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Culture / Chronique d'un naufrage (pour rire)


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Trois mois après son remarquable «L'Affaire Goldman», Cédric Kahn est déjà de retour avec «Making of». Une comédie qu'il a pu tourner dans la foulée et non moins brillante à sa manière, dans laquelle le Français, entre Truffaut et Moretti, s'amuse des paradoxes du cinéma. Un film à découvrir à Lausanne et Genève grâce à une importation directe.



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Avec le temps, les films relevant du genre «cinéma dans le cinéma» sont devenus légion. Pour un auteur au long cours, c'est même presque devenu une sorte de passage obligé. Cinéaste inégal mais qui n'a jamais «soldé», toujours là trente ans après ses débuts (Bar des rails, 1991) et devenu également acteur aves un certain succès, Cédric Kahn a mis à profit la pause imposée par le Covid pour imaginer le sien. A travers le prisme d'un «making of», ces documentaires de tournage à fins promotionnelles souvent confiés à de jeunes débutants, il a ainsi imaginé une comédie qui tente de faire la part de l'idéal artistique et du pragmatismne. Et pour peu qu'on s'intéresse au 7e art (mais sinon, pourquoi lire ces lignes), c'est aussi bidonnant qu'éclairant!

Cédric Kahn aurait-il été inspiré par la mésaventure de Terry Giliam, dont la première tentative de tourner son Don Quichotte se solda par un documentaire du désastre composé à partir de son «making of» (Lost in La Mancha de Keith Fulton et Louis Pepe, 2002)? Toujours est-il qu'il semble vouloir exorciser ses pires angoisses à travers cette histoire de tournage d'un film socialement engagé basé sur des faits réel – une affaire d'ouvriers s'opposant à la fermeture de leur usine – qui part à vau-l'eau. Simon (Denis Podalydès) a beau être un réalisateur aguerri, soutenu par son producteur de longue date Marquez (Xavier Beauvois) et protégé par sa directrice de production Viviane (Emmanuelle Bercot), dès le premier jour de tournage, tout va de travers. Y aura-t-il vraiment un film à l'arrivée? Et bien le brulôt politique que Simon avait imaginé?

L'usine en folie

Tout se joue sur un lieu unique d'usine désaffectée dans une morne banlieue française, que le cinéma a investi tel un cirque en tournée. Lors d'une réunion d'urgence demandée par les co-producteurs, il transpire que Marquez leur avait soumis un scénario modifié, avec un happy end, alors que pour Simon il n'en a jamais été question! Et c'est parti à la recherche de nouveaux financiers tandis que le tournage se poursuit de manière précaire. Il y a aussi le problème Alain (Jonathan Cohen), la star aussi indispensable qu'insupportable: même totalement investi, il ne peut s'empêcher de ramener la couverture à lui alors même que ce film se tourne au milieu de ceux à qui le malheur est arrivé. Enfin, il y a Joseph (Stefan Crepon), un figurant local que Simon recrute au pied levé pour réaliser ce fameux «making of». C'est ce jeune fou de cinéma bientôt amoureux de l'actrice principale Nadia (Souheila Yacoub) qui deviendra le cœur battant du récit.

Marquez a tôt fait de disparaître, promettant par téléphone des pistes de financement de plus en plus improbables. De son côté, Viviane est forcée de revoir le planning et de négocier avec les différents corps de métier pour rogner sur le budget. Alain, qui squatte sans vergogne chez le syndicaliste qu'il est censé interpréter, porte de plus en plus sur les nerfs de sa partenaire Nadia, dont la situation sentimentale est plutôt compliquée. Quant à Simon, qui vit séparé de sa femme Alice (Valérie Donzelli) et de ses enfants sans parvenir à vraiment l'admettre, il sombre de plus en plus dans la déprime en voyant s'éloigner le film qu'il avait rêvé. Seul le jeune Joseph, pourtant obligé de jongler avec son travail de pizzaiolo au restaurant tenu par sa sœur, semble bien déterminé à ne pas lâcher la chance de sa vie!

Conflits en abyme

En fait, Cédric Kahn présente tellement de situations parallèles problématiques (pourtant encore bien moins nombreuses que dans la réalité) qu'un film abouti pourrait presque paraître tenir du miracle. C'était déjà plus ou moins la leçon de La Nuit américaine de François Truffaut, si juste sur les multiples réalités d'un tournage qu'on se fichait bien du «film dans le film», clairement ringard. Ici, l'ambition de Simon de faire œuvre utile à la manière d'un Stéphane Brizé (En guerre, avec Vincent Lindon) en rajoute une couche. Pour autant, la mise en abyme ne se veut pas aussi clairement politique, artistique et morale que celles de Nanni Moretti dans ses récents Mia Madre et Vers un avenir radieux. Sans doute juste le plus réaliste possible.

C'est en tous cas avec une dextérité extraordinaire que l'auteur imbrique les différents niveaux de son récit. Le format change entre le film dans le film (large), le tournage (moyen) et son «making of» (réduit), de sorte à ce qu'on sache toujours où l'on se situe; les acteurs sont tous d'un précision bluffante, en particulier un Jonathan Cohen déchaîné; et jamais le rythme de la comédie n'est perdu, même dans des scènes ostensiblement dramatiques. Le vertige atteint son comble lorsque les techniciens à cran (ils ne sont plus payés) menacent eux aussi de tout arrêter ou quand Joseph se retrouve perdu dans le jeu de miroirs que lui offre l'insaisissable Nadia.

Du cynisme bien tempéré

Où s'arrête le cinéma et où commence la vraie vie? Un film peut-il seulement prétendre approcher celle-ci, voire la dépasser et permettre d'en tirer des leçons? Ou bien tout n'est-il que vanité et compromis? Pour finir, chacun apparait pétri de contradictions, seule la gestionnaire Viviane jouant vraiment franc-jeu. Car pour elle au moins, tout est clair: quelles que soient les intentions, l'argent reste le nerf de la guerre! Inutile de préciser comment tout cela se termine. Armé de sa longue expérience des deux côtés de la caméra, Cédric Kahn n'a rien d'un catastrophiste. Du moins en ce qui concerne le cinéma, clairement désigné comme une entreprise de privilégiés qui s'ignorent, d'illusionnistes qui s'illusionnent et de (sympathiques) filous. Tandis que ceux qui sont dans la vraie vie, les mains dans le cambouis, eux, s'enfoncent.

Une vision cynique? Pas à une contradiction près, elle n'en déborde pas moins de générosité et d'affection pour les uns comme les autres. On apprécie en particulier la capacité de Kahn à se projeter aussi bien dans la personne du vétéran dépassé que dans celle du jeune débutant encore naïf. C'est ainsi que le film arrive à vraiment faire la part des choses, de l'exigence et de l'à-quoi-bon, de la fougue et de la lassitude, du drame et de la comédie, pour finir par se hisser parmi les meilleurs de son genre.


«Making of» de Cédric Kahn (France, 2024), avec Denis Podalydès, Jonathan Cohen, Stefan Crepon, Souheila Yacoub, Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois, Valérie Donzelli, Orlando Vauthier. 1h54

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