© FRENETIC FILMS
«Close to You» enregistre la transformation de l'actrice hollywoodienne Ellen Page («Juno») en l'acteur Elliot Page. Après sept ans de silence, le revoici donc dans l'histoire d'un trans canadien qui retourne dans sa famille après une longue absence. Mais malgré cette plus-value d'authenticité, ce petit film indépendant, sensible et bien intentionné, déçoit. N'est pas Xavier Dolan qui veut!
D'Orlando – Ma biographie politique de Paul B. Preciado à Emilia Perez de Jacques Audiard, l'année cinématographique aura été plus trans que jamais. Un effet de mode ou juste un début? Avec le coming out d'Ellen Page, le petite actrice canadienne adoptée par Hollywood dans les années 2000 (Hard Candy, Juno, Bliss, X-Men, Inception, Free Love, etc.), on passe un nouveau cap. Disparue des radars depuis le catastrophique Flatliners de 2017, la/le voici qui ressurgit comme Elliot Page, au terme d'une transition déjà largement rendue publique par la publication de mémoires intitulées Pageboy. Et le film choisi pour entériner cette transition est... un drame de la transidentité. Bref, un geste hautement politique.
Désormais, un site comme I'Internet Movie Data Base (imbd.com) ne s'autorise même plus à offrir de renvoi à partir du nom d'Ellen Page! Par contre, le film en question, Close to You de Dominic Savage, un ciné-téléaste britannique de 60 ans, a bien peu de chances de rester dans les mémoires. Au contraire du pamphlet bien senti de Preciado ou du film grand public et spectaculaire d'Audiard, ceci n'est en effet qu'un petit drame intimiste de plus. Plus grave, aussi maladroit et problématique qu'il est sincère et par moments émouvant. Bref, à part les festivals de la communauté LGBTQI+, personne ne s'est rué dessus depuis sa première à Toronto en 2023, la Suisse faisant partie des rares pays à l'avoir pris en distribution.
Tout le poids du monde
Suggérée par Page lui-même, l'histoire est simple. Son personnage, Sam, n'est pas retourné chez lui depuis sa transition. Après quatre ans passés à Toronto, il entreprend donc ce voyage redouté de retour à Cobourg – bourgade située à 100km à l'Est sur le lac Ontario – pour l'anniversaire de son père. Par chance, il rencontre dans le train Katherine, une amie proche du temps du lycée. Mais celle-ci, trop troublée, préfère couper court une fois arrivés. En famille, Sam est accueilli tel le fils prodigue et tout se passe mieux que prévu jusqu'à ce que l'hostilité de l'ami d'une de ses sœurs le fasse sortir de ses gonds. Avant de repartir, Sam souhaite toutefois retrouver Katherine pour s'expliquer...
Dès les premiers plans sur Sam au réveil, dans sa chambre à Toronto, il s'agit d'exposer à la fois sa transformation et sa solitude. A 36 ans, Elliot Page est un jeune homme fin et musclé dont seuls les pectoraux cicatrisés portent la trace de ce qu'il fut. Par contre, en ce jour J, Sam semble porter tout le poids du monde sur ses épaules. Et ce n'est pas sa mine si triste dans le train qui changera cette impression. Puis son regard se concentre sur une femme blonde plongée dans un livre et s'éclaire un peu. Il faudra quelque temps pour identifier tout le sens de cette rencontre: le souvenir d'un amour de jeunesse entre filles, resté non déclaré. Mais Katherine est mariée et a deux enfants, et si son mari n'est pas là qui l'attend comme prévu à la gare, il ne tarde pas à rappliquer en voiture, genre barbu sexy et sympa. Fin de parenthèse?
En fait, ce seront les retrouvailles en famille, la parenthèse. Une fois rentré à la maison, surprise, tout le monde se montre aimant, dans l'acceptation et le soulagement sinon forcément une totale compréhension. Le réalisateur enchaîne les tête-à-tête avec une sœur, la mère et le père, et on se dit que Sam a vraiment beaucoup de chance! Plus que nous autres, qui devons subir ces scènes banales, faiblement dialoguées avec cet accent d'Amérique profonde qui écorche les oreilles... Seul le nouvel ami de l'autre sœur se montre désagréable. Lorsqu'il se lance sur l'idée qu'il est pesant de devoir faire attention au moindre écart de langage à cause de Sam, ce dernier l'engueule vertement et s'en va, puisque c'est comme ça. Tant pis pour l'anniversaire de son père, tant pis pour la joie de sa mère!
Transphobie avérée ou susceptibilité exacerbée
C'est au plus tard à ce moment que le public du film se divisera. Soit on est en empathie totale avec le personnage et la maladresse du «beauf» est à prendre comme de la transphobie intolérable; soit on se dit que la susceptibilité de Sam donne plutôt raison à l'autre: vu son statut de fils prodigue, tout tourne autour de lui, de son bien-être ou mal-être. En fait, le scénario permettra de rationnaliser ce brusque départ par le désir de retrouver Katherine – déjà revue une fois dans la journée et moins fermée. La famille, après tout, c'est le passé. Cette amie retrouvée pourrait être le futur, la chance d'une vie meilleure, enfin plus seul. Sam a donc saisi le premier prétexe pour se tirer de là, et ce qui advient lui donne en partie raison: Katherine finira par venir le rejoindre dans sa chambe de colocation à Toronto. Un amour partagé, porteur d'avenir ou non, peu importe et inutile de le dévoiler ici: traitée avec pudeur et sensibilité, leur intimité est belle et émouvante.
Mais même ici, une gêne s'installe. Tôt ou tard, on aura en effet remarqué que la voix de Katherine n'est pas agréable. Puis on comprend via sa collègue serveuse dans un bar qu'elle connaît la langue des signes, sans doute pour avoir elle-même été sourde, un soupçon bientôt confirmé au lit (recherches faites, l'actrice américaine qui l'incarne, Hillary Baack, est effectivement sourde). Pourtant, pas une fois, il n'a été question de cela durant leurs retrouvailles! C'est comme si les problèmes des autres, leur sensibilité, ne concernaient pas Sam. Le fait d'avoir été si longtemps mal dans sa peau et incompris justifierait-il donc le fait d'être si autocentré?
Elliot Page dans l'ombre de Xavier Dolan
La maladresse du film, conçu à partir d'improvisations – marque de fabrique du réalisateur à la TV anglaise, paraît-il – ne s'arrête pas là. Plusieurs séquences s'emboîtent fort mal, une bonne continuité n'étant même pas respectée (pluie, neige et sols secs se succédant de manière aberrante). Bref, tout ceci ne saurait juste être imputé à un(e) script(e) défaillant(e)! Dominic Savage n'est certes pas Mike Leigh, le roi de ce style semi-improvisé, et encore moins Xavier Dolan. De fait, pour les plus cinéphiles, l'erreur fatale des auteurs aura été de marcher sur les traces de Laurence Anyways (une histoire d'amour trans) et Juste la fin du monde (un impossible retour dans le giron familial). Deux films si incandescents qu'ils ne laissent que terre brûlée derrière eux.
A l'évidence trop peu pensé et travaillé, Close to You ne convaincra donc guère que les convaincus de la cause. C'est souvent l'ornière du cinéma LGBTIQ+ que de s'enfermer dans des scénarios victimaires joués d'avance, qui empêchent les films de se déployer dans une complexité plus large. Certes, on ne peut guère courir tous les lièvres à la fois, mais il s'agit plutôt là d'une question de style, de suggestion, de poétique. Ici, même la fin douce-amère, purement sentimentale, n'invite pas à penser plus loin ces questions de transidentité et de «wokisme». Quant à Elliot Page, son exemple comptera. Mais s'il pose ici les bases d'une nouvelle carrière, il y a peu de chances que celle-ci soit du même calibre que la première, et pas seulement pour une question de supposée transphobie de l'industrie. Qu'on le veuille ou non, le cinéma reste une affaire de désir et il faut être capable de le susciter, à commencer par la qualité supérieure des films dans lesquels on s'engage.
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En déjouant toutes les attentes après son brillant «Joker» de 2019, Lion d'Or surprise à Venise, Todd Phillips a frappé fort. Jamais sans doute film hollywoodien n'était allé aussi loin dans la déconstruction du romantisme et du divertissement. Suicidaire ou salutaire?', 'subtitle_edition' => 'Film d'une noirceur radicale, «Joker – Folie à deux» anime les conversations cinéphiles depuis sa sortie. En déjouant toutes les attentes après son brillant «Joker» de 2019, Lion d'Or surprise à Venise, Todd Phillips a frappé fort. Jamais sans doute film hollywoodien n'était allé aussi loin dans la déconstruction du romantisme et du divertissement. Suicidaire ou salutaire?', 'content' => '<p>Pour tous les habitués – fans ou contempteurs – de films tirés de bandes dessinées américaines, <i>Joker</i> fut une claque. 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Lorsque surviennent coup sur coup deux événements inouïs, un retournement interne suivi d'un coup de théâtre externe, cette interrogation devient encore plus claire. Voulons-nous le chaos ou un semblant d'ordre, sommes-nous pour l'irresponsabilité ou pour un rappel aux actes commis?</p> <p>Les déçus affirment qu'il ne se passe quasiment rien dans ce film, qu'il n'est même pas cohérent avec son projet initial de «récit des origines». Pour ce qui est de l'action, on dira au contraire: quelle belle idée que ces personnages ramenés à une dimension réaliste, tellement plus intéressante que ces exploits répétitifs à base d'effets spéciaux. Après les images choc de la prise d'assaut du Capitole en 2021, ce retour de sobriété introspective était la meilleure chose à faire. 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C'était les années du déferlement érotico-porno dans les cinémas et ce film «soft» tourné par un photographe publicitaire (Just Jaeckin), qui raconte l'émancipation sexuelle de la jeune épouse d'un diplomate libertin, y aura largement contribué. Une salle parisienne le gardera plus de dix ans à l'affiche sans interruption! Un demi-siécle plus tard, on n'en est plus là. <i>Emmanuelle</i> 2024 est l'œuvre d'Audrey Diwan, une cinéaste qui prétend affranchir la sexualité féminine du regard masculin, au risque de signer un film bien peu titillant. A l'heure du grand supermarché pornographique sur Internet, son attrait ne saurait de tout façon plus être le même. </p> <p>Lion d'Or mérité à Venise il y a trois ans avec <i>L'Evénement,</i> d'après Annie Ernaux, Diwan n'a cette année même pas été invitée hors compétition à la Mostra. Une claque. Finalement, <i>Emmanuelle</i> a atterri en ouverture du moins prestigieux Festival de San Sebastian. 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Elle apprend aussi que sa mission est de trouver un prétexte pour permettre au groupe de sacquer la directrice Margot (Naomi Watts), tenue pour responsable de la dégradation de l'hôtel par une agence de notation. La seule piste semble être la présence tolérée bien qu'en principe interdite d'escort girls, dont la Chinoise Zelda, qu'Emmanuelle surprend avec un certain trouble en train «d'exercer» au fond du jardin. Quel lien entre ces trois relations qui s'esquissent au cours d'un séjour par ailleurs ponctué par une tempête tropicale?</p> <p>Plus insidieux, le discours à base d'insatisfaction, de pouvoir et de risques tranche déjà avec les théories ronflantes sur le plaisir de l'original. La mise en scène est aussi plutôt séduisante, avec sa belle photo écran large et sans moments trop languissants. 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Stylistiquement, Audrey Diwan essaie bien de se la jouer Wong Kar-wai <i>(Chunking Express, In the Mood for Love), </i>elle n'arrive qu'à une vague approximation, pour conclure que la ville reprise en main par le pouvoir chinois... n'en présente plus guère.</p> <h3>L'orgasme ou l'amour?</h3> <p>Pour finir – ne lisez pas si vous souhaitez préserver un minimum de suspense –, Kei se laissera rattraper mais se révèlera... asexuel. Plus de désir, nada! Il faudra l'intermédiaire d'un beau gigolo pour amener enfin Emmanuelle jusqu'à l'orgasme, sous le regard de son homme inaccessible dans une scène savamment chorégraphiée. D'accord, c'est mieux que le viol plus ou moins consenti du film original. Et sûrement plus malin que toutes les suites navrantes et autres <i>Nuances de Grey</i> apparues depuis. 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La rétrospective «La dame à la torche» du festival de Locarno a tenté l'impossible: réconcilier ces deux approches antagonistes. Grâce à son jeune curateur Ehsan Khoshbackht, un Iranien établi à Londres et arrivé après ces querelles, le pari aura été largement remporté, en proposant une quarantaine de titres choisis, dûment mis en perspective par des introductions ainsi qu'un excellent ouvrage composé de textes inédits. Le tout dans l'esprit qui préside au festival «Il cinema ritrovato» de Bologne, consacré au cinéma de patrimoine et dont Khoshbackht est l'un des programmateurs. Bref, on a beaucoup apprécié ce qui ne s'annonçait pourtant pas sous les meilleurs auspices: une rétrospective de circonstance dont l'ensemble des copies, neuves mais sans sous-titres, venaient directement des archives Sony-Columbia en Californie.</p> <p>La période explorée était celle correspondant au règne du fameux Harry Cohn (1891-1958), fondateur et «dictateur» de Columbia Pictures pendant que son frère Jack dirigeait le côté financier des opérations à New York. Vulgaire et brutal selon tous les témoignages, Cohn était aussi un homme d'affaires avisé en quête de respectabilité, qui parvint en trois décennies à hisser sa petite compagnie au rang de major hollywoodienne, tutoyant les bien nées Paramount, MGM, Warner ou 20th Century Fox. Sa tactique? Trois quarts de séries B contre un quart de séries A, pas de chaîne de salles propre, des contrats de plus courte durée et non exclusifs permettant d'employer également du personnel emprunté aux concurrents. Et dès les années 1950, une collaboration soutenue avec des indépendants, sur le modèle de United Artists. Sur les quelques 1'600 longs-métrages (plus autant de courts) produits et distribués durant la période, 40 sélectionnés peuvent sembler ne pas peser bien lourd. Pourtant, jusqu'aux quelques titres délibérément mineurs, l'aperçu aura été représentatif.</p> <p>Premier constat: la critique auteuriste a plutôt bien fait son boulot en extrayant du lot les meilleurs films. Jamais en effet le génie de <i>Mr. Deeds Goes to Town</i> (Frank Capra), <i>The Lady from Shanghaï</i> (Orson Welles) ou <i>The Big Heat</i> (Fritz Lang) ne sera apparu aussi éclatant que dans ce contexte. Mais on n'est pas ici pour vanter une fois de plus des chefs-d'œuvre archi-connus. Car d'autres films projetés méritaient encore plus le détour. 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