Culture / Une enfance heureuse à la cure de Pailly dans le Gros-de-Vaud
Une ferme vaudoise à Essertines-sur-Yverdon (VD). © Cossel - CC BY 3.0
Dans «Arpenté», livre tour de force au niveau du rythme, du mouvement et dans son économie de moyens, Alain Freudiger, en un long traveling à travers ses lieux d’enfance, explore une géographie fondatrice, les expériences qui y prennent corps, et confie l’illumination de la découverte de soi-même et de ses origines.
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Tous sont issus de la collection de la Fondation, riche de 2'300 œuvres aux techniques variées.', 'subtitle_edition' => 'Aglaja Kempf, conservatrice de la Fondation Oskar Kokoschka, présente dans un splendide nouvel ouvrage, publié ces jours-ci aux Cahiers dessinés, 150 dessins du maitre. Tous sont issus de la collection de la Fondation, riche de 2'300 œuvres aux techniques variées.', 'content' => '<p>Sise au musée Jenisch de Vevey, cette Fondation fut créée en 1988 à l’instigation de la veuve de l’artiste, Olda Palkovská. Elle conserve à ce jour la plus grande collection au monde de notre artiste austro-hongrois: 2'300 peintures, aquarelles et dessins, couvrant l’ensemble des phases artistiques de sa vie, depuis ses début à Vienne jusqu’à ses dernières années à Villeneuve.</p> <h3>Le dessin, une fin en soi</h3> <p>Pour Oskar Kokoshka, le dessin n’est pas un stade préparatoire à autre chose mais une fin en soi, une œuvre autonome qui peut être exposée en tant que telle. Il a revendiqué ce point de vue dès le début de sa très longue carrière. Appartenant donc à un genre souverain et indépendant, ses dessins proposent une très grande variété d’approches et de couleurs, dans des palettes de tons différenciés, et dégagent souvent une impression de grande vitalité, de plaisir, de sensualité, l’impression d’une perception subjective plutôt qu’objective. L’expression est émotion immédiate et dans ses productions, il ne cherche jamais à rendre la réalité mais bien plutôt le fourmillement des sensations qui le traversent, quand, concentré, il s’exerce à capter l’expression d’un visage, un geste, un paysage, un mouvement. Ses nus, devenus très vite non conventionnels, accordent une attention particulière aux chevelures et aux mains. Auguste Rodin, Ferdinand Hodler, Gustav Klimt, Aubrey Beardsley sont ceux qu’il espère dépasser. Il utilise un papier très simple et travaille à la vitesse de l’éclair, les corps en mouvement étant pour lui bien plus excitants que les lourdes postures académiques. Usant d’une liberté constante, les couleurs, dans la surprenante variété d’usage qu’il en fait, différencient ses productions de la majorité de celles de ses contemporains qui sont en général, dans ce domaine, très économes de leurs moyens, n’utilisant la plupart du temps qu’une teinte, au plus deux ou trois.</p> <h3>Sa vie, sa vocation</h3> <p>Kokoschka est né en 1886 à Pöchlarn, en Autriche-Hongrie. Ses premières œuvres conservées datent de 1897, et ont donc étés réalisées lorsqu’il avait onze ans; elles témoignent déjà d’approches techniques variées. Après des cours à l’Ecole des Arts appliqués de Vienne, où il est l’élève de Gustav Klimt, il y devient professeur assistant puis en est renvoyé en 1908 pour avoir montré dans des expositions d’avant-garde des peintures jugées scandaleuses par cette noble institution. En 1909, il expose des nus qui plaisent beaucoup et sont très rapidement vendus. Dans les années 1910, il réalise des dessins très travaillés, entre autres pour la revue <i>Sturm</i>. Traits secs et nerveux, densification des lignes, portraits expressionnistes d’hommes et de femmes, suites d’illustrations, passage à la lithographie, il expérimente à tout va. En 1911, il donne des cours dans une école privée et en 1912 et 1913, enseigne le nu au sein d’une institution qu’il a lui-même créée. De 1912 à 1914, il réalise de nombreuses aquarelles sur des éventails pour sa compagne d’alors, la fameuse Alma Mahler et, voyageant avec elle dans les Dolomites ou à Venise, il y dessine au pastel des paysages et des scènes de la vie quotidienne.</p> <p>Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il exécute aussi les portraits des grands pontes de la haute société viennoise de son temps, loin de toute ressemblance photographique, s’attachant à mettre en valeur la façon dont il les perçoit lui, et en faisant fi de l’amour-propre de ses commanditaires. Ensuite, entre 1919 et 1923, il occupe un poste aux renommés Beaux-Arts de Dresde. Au début des années 20, couleurs lumineuses, larges coups de pinceau, énergie et fraîcheur, convalescent, il s’adonne à l’aquarelle. Nombreux portraits aussi à la même époque à la craie et au crayon. Dans les années 30, il fragmente ses traits, sans plus aucun soucis du contour, fuyant les traitements homogènes et cherchant le relief et la profondeur. Il traverse une période de dessins monochromes, dont des croquis de la danseuses Mary Meerson à la sanguine par exemple. Il réalise aussi beaucoup de dessins, de celle qui deviendra son épouse, la danseuse Olda Palkovská, essayant inlassablement de rendre la grâce d’un mouvement et ce sans jamais user d’aucun effet vériste, de rien qui ne paraisse régulier ou lisse, cherchant sans trêve la subjectivité, l’authenticité, la vivacité, rêvant de rendre la vie à la vie elle-même. En 1937, les nazis l’étiquettent «artiste dégénéré» et à leur fameuse et infamante exposition <i>Entartete Kunst</i>, c’est lui qui aura l’honneur d’avoir le plus d’œuvres représentées. Exilé à Prague, puis à Londres et devenu ensuite, après-guerre, peintre nomade, on l’aperçoit en Grèce, en Italie, en Tunisie, en Libye, en Turquie, au Maroc et, pour finir, à Jérusalem. </p> <h3>Kokoschka en Suisse</h3> <p>Le lac Léman le fascine depuis qu’en janvier 1910 accompagnant le célèbre Adolf Loos, auteur de <i>Ornement et Crime</i> (1908) et préfigurateur du <i>brutalisme </i>en architecture, aux Avants, au-dessus de Montreux, il a peint <i></i>le célèbre paysage <i>Les Dents du Midi </i>ainsi que plusieurs portraits, dont à Yvorne, celui du renommé naturaliste, psychiatre et réformateur social, Auguste Forel. Adolf Loos installe ensuite son protégé au Sanatorium du Mont Blanc à Leysin, où il réalise des portraits d’aristocrates tuberculeux, portraits qui sont aujourd’hui considérés comme des sommets de la si romantiquement tourmentée représentation expressionniste de la figure humaine. Oui, tempête et passion! Adolf Loos, en 1913, organise au Kunsthaus de Zurich une présentation d’une douzaine de ceux-ci, présentation ressentie par la plupart des indigènes helvètes comme un conte d’épouvante.</p> <p>Mais, événement entre tous historique, voici que Dada débarque et que la comédie de Kokoschka, <i>Le sphinx et l’homme de paille, </i>est jouée le 14 avril 1917 au Cabaret Voltaire à Zurich. Marcel Janco en signe les masques que portent les comédiens et la mise en scène, Tristan Tzara joue le rôle du perroquet, Emmy Hennings celui de l’infidèle Anima, Friedrich Glauser, la mort et Hugo Ball, Firdusi, l’époux trompé. Dans <i>La fuite hors du temps</i>, qu’il écrit et publie dix ans plus tard, Ball nous raconte le chaos qui règne ce soir-là sur la scène: «Malgré le prix d’entrée élevé, la Galerie était trop petite pour contenir tous les visiteurs. Dans une pièce du fond, Tzara était responsable de l’éclair et du tonnerre et, comme un perroquet, il devait répéter "Anima, douce Anima!". Mais il confondait les entrées et les sorties, faisait éclater l’orage aux mauvais moments et donnait, à tout prendre, l’impression que c’étaient des effets spéciaux, une confusion calculée des arrière-plans. Finalement, lorsque Monsieur Firdusi était censé tomber, tout s’est embrouillé dans une pagaille de fils électriques et de lampes. Pendant quelques minutes, ce fut la nuit noire et la confusion totale; après quoi la Galerie a retrouvé son aspect habituel.» </p> <p>La Seconde Guerre mondiale passée, la Suisse offrant à Kokoschka des perspectives de commandes de portraits et une clientèle prospère, en 1951, il décide de se faire construire une petite villa sur les bords du lac Léman: «Ce n’est pas par fierté de propriétaire, mais simplement le désir de pouvoir souffler de temps en temps quelque part au cœur de l’Europe dans un lieu politiquement paisible», écrit-il à sa sœur.</p> <p>En 1953, il s’établit définitivement non loin du Château de Chillon, à Villeneuve. Il y passe les vingt-sept dernières années de son existence, et décède en 1980, à Montreux, à l’âge de nonante-quatre ans et en ayant donc vécu un tiers de sa vie en pays vaudois.</p> <h3>Portrait de l'artiste dessinant</h3> <p>Il existe de nombreuses photographies le montrant, regard vif, main souple, dessinant avec agilité des vestiges archéologiques, noircissant des centaines de pages dans ses carnets de croquis, explorant des thèmes liés à l’Antiquité ou effectuant des reproductions dans des musées, redessinant inlassablement des bribes de tragédies grecques ou de récits mythologiques afin d’y trouver le ferment commun de toutes les sociétés, des décors et des costumes de théâtre ou d’opéras. Bref, c’est son destin, il l’a accepté et il dessine et redessine sans trêve ni repos.</p> <p>Pendant septante ans, à coups de traits outrés et fracturés, de visions oniriques, il alterne des représentations d’insectes, de nus, de scènes bibliques ou mythologiques et des paysages aux perspectives bizarres, Kokoschka préférant une vue bifocale à la perspective cavalière, vue embrassant l’étendue du paysage, des représentations de fleurs, d’animaux. Dans le paysage, ce qui l’intéresse, ce n’est pas l’idylle, mais la nature à l’état sauvage, indomptée. Dans leur absence de concessions ses œuvres des dernières années, bouclant la boucle de sa si remarquable carrière, témoignent d'une radicalité picturale au moins égale et même parfois surpassant celles de ses jeunes années et de ses premières œuvres.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1715240159_9782493188212_1_75.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="255" /></p> <h4>«Oskar Kokoschka. 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Oui, de porter une attention soutenue à ce qui nous environne, car si le dessin, comme il l’écrit, déplie le visible, cela ne peut être que pour le pénétrer plus intensément.</p> <h3>Les débuts</h3> <p>Le dessin est une activité solitaire, peinture des jours de pluie, enfermé dans une pièce et l’infini plaisir de n’avoir à faire que ça, ok, d’accord, mais c’est avec sa main dans le bac à sable que Philippe Comar a commencé à dessiner, ou avec un doigt sur des meubles couverts de poussière, sur des vitres embuées, dans de la farine, de la pâte à tarte, en piétinant la neige, en courant dans le sable. Il a dessiné dans le noir avec la pointe de sa langue dans le creux de sa main. En crachant sur les murs, en envoyant gicler des gouttes à la brosse à dent, à la craie sur les trottoirs, au canif sur les arbres. Il a dessiné sur ses mains avec un stylo à bille et comme Léonard de Vinci, il a aimé contempler sans penser à rien les tâches fortuites sur les murs, les traces de moisissure. Il a eu une période labyrinthes, dédales, passerelles, escaliers dérobés, tout un monde à la Piranèse. Il s’est essayé à l’anamorphose, aux dessins étirés, gonflés, dilatés. Pour lui, le dessin n’est jamais au service de quelque chose d’autre. Il est une fin en soi, un moment de grâce durant lequel on peut enfin s’abandonner à un afflux de sensations. Bien sûr, croyant observer, on ne fait qu’effleurer ce qu’on voit et c’est en cela que l’acte de dessiner est plus important que le dessin fini. Comme l’écrivait en 1971 le célèbre historien d’art John Berger, il s’agit de voir le voir. Et même en dessinant d’après nature, de trouver non pas ce que l’on voit mais ce que l’on sent.</p> <h3>Les fluides</h3> <p>Ces <i>Premiers traits</i>, indiqués dans le titre de ce nouvel opus, sont ceux que tracent, depuis l’enfance, tous les fluides qui s’écoulent du corps: salive, lait, larmes, urine. A l’école primaire, un jour, la maitresse le sermonne: il a couvert pendant des mois son bureau de centaines de petits dessins. Et pourquoi pas faire pipi sur les pupitres, s’exclame-t-elle. Toute la classe se gondole et en guise de punition, le petit Philippe est enfermé toute une longue et interminable journée dans les toilettes, et ceci sans manger ni boire et sans lumière. D’où que depuis ce jour-là, il associe l’acte d’uriner et le dessin. Et effectivement, tel Gargantua, du haut des tours de Notre-Dame, il adore dessiner ainsi sur le sable. Et encore aujourd’hui, quand il use de l’encre, il le vit comme quelque chose qui fuit de lui.</p> <p>Vers l’âge de douze ans, découvrant l’urinoir de Duchamp, il se met à collectionner des reproductions de peintures représentant un ou des pots de chambre car oui, entre le XVème et le XVIIIème siècle, l’urine est un thème fréquent dans la peinture de genre.</p> <p>L’auteur se souvient encore d’avoir dessiné à l’école maternelle une femme aux seins pendants se prolongeant par un pointillé évoquant du lait qui s’écoule. Honteux, il l’a déchiré et jeté, pour recommencer aussitôt. Les pointillé l’excitent. Et cela s’est confirmé lorsqu’il a étudié la géométrie descriptive dans laquelle les axes et les lignes de construction d’un solide sont représentés justement par des pointillés, notation tout autant symbolique qu’imagée. Répétons-le: pour lui, il ne s’agit pas d’imiter mais de traduire un ressenti.</p> <h3>Le trait, la tache</h3> <p>Lorsqu’il a sept ans, sensible à l’application qu’il met à copier des tableaux, ceux du Greco par exemple, ses parents l’inscrivent dans une Académie dite «du Jeudi». Les enfants y peignent debout et n’y apprennent rien mais pratiquent assidument la chose. Et notre jeune futur artiste y prend plaisir à tracer des lignes parallèles et à s’y s’entraîner à tracer des lignes régulières, à main levée ou à la règle. C’est une technique qu’il connaît par les illustrations exécutées au burin figurant dans ses livres de classe. Dans son ouvrage, après une vibrante apologie de la gomme, il enchaîne avec celle d’une roulotte de bohémiens, de leur osier tressé pour les paniers, et de la petite bohémienne, pieds nus et cheveux sales pour laquelle il ressent une forte attirance physique. Sujet à sa première érection spontanée, il apprend ce jour-là que le sale et le sexuel ont affaire ensemble et que la découverte de l’outil peut précéder la connaissance de sa fonction. D’un côté, le trait aigu qui cerne. De l’autre, la tâche qui bave. Deux bornes: idéalisme et réalisme. Rodin, dans ses dessins érotiques, associe d’ailleurs ces deux démarches.</p> <h3>Le dessin: une habitude</h3> <p>Notre artiste, cent pour cent sédentaire, habitant depuis cinquante ans la même maison, homme d’habitudes, retrouve ce trait de caractère dans l’acte même de dessiner: le désir de retenir à tout prix, de saisir ce qui fuit. Très tôt sensible au pouvoir du dessin et des mots, la frontière entre les deux n’étant pas aussi nette qu’il y paraît, pour lui les mots ne sont pas que des signes arbitraires. Leur graphie suggère des figures. Ne parle-on pas en typographie de corps de la lettre, de jambage et d’empattement.</p> <h3>Palimpsestes, copies et détournements</h3> <p>En 1961, un sigle <i>OAS</i> ayant été transformé dans son quartier en <i>ONASSIS</i>, nom de l’amant de la Callas et de l’époux de Jacqueline Kennedy, il découvre l’art du détournement. On peut donc masquer le mot originel sans le rayer ou le biffer. Dès lors, il s’applique à faire disparaître ses propres dessins obscènes sous des dessins anodins. Ces palimpsestes sont suivis du détournement de photos de magazines sur lesquelles il modifie le sens d’une image sans que la retouche y soit visible. Il devient aussi, très tôt, faussaire. A dix, onze ans, il réalise déjà de faux tickets d’autobus et de faux timbres-poste, chaque ticket lui demandant plusieurs heures de travail. Une bonne copie doit être plus allusive que descriptive, pas trop précise pour ne pas se faire remarquer. Et petit-à-petit, il se met à remplacer la Marianne sur les lettres et cartes postales par des fragments de corps nus de dame. Oblitéré par la Poste, le timbre devient œuvre.</p> <h3>S'auto créer par et pour le dessin</h3> <p>Ses parents n’ont pas une sensualité marquée, son père lui inflige des fessées pantalon baissé, sa mère répugne au contact physique avec ses enfants et lui, il dessine en cachette des femmes nues, dessins qu’il détruit ensuite. Il rêve aussi d’auto-fellation et de s’auto-dévorer lui-même et retrouve cela dans un personnage de Saul Steinberg, personnage s’auto-dessinant et dans certains dessins de Hans Bellmer, un corps s’auto-dessinant également; et finit par penser que le phantasme d’auto-engendrement est l’essence même de l’art.</p> <h3>Dessin d'enfant</h3> <p>Les dessins d’enfant permettent-ils de retracer les fondements d’une œuvre à venir? Rien n’est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d’un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d’enfant. Tout en tentant de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur, Philippe Comar n’est guère porté à leur attribuer plus d’attention qu’ils n’en méritent. </p> <p>Pourtant, le XXème siècle a préféré cette naïveté à tous les savoirs. Lui, à l’inverse, défend la maitrise du dessin en tant que plaisir originel secondant phantasme jouissance et hédonisme. Il n’angélise rien, goûte à tout, nous raconte ses émois les plus anciens, scatologie et signes fortement sexués. Oui, décidément, dessiner, c’est voir et voir mieux.</p> <h3>Epitaphe</h3> <p>Très tôt, il a été obnubilé par la représentation des rayons lumineux. Fasciné donc par tout ce qui trace, que ce soit droit ou courbe, une ligne dans l’air, sans écran, ni feuille de papier: étoile filante, sillage d’avion, etc. Les traités de balistique en sont pleins. Un trait est un signe, une abstraction, les rayons de soleil, la ligne d’horizon en sont aussi mais dans la nature rien n’est parfait et tout a une dimension charnelle. Aux lignes droites qu’il observe dans le ciel s’ajoutent les cercles concentriques entourant le caillou qu’il vient de jeter dans l’eau. Et la courbe que trace en l’air, écrit-il, le jet mictionnel et qui se retrouve chez les peintres Lorenzo Lotto, Jean Cousin, Titien, Rubens, Rembrandt, Guido Remi et tant d’autres encore. Et les coquillages, les vignes, les crosses de fougère. Mais de toutes les lignes, celles qui l’ont le plus fasciné sont les herbes. Toutes les sortes d’herbes qui existent, le gazon dru, le chiendent, les hautes graminées et la <i>Grande touffe d’herbes </i>de Dürer lui paraît être le plus beau dessin jamais exécuté. Une douzaine d’espèces d’herbacés y sont représentées. A l’âge adulte, de la pousse native jusqu’à la pourriture, il a lui aussi tenté de relever le défi et exécuté plusieurs séries de cet inépuisable sujet. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. Ils y attendent. </p> <p>Le récit est non linéaire, avançant dans une gratuité et un arbitraire paradoxalement archi gratifiant. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée, dans une histoire avec un début et une fin, mais dans un espace où nous nous évadons et gambadons d’image en image, sautillant de page en page, passant vite là, nous attardant ici, flânant ailleurs et retournant en arrière là.</p> <p>La dialectique entre textes et images et le jeu entre les échelles des dessins sont subtils, tendus, perpétuellement inventifs et renouvelés. Il en nait une musique visuelle avec ses thèmes obsédants. Oui, dans ce monde d’attente, ce monde édénique où rien ne se vit, tout est étonnamment vivant.</p> <h3>Les hommes</h3> <p>Les hommes s’y décrivent de façon récurrente comme étant en manque, et de façon plus occasionnelle, comme étant sensibles, doux, caressants, aimables, gentils, respectueux, espérant être à la hauteur de vos attentes, chauds et infatigables, pratiquant tout ou presque, très fiables, aimant le faire dans la nature, maitrisant leur force masculine, jeunes et dynamiques, donnant le vrai plaisir, sympas tranquilles mignons et grands, du signe du poisson, et donc un tantinet mystérieux et romantiques, entièrement disposés à satisfaire vos envies de filles et de femmes libérées, dominants, très discrets, de nature calme et aimant prendre leur temps, au physique athlétique, pouvant donner beaucoup et devenir ultra sévères si nécessaire, passionnés, ouverts à toutes extravagances, aimant aller au bowling, appelant un chat, un chat, mini doux et ayant un trop plein d’amour à offrir.</p> <h3>Et quand il n'y en a plus, il y en a encore</h3> <p>Ces mots et ces idées assemblés n’étant pas sans rappeler <i>L'Eternité par les astres</i> d’Auguste Blanqui, et au milieu de tous ces prétendants, message subliminal, on perçoit bien que nos deux artistes ont décrypté l’essence même du désir du fervent sportif, de l’amateur de cartes, de l’attachant, du très séduisant, du non photogénique, du très intimidant mais fiable, de l’endurant et coquin célibataire prêt à mettre son corps à votre entière disposition.</p> <h3>Leur quête</h3> <p>Nous avons donc affaire à des hommes cherchant un plan rapide, sans prise de tête, avec une femme sexy, mignonne et sans pression, des rencontres discrètes avec une femme cougar, un flirt discret avec une âme sœur belle et propre, et le tour de force de ce livre est d’arriver avec ces désirs-là à ne jamais tomber dans le sordide, de rester amical avec ces mâles qui aimeraient que les femmes qu’ils désirent rencontrer soient plus âgées, matures, avec des formes généreuses, charmantes, des mères de famille, un peu jalouses et possessives, en bas ou en collants, discrètes, disponibles, actives au lit, vraiment gentilles, très coquines, très humbles, cool et respectueuses, en détresse, sensibles et timides, douces, propres et belles, romantiques, sensuelles, intelligentes, diplomates, câlines.</p> <h3>Les métiers des candidats</h3> <p>Nous dérivons donc avec ces demandeurs de rencontres qui dans leur vie ont un très large éventail d’occupations allant des métiers de col bleu, des métiers manuels, comme teinturier, nettoyeur à sec, ouvrier polyvalent, installateur de chaudière, chocolatier-confiseur, serrurier, bagagiste, machiniste, grutier, monteur d’appareils électro-ménager, éclairagiste, cueilleur, affuteur, et bien sûr l’hyper pertinent et bienvenu, masseur. Des métiers demandant un grand engagement physique comme maître-nageur, guide chasse et pêche, sauveteur, interprète en langue des signes, souffleur, voix off, choriste, professeur de yoga. Et du côté col blanc, nous avons un game designer, un ministre du culte, un greffier, un fiscaliste, un échevin, un architecte de jardin, un humoriste, un acarologue, un acousticien, un fiscaliste, un diamantaire, un médecin légiste, un dénicheur de talent et un très utile dermatologue, l’un possédant une webcam et un autre avouant que cela suffit à son bonheur.</p> <h3>Les objets, les animaux, les décors, la Mère</h3> <p>On l’appelle «La Mère» et elle est «La Grande Absence». Sa maison est envahie par des amas de livres détrempés et son jardin contient une piscine inachevée. Mais tout en étant l’Unique Divin Problème, elle n’a pas de problème. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. 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Par le polar, ils peuvent raconter tout ce qu’ils ne peuvent plus dire par le journalisme. Ils utilisent dans l’écriture leur méthodologie d’investigation: collecte de données, recueil de témoignages, enquête de terrain, étude d’archives.</p> <p>Carlos Ginsburg dans <i>Signes, traces et pistes,</i> son article paru en 1980, article faisant lui-même référence à l’article <i>Attribution</i> d’Enrico Castelnuovo paru en 1968 dans l’Encyclopédie Universalis: en 1876, il y a beaucoup de fausses attributions dans les musées, G. Morelli postule que pour distinguer les originaux des copies, il ne faut pas se baser sur les caractères les plus apparents et, par conséquent, les plus faciles à imiter mais examiner les détails les plus négligeables: les lobes des oreilles, les ongles, la forme des doigts des mains et des pieds. 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Il s’agit donc de cartographier une enfance, qui s’est passée dans la plaine agricole du Gros-de-Vaud, en milieu rural protestant, à Pailly, Oppens, Orzens, non loin d’Yverdon.
Temps et lieu
Le schéma de départ est spatial et déroule des lieux et des sensations à partir d’un plan non pas linéaire mais en spirale et avec divers reliefs. Un parcours, la reconstitution d’un paysage avec ses hauts, ses bas, ses impressions sonores, visuelles, tactiles, ses zones de brouillard. La laiterie, les ponts de grange typiques de son «petit coin de terre vaudoise», le tas de fumier avec sa planche en bois qui permet à la brouette de passer dessus, la remorque à lisier, la fosse à purin, le convoyeur, tapis roulant, avec au centre du village, solide et massive, une grande fontaine de campagne à deux bassins.
Le sol
Cela commence par le sol parce que l’on passe beaucoup de temps au sol lorsqu’on est un petit enfant. On ne sait pas encore marcher, on se fatigue vite, on tombe, et la vue est plus courte. Il y a cette myopie enfantine, on regarde le proche, ce qu’on trouve sous la main, ce qu’on tâte, et puis à partir de ce point de vue, petit à petit la vue se développe et on voit l’environnement de manière un peu plus large mais toujours à partir d’un point très précis du sol. Au début donc, pour l'auteur, tout est sol et rien que sol, sol de l’enfance, sol socle. Il commence par décrire ce sol là où il est le plus dur, la route goudronnée, goudron et gravillons mêlés, son odeur forte, puis il passe au sable, à l’herbe, à la terre sèche ou boueuse, au gravier, au parquet, aux dalles, au tapis, aux couvertures. Oui, il s’agit d’arpenter ce territoire, et ce défilement va se retrouver dans l’écriture et avec le mouvement, ce détachement, cette impression de glisser sur les choses. Il s’agit aussi de prendre conscience de l’immensité de ce qui nous entoure, de la distance entre deux poteaux d’un but de football.
Son style
Plus intéressé par la vérité des sensations, des impressions, des sens, des perceptions que par celle des souvenirs, Alain Freudiger effeuille, effleure, prend son temps, ne brûle pas les étapes et use d’une grande précision dans l’usage du vocabulaire, et de peu de qualificatifs. C’est très fluide et pour ce faire, il n’y a pas de chapitres. Son travail est triple: il parcourt mentalement sa propre mémoire par l’écriture: tous ses lieux, ses maisons, ses chemins, ses bois, ses champs. Ensuite après ce premier jet, il consulte un certain nombre de photographies, non seulement de son enfance mais aussi de la région à cette époque-là, et a quelques discussions avec des proches et des gens qui ont vécu là-bas, non pour vérifier tel ou tel détail mais pour faire sauter des verrous mémoriels, pour s’ouvrir à de nouvelles choses.
Le vocabulaire
L’un des enjeux du livre était d’arriver à une grande précision dans le vocabulaire, pour retrouver ces sensations d’enfant, ces finesses tactiles, olfactives, ces perceptions, ces émotions. Nanti d’une très bonne mémoire, il remonte donc le fleuve de cette enfance pour décrire précisément ce moment où pour lui, entre ses quatre et sept ans, tout était neuf.
Temps où chaque paysage, chaque situation, chaque personnage, animal, plante, tout était l’objet d’un étonnement, d’une impression plus ou moins forte.
Le père
Un grand l’ennuie, son père lui dit qu’il se venge parce qu’il n’aime pas le catéchisme car, oui, son père est pasteur. Ce père explique aussi qu’on ne peut dire ni «nom de Dieu», ni «j’adore le chocolat», qu’on ne doit pas jurer et qu’il n’y a que Dieu qu’on adore. Ce père qui regardait toujours ses fils avec bienveillance et qui leur lit chaque soir un chapitre de l’Iliade ou de l’Odyssée. Néanmoins, le soir, avant d’aller dormir, tout est agité, alors, tous ensemble, ils chantent d’une voix très douce une chanson au pouvoir apaisant:
Demeure par ta grâce, Avec nous Dieu sauveur!
Quoi que l’Ennemi fasse, Protège notre cœur
Le corps, les mouvements, les seuils
Le corps est bien là et les blessures font partie de la vie de tous les jours. A un moment, il y a la morsure par un chien, la blessure qui pourrit et les croûtes, qui peu à peu se détachent, les ecchymoses, les entailles, le corps griffé par les ronces, le corps qui change de forme après avoir été piqué par un insecte ou par la pointe en silice des orties se plantant comme une aiguille dans l'épiderme.
Rien d’aérien ou d’évaporé, il y a incarnation. La dynamique de l’écriture est mouvement car l’auteur est très sensible à l’oralité, au rythme, au côté marcheur. Il accorde une grande importance aussi aux seuils, au fait de les franchir, de passer d’un lieu à l’autre, d’un extérieur à un intérieur, d’un chemin à une route, d’un bois à un pré, de toutes les perceptions et des effets de surprise.
Les animaux et les plantes
Il insiste également sur l’importance des animaux, les abeilles, les chiens, les corneilles, les taupes, les hérissons écrasés au bord de la route, les oies, le dindon qui fait peur, les vaches qui traversent le village, les coccinelles, les chenilles, les vertes et les brunes, les poux, les chevaux, les chèvres, les moutons.
Et le champ de maïs avec ses innombrables couloirs qui avancent à l’infini et qui cachent les enfants de tous les regards. Les bottes de paille, le seigle, le blé, l’orge. Et dans les bois, surgit un ruisseau, des branches moussues, le bruit de l’écoulement, doux, calme, léger, persistant, les pissenlits, les marguerites, les pâquerettes, le bouton d’or – simplicité, le platane, le sureau, les peupliers sur la place centrale, le cyprès.
Le côté pop
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Les autres enfants
Chacun a son caractère. Chez Yves, les tracteurs, chez les Lenz, l’atelier de réparation de voitures, chez Stéphane, après avoir passé le rideau de lamelles plastiques jaune-verte-rose-brune-orange-turquoise, le tapis doux et la table basse.
Le bonheur
Partout où il y a un chemin à deux sillons, à l’orée d’une forêt, il est chez lui, dit-il. La question du paradis, du bonheur, n’est pas liée à des événements, à une exaltation. C’est un bonheur animiste qui est décrit en termes de lumières, de sons, de sensations, et qui n’a pas vocation à durer, qui ne s’appesantit pas. Un rai de lumière, ses millions de grains de poussière, apportant une vague idée cosmique.
Ce bonheur est à l’échelle des choses et des événements, petit. Ce n’est pas le paradis perdu. Oui, s’il y a une mélodie dans ce livre, c’est celle du bonheur, d’un bonheur calme, tendre et paisible.
Le moulin du village, l’endroit le plus paradisiaque de sa prime enfance, dit-il – un bassin en pierre plein d’eau dans lequel les enfants peuvent se baigner en jouant avec des chambres à air.
Au soir tombant, en rentrant au crépuscule, après le portail toujours ouvert, être accueilli par les lumières jaunes aux fenêtres, par une chaleureuse image d’un foyer chaud et lumineux, oui, accueilli par le père ou la mère. Heureux les pacifiques. Un jour, il dit à son petit frère de manger une feuille d’ortie, celui-ci le fait, il ne se passe rien mais l’auteur, ébranlé par cette obéissance aveugle, ne lui fera plus jamais de semblable sale coup.
Il écrit aussi qu’au village, il y a peu de classes sociales, que les enfants sont sur une même ligne d’égalité, qu’il n’y a pas de différence entre fils de paysan et fils de notable local.
Le paradis d'avant la Chute
Ce qui importe, c’est de grandir, de bouger, de découvrir, d’aimer, bref de vivre. Oui, en un étonnant coup de maître, Alain Freudiger nous décrit tout simplement sa jouissance à être.
Nous ne sommes pas sur le chemin de Damas, il n’y a pas de rédemption, il n’y a pas eu de Chute mais au contraire, conquête de la station verticale. Ce n’est pas l’enfance de tout un chacun. Aux uns, une pente douce, aux autres, des montagnes russes, peu ont eu un rapport aussi harmonieux à leur fratries, peu ont été aussi aimés par leurs parents et moins encore se sentaient les égaux de tous. C’est bien là qu’est le tour de force d’Alain Freudiger. Avec lui, nous sommes dans le paradis de Jérôme Bosch, chez le Breughel de La Chute d’Icare. Mais l’enfer et l’occupation espagnole, cela sera pour une autre fois. Nous sommes dans la campagne romande au début des années 80 et dans les derniers temps heureux de l’histoire de l’humanité. Juste avant l’arrivée massive de la microinformatique, des séries HBO et du réchauffement climatique.
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Néanmoins, le soir, avant d’aller dormir, tout est agité, alors, tous ensemble, ils chantent d’une voix très douce une chanson au pouvoir apaisant:</p> <p><em>Demeure par ta grâce, Avec nous Dieu sauveur!</em></p> <p><em>Quoi que l’Ennemi fasse, Protège notre cœur</em> </p> <h3>Le corps, les mouvements, les seuils</h3> <p>Le corps est bien là et les blessures font partie de la vie de tous les jours. A un moment, il y a la morsure par un chien, la blessure qui pourrit et les croûtes, qui peu à peu se détachent, les ecchymoses, les entailles, le corps griffé par les ronces, le corps qui change de forme après avoir été piqué par un insecte ou par la pointe en silice des orties se plantant comme une aiguille dans l'épiderme. </p> <p>Rien d’aérien ou d’évaporé, il y a incarnation. La dynamique de l’écriture est mouvement car l’auteur est très sensible à l’oralité, au rythme, au côté marcheur. 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Et dans les bois, surgit un ruisseau, des branches moussues, le bruit de l’écoulement, doux, calme, léger, persistant, les pissenlits, les marguerites, les pâquerettes, le bouton d’or – simplicité, le platane, le sureau, les peupliers sur la place centrale, le cyprès.</p> <h3>Le côté pop</h3> <p>Le chewing-gum, les Lego, les cigarettes filtres, les jeux électroniques avec leur écran à cristaux liquides, une maquette d’avion. L'auteur, enfant, reconnaît très bien les voitures, sait différencier très tôt une Mini Cooper d’une Alfa Roméo, et il est admiré par les adultes pour cela. Une petite poignée de dessinateurs, cinéastes ou groupes, Agnès Rosenstiehl, Yves Yersin, Etienne Delessert, Jörg Müller, les Forbans ou Téléphone, la télévision – où on la place dans la maison, dans quelle position on se met pour la regarder, son premier film: <i>La Grande Vadrouille</i>. </p> <h3>Les autres enfants</h3> <p>Chacun a son caractère. 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Il a revendiqué ce point de vue dès le début de sa très longue carrière. Appartenant donc à un genre souverain et indépendant, ses dessins proposent une très grande variété d’approches et de couleurs, dans des palettes de tons différenciés, et dégagent souvent une impression de grande vitalité, de plaisir, de sensualité, l’impression d’une perception subjective plutôt qu’objective. L’expression est émotion immédiate et dans ses productions, il ne cherche jamais à rendre la réalité mais bien plutôt le fourmillement des sensations qui le traversent, quand, concentré, il s’exerce à capter l’expression d’un visage, un geste, un paysage, un mouvement. Ses nus, devenus très vite non conventionnels, accordent une attention particulière aux chevelures et aux mains. Auguste Rodin, Ferdinand Hodler, Gustav Klimt, Aubrey Beardsley sont ceux qu’il espère dépasser. 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Oui, de porter une attention soutenue à ce qui nous environne, car si le dessin, comme il l’écrit, déplie le visible, cela ne peut être que pour le pénétrer plus intensément.</p> <h3>Les débuts</h3> <p>Le dessin est une activité solitaire, peinture des jours de pluie, enfermé dans une pièce et l’infini plaisir de n’avoir à faire que ça, ok, d’accord, mais c’est avec sa main dans le bac à sable que Philippe Comar a commencé à dessiner, ou avec un doigt sur des meubles couverts de poussière, sur des vitres embuées, dans de la farine, de la pâte à tarte, en piétinant la neige, en courant dans le sable. Il a dessiné dans le noir avec la pointe de sa langue dans le creux de sa main. En crachant sur les murs, en envoyant gicler des gouttes à la brosse à dent, à la craie sur les trottoirs, au canif sur les arbres. Il a dessiné sur ses mains avec un stylo à bille et comme Léonard de Vinci, il a aimé contempler sans penser à rien les tâches fortuites sur les murs, les traces de moisissure. Il a eu une période labyrinthes, dédales, passerelles, escaliers dérobés, tout un monde à la Piranèse. Il s’est essayé à l’anamorphose, aux dessins étirés, gonflés, dilatés. Pour lui, le dessin n’est jamais au service de quelque chose d’autre. Il est une fin en soi, un moment de grâce durant lequel on peut enfin s’abandonner à un afflux de sensations. Bien sûr, croyant observer, on ne fait qu’effleurer ce qu’on voit et c’est en cela que l’acte de dessiner est plus important que le dessin fini. Comme l’écrivait en 1971 le célèbre historien d’art John Berger, il s’agit de voir le voir. Et même en dessinant d’après nature, de trouver non pas ce que l’on voit mais ce que l’on sent.</p> <h3>Les fluides</h3> <p>Ces <i>Premiers traits</i>, indiqués dans le titre de ce nouvel opus, sont ceux que tracent, depuis l’enfance, tous les fluides qui s’écoulent du corps: salive, lait, larmes, urine. A l’école primaire, un jour, la maitresse le sermonne: il a couvert pendant des mois son bureau de centaines de petits dessins. Et pourquoi pas faire pipi sur les pupitres, s’exclame-t-elle. Toute la classe se gondole et en guise de punition, le petit Philippe est enfermé toute une longue et interminable journée dans les toilettes, et ceci sans manger ni boire et sans lumière. D’où que depuis ce jour-là, il associe l’acte d’uriner et le dessin. Et effectivement, tel Gargantua, du haut des tours de Notre-Dame, il adore dessiner ainsi sur le sable. 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Et petit-à-petit, il se met à remplacer la Marianne sur les lettres et cartes postales par des fragments de corps nus de dame. Oblitéré par la Poste, le timbre devient œuvre.</p> <h3>S'auto créer par et pour le dessin</h3> <p>Ses parents n’ont pas une sensualité marquée, son père lui inflige des fessées pantalon baissé, sa mère répugne au contact physique avec ses enfants et lui, il dessine en cachette des femmes nues, dessins qu’il détruit ensuite. Il rêve aussi d’auto-fellation et de s’auto-dévorer lui-même et retrouve cela dans un personnage de Saul Steinberg, personnage s’auto-dessinant et dans certains dessins de Hans Bellmer, un corps s’auto-dessinant également; et finit par penser que le phantasme d’auto-engendrement est l’essence même de l’art.</p> <h3>Dessin d'enfant</h3> <p>Les dessins d’enfant permettent-ils de retracer les fondements d’une œuvre à venir? Rien n’est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d’un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d’enfant. Tout en tentant de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur, Philippe Comar n’est guère porté à leur attribuer plus d’attention qu’ils n’en méritent. </p> <p>Pourtant, le XXème siècle a préféré cette naïveté à tous les savoirs. Lui, à l’inverse, défend la maitrise du dessin en tant que plaisir originel secondant phantasme jouissance et hédonisme. Il n’angélise rien, goûte à tout, nous raconte ses émois les plus anciens, scatologie et signes fortement sexués. Oui, décidément, dessiner, c’est voir et voir mieux.</p> <h3>Epitaphe</h3> <p>Très tôt, il a été obnubilé par la représentation des rayons lumineux. Fasciné donc par tout ce qui trace, que ce soit droit ou courbe, une ligne dans l’air, sans écran, ni feuille de papier: étoile filante, sillage d’avion, etc. Les traités de balistique en sont pleins. Un trait est un signe, une abstraction, les rayons de soleil, la ligne d’horizon en sont aussi mais dans la nature rien n’est parfait et tout a une dimension charnelle. Aux lignes droites qu’il observe dans le ciel s’ajoutent les cercles concentriques entourant le caillou qu’il vient de jeter dans l’eau. Et la courbe que trace en l’air, écrit-il, le jet mictionnel et qui se retrouve chez les peintres Lorenzo Lotto, Jean Cousin, Titien, Rubens, Rembrandt, Guido Remi et tant d’autres encore. Et les coquillages, les vignes, les crosses de fougère. Mais de toutes les lignes, celles qui l’ont le plus fasciné sont les herbes. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. Ils y attendent. </p> <p>Le récit est non linéaire, avançant dans une gratuité et un arbitraire paradoxalement archi gratifiant. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée, dans une histoire avec un début et une fin, mais dans un espace où nous nous évadons et gambadons d’image en image, sautillant de page en page, passant vite là, nous attardant ici, flânant ailleurs et retournant en arrière là.</p> <p>La dialectique entre textes et images et le jeu entre les échelles des dessins sont subtils, tendus, perpétuellement inventifs et renouvelés. Il en nait une musique visuelle avec ses thèmes obsédants. 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Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. C’est ce que lui a raté que le roman noir va réussir, avec des auteurs paradoxalement issus de la grande bourgeoisie: Boris Vian et José Giovanni; ou avec des auteurs qui n’ont fréquenté que l’école primaire, comme Léo Malet, Auguste Le Breton, George Simenon et Albert Simonin.</p> <h3>Dur à cuire</h3> <p>1943 est l’année de l’adaptation en France du <i>hardboiled</i> <i>made in USA</i> avec la naissance de Nestor Burma dans le <i>120, rue de la Gare </i>de Léo Mallet, récit tissé d’effets de réel, d’écriture à la première personne, de notations de détails sans fonction, d’enracinement dans tel ou tel quartier. Mallet décrit la cité Jeanne-d’Arc, ilot insalubre, ruisseau central, trottoirs inexistants, poubelles débordantes d’immondices jamais enlevées et assiégées par des chats, des chiens et des rats. Maisons étayées par de gros madriers goudronnés. Ça pue les latrines bouchées. Pas mal de vitres cassées remplacées par des morceaux de carton, des tuyaux de poêle pointant par diverses ouvertures, du linge étendu sur des barres d’appuis. On dirait une enquête de Zola, mais lui, Malet, a tout inventé et en ne s’inspirant non pas de Dashiell Hammett ou de <i>Scarface</i>, mais d’Arsène Lupin, Fantômas et Fu Manchu d’où est tiré le patronyme Burma; et en usant de nombreux emprunts à l’anglais: trench-coats, cop, docks, drugstore, building, policemen, barmaid ou knock-out.</p> <h3>La Série noire</h3> <p>En 1964, Sartre, dans son autobiographie, <i>Les Mots</i>, déclare qu’il lit plus volontiers un <i>Série</i> <i>noire</i> que Wittgenstein. Cette nouvelle collection a été lancée par Gallimard en 1945, pour publier des romans <i>hardboiled</i>. Peu de titres au début mais dès 1948 la collection entre dans l’ère fordiste des littératures de genre, standardisation et mode de fabrication contraints aussi bien dans la matérialité des volumes que dans l’identité des textes, avec imprimé sur les rabats de la jaquette. Donnés comme les traits principaux des ces ouvrages: l’immoralité, l’anticonformisme, l’action, la violence, la tension, l’humour et l’angoisse.</p> <p>En 1953, six titres français paraissent. Albert Simonin avec <i>Touchez pas au grisbi!</i> remporte un énorme succès, <i></i>100'000 exemplaires vendus. Auguste le Breton renouvelle ensuite l’exploit avec <i>Du rififi chez les hommes</i>.</p> <h3>Le roman noir à la française</h3> <p>La classe moyenne, tout en se consolidant dans les années 50 et 60, aura son Homère en la personne de Georges Simenon et ses 75 romans mettant en scène le commissaire <i>Maigret.</i> Cette épopée d’une société rurale et ouvrière mutant vers le tertiaire rencontrera un succès planétaire et, en nombre d’exemplaires vendus, sera en concurrence avec la Bible. Auscultant inlassablement le capitalisme moderne, le Liégeois captera ses heurts, ses changements, ses frictions et pour lui, comme pour le roman noir en général, le cinéma sera fondamental. Une adaptation d’un de ses livres avec Jean Gabin dans le rôle-titre, c’est la certitude d’atteindre des tirages phénoménaux.</p> <p>Pour le reste, Manchette le notera dans l’une de ses chronique, les truands du roman noir sont réac et ne cessent de se plaindre du temps qui passe. Leur contre-société est pour eux la seule communauté qui existe. Ils nomment leur milieu le Milieu et ils se nomment eux-mêmes les Hommes. Le reste de la société n’étant qu’un ramassis de pue-la-sueur soumis aux politiciens et craignant les flics.</p> <h3>Ultragauche, le néo-polar</h3> <p>Après Mai 68, le roman noir français reconvertit le genre en acte critique, en radiographie politique de la société et de ses institutions, en instrument d’intervention sociale. Le néo-polar intègre dans ses récits les banlieues, les grands ensembles, les HLM, et décrit de nouveaux espaces tels les caves, les terrains vagues, les cages d’escaliers. La violence sociale n’y est plus un écart mais la norme et toute révolte individuelle y est, par nature, vouée à échouer. Paranoïa et haine de soi y dominent.</p> <p>Jean-Patrick Manchette, invité à l'émission <i>Apostrophes</i> par Bernard Pivot, en utilisant le terme de néo-polar devant des millions de spectateurs, rend son usage universel. L’époque est aux positions tranchées mais c’est A.D.G., sympathisant du Front national, qui brosse avec tendresse des portraits de hippies contestataires, et Manchette qui endosse dans ses livres le point de vue des fascistes.</p> <p>Sur les seize auteurs pratiquant ce nouveau genre, dix ont un passé de militants de gauche, dans des organisations telles que les Jeunesses communistes, le PCF, la Gauche prolétarienne ou Lutte ouvrière, tous, nés après 1945, sont des <i>baby-boomers</i>, ayant fait des études supérieures, et ayant des bac +4, ou +5. Ils sont journalistes, scénaristes, traducteurs, éditeurs ou cinéastes. Manchette se définira d’ailleurs lui-même comme étant un indécrottable intello pas honteux de l’être.</p> <h3>La reconnaissance du genre</h3> <p>Pendant que la contre-culture se dote de ses propres outils de communication, journaux satiriques, BD, fanzines, l’éditeur Plon réagit et crée des collections qui rencontrent un succès phénoménal comme <i>SAS</i> de Gérard de Villiers, avec ses romans d’espionnage racistes et sexistes, homophobes et anticommunistes. De même, la série Brigade spéciale associe toujours l’acte sexuel à des coups et de la torture, d’un racisme appuyé, elle use de termes comme «bougnoule», «négresse» et est riche en descriptions de traitements dégradants. </p> <p>Les années 1980 voient l’entrée en scène de l’amateur érudit et naissent des almanachs, des chroniques, des fanzines, des revues spécialisées vendues en kiosque, comme <i>Gang</i>, <i>Polar</i> ou <i>813</i>, un Festival du roman et du film policier, une exposition au Centre Pompidou, l’ouverture en 1983 de la Bilipo, Bibliothèque des littératures policières à Paris, des thèses sur le sujet sont soutenues et en 1994 paraissent 471 nouveaux titres, en 1995, 700, en 2001, 1'709. </p> <p>Lors du cinquantième anniversaire de la <i>Série noire</i>, Patrick Raynal en devient directeur. <i>Œdipe roi</i> de Sophocle y est publié, Jean-Claude Izzo et Maurice G. Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. La plus célèbre de toutes, Virginie Despentes, décrit des personnages qui n’ont rien de victimes soumises, ni de douceur féminine et retourne, avec brio, la violence contre les hommes dans des récits urbains, violents, crus et nihilistes.</p> <h3>Auteurs enquêteurs, profs, journalistes et policiers</h3> <p>Le polar du XXIème siècle marque l’avènement d’une prise de parole qui n’est ni le fruit d’un engagement ni le résultat d’une déception militante.</p> <p>Chercheurs, enseignants-chercheurs, journalistes, documentaristes, médecins, psychanalystes, avocats pénalistes, policiers, ils sont très nombreux à exercer ou avoir exercé des professions qui relèvent du paradigme indiciaire. Beaucoup d’auteurs travaillent dans l’audiovisuel, sont profs ou policiers – généralement des officiers. D’autres sont journalistes, donc précarisés ou en voie de l’être, et trouvent dans le polar une liberté dont ne disposent plus les médias d’information. Par le polar, ils peuvent raconter tout ce qu’ils ne peuvent plus dire par le journalisme. Ils utilisent dans l’écriture leur méthodologie d’investigation: collecte de données, recueil de témoignages, enquête de terrain, étude d’archives.</p> <p>Carlos Ginsburg dans <i>Signes, traces et pistes,</i> son article paru en 1980, article faisant lui-même référence à l’article <i>Attribution</i> d’Enrico Castelnuovo paru en 1968 dans l’Encyclopédie Universalis: en 1876, il y a beaucoup de fausses attributions dans les musées, G. Morelli postule que pour distinguer les originaux des copies, il ne faut pas se baser sur les caractères les plus apparents et, par conséquent, les plus faciles à imiter mais examiner les détails les plus négligeables: les lobes des oreilles, les ongles, la forme des doigts des mains et des pieds. 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