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Analyse

Analyse / La propagande de guerre, des principes bien rodés depuis un siècle


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Dans toutes les guerres modernes, d’énormes moyens de communication sont déployés par les gouvernements pour convaincre leurs populations du bien-fondé de leur engagement belliqueux. Je me suis entretenu récemment sur ANTITHÈSE avec l’historienne belge Anne Morelli, qui a recensé dix principes élémentaires de propagande toujours utilisés par les gouvernements.



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Bien sûr, la propagande a toujours existé. Dans l’Antiquité, les empereurs romains n’hésitaient pas à l’employer au sujet des guerres avec les peuples «barbares» d’Europe. Dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, par exemple, Jules César enjolive ou minimise certains faits à son avantage. On peut considérer que tout l'art de César à cet égard a été de parvenir à un équilibre subtil en présentant les choses à son avantage sans perdre sa crédibilité par des manipulations excessives de la réalité.

La propagande moderne, cependant, est née lors de la Première Guerre mondiale. Des services dédiés ont alors inventé la plupart des techniques utilisées aujourd’hui. Edward Bernays, le père des relations publiques, a travaillé dans l’un de ces services: la «Commission Creel». Cette dernière a été créée le 14 avril 1917 (après l'entrée en guerre des USA le 6 avril) par le président Wilson pour mettre sur pied un arsenal mental, une machinerie destinée à retourner l'opinion publique américaine et à accompagner l'effort de guerre, faisant de la propagande durant la Première Guerre mondiale les prémices d'une «science». Les techniques modernes de communication et le développement des nouvelles technologies n’ont fait que rendre cette propagande plus efficace et raffinée. Elle est élaborée par des officines opaques ou de grands groupes de RP, tels Hill & Knowlton, qui a orchestré l’affaire des couveuses koweïtiennes en 1990.

Les grandes lignes de cette science ont été identifiées dès la fin de la guerre de 1914-1918 par un Britannique et militant pacifique, fils du secrétaire particulier de la reine Victoria: Arthur Ponsonby (1871-1946). En 1929, il publie un ouvrage de référence peu connu: Falsehood in Wartime, dans lequel il identifie certains principes clés de la propagande employée à son époque. Au début des années 2000, l’historienne Anne Morelli a poursuivi et étendu ce travail. Dans son livre à succès, Principes élémentaires de propagande de guerre: utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède (Labor, 2001), elle synthétise les 10 techniques presque toujours utilisées pour manipuler l’opinion publique. Détaillons quelques-unes de ces techniques.

Le camp adverse est seul responsable de la guerre

Dans chaque guerre, les gouvernements présentent le voisin ou adversaire comme le responsable du conflit, comme l’agresseur. L’objectif est de légitimer devant l’opinion publique l’entrée en guerre, en utilisant l’argument de la riposte à une agression. Pourtant, il est rare qu’on sache clairement, au moment où une guerre éclate, qui est le véritable agresseur. Lors de la guerre du Kosovo (1998-1999), l’OTAN assure par exemple réagir à une campagne de «purification ethnique» des Serbes contre les Albanais. Avec le recul du temps, de nombreux rapports de l’OSCE ont montré qu’il n’existait pas, avant le 24 mars 1999 et le déclenchement des bombardements de l’OTAN, de campagnes systématiques de violences contre la population albanaise. Selon Machiavel (1469-1527): «Ce n’est pas celui qui prend les armes le premier qui est coupable de la guerre, mais celui qui lui a donné un motif pour qu’il prenne les armes». (Istorie fiorentine, libro settimo, cap. XVI)

C'est une cause noble que nous défendons

La guerre a généralement deux motifs principaux: la volonté de domination géopolitique et l’appât du gain (motivation économique). Mais ces mobiles sont inavouables à l’opinion publique, qui est plus encline à la paix qu’à la guerre (tous peuples confondus). Ainsi, les guerres modernes ne sont possibles qu’avec le consentement des populations, qui sont manipulées à cette fin. Pour obtenir ce consentement, il faut imprimer à la guerre un motif honorable, dissimuler ses véritables raisons d’être sous des principes nobles (aider le peuple ukrainien envahi par l’agresseur russe, par exemple, ou exporter les principes de la démocratie). 

De l’aveu même de Woodrow Wilson, président des Etats-Unis: «la semence de la guerre dans le monde moderne, c’est la rivalité industrielle et commerciale» (1919). Exemple relativement récent: les bombardements contre la Yougoslavie, en détruisant l’économie socialiste du pays, ont fait place nette aux multinationales qui rêvaient depuis longtemps de s’y installer et d’y faire de bonnes affaires.

L'ennemi commet sciemment des atrocités

Les récits des atrocités commises par l’ennemi constituent un élément essentiel de la propagande de guerre. Pillages, vols, viols, incendies sont monnaie courante lors d’une guerre dans chacun des camps en conflit. Ce qui est spécifique à la propagande de guerre, c’est de faire croire que seul l’ennemi est coutumier du fait, tandis que notre armée est au service de la population et aimée d’elle. Ainsi, en Europe occidentale, il est courant de présenter les soldats américains comme nos sauveurs du nazisme. En 2003, l’historien J. Robert Lilly évalue pourtant à 17’000 le nombre de viols commis par les GIs sur des femmes britanniques, françaises et allemandes lors de la Seconde Guerre mondiale. 

Des atrocités commises à l’encontre d’enfants sont souvent mises en scène, voire inventées de toutes pièces, pour servir la propagande. C’est l’exemple des bébés belges aux mains coupées par les soldats allemands lors de la Première Guerre mondiale, ou des couveuses dans la maternité de Koweït City avant la première guerre d’Irak en 1990. Mais aussi, très récemment, l’affaire des 40 bébés décapités et pendus suite à l’attaque de combattant du Hamas le 7 octobre en Israël, finalement non confirmée. Le 19 octobre, le quotidien Haaretz publie les noms des victimes de l'attaque du 7 octobre dont les identités ont été confirmées, mais sur les 541 victimes dont l'âge est indiqué, ne figure aucun bébé. 

Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause

La propagande comme toute forme de publicité repose sur l’émotion et sa manipulation. Dans cet effort de manipulation, les artistes et intellectuels sont mobilisés et mis à contribution pour diffuser les bobards de guerre de manière convaincante. La Première Guerre mondiale fut un moment fondateur de cette pratique, un grand nombre d’intellectuels prenant fait et cause pour leur nation. Pour citer le pacifiste français Romain Rolland: «Les universités formaient un ministère de l’intelligence domestiquée». Aux Etats- Unis, durant la Seconde Guerre mondiale, le cinéaste Frank Capra participa notamment à l’effort de guerre en produisant des films de propagande. Walt Disney également, contre rémunération. Un véritable effort de guerre culturelle fut entrepris durant la guerre froide, du côté américain comme Soviétique. Heureusement, des intellectuels s’opposent toujours à la guerre. En 2003, 14'000 universitaires, intellectuels et écrivains américains signèrent une pétition d’opposition à la guerre contre l’Irak. Récemment, il semble qu’un moins grand nombre d’intellectuels se disent publiquement en faveur de la paix. Selon Anne Morelli, ils ne sont pas moins nombreux, mais sont lassés de l’inefficacité des actions en faveur de la paix, comme d’ailleurs tous les mouvements populaires pacifistes.

Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traitres

Mentionnons encore ce dernier principe, d’une actualité brûlante: au moment d’une guerre, la mise en doute des narratifs officiels est immédiatement considérée comme un manque de patriotisme. Les intellectuels ou personnalités osant le pas de côtés sont rapidement ostracisés et vilipendés dans les grands médias, avec des conséquences parfois importantes sur leur réputation. En 1914-18, pour avoir contredit les accusations d’atrocités portées contre les Allemands, un couple d’instituteurs français du nom de Mayoux fut condamné à deux ans de prison et révoqué! Lors de la guerre froide, il était courant d’être accusé de «communiste» en cas de remise en question de la position américaine, en particulier aux Etats-Unis. Actuellement, ce sont les termes «complotiste», «antisémite» ou «pro-russe» qui sont utilisés comme anathèmes.


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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@simone 16.03.2024 | 19h02

«Merci de rappeler cette vérité qui fait partie des "armes" classiques que les moyens techniques actuels rendent particulièrement efficaces.
Il semblerait que le bon sens devrait suffire à faire comprendre le rôle de ces moyens dont on aurait presque envie de dire qu'il sont "de bonne guerre" et ne devraient donc pas être crus. Et pourtant, ils le sont.»


@von 20.03.2024 | 11h55

«L'ennemi est bête, il croit que c'est nous l'ennemi, alors que c'est lui (Pierre Desproges) »