugie dans le travail, le <em>black-out</em> l’angoisse, mais il croit à la défaite rapide de l’Allemagne. Heinrich affirme que l’armée française est l’une des meilleures d’Europe. Hannah dépose une demande de visa à l’ambassade des Etats-Unis et elle entraîne Heinrich et Walter dans des cours d’anglais.</p> <h3>Le supplice administratif d’Arthur Koestler</h3> <p>Le 17 janvier 1940, Koestler est relâché du camp de Vernet. Après cela, il reçoit des sursis à son expulsion du pays qui varient de quarante-huit heures à un mois. Il échoue à se faire enrôler dans l’armée anglaise et à la Croix-Rouge. Il sollicite l’aide de Léon Blum qui appelle le chef du service des étrangers à la Sureté nationale, M. Combe, mais lorsque Koestler s'y rend, il lui est impossible de le rencontrer. Arthur abandonne et se réfugie dans le je-m’en-foutisme; il termine la rédaction du<i> Zéro et l’Infini</i> qui deviendra un best-seller mondial. </p> <p>Le 10 mai, l’Allemagne envahit la Belgique. Le 12 paraît un avis enjoignant les hommes d’origine allemande de 17 à 55 ans, les femmes célibataires ou mariées sans enfant de rejoindre des centres de Rassemblement. Henri Hoppenot, un diplomate ami intervient: Benjamin, Kracauer et Koestler n’ont pas à se rendre au stade Buffalo. Blücher et Fränkel s’y rendent. Le lendemain, Hannah et Fränze Neumann partent en métro jusqu’au stade du Vélodrome d’hiver. Au 10, rue Domsbale, le chauffage central cesse de fonctionner, puis l’eau chaude, puis l’ascenseur. Le jour de l’invasion allemande, le téléphone est coupé.</p> <p>Une semaine plus tard, des policiers ordonnent à Koestler de se rendre au stade où il arrive ivre mort et raconte des mensonges à l’officier qui l’accueille. L’officier le relâche. Désormais hors la loi, le 25 mai, Daphné et lui fuient Paris.</p> <h3>Le camps de Gurs </h3> <p>Une semaine après leur arrivée au Vélodrome d’hiver, les femmes sont déportées au camp de Gurs, immense étendue désertique et insalubre dans les Pyrénées, ne comportant ni arbre ni buisson, mais des rangées de baraques alignées à perte de vue, entourées de barbelés de deux mètres de haut. Les prisonniers y sont 12'000 dont, outre Hannah Arendt, sept autres de ses connaissances, telle Dora, la sœur de Walter. On ne leur donne rien à manger. Dans la baraque baptisée «Infirmerie», il n’y a ni lit, ni médicaments. 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Le poison qu’il avale le fait juste vomir. Arendt décide de se rendre à Monbahus, commune du Lot dans le Sud-Ouest où se trouve Lotte en espérant que Heinrich, dont elle est sans nouvelles, aura la même idée. Quelques jours plus tard, par un hasard inouï, elle le retrouve.</p> <h3>La fuite à tout prix</h3> <p>Le 6 août radio Vichy commence une campagne antisémite.</p> <p>Le 13, le fameux journaliste américain Varian Fry débarque à Marseille d’où il fera obtenir des visas d’urgence pour les Etats-Unis à bien des gens, dont Hannah et Heinrich.</p> <p>Walter Benjamin pénètre en Espagne où il apprend qu’un décret interdit désormais de laisser entrer les apatrides. Il se suicide.</p> <p>Le 23 mai 1941, Hannah et Heinrich arrivent aux Etats-Unis avec cinquante dollars en poche et ils devront y batailler longtemps pour obtenir la nationalité américaine: à la fin des années quarante commence l’ère du maccarthysme.</p> <p>En 1952, Hannah Arendt revient en Europe pour un séjour de six mois. 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Hannah Arendt et la "tribu" en France (1933-1941)», Marina Touilliez, Editions L’Echappée, 512 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'hannah-arendt-et-les-parias-a-paris', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 49, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2107, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5144, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les dérives du cinéma français', 'subtitle' => 'En prônant un cinéma d’auteur, François Truffaut visait à défendre le metteur en scène face à des puissances rivales – les scénaristes, les acteurs et les producteurs, nous explique Geneviève Sellier dans «Le culte de l’auteur. 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C’est l’homme, le mari, qui, suite à diverses péripéties, y est en charge du <i>care</i> et Sandra, l’épouse, qui multiplie les rencontres sexuelles. </p> <p>Alors que chez un réalisateur comme Abdellatif Kechiche, lors des scènes de sexe on voit tout, nous dit Geneviève Sellier, on ne ressent rien; chez les réalisatrices, on ne voit pas grand-chose, mais on ressent tout. </p> <h3>Le cinéma du <em>milieu</em></h3> <p>Le film social souffre en France de dramatisation abusive. Il est souvent caricatural. N’est pas Ken Loach qui veut. On retrouve donc ici et aujourd’hui le débat qui existait entre les revues <i>Positif</i> (1952) et <i>Les</i> <i>Cahiers du Cinéma</i> (1951). Vu bien sûr, à présent, à l’aune d’un regard féministe mais pas seulement. Il peut même sembler que l’entre-soi élitiste des cinéastes et critiques du cinéma d’auteur, ne vivant principalement que de subventions, soit encore plus nocif que la misogynie crasse et le paternalisme inusable régnant dans ce petit milieu consanguin. L’autrice défend l’aspect sociologique qui déplait tant à la critique cinéphilique. Par exemple les films de Jaoui-Bacri, le cinéma du «milieu».</p> <p>Un film avec des acteurs professionnels et des acteurs non-professionnels, c’est bien, écrit-elle. Cela donne de la «saveur» au film. Et si ça se passe en province, c’est encore mieux.</p> <p>La plupart des films de réalisatrices relèvent donc de ce cinéma du «milieu», se situant entre le cinéma commercial et celui d’auteur, avec une volonté de sortir de l’entre-soi. Côté travail, <i>Vénus Beauté (Institut)</i> de Tonie Marshall prend au sérieux les clients et les employées d’un institut de beauté. 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D’où cette épopée, récit d’un tête à tête mortifère et tour de force réalisé au stylo Bic quatre couleurs. Entre canapé et lit, la vie d’un couple et la naissance de deux enfants non désirés par leur génitrice avec donc, en filigrane, du début à la fin de cette aventure, la question de l’avortement.</p> <p>Quoi d’autre? Rien. Ou si peu. Au début, les salles de classe, ensuite, les lieux de travail, les parcs pour enfants et elle, notre artiste, qui, perpétuellement, n’ose pas ceci ou cela. Peu d’extérieur et tout à l’intérieur d’un appartement, quand ce n’est pas dans le sexe ou la matrice de la narratrice.</p> <h3>Les débuts, les Beaux-Arts, Stéphane</h3> <p>La narratrice a dix-huit ans et sa mère, catholique militante, lui prend sans cesse la tête avec l’avortement. Elle, rebelle, annonce à celle-ci qu’elle ne croit plus en Dieu. 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Elle peut s’extirper un temps de ce marasme de fumeurs de joints. Et bien sûr, ça lui plait de fréquenter d’autres gens que le pesant Stéphane. Le fait que son travail soit très apprécié la gratifie aussi beaucoup. Néanmoins, elle retourne tous les week-ends à Nantes, continue à payer le loyer, pendant que lui, n’ayant aucun projet à part celui de se plaindre tout le temps, n’en branle toujours pas une. Elle rêve de le quitter mais, horreur au carré, elle se retrouve enceinte. Avorter? Le vieux credo maternel le lui interdit. Prise au piège, elle loue un petit appartement à Paris, et y emmène un Stéphane amorphe, tellement défoncé qu’il en est devenu parano et s’imagine que les RG le suivent. Lui? Quelle bonne blague!</p> <p>L’échographie leur apprend que c’est un garçon qu’elle attend. Oui, elle va générer son futur propre oppresseur. Stéphane lui répète que dans sa boite, s’ils l’ont engagée, c’est parce qu’elle est une femme. 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Un mois après l’attentat contre <i>Charlie Hebdo</i>, à la sortie de l’école, elle les retrouve avec des cagoules noires.</p> <p>Stéphane, devenu maçon comme il le souhaitait avec un corps dur, pleure néanmoins sa pseudo masculinité perdue avec ses amis masculinistes du web. Quand il voyage avec les enfants, c’est pour aller au musée du Tank à Saumur, y disserter sur les mérites comparés du Panzer IV, du Tigre et du M4 Sherman...</p> <p>Il la traite de sale bourgeoise mais elle ne peut plus payer le chauffage (électrique) et mange des pâtes au rabais. Lui se pense en petit blanc mais, sans arrêt, touche des héritages. L’un d’eux s'élève à quatre-vingt mille euros! Le bourgeois, c’est lui.</p> <h3>Désastre</h3> <p>La narratrice contemple ses deux petits et se rend compte qu’elle a engendré l’ennemi, des enfants mâles qui la saluent d’un <i>Heil Hitler</i>!</p> <p>Pendant des années, elle a patienté, les enfants ont grandi. Quand elle regarde en arrière, elle voit Stéphane, tout seul, attendant la guerre. Le constat est plus qu’amer. Le poison diffusé sur les réseaux a fait effet. Partout en Europe l’extrême droite prospère.</p> <p>L’un des enfants lui annonce qu’il arrête ses études et s'engage dans l’armée. Ça l’achève. Elle marche dans les rues. Il n’y a plus d’immeubles, d’arbres, de ciel nuageux mais partout, hallucinante, une armée de phallus géant. 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Faire sentir le passage du temps, pour ce lecteur assidu de Marcel Proust, a toujours été l’un de ses désirs majeurs. Et voici qu’alors germe en lui l’idée de peindre l’arrivée du printemps dans le paysage normand. </p> <p>Pour ce faire, Hockney acquiert une maison isolée. Une rangée de hauts peupliers borde la rivière, un cours d’eau traverse le terrain qui l’entoure, un ancien pressoir peut servir d’atelier. Il retourne à Los Angeles, passe par Amsterdam pour son exposition au musée Van Gogh, <i>The Joy of the Nature</i>. Van Gogh et lui étant exposés côte à côte! Jean Frémon le retrouve là-bas et ils visitent cette fois-ci une exposition Rembrandt honorant le 350ème anniversaire de la mort du maitre batave.</p> <p>Le 2 mars 2020, Hockney est en Normandie. Le Covid venant, sûr de ne pas être dérangé, il peut enfin se concentrer sur le but qu’il s’est fixé. Il dessine sur des carnets en accordéon un panorama à 360 degrés et ceci, quatre fois de suite. Nous sommes à la fin de l’hiver, les couleurs arrivent petit à petit. Il ne dessine pas le ciel parce que, dit-il, celui-ci change trop vite. Il fait réaliser des agrandissements de ses carnets pour pouvoir les accrocher au mur et pour finir, ce sont deux de ces carnets agrandis qui seront exposés. Douze mètres de longueur (le mur de la galerie Lelong mesure 13,50 mètres), l’un au-dessus de l’autre pour que l’on puisse voir le même motif à deux moments de l’année. L’été venu, Hockney peint à l’acrylique quatre arbres fruitiers du jardin avec un ciel bleu formé de centaines de marques qui se tortillent. C’était voulu vibrant et ça l’est. Puis un double tableau horizontal, ce qu’on voit en arrivant sur la propriété mais transposé en une puissante image transcendant cette réalité. </p> <p>Un tableau d’Hockney doit toujours être regardé deux fois nous apprend Jean Frémon, grand connaisseur. Une fois de près, pour la singularité du langage, la touche, une fois de loin, pour la magie de l’image. Réfléchissez: quels sont les tableaux dont vous avez gardé une image mentale claire? Un Manet, un Degas, un Ensor, un Malévitch? Et un Hockney, non?</p> <p>David Hockney porte une grande attention au titre. Au dernier moment, il décide d’ajouter un tableau dans l’exposition, le seul de 2020, la pluie tombant dans une mare, <i>Some Small Splashes</i>, référence à son vieux tableau <i>A Bigger Splash</i>, (80 millions d’euros). Hockney va continuer son cycle du printemps sur l’iPad. En quelques mois, privé donc de toutes visites par le confinement, il va achever plus de cent images. 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