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Accueilli avec enthousiasme à Cannes, «Killers of the Flower Moon» ne tient pas toutes ses promesses. Si l'histoire de la spoliation d'Indiens enrichis par le pétrole est de nature à frapper les esprits, le récit criminel retenu manque de concision et sa mise en scène d'inspiration, tout en rejetant les Indiens à l'arrière-plan.



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Trois heures et vingt minutes de projection, une contre-histoire des Etats-Unis, le face-à-face tant attendu entre Leonardo DiCaprio et Robert De Niro, une première triomphale à Cannes, même hors compétition: on peut dire que le nouveau film de Martin Scorsese, qui a fêté ses 80 ans durant ce tournage, en impose. On ose malgré tout avouer avoir été déçu? Oh, pas autant que par The Aviator, The Wolf of Wall Street ou The Irishman, autres preuves d'une réputation parfois étrangement surfaite. Certes, l'histoire de la spoliation criminelle des Indiens Osage il y a un siècle, révélée en 2017 par le romancier-journaliste-historien David Grann dans un formidable best-seller, aurait pu tomber entre pires mains! Mais le néo-classicisme de Scorsese fait long feu, la distribution d'acteurs de vingt ans trop âgés pour leurs rôles paraît moins qu'idéale et c'est à peine si une séquence mémorable se dégage de l'ensemble. Bref, on a senti le temps passer, ce qui n'est jamais très bon signe.

Killers of the Flower Moon s'ouvre sur une séquence symbolique de cérémonie indienne durant laquelle les Osage disent adieu à leur calumet sacré, actant ainsi leur acceptation du monde moderne de l'homme blanc. Mais là où un cinéaste d'autrefois n'aurait pas hésité à faire jaillir du pétrole du trou-même creusé pour l'enterrer, Scorsese préfère enchaîner sur une deuxième scène où ce sont d'autres Indiens qui finissent aspergés. Puis on passe à des images d'actualité recréées dans le style d'époque (les années 1910) pour expliquer l'enrichissement fabuleux de la tribu, l'or noir ayant surgi sur les terres ingrates de l'Oklahoma où on les avait parqués. Ceci posé, le récit proprement dit peut commencer. Mais la coupe malencontreuse nous est restée à l'esprit, rappelée par toute une série d'autres moments pas vraiment limpides.

Du côté des fourbes Blancs

Les grandes lignes du récit sont pourtant très claires. De retour de la Première guerre mondiale, Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio) se retrouve dans sa bourgade en plein boom de Fairfax et rejoint son frère Byron au service de leur oncle William Hale (Robert De Niro), un important rancher également officier de paix de la région. De moralité douteuse, Ernest finit par se racheter une conduite quand il tombe amoureux de Mollie Kyle (Lily Gladstone), une riche Indienne pour laquelle il a fait le chauffeur, et l'épouse. Commence alors une série de malheurs qui frappent les trois sœurs et la mère de Mollie. Même si cette dernière n'y voit d'abord que du feu, il devient clair que «King» Hale, l'ami proclamé des Indiens, tire les ficelles pour accaparer leur fortune et leurs terres. A quel point Ernest est-il impliqué?

L'ennui, c'est que malgré les cachotteries alambiquées de la mise en scène (on ne compte par les événements survolés racontés par une voix off et les «trous» comblés plus tard), on a tôt fait de comprendre qu'il est mouillé jusqu'au cou. Et lorsque Mollie se met à souffrir du diabète, nécessitant des injections d'insuline quotidiennes administrées par son mari, il ne fait plus de doute que celui-ci est en train de l'empoisonner tout en protestant de son amour. Mais qu'est-ce donc que ce récit raconté pour l'essentiel du point de vue d'un homme qui se ment à lui-même, sans jamais vraiment faire illusion? Une bonne partie des scènes ressenties comme bizarres viennent de là, l'antipathie suscitée par les personnages principaux n'arrangeant pas les choses. Et puis, quelle déception que de voir Mollie, cette Indienne pourtant donnée comme posée et intelligente, si vite réduite à l'état d'amoureuse puis de malade chronique privée de tout entendement (un cas typique de «gaslighting», selon le nouveau terme à la mode)!

Le panache pour la fin

Les assassinats plus ou moins maquillés en accidents ou en suicides s'enchaînent, en général confiés à des «petites mains». Des années passent (on a glissé dans les années 1920) et trois enfants naissent, à peine pris en compte. Pour finir, Mollie parvient à se traîner jusqu'à Washington pour plaider la cause des Osage décimés devant le président Calvin Coolidge et le FBI débarque à Fairfax, ne tardant pas à venir frapper aux portes de Burkhart et de Hale. Le plan diabolique sera-t-il découvert à temps, Mollie sauvée et justice rendue par un tribunal? On n'en révélera pas trop en répondant par «oui et non». L'histoire étant tirée de faits réels, elle est d'autant plus sidérante.

Mais rien n'y fait. Malgré un emprunt à Terrence Malick par-ci, un autre à Michael Mann ou Jane Campion par-là, la mise en scène paraît de moins en moins inspirée plus le film avance. DiCaprio a commencé à faire du Brando, De Niro est retourné en mode mafioso et les quelques «guest stars» de dernière minute (John Lithgow, Brendan Fraser) n'y peuvent plus rien. Au moins, Scorsese nous réserve-t-il sa meilleure idée pour la fin: au lieu des sempiternels textes bouclant l'histoire sur le temps plus long, le cinéaste recourt à un spectacle sponsorié par le FBI, raconté au micro dans le style d'alors. Et qui d'autre pour conclure sur scène que le cinéaste lui-même? Même si ce n'est pas Nick Cave et sa «Ballade de Jesse James» à la fin du merveilleux film d'Andrew Dominik, voilà qui ne manque ni d'ironie ni de panache!

Une adaptation trop respectueuse ?

«Killers of the Flower Moon est à la fois un western épique et une saga criminelle, où se mêlent un amour véritable et une trahison indicible», annonçait la publicité pour une fois sans mentir. Pourtant, pour toutes les raisons évoquées, c'est plutôt l'impression d'un chef-d'œuvre manqué qui prévaut. En son temps, George Stevens avait subi les feux de la critique pour son Géant (1956, avec Rock Hudson, Elizabeth Taylor et James Dean) somme toute très comparable (par sa durée, son boom pétrolier, son mélange de western et de mélodrame). Mais celle d'aujourd'hui n'a toujours pas reconnu chez Scorsese une nouvelle forme d'académisme...

Et puis, que viennent donc faire ici ces allusions à une supposée judéité d'Ernest Burkhart (le nom sonne plutôt suisse à nos oreilles) pour expliquer son avidité? Propos infondés dans un contexte de racisme généralisé? On a beau savoir le scénario co-écrit par le vénérable Eric Roth, soit le thème était traité, soit cela disparaissait. Au fond, peut-être que le principal défaut du film est d'avoir trop voulu en mettre, sans doute par fidélité au «pavé» qui l'a inspiré. Trop de péripéties, trop de détails, trop d'ambiguïtés inutiles alors que le cœur même du sujet, l'ahurissante spoliation du peuple Osage, passe imperceptiblement à l'arrière-plan. Encore une fois au profit d'une histoire d'hommes blancs entre eux. Décidément, il ne fait pas bon être les victimes quand les «méchants» paraissent tellement plus intéressants!

Production de prestige des nouveaux venus d'Apple Studios, finalement distribuée en salles par Paramount, Killers of the Flower Moon souffre surtout d'un manque de concision fatal propre à tous ces nouveaux produits d'appel de plate-formes. La majorité n'y verra apparemment que du feu. Mais crier au «meilleur Scorsese», c'est faire injure à Taxi Driver, Raging Bull, The King of Comedy, GoodFellas, Shutter Island ou même Hugo, des films autrement inspirés qu'on peut toujours revoir avec délice. Ce qui ne sera sûrement pas le cas de cette superproduction boursouflée. 


«Killers of the Flower Moon», de Martin Scorsese (Etats-Unis, 2023), avec Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone, Jesse Plemons, Tantoo Cardinal, Scott Shepherd, John Lithgow, Brendan Fraser. 3h26

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Chan clear 27.10.2023 | 09h16

«Et bien merci pour cette analyse, car une durée de 3h26 pour un film, il y a intérêt à ce qu’il soit passionnant, c’est vrai que De Niro et Di Caprio , nous les avons beaucoup vus….»


@Cesar 03.11.2023 | 16h14

«Un film admirable et respectueux de la culture des Osages,un moment hors du temps… les critiques sont des ratés sympathiques …dixit Charlebois!
»


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