Culture / Quentin Dupieux, la consécration
A tout juste 50 ans, le phénomène du cinéma français s'est vu invité à présenter «Le Deuxième acte» en ouverture du Festival de Cannes. Quelques mois seulement après la sortie de son «Daaaaaali!», dévoilé quant à lui à Venise, une nouvelle preuve d'un gain de notoriété amplement mérité. Car ce (méta)film est à nouveau brillant, avec ses stars qui n'hésitent pas à jouer la carte de l'autodérison.
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Derrière la bonne blague, on y trouvera en effet l'exposé le plus malin qui soit de l'état présent et même de l'avenir du 7ème art.</p> <h3><em>Vanitas vanitatis</em></h3> <p>Malgré le succès public au goût d'inachevé de <i>Yannick</i> l'an dernier et la présence à nouveau de l'impayable Raphaël Quenard, <i>Le Deuxième acte</i> n'a rien d'une suite de cette mise en abyme théâtrale. La brillante bande-annonce, dans laquelle les cinq comédiens se disputent la vedette du film au nom de leur personnage, annonce bien la couleur: il sera avant tout question de rôles, d'acteurs et de cinéma. Mais pas si vite, car tout commence avec un inconnu stressé (Manuel Guillot, solide barbu jusqu'ici cantonné aux utilités) qui vient ouvrir un restaurant isolé en rase campagne (c'est tourné en Dordogne). 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C'était les années du déferlement érotico-porno dans les cinémas et ce film «soft» tourné par un photographe publicitaire (Just Jaeckin), qui raconte l'émancipation sexuelle de la jeune épouse d'un diplomate libertin, y aura largement contribué. Une salle parisienne le gardera plus de dix ans à l'affiche sans interruption! Un demi-siécle plus tard, on n'en est plus là. <i>Emmanuelle</i> 2024 est l'œuvre d'Audrey Diwan, une cinéaste qui prétend affranchir la sexualité féminine du regard masculin, au risque de signer un film bien peu titillant. A l'heure du grand supermarché pornographique sur Internet, son attrait ne saurait de tout façon plus être le même. </p> <p>Lion d'Or mérité à Venise il y a trois ans avec <i>L'Evénement,</i> d'après Annie Ernaux, Diwan n'a cette année même pas été invitée hors compétition à la Mostra. Une claque. Finalement, <i>Emmanuelle</i> a atterri en ouverture du moins prestigieux Festival de San Sebastian. Chez nous, son distributeur alémanique (Ascot Elite, héritiers de l'empire du pornographe Erwin C. Dietrich) n'a pas jugé bon d'y convier la presse. Alors, ratage sans appel, ou plutôt source d'inévitables malentendus que ce remake? S'il y avait certainement mieux à faire, la tentative reste intrigante, pour peu qu'on ait une indulgence pour ce genre décrié entre tous qu'est le cinéma érotique.</p> <h3>Froideur contre moiteurs</h3> <p>J'avouerai pour ma part une certaine nostalgie coupable, étant encore passé par là dans ma jeunesse. Sylvia Kristel a laissé d'agréables impressions dans mon esprit tandis que les mélodies de Pierre Bachelet trottent encore facilement dans ma tête. Par contre, «l'éducation» d'Emmanuelle par le vieux pervers sentencieux joué par Alain Cuny m'avait déjà paru d'un glauque et d'un ridicule achevés. Comment une jeune femme pouvait-elle se soumettre à ça? Je ne savais pas qu'au départ, il y avait un roman anonyme (1959) plus tard réédité sous le nom de plume d'Emmanuelle Arsan, en fait écrit par le couple Louis-Jacques et Marayat Rollet-Andriane: un diplomate fançais et sa jeune épouse thaïlandaise (libre ou sous emprise?), qui n'avaient d'ailleurs guère goûté le film...</p> <p>La nouvelle <i>Emmanuelle</i> imaginée par Audrey Diwan et sa co-scénariste Rebecca Zlotowski <i>(Grand central, Les Enfants des autres)</i> fait table rase de presque tout cela. Leur héroïne n'est plus une jeune femme oisive et soumise à son mari mais une trentenaire «indépendante», apparemment libre d'attaches, qui travaille comme contrôleuse de qualité pour une chaîne d'hôtels de luxe. Et c'est dans une tour moderne de Hong Kong et non plus dans les villas et jardins de Bangkok que se joue l'essentiel de sa quête de la jouissance sexuelle. Une quête à laquelle les autrices ont donné un tout autre sens, puisque leur Emmanuelle est clairement frigide!</p> <h3>Tempêtes maîtrisées dans un hôtel</h3> <p>Tout commence par un clin d'œil à la fameuse scène de sexe en avion de l'original. Ici, Emmanuelle (Noémie Merlant), reluquée par un homme assis en retrait de l'autre côté du couloir, se lève soudain pour aller aux toilettes où elle offre bientôt sa croupe à cet homme qui l'y a rejoint. Mais son visage ne manifeste pas le moindre plaisir. Au moment de regagner sa place, elle remarque par contre un bel Asiatique qui a observé leur petit manège. Cet homme-mystère va devenir l'autre personnage clé du film, dès lors qu'Emmanuelle le retrouve comme client au Rosefield Palace qu'elle doit évaluer.</p> <p>Auparavant, elle s'est encore livrée à une partie de jambes en l'air avec un couple rencontré au bar, sans plus de plaisir à la clé. Elle apprend aussi que sa mission est de trouver un prétexte pour permettre au groupe de sacquer la directrice Margot (Naomi Watts), tenue pour responsable de la dégradation de l'hôtel par une agence de notation. La seule piste semble être la présence tolérée bien qu'en principe interdite d'escort girls, dont la Chinoise Zelda, qu'Emmanuelle surprend avec un certain trouble en train «d'exercer» au fond du jardin. Quel lien entre ces trois relations qui s'esquissent au cours d'un séjour par ailleurs ponctué par une tempête tropicale?</p> <p>Plus insidieux, le discours à base d'insatisfaction, de pouvoir et de risques tranche déjà avec les théories ronflantes sur le plaisir de l'original. La mise en scène est aussi plutôt séduisante, avec sa belle photo écran large et sans moments trop languissants. Hélas, tout se gâte avec les dialogues, en anglais et rarement crédibles, le pire étant assurément les scènes avec le mystérieux Kei Shinohora (l'Anglo-Japonais Will Sharpe), en fait un ingénieur spécialisé dans l'expertise des barrages qui ne dort même pas dans la chambre que lui paient ses employeurs. Après lui avoir détaillé par le menu ce qui s'est passé dans les toilettes de l'avion, Emmanuelle pense être parvenue à le séduire. Mais il se défile et finira par l'inviter à sortir plutôt de son univers aseptisé.</p> <h3>De l'impensé au non réalisé</h3> <p>Il y aussi le facteur Merlant, une actrice respectée qui n'a jamais refusé de se dévêtir si le rôle en valait la peine <i>(Portrait de la jeune fille en feu, Les Olympiades).</i> Ici, elle campe sans peine un véritable glaçon, qui souffre de sa réussite et son contrôle de soi. Pour mettre les points sur les i, l'une des principales scènes érotiques n'est-elle pas une masturbation avec... des glaçons? Une certaine dureté du visage et une plastique presque trop parfaite ne suscitent aucun trouble, ce qui va à l'encontre du genre. C'est seulement dans son regard sur Zelda en train de s'abandonner au plaisir qu'une fêlure apparaît. Et ce n'est qu'une fois résolu son dilemme professionnel et sortie de sa zone de confort que son Emmanuelle aura une chance d'atteindre son but.</p> <p>L'ennui, c'est qu'on s'en fiche de plus en plus. Et cela, les autrices ne l'ont sûrement pas calculé. Leur écrin luxueux ne vaut guère mieux que l'imaginaire exotico-colonial de l'original, l'argent (invisibilisé) restant un grand impensé. A peine effleuré, le conflit professionnel supposé devenir éthique et existentiel n'imprime pas plus et finit par se dissoudre dans un vague embryon de sororité. Reste la quête de l'irrésistible homme-mystère, finalement suivi dans une Hong Kong «de tous les dangers». Las! Stylistiquement, Audrey Diwan essaie bien de se la jouer Wong Kar-wai <i>(Chunking Express, In the Mood for Love), </i>elle n'arrive qu'à une vague approximation, pour conclure que la ville reprise en main par le pouvoir chinois... n'en présente plus guère.</p> <h3>L'orgasme ou l'amour?</h3> <p>Pour finir – ne lisez pas si vous souhaitez préserver un minimum de suspense –, Kei se laissera rattraper mais se révèlera... asexuel. Plus de désir, nada! Il faudra l'intermédiaire d'un beau gigolo pour amener enfin Emmanuelle jusqu'à l'orgasme, sous le regard de son homme inaccessible dans une scène savamment chorégraphiée. D'accord, c'est mieux que le viol plus ou moins consenti du film original. Et sûrement plus malin que toutes les suites navrantes et autres <i>Nuances de Grey</i> apparues depuis. 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La rétrospective «La dame à la torche» du festival de Locarno a tenté l'impossible: réconcilier ces deux approches antagonistes. Grâce à son jeune curateur Ehsan Khoshbackht, un Iranien établi à Londres et arrivé après ces querelles, le pari aura été largement remporté, en proposant une quarantaine de titres choisis, dûment mis en perspective par des introductions ainsi qu'un excellent ouvrage composé de textes inédits. Le tout dans l'esprit qui préside au festival «Il cinema ritrovato» de Bologne, consacré au cinéma de patrimoine et dont Khoshbackht est l'un des programmateurs. Bref, on a beaucoup apprécié ce qui ne s'annonçait pourtant pas sous les meilleurs auspices: une rétrospective de circonstance dont l'ensemble des copies, neuves mais sans sous-titres, venaient directement des archives Sony-Columbia en Californie.</p> <p>La période explorée était celle correspondant au règne du fameux Harry Cohn (1891-1958), fondateur et «dictateur» de Columbia Pictures pendant que son frère Jack dirigeait le côté financier des opérations à New York. Vulgaire et brutal selon tous les témoignages, Cohn était aussi un homme d'affaires avisé en quête de respectabilité, qui parvint en trois décennies à hisser sa petite compagnie au rang de major hollywoodienne, tutoyant les bien nées Paramount, MGM, Warner ou 20th Century Fox. Sa tactique? Trois quarts de séries B contre un quart de séries A, pas de chaîne de salles propre, des contrats de plus courte durée et non exclusifs permettant d'employer également du personnel emprunté aux concurrents. Et dès les années 1950, une collaboration soutenue avec des indépendants, sur le modèle de United Artists. Sur les quelques 1'600 longs-métrages (plus autant de courts) produits et distribués durant la période, 40 sélectionnés peuvent sembler ne pas peser bien lourd. Pourtant, jusqu'aux quelques titres délibérément mineurs, l'aperçu aura été représentatif.</p> <p>Premier constat: la critique auteuriste a plutôt bien fait son boulot en extrayant du lot les meilleurs films. Jamais en effet le génie de <i>Mr. Deeds Goes to Town</i> (Frank Capra), <i>The Lady from Shanghaï</i> (Orson Welles) ou <i>The Big Heat</i> (Fritz Lang) ne sera apparu aussi éclatant que dans ce contexte. Mais on n'est pas ici pour vanter une fois de plus des chefs-d'œuvre archi-connus. Car d'autres films projetés méritaient encore plus le détour. Par quelle malchance des merveilles telles que <i>Picnic</i> (Joshua Logan), <i>My Sister Eileen </i>(Richard Quine) ou <i>Gunman's Walk</i> (Phil Karlson), trois films des années 1950 en CinemaScope couleurs, ont-elles par exemple pu tomber dans l'oubli au point de ne plus jamais être programmées?</p> <h3>Spendeurs en Scope</h3> <p>Vanté en son temps par le jeune FrançoisTruffaut, <i>Picnic</i> (1955) sera apparu comme une sorte de chaînon manquant essentiel. Il s'agit de l'adaptation d'une pièce à succès de William Inge (plus connu pour <i>La Fièvre dans le sang</i> d'Elia Kazan), «ouverte» avec un dynamisme épatant par Logan, pourtant homme de théâtre avant tout. William Holden y campe un «raté» qui débarque un jour en train dans une bourgade du Midwest pour demander un travail à un ancien ami d'études, fils d'industriel. 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Mais malgré un certain schématisme, l'intelligence et le talent qu'ils déploient leur a permis de passer haut la main l'épreuve du temps. Le premier imagine un tribunal à venir devant lequel le dirigeant nazi d'une région polonaise doit rendre compte de ses crimes contre l'humanité tandis que le second adapte le fameux roman épistolaire de Kathrine Kressmann Taylor, histoire d'une amitié qui se délite entre un marchand d'art juif de Californie et son associé allemand. 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Que s'est-il donc passé? Dans un tel cas, il faut toujours commencer par soupçonner sa propre réception, un coup de mou ou un manque d'acuité intellectuelle. Mais un tour des critiques tombées lors de la présentation du film au Festival de Berlin puis à sa sortie française, y compris les plus favorables, a tôt fait de confirmer l'impression d'un film follement ambitieux mais pas vraiment réussi. Soyons clair, <i>L'Empire</i> vaut absolument le coup d'œil. Mais sans en attendre forcément un nouveau Messie, même lorsque l'auteur de <i>La Vie de Jésus</i> (1997) accouche d'une <i>Malédiction + La Guerre des étoiles</i> transposées sur sa chère Côte d'Opale.</p> <p>Peut-être convient-il de rappeler la trajectoire de ce natif de Bailleul dans le département du Nord, qui a débuté comme prof de philosophie doublé d'un cinéaste du dimanche. 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Par contre, il suffit d'avoir vu un seul autre film de Dumont pour sentir venir à l'avance l'inévitable scène de «baise sauvage» entre l'émissaire du Mal et celle du Bien (qui s'attirent par principe, c'est à prendre ou à laisser). Bref, on oscille constamment entre une admiration pour l'audace du concept et une déception face au résultat.</p> <p>Tout se conclut logiquement en un grand affrontement entre deux armées de vaisseaux spatiaux et des visions d'Apocalypse dans lesquelles le Bien et le Mal s'annulent, sans doute pour laisser l'humanité prisonnière de sa complexité constitutive. Rien à redire à ça. Mais s'il y a quelque chose de satisfaisant à voir Bruno Dumont, 65 ans, ainsi damer le pion à Luc Besson, il faut aussi reconnaître que tout ce fatras n'aura guère été plus passionnant que <i>Le Cinquième élément</i> ou <i>Valérian!</i> Même subverti, libéré de son absolutisme moral et religieux, le manichéisme reste de peu d'intérêt pour le déroulement d'un récit. 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L'apparition tardive de cet auteur incontestable en sélection officielle cannoise avec Le Deuxième acte est évidemment paradoxale. Pour cela, il aura fallu que des acteurs de plus en plus renommés s'aperçoivent de son existence et du plaisir qu'il y a à jouer ses partitions délirantes, même en renonçant pour cela à leurs cachets usuels. Après Alain Chabat, Benoît Poelvoorde ou Jean Dujardin, et côté féminin, Anaïs Demoustier, Adèle Haenel ou Adèle Exarchopoulos, ce sont cette fois des «pointures» telles que Louis Garrel, Vincent Lindon et Léa Seydoux qui pointent au générique – soit autant d'habitués des montées des marches cannoises. CQFD? Reste que le film lui-même est du Dupieux pur jus (aussi surréaliste que platement filmé, avec précision) et même du meilleur cru (aussi hilarant que réfléchi, voire profond). Derrière la bonne blague, on y trouvera en effet l'exposé le plus malin qui soit de l'état présent et même de l'avenir du 7ème art.
Vanitas vanitatis
Malgré le succès public au goût d'inachevé de Yannick l'an dernier et la présence à nouveau de l'impayable Raphaël Quenard, Le Deuxième acte n'a rien d'une suite de cette mise en abyme théâtrale. La brillante bande-annonce, dans laquelle les cinq comédiens se disputent la vedette du film au nom de leur personnage, annonce bien la couleur: il sera avant tout question de rôles, d'acteurs et de cinéma. Mais pas si vite, car tout commence avec un inconnu stressé (Manuel Guillot, solide barbu jusqu'ici cantonné aux utilités) qui vient ouvrir un restaurant isolé en rase campagne (c'est tourné en Dordogne). Viennent ensuite David (Garrel) et Willy (Quenard), deux amis qui discutent en marchant de la proposition du premier au second de le débarrasser de Florence, une fille amoureuse qu'il ressent comme un boulet. Or, de son côté, celle-ci (Seydoux) arrive à leur rendez-vous en compagnie de son père (Lindon), dans l'idée de lui présenter son «fiancé»...
Et c'est parti pour une petite comédie intimiste à la française, ou alors nettement mieux, un conte moral dans la lignée d'Eric Rohmer? Ni l'un ni l'autre, bien sûr! Car avant que tout le monde ne se retrouve au dit restaurant, chacun a déjà «dérapé», sortant de son rôle pour révéler l'acteur en plein tournage. En plan-séquence ininterrompu, même filmé sans la moindre attention à la lumière, l'exercice tient de la haute voltige. Dupieux s'y joue du politiquement correct post-#MeToo autant que de l'ego supposément démesuré de ses stars en regard des problèmes de la planète. Dans le rôle du fou imprévisible, Quenard met les pieds dans le plat en dévoilant la bisexualité de Garrel tandis que Lindon exulte en recevant «en direct» une proposition de Paul Thomas Anderson!
Dès qu'ils se retrouvent tous à table, le feu d'artifice continue en présence de Stéphane (Guillot), ce patron-figurant confronté à son premier rôle d'importance et dès lors incapable... de verser son vin sans trembler! Embarras surréaliste. Bientôt, le vieux briscard Lindon prend Quenard en grippe et ce dernier n'arrange pas les choses en tentant de séduire Seydoux aux WC, pendant que Garrel tente de calmer le jeu – le tout en essayant régulièrement de revenir à leur texte, sans même parler des réactions de quidams médusés. Et Dupieux d'en rajouter encore une couche en révélant cet improbable tournage dirigé par... une intelligence artificielle: une première qui risque de bientôt changer la donne!
La liberté de l'intelligence
Inutile d'en raconter plus. A sa manière typiquement low tech et discursive, Le Deuxième acte (c'est le nom du restaurant) s'avère à nouveau brillant. En tirant cette fois parti de la célébrité de ses comédiens, Quentin Dupieux dit toutes les vanités d'un cinéma qui commence à se sentir dépassé dans un monde menacé par le chaos. Ce n'est pas vraiment politique (à la différence des films du tandem Delépine et Kervern) et, pour l'essentiel basé sur le dialogue, ce n'est pas hautement visuel (au contraire de ceux de Michel Gondry). Mais son anarcho-surréalisme fait mouche, qui démystifie l'argent comme l'ego, le progrès comme le succès, et le «wokisme» aussi bien que le suivisme. Des maux qui nous affectent tous.
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«Le Deuxième acte» de Quentin Dupieux (France, 2024), avec Louis Garrel, Vincent Lindon, Raphaël Quenard, Léa Seydoux, Manuel Guillot. 1h20
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C'était les années du déferlement érotico-porno dans les cinémas et ce film «soft» tourné par un photographe publicitaire (Just Jaeckin), qui raconte l'émancipation sexuelle de la jeune épouse d'un diplomate libertin, y aura largement contribué. Une salle parisienne le gardera plus de dix ans à l'affiche sans interruption! Un demi-siécle plus tard, on n'en est plus là. <i>Emmanuelle</i> 2024 est l'œuvre d'Audrey Diwan, une cinéaste qui prétend affranchir la sexualité féminine du regard masculin, au risque de signer un film bien peu titillant. A l'heure du grand supermarché pornographique sur Internet, son attrait ne saurait de tout façon plus être le même. </p> <p>Lion d'Or mérité à Venise il y a trois ans avec <i>L'Evénement,</i> d'après Annie Ernaux, Diwan n'a cette année même pas été invitée hors compétition à la Mostra. Une claque. Finalement, <i>Emmanuelle</i> a atterri en ouverture du moins prestigieux Festival de San Sebastian. Chez nous, son distributeur alémanique (Ascot Elite, héritiers de l'empire du pornographe Erwin C. Dietrich) n'a pas jugé bon d'y convier la presse. Alors, ratage sans appel, ou plutôt source d'inévitables malentendus que ce remake? S'il y avait certainement mieux à faire, la tentative reste intrigante, pour peu qu'on ait une indulgence pour ce genre décrié entre tous qu'est le cinéma érotique.</p> <h3>Froideur contre moiteurs</h3> <p>J'avouerai pour ma part une certaine nostalgie coupable, étant encore passé par là dans ma jeunesse. Sylvia Kristel a laissé d'agréables impressions dans mon esprit tandis que les mélodies de Pierre Bachelet trottent encore facilement dans ma tête. Par contre, «l'éducation» d'Emmanuelle par le vieux pervers sentencieux joué par Alain Cuny m'avait déjà paru d'un glauque et d'un ridicule achevés. Comment une jeune femme pouvait-elle se soumettre à ça? Je ne savais pas qu'au départ, il y avait un roman anonyme (1959) plus tard réédité sous le nom de plume d'Emmanuelle Arsan, en fait écrit par le couple Louis-Jacques et Marayat Rollet-Andriane: un diplomate fançais et sa jeune épouse thaïlandaise (libre ou sous emprise?), qui n'avaient d'ailleurs guère goûté le film...</p> <p>La nouvelle <i>Emmanuelle</i> imaginée par Audrey Diwan et sa co-scénariste Rebecca Zlotowski <i>(Grand central, Les Enfants des autres)</i> fait table rase de presque tout cela. Leur héroïne n'est plus une jeune femme oisive et soumise à son mari mais une trentenaire «indépendante», apparemment libre d'attaches, qui travaille comme contrôleuse de qualité pour une chaîne d'hôtels de luxe. Et c'est dans une tour moderne de Hong Kong et non plus dans les villas et jardins de Bangkok que se joue l'essentiel de sa quête de la jouissance sexuelle. 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Hélas, tout se gâte avec les dialogues, en anglais et rarement crédibles, le pire étant assurément les scènes avec le mystérieux Kei Shinohora (l'Anglo-Japonais Will Sharpe), en fait un ingénieur spécialisé dans l'expertise des barrages qui ne dort même pas dans la chambre que lui paient ses employeurs. Après lui avoir détaillé par le menu ce qui s'est passé dans les toilettes de l'avion, Emmanuelle pense être parvenue à le séduire. Mais il se défile et finira par l'inviter à sortir plutôt de son univers aseptisé.</p> <h3>De l'impensé au non réalisé</h3> <p>Il y aussi le facteur Merlant, une actrice respectée qui n'a jamais refusé de se dévêtir si le rôle en valait la peine <i>(Portrait de la jeune fille en feu, Les Olympiades).</i> Ici, elle campe sans peine un véritable glaçon, qui souffre de sa réussite et son contrôle de soi. Pour mettre les points sur les i, l'une des principales scènes érotiques n'est-elle pas une masturbation avec... des glaçons? Une certaine dureté du visage et une plastique presque trop parfaite ne suscitent aucun trouble, ce qui va à l'encontre du genre. C'est seulement dans son regard sur Zelda en train de s'abandonner au plaisir qu'une fêlure apparaît. Et ce n'est qu'une fois résolu son dilemme professionnel et sortie de sa zone de confort que son Emmanuelle aura une chance d'atteindre son but.</p> <p>L'ennui, c'est qu'on s'en fiche de plus en plus. Et cela, les autrices ne l'ont sûrement pas calculé. Leur écrin luxueux ne vaut guère mieux que l'imaginaire exotico-colonial de l'original, l'argent (invisibilisé) restant un grand impensé. A peine effleuré, le conflit professionnel supposé devenir éthique et existentiel n'imprime pas plus et finit par se dissoudre dans un vague embryon de sororité. Reste la quête de l'irrésistible homme-mystère, finalement suivi dans une Hong Kong «de tous les dangers». Las! Stylistiquement, Audrey Diwan essaie bien de se la jouer Wong Kar-wai <i>(Chunking Express, In the Mood for Love), </i>elle n'arrive qu'à une vague approximation, pour conclure que la ville reprise en main par le pouvoir chinois... n'en présente plus guère.</p> <h3>L'orgasme ou l'amour?</h3> <p>Pour finir – ne lisez pas si vous souhaitez préserver un minimum de suspense –, Kei se laissera rattraper mais se révèlera... asexuel. Plus de désir, nada! Il faudra l'intermédiaire d'un beau gigolo pour amener enfin Emmanuelle jusqu'à l'orgasme, sous le regard de son homme inaccessible dans une scène savamment chorégraphiée. D'accord, c'est mieux que le viol plus ou moins consenti du film original. Et sûrement plus malin que toutes les suites navrantes et autres <i>Nuances de Grey</i> apparues depuis. 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La rétrospective «La dame à la torche» du festival de Locarno a tenté l'impossible: réconcilier ces deux approches antagonistes. Grâce à son jeune curateur Ehsan Khoshbackht, un Iranien établi à Londres et arrivé après ces querelles, le pari aura été largement remporté, en proposant une quarantaine de titres choisis, dûment mis en perspective par des introductions ainsi qu'un excellent ouvrage composé de textes inédits. Le tout dans l'esprit qui préside au festival «Il cinema ritrovato» de Bologne, consacré au cinéma de patrimoine et dont Khoshbackht est l'un des programmateurs. 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Et dès les années 1950, une collaboration soutenue avec des indépendants, sur le modèle de United Artists. Sur les quelques 1'600 longs-métrages (plus autant de courts) produits et distribués durant la période, 40 sélectionnés peuvent sembler ne pas peser bien lourd. Pourtant, jusqu'aux quelques titres délibérément mineurs, l'aperçu aura été représentatif.</p> <p>Premier constat: la critique auteuriste a plutôt bien fait son boulot en extrayant du lot les meilleurs films. Jamais en effet le génie de <i>Mr. Deeds Goes to Town</i> (Frank Capra), <i>The Lady from Shanghaï</i> (Orson Welles) ou <i>The Big Heat</i> (Fritz Lang) ne sera apparu aussi éclatant que dans ce contexte. Mais on n'est pas ici pour vanter une fois de plus des chefs-d'œuvre archi-connus. Car d'autres films projetés méritaient encore plus le détour. Par quelle malchance des merveilles telles que <i>Picnic</i> (Joshua Logan), <i>My Sister Eileen </i>(Richard Quine) ou <i>Gunman's Walk</i> (Phil Karlson), trois films des années 1950 en CinemaScope couleurs, ont-elles par exemple pu tomber dans l'oubli au point de ne plus jamais être programmées?</p> <h3>Spendeurs en Scope</h3> <p>Vanté en son temps par le jeune FrançoisTruffaut, <i>Picnic</i> (1955) sera apparu comme une sorte de chaînon manquant essentiel. Il s'agit de l'adaptation d'une pièce à succès de William Inge (plus connu pour <i>La Fièvre dans le sang</i> d'Elia Kazan), «ouverte» avec un dynamisme épatant par Logan, pourtant homme de théâtre avant tout. William Holden y campe un «raté» qui débarque un jour en train dans une bourgade du Midwest pour demander un travail à un ancien ami d'études, fils d'industriel. 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Quant à Phil Karlson, il signe là un modèle de «mise en scène invisible»: on a beau essayer d'y faire attention, on ne la remarque pas, tant elle est idéalement au service du récit.</p> <h3>Un cinéma qui alerte</h3> <p>En noir et blanc, d'autres films trop ignorés en Europe ont aussi fait impression. Projet de prestige adapté d'un best-seller de Robert Penn Warren, <i>All the King's Men</i> (Robert Rossen, 1949) retrace l'ascension et la chute d'un populiste (inspirés par le parcours du politicien de Louisiane Huey Long). Rossen, un auteur bientôt rattrapé par la maccarthysme, y expose un danger fasciste au sein même de la démocratie américaine, sujet qui a retrouvé toute sa pertinence en ces temps de trumpisme. La limite du film, même oscarisé, réside dans un surdécoupage qui trahit le «digest» et dans le personnage du narrateur-témoin, trop peu développé. Mais comment ne pas deviner ici le talent qui explosera avec l'immense <i>L'Arnaqueur</i> de 1960?</p> <p>Autre cinéaste identifié plus tard comme un auteur mais encore à son premier essai dans le bien nommé <i>The First Time</i> (1952), Frank Tashlin se penche sur l'arrivée d'un bébé chez un jeune couple. Ce qui peut paraître navrant de banalité se transforme pourtant bientôt en une satire cruelle de l'<i>American way of life</i>, avec son travail aliénant, sa séparation des tâches genrée, sa course à l'argent et son horizon pavillonnaire désespérément étriqué. Rare cinéaste venu du dessin animé, Tashlin commence là son travail de rénovation de la comédie qui aboutira sur une série de films mémorables avec Jayne Mansfield puis Jerry Lewis.</p> <p>Parfaitement dramatiques quant à eux, <i>Address Unknown</i> (William Cameron Menzies) et <i>None Shall Escape</i> (André De Toth), tous deux de 1944, sont des films de propagande anti-nazie. Mais malgré un certain schématisme, l'intelligence et le talent qu'ils déploient leur a permis de passer haut la main l'épreuve du temps. Le premier imagine un tribunal à venir devant lequel le dirigeant nazi d'une région polonaise doit rendre compte de ses crimes contre l'humanité tandis que le second adapte le fameux roman épistolaire de Kathrine Kressmann Taylor, histoire d'une amitié qui se délite entre un marchand d'art juif de Californie et son associé allemand. 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Que s'est-il donc passé? Dans un tel cas, il faut toujours commencer par soupçonner sa propre réception, un coup de mou ou un manque d'acuité intellectuelle. Mais un tour des critiques tombées lors de la présentation du film au Festival de Berlin puis à sa sortie française, y compris les plus favorables, a tôt fait de confirmer l'impression d'un film follement ambitieux mais pas vraiment réussi. Soyons clair, <i>L'Empire</i> vaut absolument le coup d'œil. Mais sans en attendre forcément un nouveau Messie, même lorsque l'auteur de <i>La Vie de Jésus</i> (1997) accouche d'une <i>Malédiction + La Guerre des étoiles</i> transposées sur sa chère Côte d'Opale.</p> <p>Peut-être convient-il de rappeler la trajectoire de ce natif de Bailleul dans le département du Nord, qui a débuté comme prof de philosophie doublé d'un cinéaste du dimanche. 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Par contre, il suffit d'avoir vu un seul autre film de Dumont pour sentir venir à l'avance l'inévitable scène de «baise sauvage» entre l'émissaire du Mal et celle du Bien (qui s'attirent par principe, c'est à prendre ou à laisser). Bref, on oscille constamment entre une admiration pour l'audace du concept et une déception face au résultat.</p> <p>Tout se conclut logiquement en un grand affrontement entre deux armées de vaisseaux spatiaux et des visions d'Apocalypse dans lesquelles le Bien et le Mal s'annulent, sans doute pour laisser l'humanité prisonnière de sa complexité constitutive. Rien à redire à ça. Mais s'il y a quelque chose de satisfaisant à voir Bruno Dumont, 65 ans, ainsi damer le pion à Luc Besson, il faut aussi reconnaître que tout ce fatras n'aura guère été plus passionnant que <i>Le Cinquième élément</i> ou <i>Valérian!</i> Même subverti, libéré de son absolutisme moral et religieux, le manichéisme reste de peu d'intérêt pour le déroulement d'un récit. Bref, l'ennui guette, comme déjà dans... nombre d'autres films de Bruno Dumont avant celui-ci.</p> <p>Eh oui! Le mythe de l'Auteur intouchable a souvent ses bons et ses mauvais côtés. Pour une telle entreprise, un vrai producteur (ou alors d'autres collaborateurs de confiance) qui sache dire au scénariste Dumont où retravailler ses dialogues et au monteur Dumont où resserrer les boulons n'aurait sans doute pas été de trop. 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1 Commentaire
@stef 28.07.2024 | 14h09
«Très bonne idée, la bande-annonce »