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Culture / La Columbia porte haut la flamme de la cinéphilie


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La rétrospective du festival de Locarno dédiée à la compagnie centenaire a bien rempli son contrat. On y a découvert nombre de films méconnus réalisés entre 1929 et 1959, entourant quelques grands classiques hissés plus haut que jamais – ces derniers bientôt reproposés à la Cinémathèque. Une belle façon de revisiter l'âge d'or hollywoodien, en faisant la part entre politique de studio et apport des réalisateurs.



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Hors d'une cinéphilie dite «auteuriste» et d'études universitaires strictement historiques, point de salut? La rétrospective «La dame à la torche» du festival de Locarno a tenté l'impossible: réconcilier ces deux approches antagonistes. Grâce à son jeune curateur Ehsan Khoshbackht, un Iranien établi à Londres et arrivé après ces querelles, le pari aura été largement remporté, en proposant une quarantaine de titres choisis, dûment mis en perspective par des introductions ainsi qu'un excellent ouvrage composé de textes inédits. Le tout dans l'esprit qui préside au festival «Il cinema ritrovato» de Bologne, consacré au cinéma de patrimoine et dont Khoshbackht est l'un des programmateurs. Bref, on a beaucoup apprécié ce qui ne s'annonçait pourtant pas sous les meilleurs auspices: une rétrospective de circonstance dont l'ensemble des copies, neuves mais sans sous-titres, venaient directement des archives Sony-Columbia en Californie.

La période explorée était celle correspondant au règne du fameux Harry Cohn (1891-1958), fondateur et «dictateur» de Columbia Pictures pendant que son frère Jack dirigeait le côté financier des opérations à New York. Vulgaire et brutal selon tous les témoignages, Cohn était aussi un homme d'affaires avisé en quête de respectabilité, qui parvint en trois décennies à hisser sa petite compagnie au rang de major hollywoodienne, tutoyant les bien nées Paramount, MGM, Warner ou 20th Century Fox. Sa tactique? Trois quarts de séries B contre un quart de séries A, pas de chaîne de salles propre, des contrats de plus courte durée et non exclusifs permettant d'employer également du personnel emprunté aux concurrents. Et dès les années 1950, une collaboration soutenue avec des indépendants, sur le modèle de United Artists. Sur les quelques 1'600 longs-métrages (plus autant de courts) produits et distribués durant la période, 40 sélectionnés peuvent sembler ne pas peser bien lourd. Pourtant, jusqu'aux quelques titres délibérément mineurs, l'aperçu aura été représentatif.

Premier constat: la critique auteuriste a plutôt bien fait son boulot en extrayant du lot les meilleurs films. Jamais en effet le génie de Mr. Deeds Goes to Town (Frank Capra), The Lady from Shanghaï (Orson Welles) ou The Big Heat (Fritz Lang) ne sera apparu aussi éclatant que dans ce contexte. Mais on n'est pas ici pour vanter une fois de plus des chefs-d'œuvre archi-connus. Car d'autres films projetés méritaient encore plus le détour. Par quelle malchance des merveilles telles que Picnic (Joshua Logan), My Sister Eileen (Richard Quine) ou Gunman's Walk (Phil Karlson), trois films des années 1950 en CinemaScope couleurs, ont-elles par exemple pu tomber dans l'oubli au point de ne plus jamais être programmées?

Spendeurs en Scope

Vanté en son temps par le jeune FrançoisTruffaut, Picnic (1955) sera apparu comme une sorte de chaînon manquant essentiel. Il s'agit de l'adaptation d'une pièce à succès de William Inge (plus connu pour La Fièvre dans le sang d'Elia Kazan), «ouverte» avec un dynamisme épatant par Logan, pourtant homme de théâtre avant tout. William Holden y campe un «raté» qui débarque un jour en train dans une bourgade du Midwest pour demander un travail à un ancien ami d'études, fils d'industriel. C'est la veille de la grande fête locale et son apparente liberté alliée à la plus séduisante virilité va secouer cette communauté en réalité minée par l'insatisfaction. A mi-chemin entre Un Tramway nommé désir (Kazan, 1951) et La Poursuite impitoyable (The Chase, Arthur Penn, 1966), un grand moment de sensualité et de sauvagerie américaine!

Avec My Sister Eileen (1955 également), on se retouve devant un sommet de la comédie musicale qui aurait échappé à la MGM. La comparaison avec la (déjà réjouissante) comédie du même titre réalisée en 1942 par Alexander Hall fut parlante. Entres les mains des jeunes Richard Quine, Blake Edwards (co-scénariste) et Bob Fosse (chorégraphe et acteur), cette historiette de deux sœurs «montées» de l'Ohio à New York et confrontées à des problèmes de logement, de travail et d'hommes se trouve améliorée de 100%. La musique a beau être le point faible, on est aussi enchanté par l'abattage des acteurs (Betty Garrett, Janet Leigh et Jack Lemmon) que par l'élégance de la mise en scène et l'intelligence féministe du propos, avec une touche de loufoquerie anarchisante assez unique.

Autre révélation, le western Gunman's Walk (1958) bénéficie d'un scénario admirable de Frank Nugent (collaborateur de John Ford sur une dizaine de titres dont La Prisonnière du désert). Il y est question de la pacification de l'Ouest à travers le conflit entre un père rancher (Van Heflin) et ses deux fils, l'un soucieux de le surpasser et l'autre soucieux d'échapper au culte de la virilité, au racisme anti-indien et à la violence. C'est le genre de film dont la densité dramatique et le sens de l'espace, alliées à une profonde compréhension de l'humain, vous rendent nostalgique d'un art perdu. Quant à Phil Karlson, il signe là un modèle de «mise en scène invisible»: on a beau essayer d'y faire attention, on ne la remarque pas, tant elle est idéalement au service du récit.

Un cinéma qui alerte

En noir et blanc, d'autres films trop ignorés en Europe ont aussi fait impression. Projet de prestige adapté d'un best-seller de Robert Penn Warren, All the King's Men (Robert Rossen, 1949) retrace l'ascension et la chute d'un populiste (inspirés par le parcours du politicien de Louisiane Huey Long). Rossen, un auteur bientôt rattrapé par la maccarthysme, y expose un danger fasciste au sein même de la démocratie américaine, sujet qui a retrouvé toute sa pertinence en ces temps de trumpisme. La limite du film, même oscarisé, réside dans un surdécoupage qui trahit le «digest» et dans le personnage du narrateur-témoin, trop peu développé. Mais comment ne pas deviner ici le talent qui explosera avec l'immense L'Arnaqueur de 1960?

Autre cinéaste identifié plus tard comme un auteur mais encore à son premier essai dans le bien nommé The First Time (1952), Frank Tashlin se penche sur l'arrivée d'un bébé chez un jeune couple. Ce qui peut paraître navrant de banalité se transforme pourtant bientôt en une satire cruelle de l'American way of life, avec son travail aliénant, sa séparation des tâches genrée, sa course à l'argent et son horizon pavillonnaire désespérément étriqué. Rare cinéaste venu du dessin animé, Tashlin commence là son travail de rénovation de la comédie qui aboutira sur une série de films mémorables avec Jayne Mansfield puis Jerry Lewis.

Parfaitement dramatiques quant à eux, Address Unknown (William Cameron Menzies) et None Shall Escape (André De Toth), tous deux de 1944, sont des films de propagande anti-nazie. Mais malgré un certain schématisme, l'intelligence et le talent qu'ils déploient leur a permis de passer haut la main l'épreuve du temps. Le premier imagine un tribunal à venir devant lequel le dirigeant nazi d'une région polonaise doit rendre compte de ses crimes contre l'humanité tandis que le second adapte le fameux roman épistolaire de Kathrine Kressmann Taylor, histoire d'une amitié qui se délite entre un marchand d'art juif de Californie et son associé allemand. Avec ces films, les deux cinéastes retracent de manière saisissante comment la séduction nazie a conquis l'Allemagne, leur avertissement restant à jamais valable.

Films noirs réactifs

La Columbia était particulièrement forte pour réagir aux sujets «chauds» du moment, dans des petits films noirs, caratéristiques d'un style maison fait d'économie et d'efficacité. The Killer That Stalked New York (Earl McEvoy, 1950) revient ainsi sur l'épidémie de variole qui frappa New York trois ans plus tôt, forçant les autorités à vacciner plus de 6 millions d'habitants en un temps record. Le film suit à la fois le «patient zéro», une chanteuse (Evelyn Keyes) de retour de Cuba impliquée dans un trafic de diamants, et les hommes du FBI et des services médicaux à ses trousses sans savoir qu'ils recherchent la même personne. Le thriller s'avère aussi prenant dans sa dimension documentaire que dramatique, habilement imbriquées par un cinéaste inconnu au bataillon.

Dans la même veine, The Glass Wall des guère plus notables Maxwell Shane et Ivan Tors suit un Hongrois passé par les camps de concentration (Vittorio Gassman!) mais dont la demande d'asile aux Etats-Unis est déboutée. Il s'échappe pour retrouver le musicien de jazz qui pourrait attester qu'il a œuvré pour les forces alliées et trouve de l'aide auprès d'une fille dans la dèche (Gloria Grahame) à peine mieux lotie que lui. Leur dérive dans New York devient alors un superbe document sur la ville telle qu'elle était alors (1953), culminant de façon hautement symbolique dans le bâtiment des Nations Unies tout juste achevé.

The Undercover Man (1949), avec la star maison Glenn Ford (36 films Columbia!), s'inspire quant à lui de l'enquête déjà plus ancienne des agents du fisc qui coincèrent Al Capone, le fameux gangster de Chicago. La superbe mise en scène de Joseph H. Lewis élève le film aux sommets du genre, mais un bel article de Chris Fujiwara dans le livre d'accompagnement nous rappelle qu'il s'agit d'un cas d'école de «voix auteuriale» partagée: Lewis répondait en l'occurrence aux ordres de Robert Rossen, pour une fois simple producteur, qui avait nettement plus à cœur les enjeux idéologiques de l'affaire. A savoir la menace d'une autre forme de fascisme américain, induite par le capitalisme.

De Locarno à Lausanne

On pourrait citer encore bien d'autres découvertes, de The Talk of the Town (George Stevens, 1942), comédie sophistiquée avec un étincelant triangle Cary Grant - Jean Arthur – Ronald Colman, ou Sahara (Zoltan Korda, 1943), modèle de film de guerre avec Humphrey Bogart inspiré par un film soviétique. Mais il convient aussi de reconnaître que certaines séries B ont paru décidément mineures, leurs nombreux clichés en accord avec la pauvreté des décors, quel que soit l'art du metteur en scène pour faire illusion. Et puis, rien à faire, un film signé Wiliam A. Seiter, Charles Vidor ou même John Sturges ne dépassera jamais le solide artisanat: l'absence d'une véritable réécriture au moyen de la mise en scéne les en empêche.

Parmi la douzaine de films programmés ce mois par la Cinémathèque, deux raretés ont été retenues malgré l'absence sous-titres. The Whole Town's Talking (John Ford, 1935) est une fabuleuse histoire de double qui voit le timide employé Edward G. Robinson confondu avec un gangster recherché. Quant à Craig's Wife (Dorothy Arzner, 1936), il s'agit de l'adaptation d'une pièce psychologique centrée sur une femme (splendide Rosalind Russell) qui s'est mariée par intérêt et dont le monde s'écroule soudain. Un film signé par la seule réalisatrice en activité à Hollywood à cette époque, ouvertement lesbienne et qui savait tenir tête à Cohn! Avec sous-titres, les plus connus Twentieth Century (Howard Hawks, 1934) et It Should Happen to You (George Cukor, 1954) témoigneront que la comédie fut toujours le point fort de la Columbia tandis que Ride Lonesome (Budd Boetticher, 1959), sommet d'une admirable série avec Randolph Scott, rappellera la grandeur du western, autre genre-clé de l'époque. 

Au total, la Columbia n'a peut-être pas plus de perles à offrir que les autres «majors» de Hollywood. Mais sa trajectoire ascendante, l'imprimatur de Cohn sur l'ensemble de sa production et l'efficacité dictée par ses budgets plus serrés la distinguent tout de même durant cette période dite «classique». On aura surtout aimé ce travail de remise en lumière de films moins connus, que seul un grand festival semble encore en mesure de proposer. Partout ailleurs, le manque de curiosité et la paresse gagnent du terrain en ces temps de surproduction mondialisée et de disponibilité supposément totale. Raison de plus pour chérir et préserver ce précieux rendez-vous tessinois!


«100 ans de Columbia Pictures», Cinémathèque suisse, Lausanne, du 28 août au 12 octobre.
«The Lady with the Torch – Columbia Pictures 1929-1959», sous la dir. d'Ehsan Khoshbakht. Paris-Montreuil: Les Editions de l'Œil, 288p.

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