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Son simple nom suscite des réactions épidermiques chez les uns mais ne dira sans doute plus rien aux autres. D'où l'intérêt de ce «Leni Riefenstahl – la lumière et les ombres», documentaire exemplaire signé Andres Veiel, qui récapitule à travers un magnifique travail sur archives le parcours de «la cinéaste d'Hitler». Un film captivant, qui se garde de démoniser cette pionnière tout en pointant ses failles.



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Ose-t-on classer les documentaires et affirmer qu'il s'agit là d'une réussite majeure? Dans un genre sur lequel la critique a peu de prise tant le sujet tend à primer, il faut pourtant bien reconnaître que la méthode, la sensibilité, l'art narratif et la profondeur intellectuelle du l'auteur(e) peuvent faire la différence. Et il n'en fallait pas moins pour s'attaquer à un sujet tel que Leni Riefenstahl, déjà documenté une bonne vingtaine de fois pour la télévision, notamment dans un mémorable Leni Riefenstahl - Le Pouvoir des images (Ray Müller, 1993). Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. Pour le grand écran, après ses déjà mémorables Black Box BRD (2001) et Beuys (2017), il a signé un sobrement intitulé Riefenstahl, présenté hors compétition à la dernière Mostra de Venise plutôt qu'à la Berlinale.

A l'heure du retour en grâce du nazisme chez certains jusqu'en Allemagne, d'une possible apologie féministe chez d'autres, c'était sans doute plus sage pour ce film qui réexamine le cas de cette figure hautement controversée, artiste de grand talent mais qui a failli humainement. Qu'ils semblent lointains, ses anciens triomphes à la Mostra fasciste des années 1930! Depuis, on n'ose quasiment plus montrer ses documentaires de propagande nazie Le Triomphe de la volonté (1935) et Les Dieux du stade (Olympia, 1938) et, côté fictions, son superbe début La Lumière bleue (1932) ou son dernier opus compromis Tiefland (1944/1954). Aujourd'hui, ne reste plus guère de Leni Riefenstahl que sa réputation de cinéaste officielle du IIIe Reich, qui paya pour tous les autres par une mise à l'écart définitive (même Veit Harlan, l'auteur du tristement fameux Juif Süss, le très problématique Karl Ritter ou encore Alfred Weidenmann, chantre des Jeunesses hitlériennes, retouvèrent le chemin des plateaux dans les années 1950, tandis que Hans Seinhoff, le plus nazi d'entre tous, mourut opportunément en 1945).

Une irrésistibe ascension

Le travail remarquable de Veiel rend justice à la femme et à l'artiste tout en se concentrant sur les questions du degré de son implication et de sa responsabilité. Ensuite, il met en lumière toute une seconde partie de son existence passée à se justifier et réécrire sa légende. Où il apparaît que pour Leni Riefenstahl, la seule vraie catastrophe fut en définitive la guerre. Ne reconnaît-elle pas lors d'une interview que sa vie aurait mieux fait de s'arrêter en 1939? Jusque-là, tout ne fut en effet que mouvement ascentionnel – peu importe apparemment au service de quoi.

Au début était une grande fille sportive, traitée comme un garçon par son père autoritaire et réceptacle de toutes les ambitions frustrées de sa mère. D'abord danseuse, c'est suite à un accident qu'elle se retrouve plutôt actrice, choisie à 23 ans pour être la vedette d'un film de montagne d'Arnold Fanck. Les six films tournés coup sur coup avec le brave Dr. Fanck, très basiques à part L'Enfer blanc du Piz Palu (co-signé par G.W. Pabst), ne sont aujourd'hui plus que d'un intérêt anecdotique. Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. Coup d'essai, coup de maître: à la fois idéaliste, féministe et mystique, La Lumière bleue (1932) la propulse à 30 ans cinéaste à part entière.

C'est à ce moment qu'un collaborateur, le scénariste juif Carl Mayer, l'avertit que ce film risque bien de faire d'elle l'égérie des nazis, alors aux portes du pouvoir. En vain, puisqu'elle se jettera littéralement dans leurs bras, demandant peu après à rencontrer personnellement Adolf Hitler. Lourdement courtisée (jusqu'à une tentative de viol) par le ministre de la propagande Josef Goebbels, elle ne se donna apparemment ni à l'un ni à l'autre, finissant par épouser plutôt l'officier Hans-Peter Jacob. Mais alors même qu'elle ne jurait que par la fiction, elle se lança avec enthousiasme dans la confection de documentaires à la gloire du régime, séduite par les budgets illimités mis à sa disposition. C'est ainsi qu'elle fut impliquée aux côtés de l'architecte Albert Speer dès la préparation du fameux Congrès de Nuremberg puis des Jeux Olympiques de Berlin – où elle dit n'avoir jamais voulu que saisir la beauté, son unique souci. Et à en revoir des extraits, il faut bien avouer que le résultat fut grandiose, cinématographiquement parlant.

Une simple suiveuse?

Mais par la suite, tout s'est effectivement gâté pour Leni Riefenstahl. Embrigadée pour immortaliser l'invasion de la Pologne, elle emploie des prisonniers comme figurants avant de jeter l'éponge. Ses soutiens s'étiolent pour Tiefland, qui doit marquer son retour à la fiction et à ses chères montagnes. La guerre interfère avec le tournage et, à 40 ans, elle paraît trop âgée pour tenir le rôle principal. Elle utilise aussi des jeunes tziganes recrutés dans des camps, enfants qu'elle prétendra avoir revus plus tard alors qu'ils furent pour la plupart assassinés à Auschwitz. Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple Mitläuferin (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de Tiefland – un flop.

Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. Par contre, il y a tout un art de s'aveugler, qu'elle pratiqua très activement, jusqu'à devenir par là-même la porte-parle de toute une BRD (l'Allemagne de l'Ouest d'alors) qui aurait préféré ne jamais avoir à se confronter à son passé.

Divorcée en 1947, sans revenus et réfugiée auprès de sa vieille mère, Leni Riefenstahl se refait une santé économique dès le début des années 1960 en devenant photographe. Une expédition au sud du Soudan, d'où elle rapporte des photos du peuple Nuba, sont particulièrement remarquées. Sponsorisée, elle y retournera maintes fois, albums et expositions à la clé. En 1967, c'est surtout la rencontre avec Horst Kettner, un étrange jeune homme de 40 ans son cadet qui devient son assistant et son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. C'est ensemble qu'ils s'attellent à la lourde tâche de sa réhabilitation, fondée sur un formidable travail d'archivage et l'écriture de ses Mémoires, publiés en 1987.

De la défense au réarmement

Il faut la voir alors, septuagénaire puis octogénaire, toujours dans une forme étonnante pour son âge, dans leur grande maison bavaroise avec jardin; courant le cachet sur les plateaux TV, défendant mordicus sa version contre des journalistes tous mal intentionnés; retrouvant son vieil ami Albert Speer sorti de prison et discutant avec lui de leurs honoraires; ou encore dirigeant avec une autorité retrouvée et très colonialiste ses chers Nubas dans des images filmées restées inédites. C'est sûr, cette femme se sera renforcée dans l'adversité, éloignant toute possibilité de remise en question.

Impeccable dans son travail de montage toujours dialectique, Andres Veiel se garde bien de porter un jugement. Mais le film rend bien perceptible un ego parfaitement proportionnel à son ambition artistique. Et en définitive, c'est bien de la place de l'artiste dans la société, du sens de son travail et de sa responsabilité humaine qu'il est question. C'est ainsi que l'idéal esthétique de Riefenstahl devient suspect en lui-même. A la question «Auriez-vous filmé de la sorte des athlètes handicapés?», la dame répond du tac au tac par un «Jamais de la vie!» scandalisé. Et si on ne saura jamais le degré de son antisémitisme, on peut là aussi soupçonner une certaine compatibilité avec le national-socialisme, elle qui s'employa très vite à effacer la participation décisive du fameux théoricien juif hongrois Béla Balász à La Lumière bleue...

Le réalisateur conclut sur des extraits parlants de deux émissions. L'une de la TSR («Destins», 1982) qui voit Claude Torracinta annoncer la défection de Leni Riefenstahl à l'entretien durant lequel il avait prévu de la confronter aux plus terribles images des camps de la mort. Une autre en Allemagne qui se clôt par des appels de soutien d'auditeurs auxquels elle répond, philosophe et confiante, qu'il faudra au moins deux générations pour finir par faire reconnaître leur innocence, mais qu'elle est certaine «que le peuple allemand a cela en lui». Brrrr...


«Leni Riefenstahl – la lumière et les ombres (Riefenstahl)», documentaire d'Andres Veiel (Allemagne, 2024), avec la voix d'Ulrich Noethen. 1h55

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