Culture / (Re)localisation au pays du Reblochon
© FILMCOOPI
Sur les écrans depuis une semaine, le documentaire français «La Ferme des Bertrand» nous rapproche d'un monde rural trop ignoré. Son grand atout est de travailler sur trois temps, retraçant ainsi cinquante ans d'évolutions dans une ferme d'élevage de Haute-Savoie où – surprise – tout ne va pas si mal. Rencontre avec ses auteurs, Gilles Perret et Marion Richoux.
Depuis un bon quart de siècle qu'il tourne, Gilles Perret a des valeurs bien ancrées, de l'endurance à revendre et de la suite dans les idées. C'est sans doute la clé de son succès, encore relativement rare dans le domaine du cinéma documentaire en France. Depuis son hameau de Quincy (commune de Mieussy) niché derrière le Môle, une montagne bien connue des habitants du bout du Léman, il mène une carrière unique en son genre, qui prouve qu'on peut traiter du global à partir du local. En témoignent une vingtaine de titres, dont une dizaine de longs-métrages de Ma Mondialisation (2006), sur l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve toute proche, à deux films récents avec le député Insoumis François Ruffin (J'veux du soleil! et Debout les femmes!).
Après un premier détour par la fiction tenté avec l'aide de sa compagne Marion Richoux, Reprise en main (ancré dans cette même réalité ouvrière, avec Pierre Deladonchamps et Laetitia Dosch), le voici qui revient au sujet de son premier film, Trois frères pour une vie (1999), portrait de paysans de son village. A l'époque, les trois frères restés célibataires étaient sur le point de transmettre leur exploitation laitière d’une centaine de bêtes à un neveu et son épouse. 25 ans plus tard, c'est cette dernière qui se prépare à la retraite, bientôt remplacée par des robots...
Riche idée que cette mise en regard entre hier et aujourd'hui, qui parle de pénibilité et de progrès, de sacrifices et de transmission, d'une vie de labeur comme on ne l'imagine plus guère. Simple et direct, mais réalisé dans une relation de proximité et de confiance rares, La Ferme des Bertrand n'en est que plus frappant, tout en abordant nombre de questions cruciales d'aujourd'hui. Entretien.
Le réalisateur Gilles Perret. © DR
Norbert Creutz: Félicitations, La Ferme des Bertrand est votre plus gros succès à ce jour en France et le premier film à décrocher une vraie distribution en Suisse, via Filmccoopi Zurich...
Gilles Perret: En effet, et c'est assez inespéré! Il faut dire que la crise agricole actuelle nous a donné un sacré coup de pouce, même si le film ne parle bien sûr pas directement de ça. Soudain, j'ai eu accès à des médias qui ne s'étaient jamais intéressés à mon travail jusqu'ici. Et le bouche-à-oreille a particulièrement bien fonctionné. En France, on approche les 250'000 spectateurs, alors que d'habitude, je me situe dans une fourchette entre 100'000 et 200'000. Et pour la Suisse, tout finit par arriver. En fait, même en restant très local, j'aspire toujours à une forme d'universalité. Et les retours dans les débats qu'on a pu faire entre Bulle, La Chaux-de-Fonds ou Morges prouvent que la réalité des paysans d'ici n'est pas si différente.
Vous-même n'êtes pas d'une famille paysanne, mais ouvrière. Pourtant, vous revenez ici sur des gens que vous aviez déjà filmés à vos débuts?
GP: A l'époque, c'était juste la réalité que j'avais sous les yeux: j'ai grandi à 80 mètres de cette ferme! Depuis tout petit je suis monté sur le tracteur des frères Bertrand et je dois avoir passé des centaines d'heures avec eux. J'avais donc profité de cette proximité pour essayer de réaliser un film qui leur corresponde vraiment, qui soit attentif à leurs gestes et à leur façon de s'exprimer, en montrant que ce sont des gens qui ont su se projeter dans l'avenir. Pour la nouvelle génération, que j'ai connue comme bébés, le regard s'est un peu inversé, puisque là, c'est moi l'aîné.
Marion Richoux: De mon côté, je suis d'Annecy. J'ai fait des études de cinéma et j'ai travaillé à la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain. Je connaissais ce premier film de Gilles, Trois frères pour une vie, dont la frontalité m'avait frappée mais qui n'avait presque pas eu de visibilité. Je me disais que c'était dommage et quand, après Reprise en main, on a cherché quel serait le projet suivant, j'ai proposé d'y revenir. C'était l'occasion de parler de tout ce qui avait changé depuis.
GP: En fait, tout est parti de Suisse, parce que ce premier film autoproduit a été primé au Festival du film alpin des Diablerets et de ce fait, acheté pour une version raccourcie par la TSR. C'est cet achat qui a lancé la machine...
On voit aussi dans le film une achive TV en noir et blanc avec les trois frères, Jean, Joseph et André, en 1972. D'où provient-elle?
GP: Elle figurait déjà dans le film de 1999. Je m'étais souvenu de l'événement qu'avait été la venue de la télé dans notre hameau – je devais avoir 4 ou 5 ans – et j'étais donc parti à sa recherche. Avant l'apparation de reportages télévisés plus formatés, c'était une sorte d'émission de promotion rurale à l'intention des paysans eux-mêmes, diffusée sur un créneau spécifique de FR3. Retrouver ça n'a pas été une mince affaire!
MR: En fait, je pense que ces images ont aussi influencé Gilles dans sa manière de faire. On y sent une approche bienveillante, pas intimidante, qui laisse un vrai temps de parole et permet d'aborder des questions existentielles tout sauf évidentes.
GP: A l'époque, j'avais encore tout à apprendre. Je me suis formé sur le tas, avec une approche très télé-journalistique. C'est intuitivement que j'ai découvert qu'en me plaçant à hauteur d'homme, dans une interaction naturelle et sans pression, cela fonctionnait mieux. Dès qu'il y a trop de gens, ça peut devenir le bazar. Depuis, j'ai continué de tout faire tout seul, l'image et le son – sauf pour des scènes de groupe où il faut forcément une perche. Ce qu'on perd en qualité technique, on le gagne largement en termes de prise de parole et de réactivité.
A l'encontre de la crise agricole actuelle, on découvre ici une agriculture de montagne qui s'en sort plutôt bien. D'où peut-être votre film le moins militant à ce jour!
GP: C'est vrai. Contre les discours politiques qui simplifient, cela rappelle qu'il existe en France beaucoup de réalités rurales très différentes. Ici, derrière les trois frères qui ont souffert pour tout mettre en place, on a une génération qui a vraiment choisi ce métier et qui en vit bien, parvenant à réinvestir sans surendettement. A priori, on peut ne pas voir la robotisation de la traite d'un très bon œil, mais de leur point de vue c'est un réel progrès. Leur modèle fonctionne bien, sous la protection de l'AOC Reblochon. Car il faut se rendre compte que c'est grâce à elle que leur lait est payé deux fois plus cher qu'un lait de plaine, qui lui est en concurrence avec d'autres laits européens.... Même si ce n'est pas explicite dans le film, je tiens à ramener cette dimension politique dans les débats. Alors que de nombreux paysans clament qu'ils veulent moins de règles, surtout environnementales, ici, ce sont bien les règles contraignantes édictées par l'AOC qui les protègent!
MR: C'est un film où il y a beaucoup de thèmes sous-jacents, en particulier du fait que tout est appréhendé sur le temps long. Le montage non-chronologique, qui fait des retours dans le passé, permet de se rendre compte de tout ce qui a évolué. Cadré sous le même angle, le paysage n'a peut-être pas changé, mais on voit la ferme se moderniser, le travail se mécaniser, les gens prendre de l'âge et la vie passer...
Tout documentaire est forcément sélectif. Ici, on se demande ce que ces paysans font à part travailler du matin au soir. Il n'y a donc pas de place pour d'autres passions?
GP: Les trois frères n'ont pas vraiment connu de loisirs, encore moins pris de vacances. Et l'heure de la retraite arrivée, ils n'en manifestent pas le désir. Mais c'était des gens étonnamment érudits et intéressés, capables de discuter d'autres sujets que juste leur travail! Le grand-père était un grand lecteur et il leur avait transmis ça. André, celui qui est encore en vie et qui tire un bilan plutôt amer de leur existence, sans femmes pour la partager, lit toujours le Courrier International! Ils ont aussi un peu regardé la TV, même si on ne la voit pas: elle était cachée dans un coin sous un tissu, dans cet intérieur d'une totale austérité.
MR: Il a bien fallu se focaliser sur la ferme, la question de sa survie économique et de sa transmission. Si la nouvelle génération est parvenue à prendre sa place dans le film, ce n'était pas du tout évident au début, face à des personnages tels que ces trois oncles! Au bout du compte, malgré les inévitables «oublis», ils se sont tous déclarés satisfaits de l'image qu'on donne du métier. Même le vieil André, en général si négatif.
Les thèmes du regroupement des terres, de la construction galopante, de l'écologie et du réchauffement climatique sont juste effleurés. Que peut-on en dire?
GP: Le regroupement foncier s'est fait naturellement, en parallèle à la mécanisation. A présent, les Bertrand possèdent la moitié des terres à Quincy et gèrent tout le reste. Mais si le hameau est resté inchangé, au contraire d'autres villages de la même commune où la population a doublé, c'est bien grâce à son classement comme terrain agricole. Encore une règle salutaire! Parce qu'entre l'industrie de la vallée de l'Arve, le tourisme et la proximité de Genève, la pression démographique est très forte dans la région. Sans même parler des résidences secondaires...
MR: Même si André paraît se moquer de ces écologistes citadins, il faut aussi voir que dans la pratique, on trouverait difficilement plus vertueux que lui! En termes de bilan carbone, on est tous loin derrière, même si la nouvelle génération n'en est évidemment plus là non plus. Dans le film, on voit encore comment l'entretien du paysage et le bien-être de leurs vaches leur ont toujours tenu à cœur. Comme quoi les paysans ne sont pas forcément les ennemis de l'écologie.
GP: Quant au réchauffement climatique, je dirais qu'ils ne sont pas dans la panique, plutôt dans l'anticipation. Les foins se font déjà plus tôt dans l'année et les retours à l'étable plus tard. Alors, ils se préparent à des années avec «deux hivers»: c'est-à dire qu'en plein été aussi il va falloir rentrer les vaches pendant un ou deux mois. Cela paraît inéluctable quand on voit toute la neige qui a déjà disparu en hiver, les pics de chaleur et la sécheresse qui commence à s'installer en été. En fait, il me semble que nous sommes plutôt plus inquiets qu'eux: trente degrés en avril l'autre jour à Morges, ce n'est pas vraiment rassurant!
«La Ferme des Bertrand», documentaire de Gilles Perret (France, 2024). 1h22
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Depuis son hameau de Quincy (commune de Mieussy) niché derrière le Môle, une montagne bien connue des habitants du bout du Léman, il mène une carrière unique en son genre, qui prouve qu'on peut traiter du global à partir du local. En témoignent une vingtaine de titres, dont une dizaine de longs-métrages de <i>Ma Mondialisation</i> (2006), sur l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve toute proche, à deux films récents avec le député Insoumis François Ruffin <i>(J'veux du soleil!</i> et <i>Debout les femmes!).</i></p> <p>Après un premier détour par la fiction tenté avec l'aide de sa compagne Marion Richoux, <i>Reprise en main</i> (ancré dans cette même réalité ouvrière, avec Pierre Deladonchamps et Laetitia Dosch), le voici qui revient au sujet de son premier film, <i>Trois frères pour une vie</i> (1999), portrait de paysans de son village. 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Entretien.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1714035944_lafermedesbertrand1.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Le réalisateur Gilles Perret. © DR</em></h4> <hr /> <p><strong>Norbert Creutz</strong>: <strong>Félicitations, <i>La Ferme des Bertrand</i> est votre plus gros succès à ce jour en France et le premier film à décrocher une vraie distribution en Suisse, via Filmccoopi Zurich...</strong></p> <p><strong>Gilles Perret</strong>: En effet, et c'est assez inespéré! Il faut dire que la crise agricole actuelle nous a donné un sacré coup de pouce, même si le film ne parle bien sûr pas directement de ça. Soudain, j'ai eu accès à des médias qui ne s'étaient jamais intéressés à mon travail jusqu'ici. Et le bouche-à-oreille a particulièrement bien fonctionné. En France, on approche les 250'000 spectateurs, alors que d'habitude, je me situe dans une fourchette entre 100'000 et 200'000. Et pour la Suisse, tout finit par arriver. En fait, même en restant très local, j'aspire toujours à une forme d'universalité. Et les retours dans les débats qu'on a pu faire entre Bulle, La Chaux-de-Fonds ou Morges prouvent que la réalité des paysans d'ici n'est pas si différente.</p> <p><strong>Vous-même n'êtes pas d'une famille paysanne, mais ouvrière. Pourtant, vous revenez ici sur des gens que vous aviez déjà filmés à vos débuts?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: A l'époque, c'était juste la réalité que j'avais sous les yeux: j'ai grandi à 80 mètres de cette ferme! Depuis tout petit je suis monté sur le tracteur des frères Bertrand et je dois avoir passé des centaines d'heures avec eux. J'avais donc profité de cette proximité pour essayer de réaliser un film qui leur corresponde vraiment, qui soit attentif à leurs gestes et à leur façon de s'exprimer, en montrant que ce sont des gens qui ont su se projeter dans l'avenir. Pour la nouvelle génération, que j'ai connue comme bébés, le regard s'est un peu inversé, puisque là, c'est moi l'aîné.</p> <p><strong>Marion Richoux</strong>: De mon côté, je suis d'Annecy. J'ai fait des études de cinéma et j'ai travaillé à la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain. Je connaissais ce premier film de Gilles, <i>Trois frères pour une vie,</i> dont la frontalité m'avait frappée mais qui n'avait presque pas eu de visibilité. Je me disais que c'était dommage et quand, après <i>Reprise en main,</i> on a cherché quel serait le projet suivant, j'ai proposé d'y revenir. C'était l'occasion de parler de tout ce qui avait changé depuis.</p> <p><strong>GP</strong>: En fait, tout est parti de Suisse, parce que ce premier film autoproduit a été primé au Festival du film alpin des Diablerets et de ce fait, acheté pour une version raccourcie par la TSR. C'est cet achat qui a lancé la machine... </p> <p><strong>On voit aussi dans le film une achive TV en noir et blanc avec les trois frères, Jean, Joseph et André, en 1972. D'où provient-elle?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: Elle figurait déjà dans le film de 1999. Je m'étais souvenu de l'événement qu'avait été la venue de la télé dans notre hameau – je devais avoir 4 ou 5 ans – et j'étais donc parti à sa recherche. Avant l'apparation de reportages télévisés plus formatés, c'était une sorte d'émission de promotion rurale à l'intention des paysans eux-mêmes, diffusée sur un créneau spécifique de FR3. Retrouver ça n'a pas été une mince affaire!</p> <p><strong>MR</strong>: En fait, je pense que ces images ont aussi influencé Gilles dans sa manière de faire. On y sent une approche bienveillante, pas intimidante, qui laisse un vrai temps de parole et permet d'aborder des questions existentielles tout sauf évidentes.</p> <p><strong>GP</strong>: A l'époque, j'avais encore tout à apprendre. Je me suis formé sur le tas, avec une approche très télé-journalistique. C'est intuitivement que j'ai découvert qu'en me plaçant à hauteur d'homme, dans une interaction naturelle et sans pression, cela fonctionnait mieux. Dès qu'il y a trop de gens, ça peut devenir le bazar. Depuis, j'ai continué de tout faire tout seul, l'image et le son – sauf pour des scènes de groupe où il faut forcément une perche. Ce qu'on perd en qualité technique, on le gagne largement en termes de prise de parole et de réactivité.</p> <p><strong>A l'encontre de la crise agricole actuelle, on découvre ici une agriculture de montagne qui s'en sort plutôt bien. D'où peut-être votre film le moins militant à ce jour!</strong></p> <p><strong>GP</strong>: C'est vrai. Contre les discours politiques qui simplifient, cela rappelle qu'il existe en France beaucoup de réalités rurales très différentes. Ici, derrière les trois frères qui ont souffert pour tout mettre en place, on a une génération qui a vraiment choisi ce métier et qui en vit bien, parvenant à réinvestir sans surendettement. A priori, on peut ne pas voir la robotisation de la traite d'un très bon œil, mais de leur point de vue c'est un réel progrès. Leur modèle fonctionne bien, sous la protection de l'AOC Reblochon. Car il faut se rendre compte que c'est grâce à elle que leur lait est payé deux fois plus cher qu'un lait de plaine, qui lui est en concurrence avec d'autres laits européens.... Même si ce n'est pas explicite dans le film, je tiens à ramener cette dimension politique dans les débats. Alors que de nombreux paysans clament qu'ils veulent moins de règles, surtout environnementales, ici, ce sont bien les règles contraignantes édictées par l'AOC qui les protègent!</p> <p><strong>MR</strong>: C'est un film où il y a beaucoup de thèmes sous-jacents, en particulier du fait que tout est appréhendé sur le temps long. Le montage non-chronologique, qui fait des retours dans le passé, permet de se rendre compte de tout ce qui a évolué. Cadré sous le même angle, le paysage n'a peut-être pas changé, mais on voit la ferme se moderniser, le travail se mécaniser, les gens prendre de l'âge et la vie passer...</p> <p><strong>Tout documentaire est forcément sélectif. Ici, on se demande ce que ces paysans font à part travailler du matin au soir. Il n'y a donc pas de place pour d'autres passions?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: Les trois frères n'ont pas vraiment connu de loisirs, encore moins pris de vacances. Et l'heure de la retraite arrivée, ils n'en manifestent pas le désir. Mais c'était des gens étonnamment érudits et intéressés, capables de discuter d'autres sujets que juste leur travail! Le grand-père était un grand lecteur et il leur avait transmis ça. André, celui qui est encore en vie et qui tire un bilan plutôt amer de leur existence, sans femmes pour la partager, lit toujours le <i>Courrier International!</i> Ils ont aussi un peu regardé la TV, même si on ne la voit pas: elle était cachée dans un coin sous un tissu, dans cet intérieur d'une totale austérité.</p> <p><strong>MR</strong>: Il a bien fallu se focaliser sur la ferme, la question de sa survie économique et de sa transmission. Si la nouvelle génération est parvenue à prendre sa place dans le film, ce n'était pas du tout évident au début, face à des personnages tels que ces trois oncles! Au bout du compte, malgré les inévitables «oublis», ils se sont tous déclarés satisfaits de l'image qu'on donne du métier. Même le vieil André, en général si négatif.</p> <p><strong>Les thèmes du regroupement des terres, de la construction galopante, de l'écologie et du réchauffement climatique sont juste effleurés. Que peut-on en dire?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: Le regroupement foncier s'est fait naturellement, en parallèle à la mécanisation. A présent, les Bertrand possèdent la moitié des terres à Quincy et gèrent tout le reste. Mais si le hameau est resté inchangé, au contraire d'autres villages de la même commune où la population a doublé, c'est bien grâce à son classement comme terrain agricole. Encore une règle salutaire! Parce qu'entre l'industrie de la vallée de l'Arve, le tourisme et la proximité de Genève, la pression démographique est très forte dans la région. Sans même parler des résidences secondaires...</p> <p><strong>MR</strong>: Même si André paraît se moquer de ces écologistes citadins, il faut aussi voir que dans la pratique, on trouverait difficilement plus vertueux que lui! En termes de bilan carbone, on est tous loin derrière, même si la nouvelle génération n'en est évidemment plus là non plus. Dans le film, on voit encore comment l'entretien du paysage et le bien-être de leurs vaches leur ont toujours tenu à cœur. Comme quoi les paysans ne sont pas forcément les ennemis de l'écologie.</p> <p><strong>GP</strong>: Quant au réchauffement climatique, je dirais qu'ils ne sont pas dans la panique, plutôt dans l'anticipation. Les foins se font déjà plus tôt dans l'année et les retours à l'étable plus tard. Alors, ils se préparent à des années avec «deux hivers»: c'est-à dire qu'en plein été aussi il va falloir rentrer les vaches pendant un ou deux mois. Cela paraît inéluctable quand on voit toute la neige qui a déjà disparu en hiver, les pics de chaleur et la sécheresse qui commence à s'installer en été. En fait, il me semble que nous sommes plutôt plus inquiets qu'eux: trente degrés en avril l'autre jour à Morges, ce n'est pas vraiment rassurant!</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/HEuj2tlBWxw?si=hqtciVWRIo7iR2WG" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«La Ferme des Bertrand», documentaire de Gilles Perret (France, 2024). 1h22</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 're-localisation-au-pays-du-reblochon', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 161, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5269, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Leni Riefenstahl, mise au point', 'subtitle' => 'Son simple nom suscite des réactions épidermiques chez les uns mais ne dira sans doute plus rien aux autres. 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Dans un genre sur lequel la critique a peu de prise tant le sujet tend à primer, il faut pourtant bien reconnaître que la méthode, la sensibilité, l'art narratif et la profondeur intellectuelle du l'auteur(e) peuvent faire la différence. Et il n'en fallait pas moins pour s'attaquer à un sujet tel que Leni Riefenstahl, déjà documenté une bonne vingtaine de fois pour la télévision, notamment dans un mémorable <i>Leni Riefenstahl - Le Pouvoir des images</i> (Ray Müller, 1993). Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. Pour le grand écran, après ses déjà mémorables <i>Black Box BRD</i> (2001) et <i>Beuys</i> (2017), il a signé un sobrement intitulé <i>Riefenstahl,</i> présenté hors compétition à la dernière Mostra de Venise plutôt qu'à la Berlinale.</p> <p>A l'heure du retour en grâce du nazisme chez certains jusqu'en Allemagne, d'une possible apologie féministe chez d'autres, c'était sans doute plus sage pour ce film qui réexamine le cas de cette figure hautement controversée, artiste de grand talent mais qui a failli humainement. Qu'ils semblent lointains, ses anciens triomphes à la Mostra fasciste des années 1930! Depuis, on n'ose quasiment plus montrer ses documentaires de propagande nazie <i>Le Triomphe de la volonté </i>(1935) et <i>Les Dieux du stade (Olympia, </i>1938) et, côté fictions, son superbe début <i>La Lumière bleue</i> (1932) ou son dernier opus compromis <i>Tiefland</i> (1944/1954). Aujourd'hui, ne reste plus guère de Leni Riefenstahl que sa réputation de cinéaste officielle du IIIe Reich, qui paya pour tous les autres par une mise à l'écart définitive (même Veit Harlan, l'auteur du tristement fameux <i>Juif Süss,</i> le très problématique Karl Ritter ou encore Alfred Weidenmann, chantre des Jeunesses hitlériennes<i>,</i> retouvèrent le chemin des plateaux dans les années 1950, tandis que Hans Seinhoff, le plus nazi d'entre tous, mourut opportunément en 1945).</p> <h3>Une irrésistibe ascension</h3> <p>Le travail remarquable de Veiel rend justice à la femme et à l'artiste tout en se concentrant sur les questions du degré de son implication et de sa responsabilité. Ensuite, il met en lumière toute une seconde partie de son existence passée à se justifier et réécrire sa légende. Où il apparaît que pour Leni Riefenstahl, la seule vraie catastrophe fut en définitive la guerre. Ne reconnaît-elle pas lors d'une interview que sa vie aurait mieux fait de s'arrêter en 1939? Jusque-là, tout ne fut en effet que mouvement ascentionnel – peu importe apparemment au service de quoi.</p> <p>Au début était une grande fille sportive, traitée comme un garçon par son père autoritaire et réceptacle de toutes les ambitions frustrées de sa mère. D'abord danseuse, c'est suite à un accident qu'elle se retrouve plutôt actrice, choisie à 23 ans pour être la vedette d'un film de montagne d'Arnold Fanck. Les six films tournés coup sur coup avec le brave Dr. Fanck, très basiques à part <i>L'Enfer blanc du Piz Palu</i> (co-signé par G.W. Pabst), ne sont aujourd'hui plus que d'un intérêt anecdotique. Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. Coup d'essai, coup de maître: à la fois idéaliste, féministe et mystique, <i>La Lumière bleue</i> (1932) la propulse à 30 ans cinéaste à part entière.</p> <p>C'est à ce moment qu'un collaborateur, le scénariste juif Carl Mayer, l'avertit que ce film risque bien de faire d'elle l'égérie des nazis, alors aux portes du pouvoir. En vain, puisqu'elle se jettera littéralement dans leurs bras, demandant peu après à rencontrer personnellement Adolf Hitler. Lourdement courtisée (jusqu'à une tentative de viol) par le ministre de la propagande Josef Goebbels, elle ne se donna apparemment ni à l'un ni à l'autre, finissant par épouser plutôt l'officier Hans-Peter Jacob. Mais alors même qu'elle ne jurait que par la fiction, elle se lança avec enthousiasme dans la confection de documentaires à la gloire du régime, séduite par les budgets illimités mis à sa disposition. C'est ainsi qu'elle fut impliquée aux côtés de l'architecte Albert Speer dès la préparation du fameux Congrès de Nuremberg puis des Jeux Olympiques de Berlin – où elle dit n'avoir jamais voulu que saisir la beauté, son unique souci. Et à en revoir des extraits, il faut bien avouer que le résultat fut grandiose, cinématographiquement parlant.</p> <h3>Une simple suiveuse?</h3> <p>Mais par la suite, tout s'est effectivement gâté pour Leni Riefenstahl. Embrigadée pour immortaliser l'invasion de la Pologne, elle emploie des prisonniers comme figurants avant de jeter l'éponge. Ses soutiens s'étiolent pour <i>Tiefland,</i> qui doit marquer son retour à la fiction et à ses chères montagnes. La guerre interfère avec le tournage et, à 40 ans, elle paraît trop âgée pour tenir le rôle principal. Elle utilise aussi des jeunes tziganes recrutés dans des camps, enfants qu'elle prétendra avoir revus plus tard alors qu'ils furent pour la plupart assassinés à Auschwitz. Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple <i>Mitläuferin</i> (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de <i>Tiefland</i> – un flop.</p> <p>Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. Par contre, il y a tout un art de s'aveugler, qu'elle pratiqua très activement, jusqu'à devenir par là-même la porte-parle de toute une BRD (l'Allemagne de l'Ouest d'alors) qui aurait préféré ne jamais avoir à se confronter à son passé.</p> <p>Divorcée en 1947, sans revenus et réfugiée auprès de sa vieille mère, Leni Riefenstahl se refait une santé économique dès le début des années 1960 en devenant photographe. Une expédition au sud du Soudan, d'où elle rapporte des photos du peuple Nuba, sont particulièrement remarquées. Sponsorisée, elle y retournera maintes fois, albums et expositions à la clé. En 1967, c'est surtout la rencontre avec Horst Kettner, un étrange jeune homme de 40 ans son cadet qui devient son assistant et son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. C'est ensemble qu'ils s'attellent à la lourde tâche de sa réhabilitation, fondée sur un formidable travail d'archivage et l'écriture de ses <i>Mémoires</i>, publiés en 1987.</p> <h3>De la défense au réarmement</h3> <p>Il faut la voir alors, septuagénaire puis octogénaire, toujours dans une forme étonnante pour son âge, dans leur grande maison bavaroise avec jardin; courant le cachet sur les plateaux TV, défendant mordicus sa version contre des journalistes tous mal intentionnés; retrouvant son vieil ami Albert Speer sorti de prison et discutant avec lui de leurs honoraires; ou encore dirigeant avec une autorité retrouvée et très colonialiste ses chers Nubas dans des images filmées restées inédites. C'est sûr, cette femme se sera renforcée dans l'adversité, éloignant toute possibilité de remise en question.</p> <p>Impeccable dans son travail de montage toujours dialectique, Andres Veiel se garde bien de porter un jugement. Mais le film rend bien perceptible un ego parfaitement proportionnel à son ambition artistique. Et en définitive, c'est bien de la place de l'artiste dans la société, du sens de son travail et de sa responsabilité humaine qu'il est question. C'est ainsi que l'idéal esthétique de Riefenstahl devient suspect en lui-même. A la question «Auriez-vous filmé de la sorte des athlètes handicapés?», la dame répond du tac au tac par un «Jamais de la vie!» scandalisé. Et si on ne saura jamais le degré de son antisémitisme, on peut là aussi soupçonner une certaine compatibilité avec le national-socialisme, elle qui s'employa très vite à effacer la participation décisive du fameux théoricien juif hongrois Béla Balász à <i>La Lumière bleue..</i>.</p> <p>Le réalisateur conclut sur des extraits parlants de deux émissions. L'une de la TSR («Destins», 1982) qui voit Claude Torracinta annoncer la défection de Leni Riefenstahl à l'entretien durant lequel il avait prévu de la confronter aux plus terribles images des camps de la mort. Une autre en Allemagne qui se clôt par des appels de soutien d'auditeurs auxquels elle répond, philosophe et confiante, qu'il faudra au moins deux générations pour finir par faire reconnaître leur innocence, mais qu'elle est certaine «que le peuple allemand a cela en lui». Brrrr...</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/7n5wKuahSZs?si=rbkQAXxuzsCtMeAl" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«Leni Riefenstahl – la lumière et les ombres (Riefenstahl)», documentaire d'Andres Veiel (Allemagne, 2024), avec la voix d'Ulrich Noethen. 1h55</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'leni-riefenstahl-mise-au-point', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5254, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'En quête d'un terroriste suisse', 'subtitle' => 'Le documentaire «La Disparition de Bruno Bréguet» du Tessinois Olmo Cerri tire de l'oubli une figure un peu gênante de notre histoire récente. 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Entre école, centres autogérés, collectifs de production et RSI (Radio-télévision Suisse Italophone), le désir de cinéma n'est venu que peu à peu, toujours sous le signe du politique. De <i>Volo in ombra</i> (2012) à <i>Non ho l'età</i> (2017, sur l'immigration italienne) et <i>La scomparsa di Bruno Bréguet,</i> les moyens ont grandi en fonction des sujets. Plutôt qu'une sophistication filmique ou une carrière, ce réalisateur cherche du sens en se frottant à l'histoire récente. Un parcours et une démarche qui l'ont logiquement fait atterrir, pour co-produire son dernier film, chez les Zurichois de Dschoint Ventschr (Samir, Werner Schweizer & co), une maison de production née de la contre-culture. 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Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. Il a donc été élevé à Muralto, à côté de Locarno, avec ses trois frères et sœurs. La famille parlait déjà plusieurs langues et c'est ainsi qu'il a pu devenir très tôt un «citoyen du monde» sachant l'italien, le français, l'allemand et l'anglais. Plus tard, en prison, il a encore appris l'arabe.</p> <p><strong>Et comment s'est-il engagé, puis radicalisé?</strong></p> <p>D'après toutes les descriptions, c'était un garçon très réservé et secret, qui lisait beaucoup. Les fameuses fiches fédérales contiennent le détail de sa bibliothèque. Au lycée déjà, à la fin des années 1960, il a fait des présentations sur l'énergie atomique et sur la cause palestinienne. Il a commencé à fréquenter certains groupes de gauche, toujours en retrait. Et puis un jour, il s'est rendu à Genève pour prendre contact avec la Ligue arabe, dans l'idée de se rendre utile aux Palestiniens. Après son arrestation en Israël, sa radicalisation est vraiment venue de ses longues années de prison – et encore, il n'en aura purgé que la moitié! Puis il s'est installé à Berlin avec sa première compagne, au bénéfice d'une bourse fédérale d'études universitaires... C'est à ce moment qu'il est entré en contact avec le terroriste Carlos, à l'époque le terroriste le plus recherché au monde.</p> <p><strong>A-t-on facilement accès aux archives le concernant, en tant que chercheur?</strong></p> <p>A Berne, aux Archives fédérales, ça s'est fait en plusieurs étapes. J'ai pu consulter presque tous les dossiers contre signature d'une promesse de non-divulgation. En plus du détail de sa surveillance, on y trouve même les photocopies de tous les documents est-allemands de la Stasi le concernant. Puis je suis retourné avec une demande plus précise d'utilisation de certains documents, en expliquant mon projet et son intérêt public. Ce qui n'a pas posé de problèmes. En fait, je pense que les derniers dossiers encore gardés secrets sont ceux liés à sa disparition.</p> <p><strong>Et pour essayer de retracer son parcours international?</strong></p> <p>Là, je me suis contenté d'archives de presse ou filmiques, comme l'INA. L'essentiel de son activité est alors souterraine et donc difficile à cerner. En Grèce, où il s'est insallé avec une deuxième compagne anglaise, je n'ai retrouvé que le lieu où il habitait – un village où tout le monde l'appréciait sans savoir vraiment qui il était. Mais j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur les recherches d'Adrian Hänni, qui apparaît dans le film et qui a eu accès à des archives des services secrets américains déclassifiées. C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Nous pouvons juste espérer améliorer des choses à petite échelle.</p> <p><strong>Et concernant Bréguet lui-même et sa dérive dans l'action violente?</strong></p> <p>Clairement, Bréguet n'a rien d'un modèle à suivre. Son histoire est tragique, jusqu'au mystère de sa disparition. S'il est facile d'avoir de la sympathie pour le jeune idéaliste qu'il était au début, son image se brouille fatalement par la suite. Les autres protagonistes du film, eux, sont restés dans le cadre d'une lutte collective et non-violente. Même Giorgio Bellini, qui a participé à l'attentat contre le pavillon d'information de la centrale de Kaiseraugst en 1979, est finalement resté sur cette ligne. Bréguet et le groupuscule autour de Carlos se sont vus comme une élite révolutionnaire et ce qu'ils ont fait est l'exact contraire des grandes manifestations ou des petites actions pacifiques auxquelles nous autres avons pu participer. Au-delà du destin de Bréguet, c'est ce contraste que le film cherche à évoquer, laissant à chacun de juger par lui-même.</p> <p><strong>La fabrication de ce film et son parcours à ce jour vous ont-ils satisfait?</strong></p> <p>La co-production avec Dschoint Ventschr a été un grand soutien. C'est ma monteuse Kathrin Plüss – qui pense s'arrêter sur ce film, quarante ans après <i>Der Grüne Berge</i> de Fredi M. Murer – qui nous a mis en contact. Karin Koch a œuvré comme productrice, mais des cinéastes aussi chevronnés que Samir ou Sabine Gisiger ont aussi apporté leurs conseils artistiques. Et pour la sortie, je ne vais pas me plaindre. Le film a été bien accueilli à Soleure et Locarno et a remporté un prix au festival du documentaire de Milan Visioni dal Mondo avant de connaître un beau succès au Tessin, où il est resté sept semaines à l'affiche. Si la sortie est nettement plus confidentielle dans le reste de la Suisse, c'est sans doute parce que le personnage y est encore plus oublié...</p> <p><strong>Auriez-vous déjà de nouveaux projets?</strong></p> <p>Je suis cinéaste indépendant, alors forcément j'y travaille. Je m'intéresse en ce moment à deux sujets, l'un concernant l'hôpital psychatrique de Mendrisio, l'autre une communauté hippie romande qui a existé dans le Malcantone, près de Lugano. 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Avec le coming out d'Ellen Page, le petite actrice canadienne adoptée par Hollywood dans les années 2000 <i>(Hard Candy, Juno, Bliss, X-Men, Inception, Free Love,</i> etc.), on passe un nouveau cap. Disparue des radars depuis le catastrophique <i>Flatliners</i> de 2017, la/le voici qui ressurgit comme Elliot Page, au terme d'une transition déjà largement rendue publique par la publication de mémoires intitulées <i>Pageboy.</i> Et le film choisi pour entériner cette transition est... un drame de la transidentité. Bref, un geste hautement politique.</p> <p>Désormais, un site comme I'Internet Movie Data Base (imbd.com) ne s'autorise même plus à offrir de renvoi à partir du nom d'Ellen Page! Par contre, le film en question, <i>Close to You</i> de Dominic Savage, un ciné-téléaste britannique de 60 ans, a bien peu de chances de rester dans les mémoires. 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Quant à l'étincelle qui nait dans les yeux de Joaquin Phoenix et de Lady Gaga, portée à des sommets imaginaires typiques d'une «folie à deux», elle suffit largement en termes de spectacle.</p> <p>Mais ce qui advient ensuite de leur histoire d'amour n'est pas moins captivant, ce film allant en effet jusqu'à dire la méprise, la part de malentendu dans toute histoire d'amour. Lee aime le Joker, son déguisement et son acte insensé, et non Arthur. Et de son côté, Arthur pense avoir trouvé en Lee son âme sœur, ce que cette fille de «bonne famille» mythomane n'est pas vraiment. L'un comme l'autre s'imaginent en vedettes d'un grand spectacle («<em>That's Entertainment</em>»)? C'est le comble de l'illusion romantique, qui va les voir retomber de haut. Et Todd Phillips d'enfoncer le clou jusqu'à un déchirant «<em>If you Go Away</em>», alias «Ne me quitte pas» de Brel revu par Rod McKuen, chanté au téléphone. 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