Média indocile – nouvelle formule
Norbert Creutz
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Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. Coup d'essai, coup de maître: à la fois idéaliste, féministe et mystique, <i>La Lumière bleue</i> (1932) la propulse à 30 ans cinéaste à part entière.</p> <p>C'est à ce moment qu'un collaborateur, le scénariste juif Carl Mayer, l'avertit que ce film risque bien de faire d'elle l'égérie des nazis, alors aux portes du pouvoir. En vain, puisqu'elle se jettera littéralement dans leurs bras, demandant peu après à rencontrer personnellement Adolf Hitler. Lourdement courtisée (jusqu'à une tentative de viol) par le ministre de la propagande Josef Goebbels, elle ne se donna apparemment ni à l'un ni à l'autre, finissant par épouser plutôt l'officier Hans-Peter Jacob. 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Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. Pour le grand écran, après ses déjà mémorables <i>Black Box BRD</i> (2001) et <i>Beuys</i> (2017), il a signé un sobrement intitulé <i>Riefenstahl,</i> présenté hors compétition à la dernière Mostra de Venise plutôt qu'à la Berlinale.</p> <p>A l'heure du retour en grâce du nazisme chez certains jusqu'en Allemagne, d'une possible apologie féministe chez d'autres, c'était sans doute plus sage pour ce film qui réexamine le cas de cette figure hautement controversée, artiste de grand talent mais qui a failli humainement. Qu'ils semblent lointains, ses anciens triomphes à la Mostra fasciste des années 1930! Depuis, on n'ose quasiment plus montrer ses documentaires de propagande nazie <i>Le Triomphe de la volonté </i>(1935) et <i>Les Dieux du stade (Olympia, </i>1938) et, côté fictions, son superbe début <i>La Lumière bleue</i> (1932) ou son dernier opus compromis <i>Tiefland</i> (1944/1954). Aujourd'hui, ne reste plus guère de Leni Riefenstahl que sa réputation de cinéaste officielle du IIIe Reich, qui paya pour tous les autres par une mise à l'écart définitive (même Veit Harlan, l'auteur du tristement fameux <i>Juif Süss,</i> le très problématique Karl Ritter ou encore Alfred Weidenmann, chantre des Jeunesses hitlériennes<i>,</i> retouvèrent le chemin des plateaux dans les années 1950, tandis que Hans Seinhoff, le plus nazi d'entre tous, mourut opportunément en 1945).</p> <h3>Une irrésistibe ascension</h3> <p>Le travail remarquable de Veiel rend justice à la femme et à l'artiste tout en se concentrant sur les questions du degré de son implication et de sa responsabilité. Ensuite, il met en lumière toute une seconde partie de son existence passée à se justifier et réécrire sa légende. Où il apparaît que pour Leni Riefenstahl, la seule vraie catastrophe fut en définitive la guerre. Ne reconnaît-elle pas lors d'une interview que sa vie aurait mieux fait de s'arrêter en 1939? Jusque-là, tout ne fut en effet que mouvement ascentionnel – peu importe apparemment au service de quoi.</p> <p>Au début était une grande fille sportive, traitée comme un garçon par son père autoritaire et réceptacle de toutes les ambitions frustrées de sa mère. D'abord danseuse, c'est suite à un accident qu'elle se retrouve plutôt actrice, choisie à 23 ans pour être la vedette d'un film de montagne d'Arnold Fanck. Les six films tournés coup sur coup avec le brave Dr. Fanck, très basiques à part <i>L'Enfer blanc du Piz Palu</i> (co-signé par G.W. Pabst), ne sont aujourd'hui plus que d'un intérêt anecdotique. Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. Coup d'essai, coup de maître: à la fois idéaliste, féministe et mystique, <i>La Lumière bleue</i> (1932) la propulse à 30 ans cinéaste à part entière.</p> <p>C'est à ce moment qu'un collaborateur, le scénariste juif Carl Mayer, l'avertit que ce film risque bien de faire d'elle l'égérie des nazis, alors aux portes du pouvoir. En vain, puisqu'elle se jettera littéralement dans leurs bras, demandant peu après à rencontrer personnellement Adolf Hitler. Lourdement courtisée (jusqu'à une tentative de viol) par le ministre de la propagande Josef Goebbels, elle ne se donna apparemment ni à l'un ni à l'autre, finissant par épouser plutôt l'officier Hans-Peter Jacob. Mais alors même qu'elle ne jurait que par la fiction, elle se lança avec enthousiasme dans la confection de documentaires à la gloire du régime, séduite par les budgets illimités mis à sa disposition. C'est ainsi qu'elle fut impliquée aux côtés de l'architecte Albert Speer dès la préparation du fameux Congrès de Nuremberg puis des Jeux Olympiques de Berlin – où elle dit n'avoir jamais voulu que saisir la beauté, son unique souci. Et à en revoir des extraits, il faut bien avouer que le résultat fut grandiose, cinématographiquement parlant.</p> <h3>Une simple suiveuse?</h3> <p>Mais par la suite, tout s'est effectivement gâté pour Leni Riefenstahl. Embrigadée pour immortaliser l'invasion de la Pologne, elle emploie des prisonniers comme figurants avant de jeter l'éponge. Ses soutiens s'étiolent pour <i>Tiefland,</i> qui doit marquer son retour à la fiction et à ses chères montagnes. La guerre interfère avec le tournage et, à 40 ans, elle paraît trop âgée pour tenir le rôle principal. Elle utilise aussi des jeunes tziganes recrutés dans des camps, enfants qu'elle prétendra avoir revus plus tard alors qu'ils furent pour la plupart assassinés à Auschwitz. Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple <i>Mitläuferin</i> (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de <i>Tiefland</i> – un flop.</p> <p>Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. Par contre, il y a tout un art de s'aveugler, qu'elle pratiqua très activement, jusqu'à devenir par là-même la porte-parle de toute une BRD (l'Allemagne de l'Ouest d'alors) qui aurait préféré ne jamais avoir à se confronter à son passé.</p> <p>Divorcée en 1947, sans revenus et réfugiée auprès de sa vieille mère, Leni Riefenstahl se refait une santé économique dès le début des années 1960 en devenant photographe. Une expédition au sud du Soudan, d'où elle rapporte des photos du peuple Nuba, sont particulièrement remarquées. Sponsorisée, elle y retournera maintes fois, albums et expositions à la clé. En 1967, c'est surtout la rencontre avec Horst Kettner, un étrange jeune homme de 40 ans son cadet qui devient son assistant et son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. C'est ensemble qu'ils s'attellent à la lourde tâche de sa réhabilitation, fondée sur un formidable travail d'archivage et l'écriture de ses <i>Mémoires</i>, publiés en 1987.</p> <h3>De la défense au réarmement</h3> <p>Il faut la voir alors, septuagénaire puis octogénaire, toujours dans une forme étonnante pour son âge, dans leur grande maison bavaroise avec jardin; courant le cachet sur les plateaux TV, défendant mordicus sa version contre des journalistes tous mal intentionnés; retrouvant son vieil ami Albert Speer sorti de prison et discutant avec lui de leurs honoraires; ou encore dirigeant avec une autorité retrouvée et très colonialiste ses chers Nubas dans des images filmées restées inédites. C'est sûr, cette femme se sera renforcée dans l'adversité, éloignant toute possibilité de remise en question.</p> <p>Impeccable dans son travail de montage toujours dialectique, Andres Veiel se garde bien de porter un jugement. Mais le film rend bien perceptible un ego parfaitement proportionnel à son ambition artistique. Et en définitive, c'est bien de la place de l'artiste dans la société, du sens de son travail et de sa responsabilité humaine qu'il est question. C'est ainsi que l'idéal esthétique de Riefenstahl devient suspect en lui-même. A la question «Auriez-vous filmé de la sorte des athlètes handicapés?», la dame répond du tac au tac par un «Jamais de la vie!» scandalisé. Et si on ne saura jamais le degré de son antisémitisme, on peut là aussi soupçonner une certaine compatibilité avec le national-socialisme, elle qui s'employa très vite à effacer la participation décisive du fameux théoricien juif hongrois Béla Balász à <i>La Lumière bleue..</i>.</p> <p>Le réalisateur conclut sur des extraits parlants de deux émissions. L'une de la TSR («Destins», 1982) qui voit Claude Torracinta annoncer la défection de Leni Riefenstahl à l'entretien durant lequel il avait prévu de la confronter aux plus terribles images des camps de la mort. Une autre en Allemagne qui se clôt par des appels de soutien d'auditeurs auxquels elle répond, philosophe et confiante, qu'il faudra au moins deux générations pour finir par faire reconnaître leur innocence, mais qu'elle est certaine «que le peuple allemand a cela en lui». Brrrr...</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/7n5wKuahSZs?si=rbkQAXxuzsCtMeAl" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«Leni Riefenstahl – la lumière et les ombres (Riefenstahl)», documentaire d'Andres Veiel (Allemagne, 2024), avec la voix d'Ulrich Noethen. 1h55</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'leni-riefenstahl-mise-au-point', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 41, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Culture / Leni Riefenstahl, mise au point
Son simple nom suscite des réactions épidermiques chez les uns mais ne dira sans doute plus rien aux autres. D'où l'intérêt de ce «Leni Riefenstahl – la lumière et les ombres», documentaire exemplaire signé Andres Veiel, qui récapitule à travers un magnifique travail sur archives le parcours de «la cinéaste d'Hitler». Un film captivant, qui se garde de démoniser cette pionnière tout en pointant ses failles.
Norbert Creutz
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Un parcours et une démarche qui l'ont logiquement fait atterrir, pour co-produire son dernier film, chez les Zurichois de Dschoint Ventschr (Samir, Werner Schweizer & co), une maison de production née de la contre-culture. Présenté à Soleure en janvier, puis dans la section helvétique du Festival de Locarno, <i>La Disparition de Bruno Bréguet</i> s'attache à la figure intrigante d'un terroriste suisse d'envergure internationale qui avait fait couler pas mal d'encre dans les années 1970 et 80, avant de s'évaporer sans laisser de trace le 12 novembre 1995. Pour autant, il ne semble pas avoir éveillé l'intérêt de nos distributeurs. Qu'à cela ne tienne, Olmo Cerri aura pris son bâton de pèlerin pour venir le présenter dans le réseau des mini-salles romandes, où le film comme son auteur semblent à vrai dire plus à leur place que dans le circuit du grand cinéma commercial.</p> <hr /> <p><strong>Bon Pour La Tête</strong>: Comment êtes-vous tombé sur ce personnage énigmatique de Bruno Bréguet?</p> <p><strong>Olmo Cerri</strong>: A travers son livre <i>La scuola dell'odio</i> («L'école de la haine», non traduit, ndlr), en fait. Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. Il a donc été élevé à Muralto, à côté de Locarno, avec ses trois frères et sœurs. La famille parlait déjà plusieurs langues et c'est ainsi qu'il a pu devenir très tôt un «citoyen du monde» sachant l'italien, le français, l'allemand et l'anglais. Plus tard, en prison, il a encore appris l'arabe.</p> <p><strong>Et comment s'est-il engagé, puis radicalisé?</strong></p> <p>D'après toutes les descriptions, c'était un garçon très réservé et secret, qui lisait beaucoup. Les fameuses fiches fédérales contiennent le détail de sa bibliothèque. Au lycée déjà, à la fin des années 1960, il a fait des présentations sur l'énergie atomique et sur la cause palestinienne. Il a commencé à fréquenter certains groupes de gauche, toujours en retrait. Et puis un jour, il s'est rendu à Genève pour prendre contact avec la Ligue arabe, dans l'idée de se rendre utile aux Palestiniens. Après son arrestation en Israël, sa radicalisation est vraiment venue de ses longues années de prison – et encore, il n'en aura purgé que la moitié! Puis il s'est installé à Berlin avec sa première compagne, au bénéfice d'une bourse fédérale d'études universitaires... C'est à ce moment qu'il est entré en contact avec le terroriste Carlos, à l'époque le terroriste le plus recherché au monde.</p> <p><strong>A-t-on facilement accès aux archives le concernant, en tant que chercheur?</strong></p> <p>A Berne, aux Archives fédérales, ça s'est fait en plusieurs étapes. J'ai pu consulter presque tous les dossiers contre signature d'une promesse de non-divulgation. En plus du détail de sa surveillance, on y trouve même les photocopies de tous les documents est-allemands de la Stasi le concernant. Puis je suis retourné avec une demande plus précise d'utilisation de certains documents, en expliquant mon projet et son intérêt public. Ce qui n'a pas posé de problèmes. En fait, je pense que les derniers dossiers encore gardés secrets sont ceux liés à sa disparition.</p> <p><strong>Et pour essayer de retracer son parcours international?</strong></p> <p>Là, je me suis contenté d'archives de presse ou filmiques, comme l'INA. L'essentiel de son activité est alors souterraine et donc difficile à cerner. En Grèce, où il s'est insallé avec une deuxième compagne anglaise, je n'ai retrouvé que le lieu où il habitait – un village où tout le monde l'appréciait sans savoir vraiment qui il était. Mais j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur les recherches d'Adrian Hänni, qui apparaît dans le film et qui a eu accès à des archives des services secrets américains déclassifiées. C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Nous pouvons juste espérer améliorer des choses à petite échelle.</p> <p><strong>Et concernant Bréguet lui-même et sa dérive dans l'action violente?</strong></p> <p>Clairement, Bréguet n'a rien d'un modèle à suivre. Son histoire est tragique, jusqu'au mystère de sa disparition. S'il est facile d'avoir de la sympathie pour le jeune idéaliste qu'il était au début, son image se brouille fatalement par la suite. Les autres protagonistes du film, eux, sont restés dans le cadre d'une lutte collective et non-violente. Même Giorgio Bellini, qui a participé à l'attentat contre le pavillon d'information de la centrale de Kaiseraugst en 1979, est finalement resté sur cette ligne. Bréguet et le groupuscule autour de Carlos se sont vus comme une élite révolutionnaire et ce qu'ils ont fait est l'exact contraire des grandes manifestations ou des petites actions pacifiques auxquelles nous autres avons pu participer. Au-delà du destin de Bréguet, c'est ce contraste que le film cherche à évoquer, laissant à chacun de juger par lui-même.</p> <p><strong>La fabrication de ce film et son parcours à ce jour vous ont-ils satisfait?</strong></p> <p>La co-production avec Dschoint Ventschr a été un grand soutien. C'est ma monteuse Kathrin Plüss – qui pense s'arrêter sur ce film, quarante ans après <i>Der Grüne Berge</i> de Fredi M. Murer – qui nous a mis en contact. Karin Koch a œuvré comme productrice, mais des cinéastes aussi chevronnés que Samir ou Sabine Gisiger ont aussi apporté leurs conseils artistiques. Et pour la sortie, je ne vais pas me plaindre. Le film a été bien accueilli à Soleure et Locarno et a remporté un prix au festival du documentaire de Milan Visioni dal Mondo avant de connaître un beau succès au Tessin, où il est resté sept semaines à l'affiche. Si la sortie est nettement plus confidentielle dans le reste de la Suisse, c'est sans doute parce que le personnage y est encore plus oublié...</p> <p><strong>Auriez-vous déjà de nouveaux projets?</strong></p> <p>Je suis cinéaste indépendant, alors forcément j'y travaille. Je m'intéresse en ce moment à deux sujets, l'un concernant l'hôpital psychatrique de Mendrisio, l'autre une communauté hippie romande qui a existé dans le Malcantone, près de Lugano. Mais j'en suis encore au stade exploratoire.</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/BHRPLUtpbHo?si=mjf9IjqPkDOwOjzm" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«La Disparition de Bruno Bréguet (La scomparsa di Bruno Bréguet)», documentaire d'Olmo Cerri (Suisse, 2024). 1h37</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'en-quete-d-un-terroriste-suisse', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 48, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }
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Un parcours et une démarche qui l'ont logiquement fait atterrir, pour co-produire son dernier film, chez les Zurichois de Dschoint Ventschr (Samir, Werner Schweizer & co), une maison de production née de la contre-culture. Présenté à Soleure en janvier, puis dans la section helvétique du Festival de Locarno, <i>La Disparition de Bruno Bréguet</i> s'attache à la figure intrigante d'un terroriste suisse d'envergure internationale qui avait fait couler pas mal d'encre dans les années 1970 et 80, avant de s'évaporer sans laisser de trace le 12 novembre 1995. Pour autant, il ne semble pas avoir éveillé l'intérêt de nos distributeurs. Qu'à cela ne tienne, Olmo Cerri aura pris son bâton de pèlerin pour venir le présenter dans le réseau des mini-salles romandes, où le film comme son auteur semblent à vrai dire plus à leur place que dans le circuit du grand cinéma commercial.</p> <hr /> <p><strong>Bon Pour La Tête</strong>: Comment êtes-vous tombé sur ce personnage énigmatique de Bruno Bréguet?</p> <p><strong>Olmo Cerri</strong>: A travers son livre <i>La scuola dell'odio</i> («L'école de la haine», non traduit, ndlr), en fait. Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. Il a donc été élevé à Muralto, à côté de Locarno, avec ses trois frères et sœurs. La famille parlait déjà plusieurs langues et c'est ainsi qu'il a pu devenir très tôt un «citoyen du monde» sachant l'italien, le français, l'allemand et l'anglais. Plus tard, en prison, il a encore appris l'arabe.</p> <p><strong>Et comment s'est-il engagé, puis radicalisé?</strong></p> <p>D'après toutes les descriptions, c'était un garçon très réservé et secret, qui lisait beaucoup. Les fameuses fiches fédérales contiennent le détail de sa bibliothèque. Au lycée déjà, à la fin des années 1960, il a fait des présentations sur l'énergie atomique et sur la cause palestinienne. Il a commencé à fréquenter certains groupes de gauche, toujours en retrait. Et puis un jour, il s'est rendu à Genève pour prendre contact avec la Ligue arabe, dans l'idée de se rendre utile aux Palestiniens. Après son arrestation en Israël, sa radicalisation est vraiment venue de ses longues années de prison – et encore, il n'en aura purgé que la moitié! Puis il s'est installé à Berlin avec sa première compagne, au bénéfice d'une bourse fédérale d'études universitaires... C'est à ce moment qu'il est entré en contact avec le terroriste Carlos, à l'époque le terroriste le plus recherché au monde.</p> <p><strong>A-t-on facilement accès aux archives le concernant, en tant que chercheur?</strong></p> <p>A Berne, aux Archives fédérales, ça s'est fait en plusieurs étapes. J'ai pu consulter presque tous les dossiers contre signature d'une promesse de non-divulgation. En plus du détail de sa surveillance, on y trouve même les photocopies de tous les documents est-allemands de la Stasi le concernant. Puis je suis retourné avec une demande plus précise d'utilisation de certains documents, en expliquant mon projet et son intérêt public. Ce qui n'a pas posé de problèmes. En fait, je pense que les derniers dossiers encore gardés secrets sont ceux liés à sa disparition.</p> <p><strong>Et pour essayer de retracer son parcours international?</strong></p> <p>Là, je me suis contenté d'archives de presse ou filmiques, comme l'INA. L'essentiel de son activité est alors souterraine et donc difficile à cerner. En Grèce, où il s'est insallé avec une deuxième compagne anglaise, je n'ai retrouvé que le lieu où il habitait – un village où tout le monde l'appréciait sans savoir vraiment qui il était. Mais j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur les recherches d'Adrian Hänni, qui apparaît dans le film et qui a eu accès à des archives des services secrets américains déclassifiées. C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Nous pouvons juste espérer améliorer des choses à petite échelle.</p> <p><strong>Et concernant Bréguet lui-même et sa dérive dans l'action violente?</strong></p> <p>Clairement, Bréguet n'a rien d'un modèle à suivre. Son histoire est tragique, jusqu'au mystère de sa disparition. S'il est facile d'avoir de la sympathie pour le jeune idéaliste qu'il était au début, son image se brouille fatalement par la suite. Les autres protagonistes du film, eux, sont restés dans le cadre d'une lutte collective et non-violente. Même Giorgio Bellini, qui a participé à l'attentat contre le pavillon d'information de la centrale de Kaiseraugst en 1979, est finalement resté sur cette ligne. Bréguet et le groupuscule autour de Carlos se sont vus comme une élite révolutionnaire et ce qu'ils ont fait est l'exact contraire des grandes manifestations ou des petites actions pacifiques auxquelles nous autres avons pu participer. Au-delà du destin de Bréguet, c'est ce contraste que le film cherche à évoquer, laissant à chacun de juger par lui-même.</p> <p><strong>La fabrication de ce film et son parcours à ce jour vous ont-ils satisfait?</strong></p> <p>La co-production avec Dschoint Ventschr a été un grand soutien. C'est ma monteuse Kathrin Plüss – qui pense s'arrêter sur ce film, quarante ans après <i>Der Grüne Berge</i> de Fredi M. Murer – qui nous a mis en contact. Karin Koch a œuvré comme productrice, mais des cinéastes aussi chevronnés que Samir ou Sabine Gisiger ont aussi apporté leurs conseils artistiques. Et pour la sortie, je ne vais pas me plaindre. Le film a été bien accueilli à Soleure et Locarno et a remporté un prix au festival du documentaire de Milan Visioni dal Mondo avant de connaître un beau succès au Tessin, où il est resté sept semaines à l'affiche. Si la sortie est nettement plus confidentielle dans le reste de la Suisse, c'est sans doute parce que le personnage y est encore plus oublié...</p> <p><strong>Auriez-vous déjà de nouveaux projets?</strong></p> <p>Je suis cinéaste indépendant, alors forcément j'y travaille. Je m'intéresse en ce moment à deux sujets, l'un concernant l'hôpital psychatrique de Mendrisio, l'autre une communauté hippie romande qui a existé dans le Malcantone, près de Lugano. Mais j'en suis encore au stade exploratoire.</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/BHRPLUtpbHo?si=mjf9IjqPkDOwOjzm" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«La Disparition de Bruno Bréguet (La scomparsa di Bruno Bréguet)», documentaire d'Olmo Cerri (Suisse, 2024). 1h37</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'en-quete-d-un-terroriste-suisse', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 48, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Culture / En quête d'un terroriste suisse
Le documentaire «La Disparition de Bruno Bréguet» du Tessinois Olmo Cerri tire de l'oubli une figure un peu gênante de notre histoire récente. D'une jeunesse à Locarno aux geôles israéliennes et du terrorisme international dans la nébuleuse Carlos à une mystérieuse disparition en Grèce, la dérive de Bréguet pose la question fondamentale de l'engagement et de ses limites. Entretien.
Norbert Creutz
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Après quatre ans passés à Toronto, il entreprend donc ce voyage redouté de retour à Cobourg – bourgade située à 100km à l'Est sur le lac Ontario – pour l'anniversaire de son père. Par chance, il rencontre dans le train Katherine, une amie proche du temps du lycée. Mais celle-ci, trop troublée, préfère couper court une fois arrivés. En famille, Sam est accueilli tel le fils prodigue et tout se passe mieux que prévu jusqu'à ce que l'hostilité de l'ami d'une de ses sœurs le fasse sortir de ses gonds. Avant de repartir, Sam souhaite toutefois retrouver Katherine pour s'expliquer...</p> <p>Dès les premiers plans sur Sam au réveil, dans sa chambre à Toronto, il s'agit d'exposer à la fois sa transformation et sa solitude. A 36 ans, Elliot Page est un jeune homme fin et musclé dont seuls les pectoraux cicatrisés portent la trace de ce qu'il fut. Par contre, en ce jour J, Sam semble porter tout le poids du monde sur ses épaules. Et ce n'est pas sa mine si triste dans le train qui changera cette impression. Puis son regard se concentre sur une femme blonde plongée dans un livre et s'éclaire un peu. Il faudra quelque temps pour identifier tout le sens de cette rencontre: le souvenir d'un amour de jeunesse entre filles, resté non déclaré. Mais Katherine est mariée et a deux enfants, et si son mari n'est pas là qui l'attend comme prévu à la gare, il ne tarde pas à rappliquer en voiture, genre barbu sexy et sympa. Fin de parenthèse?</p> <p>En fait, ce seront les retrouvailles en famille, la parenthèse. Une fois rentré à la maison, surprise, tout le monde se montre aimant, dans l'acceptation et le soulagement sinon forcément une totale compréhension. Le réalisateur enchaîne les tête-à-tête avec une sœur, la mère et le père, et on se dit que Sam a vraiment beaucoup de chance! Plus que nous autres, qui devons subir ces scènes banales, faiblement dialoguées avec cet accent d'Amérique profonde qui écorche les oreilles... Seul le nouvel ami de l'autre sœur se montre désagréable. Lorsqu'il se lance sur l'idée qu'il est pesant de devoir faire attention au moindre écart de langage à cause de Sam, ce dernier l'engueule vertement et s'en va, puisque c'est comme ça. Tant pis pour l'anniversaire de son père, tant pis pour la joie de sa mère!</p> <h3>Transphobie avérée ou susceptibilité exacerbée</h3> <p>C'est au plus tard à ce moment que le public du film se divisera. Soit on est en empathie totale avec le personnage et la maladresse du «beauf» est à prendre comme de la transphobie intolérable; soit on se dit que la susceptibilité de Sam donne plutôt raison à l'autre: vu son statut de fils prodigue, tout tourne autour de lui, de son bien-être ou mal-être. En fait, le scénario permettra de rationnaliser ce brusque départ par le désir de retrouver Katherine – déjà revue une fois dans la journée et moins fermée. La famille, après tout, c'est le passé. Cette amie retrouvée pourrait être le futur, la chance d'une vie meilleure, enfin plus seul. Sam a donc saisi le premier prétexe pour se tirer de là, et ce qui advient lui donne en partie raison: Katherine finira par venir le rejoindre dans sa chambe de colocation à Toronto. Un amour partagé, porteur d'avenir ou non, peu importe et inutile de le dévoiler ici: traitée avec pudeur et sensibilité, leur intimité est belle et émouvante.</p> <p>Mais même ici, une gêne s'installe. Tôt ou tard, on aura en effet remarqué que la voix de Katherine n'est pas agréable. Puis on comprend via sa collègue serveuse dans un bar qu'elle connaît la langue des signes, sans doute pour avoir elle-même été sourde, un soupçon bientôt confirmé au lit (recherches faites, l'actrice américaine qui l'incarne, Hillary Baack, est effectivement sourde). Pourtant, pas une fois, il n'a été question de cela durant leurs retrouvailles! C'est comme si les problèmes des autres, leur sensibilité, ne concernaient pas Sam. Le fait d'avoir été si longtemps mal dans sa peau et incompris justifierait-il donc le fait d'être si autocentré?</p> <h3>Elliot Page dans l'ombre de Xavier Dolan</h3> <p>La maladresse du film, conçu à partir d'improvisations – marque de fabrique du réalisateur à la TV anglaise, paraît-il – ne s'arrête pas là. Plusieurs séquences s'emboîtent fort mal, une bonne continuité n'étant même pas respectée (pluie, neige et sols secs se succédant de manière aberrante). Bref, tout ceci ne saurait juste être imputé à un(e) script(e) défaillant(e)! Dominic Savage n'est certes pas Mike Leigh, le roi de ce style semi-improvisé, et encore moins Xavier Dolan. De fait, pour les plus cinéphiles, l'erreur fatale des auteurs aura été de marcher sur les traces de <i>Laurence Anyways</i> (une histoire d'amour trans) et <i>Juste la fin du monde</i> (un impossible retour dans le giron familial). Deux films si incandescents qu'ils ne laissent que terre brûlée derrière eux.</p> <p>A l'évidence trop peu pensé et travaillé, <i>Close to You</i> ne convaincra donc guère que les convaincus de la cause. C'est souvent l'ornière du cinéma LGBTIQ+ que de s'enfermer dans des scénarios victimaires joués d'avance, qui empêchent les films de se déployer dans une complexité plus large. Certes, on ne peut guère courir tous les lièvres à la fois, mais il s'agit plutôt là d'une question de style, de suggestion, de poétique. Ici, même la fin douce-amère, purement sentimentale, n'invite pas à penser plus loin ces questions de transidentité et de «wokisme». Quant à Elliot Page, son exemple comptera. Mais s'il pose ici les bases d'une nouvelle carrière, il y a peu de chances que celle-ci soit du même calibre que la première, et pas seulement pour une question de supposée transphobie de l'industrie. 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Après quatre ans passés à Toronto, il entreprend donc ce voyage redouté de retour à Cobourg – bourgade située à 100km à l'Est sur le lac Ontario – pour l'anniversaire de son père. Par chance, il rencontre dans le train Katherine, une amie proche du temps du lycée. Mais celle-ci, trop troublée, préfère couper court une fois arrivés. En famille, Sam est accueilli tel le fils prodigue et tout se passe mieux que prévu jusqu'à ce que l'hostilité de l'ami d'une de ses sœurs le fasse sortir de ses gonds. Avant de repartir, Sam souhaite toutefois retrouver Katherine pour s'expliquer...</p> <p>Dès les premiers plans sur Sam au réveil, dans sa chambre à Toronto, il s'agit d'exposer à la fois sa transformation et sa solitude. A 36 ans, Elliot Page est un jeune homme fin et musclé dont seuls les pectoraux cicatrisés portent la trace de ce qu'il fut. Par contre, en ce jour J, Sam semble porter tout le poids du monde sur ses épaules. Et ce n'est pas sa mine si triste dans le train qui changera cette impression. Puis son regard se concentre sur une femme blonde plongée dans un livre et s'éclaire un peu. Il faudra quelque temps pour identifier tout le sens de cette rencontre: le souvenir d'un amour de jeunesse entre filles, resté non déclaré. Mais Katherine est mariée et a deux enfants, et si son mari n'est pas là qui l'attend comme prévu à la gare, il ne tarde pas à rappliquer en voiture, genre barbu sexy et sympa. Fin de parenthèse?</p> <p>En fait, ce seront les retrouvailles en famille, la parenthèse. Une fois rentré à la maison, surprise, tout le monde se montre aimant, dans l'acceptation et le soulagement sinon forcément une totale compréhension. Le réalisateur enchaîne les tête-à-tête avec une sœur, la mère et le père, et on se dit que Sam a vraiment beaucoup de chance! Plus que nous autres, qui devons subir ces scènes banales, faiblement dialoguées avec cet accent d'Amérique profonde qui écorche les oreilles... Seul le nouvel ami de l'autre sœur se montre désagréable. Lorsqu'il se lance sur l'idée qu'il est pesant de devoir faire attention au moindre écart de langage à cause de Sam, ce dernier l'engueule vertement et s'en va, puisque c'est comme ça. Tant pis pour l'anniversaire de son père, tant pis pour la joie de sa mère!</p> <h3>Transphobie avérée ou susceptibilité exacerbée</h3> <p>C'est au plus tard à ce moment que le public du film se divisera. Soit on est en empathie totale avec le personnage et la maladresse du «beauf» est à prendre comme de la transphobie intolérable; soit on se dit que la susceptibilité de Sam donne plutôt raison à l'autre: vu son statut de fils prodigue, tout tourne autour de lui, de son bien-être ou mal-être. 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Dominic Savage n'est certes pas Mike Leigh, le roi de ce style semi-improvisé, et encore moins Xavier Dolan. De fait, pour les plus cinéphiles, l'erreur fatale des auteurs aura été de marcher sur les traces de <i>Laurence Anyways</i> (une histoire d'amour trans) et <i>Juste la fin du monde</i> (un impossible retour dans le giron familial). Deux films si incandescents qu'ils ne laissent que terre brûlée derrière eux.</p> <p>A l'évidence trop peu pensé et travaillé, <i>Close to You</i> ne convaincra donc guère que les convaincus de la cause. C'est souvent l'ornière du cinéma LGBTIQ+ que de s'enfermer dans des scénarios victimaires joués d'avance, qui empêchent les films de se déployer dans une complexité plus large. Certes, on ne peut guère courir tous les lièvres à la fois, mais il s'agit plutôt là d'une question de style, de suggestion, de poétique. Ici, même la fin douce-amère, purement sentimentale, n'invite pas à penser plus loin ces questions de transidentité et de «wokisme». Quant à Elliot Page, son exemple comptera. Mais s'il pose ici les bases d'une nouvelle carrière, il y a peu de chances que celle-ci soit du même calibre que la première, et pas seulement pour une question de supposée transphobie de l'industrie. 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Culture / Quand le cinéma se fait trans
«Close to You» enregistre la transformation de l'actrice hollywoodienne Ellen Page en l'acteur Elliot Page. Après sept ans de silence, le revoici donc dans l'histoire d'un trans canadien qui retourne dans sa famille après une longue absence. Mais malgré cette plus-value d'authenticité, ce petit film déçoit.
Norbert Creutz
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Pas si loin de <i>A Star Is Born,</i> qui lança Lady Gaga au cinéma, ceci est à coup sûr un des films les plus anti-romantiques jamais osés à Hollywood!</p> <h3>Quand Fleck fait tache</h3> <p>Quant aux origines du populaire Joker de <i>Batman, </i>peut-être qu'il y a eu méprise là aussi. Et si ce Joker était un autre, si ces deux volets n'étaient qu'une vertigineuse histoire de doubles? La fin est explicite à ce sujet, qui nous parle d'effet d'entraînement et d'imitation fatale. C'est-à-dire par ailleurs aussi de la responsabilité des images et des films, surtout celles et ceux qui touchent une corde sensible parmi le grand public. Toutes choses qui ne changent rien à la valeur de la déplorable histoire d'Arthur Fleck en elle-même, si choquante qu'on ne pourra que la méditer.</p> <p>Il faut dire enfin tout le brio formel de ce film, tour à tour réaliste et mental, pesant et électrisant, décevant et inouï. Tant plastiquement qu'auditivement, le travail est impressionnant et la mise en scène souvent inspirée tandis que Joaquin Phoenix et Lady Gaga se livrent à des performances exceptionnelles. Cinéaste doué mais longtemps porté sur la facilité, comme tant de confrères juifs américains à Hollywood (un syndrome des héritiers?), le «non engagé» Todd Phillips semble, au contact de son ami Bradley Cooper (vedette de <i>The Hangover</i> et passé réalisateur de <i>A Star Is Born</i> et <i>Maestro),</i> s'être enfin réveillé à une vraie ambition d'auteur.</p> <p>Reste à savoir comment elle survivra à l'échec quasi programmé de cette auto-critique subversive, sans doute la plus radicale depuis le fameux <i>Gremlins 2</i> de Joe Dante – et en affirmant ça, on n'oublie pas toute l'œuvre impressionnante mais inaboutie de Paul Verhoeven. 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Culture / Un clown peut en cacher un autre
Film d'une noirceur radicale, «Joker – Folie à deux» anime les conversations cinéphiles depuis sa sortie. En déjouant toutes les attentes après son brillant «Joker» de 2019, Lion d'Or surprise à Venise, Todd Phillips a frappé fort. Jamais sans doute film hollywoodien n'était allé aussi loin dans la déconstruction du romantisme et du divertissement. Suicidaire ou salutaire?
Norbert Creutz
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Sylvia Kristel a laissé d'agréables impressions dans mon esprit tandis que les mélodies de Pierre Bachelet trottent encore facilement dans ma tête. Par contre, «l'éducation» d'Emmanuelle par le vieux pervers sentencieux joué par Alain Cuny m'avait déjà paru d'un glauque et d'un ridicule achevés. Comment une jeune femme pouvait-elle se soumettre à ça? Je ne savais pas qu'au départ, il y avait un roman anonyme (1959) plus tard réédité sous le nom de plume d'Emmanuelle Arsan, en fait écrit par le couple Louis-Jacques et Marayat Rollet-Andriane: un diplomate fançais et sa jeune épouse thaïlandaise (libre ou sous emprise?), qui n'avaient d'ailleurs guère goûté le film...</p> <p>La nouvelle <i>Emmanuelle</i> imaginée par Audrey Diwan et sa co-scénariste Rebecca Zlotowski <i>(Grand central, Les Enfants des autres)</i> fait table rase de presque tout cela. Leur héroïne n'est plus une jeune femme oisive et soumise à son mari mais une trentenaire «indépendante», apparemment libre d'attaches, qui travaille comme contrôleuse de qualité pour une chaîne d'hôtels de luxe. Et c'est dans une tour moderne de Hong Kong et non plus dans les villas et jardins de Bangkok que se joue l'essentiel de sa quête de la jouissance sexuelle. Une quête à laquelle les autrices ont donné un tout autre sens, puisque leur Emmanuelle est clairement frigide!</p> <h3>Tempêtes maîtrisées dans un hôtel</h3> <p>Tout commence par un clin d'œil à la fameuse scène de sexe en avion de l'original. Ici, Emmanuelle (Noémie Merlant), reluquée par un homme assis en retrait de l'autre côté du couloir, se lève soudain pour aller aux toilettes où elle offre bientôt sa croupe à cet homme qui l'y a rejoint. Mais son visage ne manifeste pas le moindre plaisir. Au moment de regagner sa place, elle remarque par contre un bel Asiatique qui a observé leur petit manège. 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Mais les trois situations de sexe triangulaire du film disent bien, en creux, le grand absent de tout ceci, à savoir le sentiment amoureux.</p> <p>Présenter l'orgasme comme l'accomplissement ultime de la quête d'Emmanuelle laisse le public sur une insatisfaction tant sexuelle (l'impasse voyeuriste se doublant ici de la défiance de la cinéaste) qu'émotionnelle (l'identification n'a pas plus fonctionné, du moins pour l'homme que je suis). Bien essayé, mais ce n'est pas ce film déceptif, vaguement cérébral, qui aura résolu la si délicate équation du plaisir. Et encore moins celle artistique du cinéma érotique. 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Culture / «Emmanuelle» 2024, le désir en question
Réinterprétation plutôt que remake, l'«Emmanuelle» d'Audrey Diwan avec Noémie Merlant surfe sur le vague souvenir du film-phénomène d'il y a 50 ans. Entre porno soft et discours féministe, ce film réimaginé à Hong Kong plutôt qu'en Thaïlande n'est pas sans intérêt. Mais son exploration d'un désir féminin enfin délivré du «male gaze» risque de ne pas convaincre grand monde.
Norbert Creutz
B Article réservé aux abonnés
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Laissant à Asghar Farhadi ou Mani Haghighi de finasser avec ce qu'il est autorisé ou interdit de montrer selon la censure des mollahs, la plupart des cinéastes qui comptent ont cessé de tourner autour du pot. Harcelés par le régime, certains déjà exilés, il signent des films de plus en plus ouvertement critiques, apparemment sans se soucier des conséquences. C'est dans ce contexte que <i>Les Graines du figuier sauvage</i> de Mohammad Rasoulof apparaît aujourd'hui comme une œuvre phare.</p> <p>En clair, c'est là LE film que tout le monde attendait depuis le mouvement des femmes de l'automne 2022, sans trop oser l'espérer. Et il fallait bien un cinéaste de la trempe de Rasoulof, Ours d'Or à Berlin avec son précédent <i>Le Diable n'existe pas</i> (2020), pour s'y atteler. En prison au moment des faits, il possédait sans doute dès le départ un recul précieux. 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Quant au final dans le village abandonné (préparé par une visite d'Iman au début, venu remercier Allah pour sa bonne fortune dans une mosquée proche), il se transformera carrément en règlement de comptes de western!</p> <h3>Comprendre pour mieux résister</h3> <p>Il est frappant de mesurer comment ce cinéaste qu'on a connu trop allégorique <i>(Iron Island, The White Meadows, Manuscripts Don't Burn)</i> est devenu par la force des choses de plus en plus politiquement frontal <i>(Goodbye, Un Homme intègre, Le Diable n'existe pas).</i> Mais là où son collègue également menacé Jafar Panahi <i>(Taxi Téhéran) </i>a mis au point un dispositif de cinéma réflexif, voire franchement autobiographique, Rasoulof tourne plutôt sa caméra vers les autres, les profiteurs aussi bien que les victimes du régime – la plupart des citoyens iraniens essayant sans doute de survivre tant bien que mal entre les deux. 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Après<i> Aucun ours</i> (Jafar Panahi), <i>Les Nuits de Mashhad </i>(Ali Abbasi), <i>Chroniques de Téhéran </i>(Ali Asgari et Alireza Khatami) et <i>Tatami</i> (Guy Nattiv et Zar Amir), <i>Les Graines du figuier sauvage</i> («figuier sacré» selon le titre anglais...) vient couronner une nouvelle saison de résistance iranienne. 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Laissant à Asghar Farhadi ou Mani Haghighi de finasser avec ce qu'il est autorisé ou interdit de montrer selon la censure des mollahs, la plupart des cinéastes qui comptent ont cessé de tourner autour du pot. Harcelés par le régime, certains déjà exilés, il signent des films de plus en plus ouvertement critiques, apparemment sans se soucier des conséquences. C'est dans ce contexte que <i>Les Graines du figuier sauvage</i> de Mohammad Rasoulof apparaît aujourd'hui comme une œuvre phare.</p> <p>En clair, c'est là LE film que tout le monde attendait depuis le mouvement des femmes de l'automne 2022, sans trop oser l'espérer. Et il fallait bien un cinéaste de la trempe de Rasoulof, Ours d'Or à Berlin avec son précédent <i>Le Diable n'existe pas</i> (2020), pour s'y atteler. En prison au moment des faits, il possédait sans doute dès le départ un recul précieux. Mais à 50 ans, après huit films qui dessinent une montée en puissance artistique, peut-être bien que seul ce cinéaste-là avait également les capacités pour un film aussi bien pensé et réalisé. Tout ça pour dire qu'un chef-d'œuvre comme celui-ci ne tombe pas de nulle part. A l'indignation naturelle doit s'ajouter un art capable de la canaliser pour nous faire accéder à un degré de compréhension supérieur.</p> <h3>Une promotion empoisonnée</h3> <p><i>Les Graines du figuier sauvage</i> s'apparente d'abord à une sorte de suite à <i>Le Diable n'existe pas, </i>film en quatre volets qui dénonçait les effets délétères de la peine de mort sur la société iranienne. Cette fois, nous suivons en effet un candidat au poste de juge, c'est-à-dire celui amené à décider cette sanction ultime. Un homme libre de juger en son âme et conscience? Au moment d'accepter sa promotion, le quadragénaire Iman (sic) semble encore le croire. Sauf que, dans un premier temps, il n'est passé qu'au rang de juge d'instruction, sorte d'enquêteur en chef qui dépend d'ordres venus de plus haut, et dont l'avis ne compte pas vraiment. Et ce travail pourrait bien avoir des conséquences sur le caractère de celui qui se voudrait également bon croyant et bon père de famille.</p> <p>Pour son épouse Najmeh, cette promotion signifie surtout la perspective d'avantages matériels enviables. Elle enjoint donc leurs deux grandes filles Rezvan et Sana à se montrer irréprochables afin de ne pas nuire à la réputation et à la carrière de leur père. En ce moment de rentrée estudiantine, elle voit d'un mauvais œil Sadaf, une nouvelle amie qui débarque chez elles avec des manières de fille émancipée. Puis éclatent les émeutes dans la rue suite à la mort de Mahsa Amini, et c'est comme si la famille, calfeutrée dans son appartement, était en état de siège. Le père rentre toujours plus tard, surchargé de travail, la mère reste scotchée devant la télévision (d'Etat) et les filles se cachent pour suivre une tout autre information sur les réseaux sociaux. Lorsque Sadaf appelle à l'aide après avoir été blessée dans une manifestation, tout s'accélère...</p> <h3>Un sacré suspense</h3> <p>Une idée forte est d'avoir fait de l'inflexible Najmeh le personnage central de l'affaire. Elle l'est d'ailleurs de fait, en tant que chargée du maintien de la loi patriarcale à la maison tout en ayant sincèrement à cœur l'avenir de ses filles. Ebranlée par l'épisode Sadaf, sa position devient de plus en plus intenable et, avec elle, c'est le socle de toute la société iranienne qui vacille. Arrive le troisième acte, avec une mystérieuse disparition de l'arme de service d'Iman, qui pourrait lui coûter son poste. S'ensuivent panique, conciliabules et enquête. Mais tout le monde proteste de son innocence, même dans des conditions d'interrogatoire infâmes. Puis le nom et l'adresse d'Iman surgissent sur les réseaux sociaux et toute la famille doit s'enfuir pour se cacher dans sa maison d'enfance, aux abords d'un village abandonné...</p> <p>Pour l'essentiel confiné en intérieurs (tout a été tourné clandestinement), le film devient un modèle de <i>slow burn</i>. Au début, comme dans tout bon film iranien, ce sont les détails révélateurs qui comptent tandis que s'esquisse une superstructure métaphorique. Sauf que cette fois, on embraie également sur un suspense de plus en plus prenant. Les terribles images réelles de la rue (plus de 500 morts...) et le sort de Sadaf servent d'avertissement: cette histoire d'apparence banale pourrait très mal se terminer! Surtout que selon la règle dite «du fusil de Tchékhov», la mise en évidence d'une arme dès le début ne saurait qu'annoncer des coups de feu plus tard. Qu'adviendra-t-il de la ou des coupables, ou pire encore, des innocentes?</p> <p>Il faut voir avec quelle habileté Mohammad Rasoulof mène son affaire. Il existe pourtant peu de cinéastes au style moins voyant et apparemment recherché que lui. Sur écran large, avec une exigence de réalisme de tous les instants, une direction d'acteurs sans faille, son huis clos ne fait que gagner en épaisseur. Lorsqu'on sort de l'appartement pour gagner la rue, les bureaux du palais de justice ou encore la maison anonyme de la police secrète, la tension et l'impression d'enfermement ne faiblissent pas. Quant au final dans le village abandonné (préparé par une visite d'Iman au début, venu remercier Allah pour sa bonne fortune dans une mosquée proche), il se transformera carrément en règlement de comptes de western!</p> <h3>Comprendre pour mieux résister</h3> <p>Il est frappant de mesurer comment ce cinéaste qu'on a connu trop allégorique <i>(Iron Island, The White Meadows, Manuscripts Don't Burn)</i> est devenu par la force des choses de plus en plus politiquement frontal <i>(Goodbye, Un Homme intègre, Le Diable n'existe pas).</i> Mais là où son collègue également menacé Jafar Panahi <i>(Taxi Téhéran) </i>a mis au point un dispositif de cinéma réflexif, voire franchement autobiographique, Rasoulof tourne plutôt sa caméra vers les autres, les profiteurs aussi bien que les victimes du régime – la plupart des citoyens iraniens essayant sans doute de survivre tant bien que mal entre les deux. Il le fait sans condamner personne <em>a</em> <em>priori</em>, mettant à jour de terribles engrenages et bien sûr cet étau de la peur qui est le propre de tout régime totalitaire. Ici, il laissera même planer jusqu'au bout une incertitude quant au vol du fameux pistolet. Sauf qu'au fil des événements, les actes finissent par parler d'eux-mêmes, ladite arme figurant bien en évidence lors du mémorable final.</p> <p>A chacun de pondérer ce qu'il aura vu avec son propre sens moral, de remplir les trous du hors champ avec son imagination: tout ce que notre cinéma occidental a de plus en plus de peine à proposer (l'admirable <i>Monsieur Klein</i> de Joseph Losey revient en mémoire). Et pourtant, à l'arrivée, on se demande quel film aura exposé plus clairement l'abjection insidieuse de cette théocratie qui prétend maintenir les femmes sous la tutelle éclairée des hommes, et tout le monde sous le regard sans pitié d'un Dieu absent. Après<i> Aucun ours</i> (Jafar Panahi), <i>Les Nuits de Mashhad </i>(Ali Abbasi), <i>Chroniques de Téhéran </i>(Ali Asgari et Alireza Khatami) et <i>Tatami</i> (Guy Nattiv et Zar Amir), <i>Les Graines du figuier sauvage</i> («figuier sacré» selon le titre anglais...) vient couronner une nouvelle saison de résistance iranienne. Bientôt la bonne?</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/SCyzhVEJFkY?si=UBO5VtblbiYIhE50" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«Les Graines du figuier sauvage (<em>Daneh anjeer moghadas</em>)» de Mohammad Rasoulof (Iran / Allemagne / France, 2024), avec Missagh Zareh, Soheila Golestani, Mahsa Rostami, Setareh Maleki, Niousha Akhshi, Reza Akhlaghirad. 2h48</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'iran-la-revolte-des-femmes', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 84, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Culture / Iran, la révolte des femmes
Avec «Les Graines du figuier sauvage», Mohammad Rasoulof signe un puissant réquisitoire contre le régime des mollahs iranien, en s'inspirant du mouvement des femmes qui avait fait suite au meurtre de la jeune Mahsa Amini par des «gardiens de la révolution». Mélange de frontalité et de subtilité, ce film qui s'est logiquement soldé par l'exil de son auteur valait bien plus que son prix de consolation à Cannes.
Norbert Creutz
B Article réservé aux abonnés
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Le tout dans l'esprit qui préside au festival «Il cinema ritrovato» de Bologne, consacré au cinéma de patrimoine et dont Khoshbackht est l'un des programmateurs. Bref, on a beaucoup apprécié ce qui ne s'annonçait pourtant pas sous les meilleurs auspices: une rétrospective de circonstance dont l'ensemble des copies, neuves mais sans sous-titres, venaient directement des archives Sony-Columbia en Californie.</p> <p>La période explorée était celle correspondant au règne du fameux Harry Cohn (1891-1958), fondateur et «dictateur» de Columbia Pictures pendant que son frère Jack dirigeait le côté financier des opérations à New York. Vulgaire et brutal selon tous les témoignages, Cohn était aussi un homme d'affaires avisé en quête de respectabilité, qui parvint en trois décennies à hisser sa petite compagnie au rang de major hollywoodienne, tutoyant les bien nées Paramount, MGM, Warner ou 20th Century Fox. Sa tactique? Trois quarts de séries B contre un quart de séries A, pas de chaîne de salles propre, des contrats de plus courte durée et non exclusifs permettant d'employer également du personnel emprunté aux concurrents. Et dès les années 1950, une collaboration soutenue avec des indépendants, sur le modèle de United Artists. Sur les quelques 1'600 longs-métrages (plus autant de courts) produits et distribués durant la période, 40 sélectionnés peuvent sembler ne pas peser bien lourd. Pourtant, jusqu'aux quelques titres délibérément mineurs, l'aperçu aura été représentatif.</p> <p>Premier constat: la critique auteuriste a plutôt bien fait son boulot en extrayant du lot les meilleurs films. Jamais en effet le génie de <i>Mr. Deeds Goes to Town</i> (Frank Capra), <i>The Lady from Shanghaï</i> (Orson Welles) ou <i>The Big Heat</i> (Fritz Lang) ne sera apparu aussi éclatant que dans ce contexte. Mais on n'est pas ici pour vanter une fois de plus des chefs-d'œuvre archi-connus. Car d'autres films projetés méritaient encore plus le détour. Par quelle malchance des merveilles telles que <i>Picnic</i> (Joshua Logan), <i>My Sister Eileen </i>(Richard Quine) ou <i>Gunman's Walk</i> (Phil Karlson), trois films des années 1950 en CinemaScope couleurs, ont-elles par exemple pu tomber dans l'oubli au point de ne plus jamais être programmées?</p> <h3>Spendeurs en Scope</h3> <p>Vanté en son temps par le jeune FrançoisTruffaut, <i>Picnic</i> (1955) sera apparu comme une sorte de chaînon manquant essentiel. Il s'agit de l'adaptation d'une pièce à succès de William Inge (plus connu pour <i>La Fièvre dans le sang</i> d'Elia Kazan), «ouverte» avec un dynamisme épatant par Logan, pourtant homme de théâtre avant tout. William Holden y campe un «raté» qui débarque un jour en train dans une bourgade du Midwest pour demander un travail à un ancien ami d'études, fils d'industriel. C'est la veille de la grande fête locale et son apparente liberté alliée à la plus séduisante virilité va secouer cette communauté en réalité minée par l'insatisfaction. A mi-chemin entre <i>Un Tramway nommé désir</i> (Kazan, 1951) et <i>La Poursuite impitoyable (The Chase</i>, Arthur Penn, 1966), un grand moment de sensualité et de sauvagerie américaine!</p> <p>Avec <i>My Sister Eileen</i> (1955 également), on se retouve devant un sommet de la comédie musicale qui aurait échappé à la MGM. La comparaison avec la (déjà réjouissante) comédie du même titre réalisée en 1942 par Alexander Hall fut parlante. Entres les mains des jeunes Richard Quine, Blake Edwards (co-scénariste) et Bob Fosse (chorégraphe et acteur), cette historiette de deux sœurs «montées» de l'Ohio à New York et confrontées à des problèmes de logement, de travail et d'hommes se trouve améliorée de 100%. La musique a beau être le point faible, on est aussi enchanté par l'abattage des acteurs (Betty Garrett, Janet Leigh et Jack Lemmon) que par l'élégance de la mise en scène et l'intelligence féministe du propos, avec une touche de loufoquerie anarchisante assez unique.</p> <p>Autre révélation, le western <i>Gunman's Walk</i> (1958) bénéficie d'un scénario admirable de Frank Nugent (collaborateur de John Ford sur une dizaine de titres dont <i>La Prisonnière du désert).</i> Il y est question de la pacification de l'Ouest à travers le conflit entre un père rancher (Van Heflin) et ses deux fils, l'un soucieux de le surpasser et l'autre soucieux d'échapper au culte de la virilité, au racisme anti-indien et à la violence. C'est le genre de film dont la densité dramatique et le sens de l'espace, alliées à une profonde compréhension de l'humain, vous rendent nostalgique d'un art perdu. Quant à Phil Karlson, il signe là un modèle de «mise en scène invisible»: on a beau essayer d'y faire attention, on ne la remarque pas, tant elle est idéalement au service du récit.</p> <h3>Un cinéma qui alerte</h3> <p>En noir et blanc, d'autres films trop ignorés en Europe ont aussi fait impression. Projet de prestige adapté d'un best-seller de Robert Penn Warren, <i>All the King's Men</i> (Robert Rossen, 1949) retrace l'ascension et la chute d'un populiste (inspirés par le parcours du politicien de Louisiane Huey Long). Rossen, un auteur bientôt rattrapé par la maccarthysme, y expose un danger fasciste au sein même de la démocratie américaine, sujet qui a retrouvé toute sa pertinence en ces temps de trumpisme. La limite du film, même oscarisé, réside dans un surdécoupage qui trahit le «digest» et dans le personnage du narrateur-témoin, trop peu développé. Mais comment ne pas deviner ici le talent qui explosera avec l'immense <i>L'Arnaqueur</i> de 1960?</p> <p>Autre cinéaste identifié plus tard comme un auteur mais encore à son premier essai dans le bien nommé <i>The First Time</i> (1952), Frank Tashlin se penche sur l'arrivée d'un bébé chez un jeune couple. Ce qui peut paraître navrant de banalité se transforme pourtant bientôt en une satire cruelle de l'<i>American way of life</i>, avec son travail aliénant, sa séparation des tâches genrée, sa course à l'argent et son horizon pavillonnaire désespérément étriqué. Rare cinéaste venu du dessin animé, Tashlin commence là son travail de rénovation de la comédie qui aboutira sur une série de films mémorables avec Jayne Mansfield puis Jerry Lewis.</p> <p>Parfaitement dramatiques quant à eux, <i>Address Unknown</i> (William Cameron Menzies) et <i>None Shall Escape</i> (André De Toth), tous deux de 1944, sont des films de propagande anti-nazie. Mais malgré un certain schématisme, l'intelligence et le talent qu'ils déploient leur a permis de passer haut la main l'épreuve du temps. Le premier imagine un tribunal à venir devant lequel le dirigeant nazi d'une région polonaise doit rendre compte de ses crimes contre l'humanité tandis que le second adapte le fameux roman épistolaire de Kathrine Kressmann Taylor, histoire d'une amitié qui se délite entre un marchand d'art juif de Californie et son associé allemand. Avec ces films, les deux cinéastes retracent de manière saisissante comment la séduction nazie a conquis l'Allemagne, leur avertissement restant à jamais valable.</p> <h3>Films noirs réactifs</h3> <p>La Columbia était particulièrement forte pour réagir aux sujets «chauds» du moment, dans des petits films noirs, caratéristiques d'un style maison fait d'économie et d'efficacité. <i>The Killer That Stalked New York</i> (Earl McEvoy, 1950) revient ainsi sur l'épidémie de variole qui frappa New York trois ans plus tôt, forçant les autorités à vacciner plus de 6 millions d'habitants en un temps record. Le film suit à la fois le «patient zéro», une chanteuse (Evelyn Keyes) de retour de Cuba impliquée dans un trafic de diamants, et les hommes du FBI et des services médicaux à ses trousses sans savoir qu'ils recherchent la même personne. Le thriller s'avère aussi prenant dans sa dimension documentaire que dramatique, habilement imbriquées par un cinéaste inconnu au bataillon.</p> <p>Dans la même veine, <i>The Glass Wall</i> des guère plus notables Maxwell Shane et Ivan Tors suit un Hongrois passé par les camps de concentration (Vittorio Gassman!) mais dont la demande d'asile aux Etats-Unis est déboutée. Il s'échappe pour retrouver le musicien de jazz qui pourrait attester qu'il a œuvré pour les forces alliées et trouve de l'aide auprès d'une fille dans la dèche (Gloria Grahame) à peine mieux lotie que lui. Leur dérive dans New York devient alors un superbe document sur la ville telle qu'elle était alors (1953), culminant de façon hautement symbolique dans le bâtiment des Nations Unies tout juste achevé.</p> <p><i>The Undercover Man</i> (1949), avec la star maison Glenn Ford (36 films Columbia!), s'inspire quant à lui de l'enquête déjà plus ancienne des agents du fisc qui coincèrent Al Capone, le fameux gangster de Chicago. La superbe mise en scène de Joseph H. Lewis élève le film aux sommets du genre, mais un bel article de Chris Fujiwara dans le livre d'accompagnement nous rappelle qu'il s'agit d'un cas d'école de «voix auteuriale» partagée: Lewis répondait en l'occurrence aux ordres de Robert Rossen, pour une fois simple producteur, qui avait nettement plus à cœur les enjeux idéologiques de l'affaire. A savoir la menace d'une autre forme de fascisme américain, induite par le capitalisme.</p> <h3>De Locarno à Lausanne</h3> <p>On pourrait citer encore bien d'autres découvertes, de <i>The Talk of the Town</i> (George Stevens, 1942), comédie sophistiquée avec un étincelant triangle Cary Grant - Jean Arthur – Ronald Colman, ou <i>Sahara</i> (Zoltan Korda, 1943), modèle de film de guerre avec Humphrey Bogart inspiré par un film soviétique. Mais il convient aussi de reconnaître que certaines séries B ont paru décidément mineures, leurs nombreux clichés en accord avec la pauvreté des décors, quel que soit l'art du metteur en scène pour faire illusion. Et puis, rien à faire, un film signé Wiliam A. Seiter, Charles Vidor ou même John Sturges ne dépassera jamais le solide artisanat: l'absence d'une véritable réécriture au moyen de la mise en scéne les en empêche.</p> <p>Parmi la douzaine de films programmés ce mois par la Cinémathèque, deux raretés ont été retenues malgré l'absence sous-titres. <i>The Whole Town's Talking </i>(John Ford, 1935) est une fabuleuse histoire de double qui voit le timide employé Edward G. Robinson confondu avec un gangster recherché. Quant à <i>Craig's Wife </i>(Dorothy Arzner, 1936), il s'agit de l'adaptation d'une pièce psychologique centrée sur une femme (splendide Rosalind Russell) qui s'est mariée par intérêt et dont le monde s'écroule soudain. Un film signé par la seule réalisatrice en activité à Hollywood à cette époque, ouvertement lesbienne et qui savait tenir tête à Cohn! Avec sous-titres, les plus connus <i>Twentieth Century</i> (Howard Hawks, 1934) et <i>It Should Happen to You </i>(George Cukor, 1954) témoigneront que la comédie fut toujours le point fort de la Columbia tandis que <i>Ride Lonesome</i> (Budd Boetticher, 1959), sommet d'une admirable série avec Randolph Scott, rappellera la grandeur du western, autre genre-clé de l'époque. </p> <p>Au total, la Columbia n'a peut-être pas plus de perles à offrir que les autres «majors» de Hollywood. Mais sa trajectoire ascendante, l'imprimatur de Cohn sur l'ensemble de sa production et l'efficacité dictée par ses budgets plus serrés la distinguent tout de même durant cette période dite «classique». On aura surtout aimé ce travail de remise en lumière de films moins connus, que seul un grand festival semble encore en mesure de proposer. Partout ailleurs, le manque de curiosité et la paresse gagnent du terrain en ces temps de surproduction mondialisée et de disponibilité supposément totale. Raison de plus pour chérir et préserver ce précieux rendez-vous tessinois!</p> <hr /> <h4>«100 ans de Columbia Pictures», Cinémathèque suisse, Lausanne, du 28 août au 12 octobre.<br />«The Lady with the Torch – Columbia Pictures 1929-1959», sous la dir. d'Ehsan Khoshbakht. 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Le tout dans l'esprit qui préside au festival «Il cinema ritrovato» de Bologne, consacré au cinéma de patrimoine et dont Khoshbackht est l'un des programmateurs. Bref, on a beaucoup apprécié ce qui ne s'annonçait pourtant pas sous les meilleurs auspices: une rétrospective de circonstance dont l'ensemble des copies, neuves mais sans sous-titres, venaient directement des archives Sony-Columbia en Californie.</p> <p>La période explorée était celle correspondant au règne du fameux Harry Cohn (1891-1958), fondateur et «dictateur» de Columbia Pictures pendant que son frère Jack dirigeait le côté financier des opérations à New York. Vulgaire et brutal selon tous les témoignages, Cohn était aussi un homme d'affaires avisé en quête de respectabilité, qui parvint en trois décennies à hisser sa petite compagnie au rang de major hollywoodienne, tutoyant les bien nées Paramount, MGM, Warner ou 20th Century Fox. Sa tactique? Trois quarts de séries B contre un quart de séries A, pas de chaîne de salles propre, des contrats de plus courte durée et non exclusifs permettant d'employer également du personnel emprunté aux concurrents. Et dès les années 1950, une collaboration soutenue avec des indépendants, sur le modèle de United Artists. Sur les quelques 1'600 longs-métrages (plus autant de courts) produits et distribués durant la période, 40 sélectionnés peuvent sembler ne pas peser bien lourd. Pourtant, jusqu'aux quelques titres délibérément mineurs, l'aperçu aura été représentatif.</p> <p>Premier constat: la critique auteuriste a plutôt bien fait son boulot en extrayant du lot les meilleurs films. Jamais en effet le génie de <i>Mr. Deeds Goes to Town</i> (Frank Capra), <i>The Lady from Shanghaï</i> (Orson Welles) ou <i>The Big Heat</i> (Fritz Lang) ne sera apparu aussi éclatant que dans ce contexte. Mais on n'est pas ici pour vanter une fois de plus des chefs-d'œuvre archi-connus. Car d'autres films projetés méritaient encore plus le détour. Par quelle malchance des merveilles telles que <i>Picnic</i> (Joshua Logan), <i>My Sister Eileen </i>(Richard Quine) ou <i>Gunman's Walk</i> (Phil Karlson), trois films des années 1950 en CinemaScope couleurs, ont-elles par exemple pu tomber dans l'oubli au point de ne plus jamais être programmées?</p> <h3>Spendeurs en Scope</h3> <p>Vanté en son temps par le jeune FrançoisTruffaut, <i>Picnic</i> (1955) sera apparu comme une sorte de chaînon manquant essentiel. Il s'agit de l'adaptation d'une pièce à succès de William Inge (plus connu pour <i>La Fièvre dans le sang</i> d'Elia Kazan), «ouverte» avec un dynamisme épatant par Logan, pourtant homme de théâtre avant tout. William Holden y campe un «raté» qui débarque un jour en train dans une bourgade du Midwest pour demander un travail à un ancien ami d'études, fils d'industriel. 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Quant à Phil Karlson, il signe là un modèle de «mise en scène invisible»: on a beau essayer d'y faire attention, on ne la remarque pas, tant elle est idéalement au service du récit.</p> <h3>Un cinéma qui alerte</h3> <p>En noir et blanc, d'autres films trop ignorés en Europe ont aussi fait impression. Projet de prestige adapté d'un best-seller de Robert Penn Warren, <i>All the King's Men</i> (Robert Rossen, 1949) retrace l'ascension et la chute d'un populiste (inspirés par le parcours du politicien de Louisiane Huey Long). Rossen, un auteur bientôt rattrapé par la maccarthysme, y expose un danger fasciste au sein même de la démocratie américaine, sujet qui a retrouvé toute sa pertinence en ces temps de trumpisme. La limite du film, même oscarisé, réside dans un surdécoupage qui trahit le «digest» et dans le personnage du narrateur-témoin, trop peu développé. Mais comment ne pas deviner ici le talent qui explosera avec l'immense <i>L'Arnaqueur</i> de 1960?</p> <p>Autre cinéaste identifié plus tard comme un auteur mais encore à son premier essai dans le bien nommé <i>The First Time</i> (1952), Frank Tashlin se penche sur l'arrivée d'un bébé chez un jeune couple. Ce qui peut paraître navrant de banalité se transforme pourtant bientôt en une satire cruelle de l'<i>American way of life</i>, avec son travail aliénant, sa séparation des tâches genrée, sa course à l'argent et son horizon pavillonnaire désespérément étriqué. Rare cinéaste venu du dessin animé, Tashlin commence là son travail de rénovation de la comédie qui aboutira sur une série de films mémorables avec Jayne Mansfield puis Jerry Lewis.</p> <p>Parfaitement dramatiques quant à eux, <i>Address Unknown</i> (William Cameron Menzies) et <i>None Shall Escape</i> (André De Toth), tous deux de 1944, sont des films de propagande anti-nazie. Mais malgré un certain schématisme, l'intelligence et le talent qu'ils déploient leur a permis de passer haut la main l'épreuve du temps. Le premier imagine un tribunal à venir devant lequel le dirigeant nazi d'une région polonaise doit rendre compte de ses crimes contre l'humanité tandis que le second adapte le fameux roman épistolaire de Kathrine Kressmann Taylor, histoire d'une amitié qui se délite entre un marchand d'art juif de Californie et son associé allemand. 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Seiter, Charles Vidor ou même John Sturges ne dépassera jamais le solide artisanat: l'absence d'une véritable réécriture au moyen de la mise en scéne les en empêche.</p> <p>Parmi la douzaine de films programmés ce mois par la Cinémathèque, deux raretés ont été retenues malgré l'absence sous-titres. <i>The Whole Town's Talking </i>(John Ford, 1935) est une fabuleuse histoire de double qui voit le timide employé Edward G. Robinson confondu avec un gangster recherché. Quant à <i>Craig's Wife </i>(Dorothy Arzner, 1936), il s'agit de l'adaptation d'une pièce psychologique centrée sur une femme (splendide Rosalind Russell) qui s'est mariée par intérêt et dont le monde s'écroule soudain. Un film signé par la seule réalisatrice en activité à Hollywood à cette époque, ouvertement lesbienne et qui savait tenir tête à Cohn! Avec sous-titres, les plus connus <i>Twentieth Century</i> (Howard Hawks, 1934) et <i>It Should Happen to You </i>(George Cukor, 1954) témoigneront que la comédie fut toujours le point fort de la Columbia tandis que <i>Ride Lonesome</i> (Budd Boetticher, 1959), sommet d'une admirable série avec Randolph Scott, rappellera la grandeur du western, autre genre-clé de l'époque. </p> <p>Au total, la Columbia n'a peut-être pas plus de perles à offrir que les autres «majors» de Hollywood. Mais sa trajectoire ascendante, l'imprimatur de Cohn sur l'ensemble de sa production et l'efficacité dictée par ses budgets plus serrés la distinguent tout de même durant cette période dite «classique». On aura surtout aimé ce travail de remise en lumière de films moins connus, que seul un grand festival semble encore en mesure de proposer. Partout ailleurs, le manque de curiosité et la paresse gagnent du terrain en ces temps de surproduction mondialisée et de disponibilité supposément totale. Raison de plus pour chérir et préserver ce précieux rendez-vous tessinois!</p> <hr /> <h4>«100 ans de Columbia Pictures», Cinémathèque suisse, Lausanne, du 28 août au 12 octobre.<br />«The Lady with the Torch – Columbia Pictures 1929-1959», sous la dir. d'Ehsan Khoshbakht. 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Culture / La Columbia porte haut la flamme de la cinéphilie
La rétrospective du festival de Locarno dédiée à la compagnie centenaire a bien rempli son contrat. On y a découvert nombre de films méconnus réalisés entre 1929 et 1959, entourant quelques grands classiques hissés plus haut que jamais – ces derniers bientôt reproposés à la Cinémathèque. Une belle façon de revisiter l'âge d'or hollywoodien, en faisant la part entre politique de studio et apport des réalisateurs.
Norbert Creutz
B Article réservé aux abonnés
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Tant ses deux <i>Jeanne d'Arc,</i> confidentielles et indigestes, que le plus commercial <i>France</i> avec Léa Seydoux (2021), état des lieux médiatico-moral de la nation, sont tombés à plat, laissant craindre un déclin de cet auteur original, un pied chez Pialat, un autre chez Bresson et un troisième chez Blake Edwards.</p> <h3>Un <i>Empire</i> pour tout boucler?</h3> <p>C'est à cet instant que surgit <i>L'Empire,</i> à 7 millions d'euros quasiment une superproduction, qui donne l'impression de vouloir rassembler tous les fils de cette œuvre disparate. Le début est très amusant, qui suit Line (Lyna Khoudri), une citadine moderne déplacée dans une petite ville côtière qui fait la connaissance d'un jeune gars local nommé Jony (l'amateur Brandon Vlieghe). Or, il s'avère que l'épouse séparée de ce dernier a donné naissance au Margat (Freddy de son vrai nom, comme l'anti-héros de <i>La Vie de Jésus</i>...), celui par lequel le Mal étendra son empire sur Terre. Un virage fantastique radical dont le film ne se remettra pas. Au contraire, la paisible bourgade devient bientôt le théâtre d'un affrontement cosmique entre Belzébuth (Fabrice Luchini) et «la Reine» (Camille Cottin), secondée quant à elle par la belle Jane (Annamaria Vartolomei) et le vilain Rudi (Julien Manier, autre trogne locale).</p> <p>Et c'est parti pour un affrontement manichéen entre le Bien et le Mal, voire aussi le Féminin et le Masculin, même si Bruno Dumont s'amuse à tout mélanger. Les cavaliers sur leurs blancs destriers sont ainsi du côté du démon; la fille en noir doit éliminer un mignon bébé pour sauver l'humanité, etc. Bientôt, on sort les épées-laser et des vaisseaux spatiaux en forme de palais (modèle versaillais) ou de cathédrale gothique (modèle Sainte-Chapelle) atterrissent. Et au milieu de tout ça, la vie locale se poursuit comme si de rien n'était, avec ses terribles banalités et les deux flics abrutis de <i>P'tit Quinquin</i> et <i>Coincoin</i> qui reprennent du service.</p> <p>Tout ceci aurait pu (dû?) être sidérant et hilarant. Mais il faut bien reconnaître qu'à l'écran, ça ne l'est guère. Que Dumont échappe à la stricte parodie, genre favori des esprits les plus limités, on ne peut que s'en réjouir. Fondé sur l'opposition entre le naturalisme et l'épique mais aussi nourri d'une vraie réflexion sur les genres populaires, <i>L'Empire</i> vise plutôt sur un premier degré décalé. Malheureusement, les styles respectifs des acteurs amateurs et professionnels ne s'accordent guère, sans créer non plus de friction étonnante, tandis que la tranquillité de la Côte d'Opale en été reste foncièrement étrangère au déchaînement des effets spéciaux digitaux. Et même s'il est sûrement capable de justifier tout ceci théoriquement, il est clair que le cinéaste n'y entend rien à la science exacte du «timing» comique.</p> <h3>Dumont du côté de Besson</h3> <p>Pour une vision dotée d'une vraie force poétique (ce palais dont les fenêtres donnent sur le cosmos ou cette cathédrale qui s'arrime à un bunker), combien d'autres qui tombent à plat? Le numéro en roue libre de Luchini en guide touristique qui devient un Belzébuth d'opérette s'agitant et vociférant dans le vide s'avère vite pénible. En face, Camille Cottin frise l'inexistence malgré des yeux de couleurs différentes et une soudaine promotion au titre de maire de la ville. Par contre, il suffit d'avoir vu un seul autre film de Dumont pour sentir venir à l'avance l'inévitable scène de «baise sauvage» entre l'émissaire du Mal et celle du Bien (qui s'attirent par principe, c'est à prendre ou à laisser). Bref, on oscille constamment entre une admiration pour l'audace du concept et une déception face au résultat.</p> <p>Tout se conclut logiquement en un grand affrontement entre deux armées de vaisseaux spatiaux et des visions d'Apocalypse dans lesquelles le Bien et le Mal s'annulent, sans doute pour laisser l'humanité prisonnière de sa complexité constitutive. Rien à redire à ça. Mais s'il y a quelque chose de satisfaisant à voir Bruno Dumont, 65 ans, ainsi damer le pion à Luc Besson, il faut aussi reconnaître que tout ce fatras n'aura guère été plus passionnant que <i>Le Cinquième élément</i> ou <i>Valérian!</i> Même subverti, libéré de son absolutisme moral et religieux, le manichéisme reste de peu d'intérêt pour le déroulement d'un récit. Bref, l'ennui guette, comme déjà dans... nombre d'autres films de Bruno Dumont avant celui-ci.</p> <p>Eh oui! Le mythe de l'Auteur intouchable a souvent ses bons et ses mauvais côtés. Pour une telle entreprise, un vrai producteur (ou alors d'autres collaborateurs de confiance) qui sache dire au scénariste Dumont où retravailler ses dialogues et au monteur Dumont où resserrer les boulons n'aurait sans doute pas été de trop. 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Fidèle à ses obsessions, l'auteur de «L'Humanité» et «Ma Loute» est retourné dans sa France profonde du Nord pour y mêler vision sans fard de la réalité, aspirations métaphysiques et goût du burlesque sur une histoire de combat entre forces du Bien et du Mal façon «Star Wars»! Complètement dingo, est-ce pour autant génial?', 'content' => '<p>Il est sans aucun doute l'un des cinéastes les plus singuliers du moment et ce film avait tout pour devenir son grand œuvre. Et pourtant, loin de la pierre philosophale espérée, <i>L'Empire</i> réjouit à peine. Que s'est-il donc passé? Dans un tel cas, il faut toujours commencer par soupçonner sa propre réception, un coup de mou ou un manque d'acuité intellectuelle. Mais un tour des critiques tombées lors de la présentation du film au Festival de Berlin puis à sa sortie française, y compris les plus favorables, a tôt fait de confirmer l'impression d'un film follement ambitieux mais pas vraiment réussi. Soyons clair, <i>L'Empire</i> vaut absolument le coup d'œil. Mais sans en attendre forcément un nouveau Messie, même lorsque l'auteur de <i>La Vie de Jésus</i> (1997) accouche d'une <i>Malédiction + La Guerre des étoiles</i> transposées sur sa chère Côte d'Opale.</p> <p>Peut-être convient-il de rappeler la trajectoire de ce natif de Bailleul dans le département du Nord, qui a débuté comme prof de philosophie doublé d'un cinéaste du dimanche. Sortis de nulle part, cette <i>Vie de Jésus</i> au titre trompeur puis surtout <i>L'Humanité,</i> primé à Cannes, ont tôt installé une réputation de visionnaire fondée sur son expression de la tragique imperfection humaine face à la grandeur et la beauté du monde. Son emploi d'amateurs aux gueules et à l'élocution impossibles contraste avec un sens époustouflant du paysage et bientôt un recours frappant à des musiques préexistantes, en particulier sacrées. 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Tant ses deux <i>Jeanne d'Arc,</i> confidentielles et indigestes, que le plus commercial <i>France</i> avec Léa Seydoux (2021), état des lieux médiatico-moral de la nation, sont tombés à plat, laissant craindre un déclin de cet auteur original, un pied chez Pialat, un autre chez Bresson et un troisième chez Blake Edwards.</p> <h3>Un <i>Empire</i> pour tout boucler?</h3> <p>C'est à cet instant que surgit <i>L'Empire,</i> à 7 millions d'euros quasiment une superproduction, qui donne l'impression de vouloir rassembler tous les fils de cette œuvre disparate. Le début est très amusant, qui suit Line (Lyna Khoudri), une citadine moderne déplacée dans une petite ville côtière qui fait la connaissance d'un jeune gars local nommé Jony (l'amateur Brandon Vlieghe). Or, il s'avère que l'épouse séparée de ce dernier a donné naissance au Margat (Freddy de son vrai nom, comme l'anti-héros de <i>La Vie de Jésus</i>...), celui par lequel le Mal étendra son empire sur Terre. 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Et même s'il est sûrement capable de justifier tout ceci théoriquement, il est clair que le cinéaste n'y entend rien à la science exacte du «timing» comique.</p> <h3>Dumont du côté de Besson</h3> <p>Pour une vision dotée d'une vraie force poétique (ce palais dont les fenêtres donnent sur le cosmos ou cette cathédrale qui s'arrime à un bunker), combien d'autres qui tombent à plat? Le numéro en roue libre de Luchini en guide touristique qui devient un Belzébuth d'opérette s'agitant et vociférant dans le vide s'avère vite pénible. En face, Camille Cottin frise l'inexistence malgré des yeux de couleurs différentes et une soudaine promotion au titre de maire de la ville. Par contre, il suffit d'avoir vu un seul autre film de Dumont pour sentir venir à l'avance l'inévitable scène de «baise sauvage» entre l'émissaire du Mal et celle du Bien (qui s'attirent par principe, c'est à prendre ou à laisser). Bref, on oscille constamment entre une admiration pour l'audace du concept et une déception face au résultat.</p> <p>Tout se conclut logiquement en un grand affrontement entre deux armées de vaisseaux spatiaux et des visions d'Apocalypse dans lesquelles le Bien et le Mal s'annulent, sans doute pour laisser l'humanité prisonnière de sa complexité constitutive. Rien à redire à ça. Mais s'il y a quelque chose de satisfaisant à voir Bruno Dumont, 65 ans, ainsi damer le pion à Luc Besson, il faut aussi reconnaître que tout ce fatras n'aura guère été plus passionnant que <i>Le Cinquième élément</i> ou <i>Valérian!</i> Même subverti, libéré de son absolutisme moral et religieux, le manichéisme reste de peu d'intérêt pour le déroulement d'un récit. Bref, l'ennui guette, comme déjà dans... nombre d'autres films de Bruno Dumont avant celui-ci.</p> <p>Eh oui! Le mythe de l'Auteur intouchable a souvent ses bons et ses mauvais côtés. Pour une telle entreprise, un vrai producteur (ou alors d'autres collaborateurs de confiance) qui sache dire au scénariste Dumont où retravailler ses dialogues et au monteur Dumont où resserrer les boulons n'aurait sans doute pas été de trop. Pour nous, la déception est dès lors comparable à celle du récent <i>Don't Look Up</i> d'Adam McKay (2021), comédie politique «globale» clairement intelligente et néanmoins ratée – pour peu qu'on ne confonde pas intention et réalisation.</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/Z_6ytPv-OLA?si=TWQ-pVRmb7-Dv51w" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«L'Empire» de Bruno Dumont (France, 2024), avec Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Fabrice Luchini, Camille Cottin, Brandon Vlieghe, Julien Manier, Bernard Pruvost, Philippe Jore. 1h50</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'bruno-dumont-rehabilite-le-manicheisme', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 109, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Culture / Bruno Dumont réhabilite le manichéisme
En compétition à la Berlinale, «L'Empire» en a laissé plus d'un perplexe. Fidèle à ses obsessions, l'auteur de «L'Humanité» et «Ma Loute» est retourné dans sa France profonde du Nord pour y mêler vision sans fard de la réalité, aspirations métaphysiques et goût du burlesque sur une histoire de combat entre forces du Bien et du Mal façon «Star Wars»! Complètement dingo, est-ce pour autant génial?
Norbert Creutz
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