Culture / Camus est-il vraiment celui que l'on croit?
Albert Camus en 1957. © United Press International - Library of Congress
Neuf millions d'exemplaires de «L’Etranger» (traduit en soixante-dix langues) et quatre millions sept cent mille exemplaires de «La Peste» ont été à ce jour vendus en France. Editorialistes ou hommes politiques, tous revendiquent l’héritage d’Albert Camus, l’auteur français le plus lu dans le monde. Est-il vraiment le saint laïc dont tous se réclament? Non, non et non, avance Olivier Gloag.
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Il a revendiqué ce point de vue dès le début de sa très longue carrière. Appartenant donc à un genre souverain et indépendant, ses dessins proposent une très grande variété d’approches et de couleurs, dans des palettes de tons différenciés, et dégagent souvent une impression de grande vitalité, de plaisir, de sensualité, l’impression d’une perception subjective plutôt qu’objective. L’expression est émotion immédiate et dans ses productions, il ne cherche jamais à rendre la réalité mais bien plutôt le fourmillement des sensations qui le traversent, quand, concentré, il s’exerce à capter l’expression d’un visage, un geste, un paysage, un mouvement. Ses nus, devenus très vite non conventionnels, accordent une attention particulière aux chevelures et aux mains. Auguste Rodin, Ferdinand Hodler, Gustav Klimt, Aubrey Beardsley sont ceux qu’il espère dépasser. 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Adolf Loos, en 1913, organise au Kunsthaus de Zurich une présentation d’une douzaine de ceux-ci, présentation ressentie par la plupart des indigènes helvètes comme un conte d’épouvante.</p> <p>Mais, événement entre tous historique, voici que Dada débarque et que la comédie de Kokoschka, <i>Le sphinx et l’homme de paille, </i>est jouée le 14 avril 1917 au Cabaret Voltaire à Zurich. Marcel Janco en signe les masques que portent les comédiens et la mise en scène, Tristan Tzara joue le rôle du perroquet, Emmy Hennings celui de l’infidèle Anima, Friedrich Glauser, la mort et Hugo Ball, Firdusi, l’époux trompé. Dans <i>La fuite hors du temps</i>, qu’il écrit et publie dix ans plus tard, Ball nous raconte le chaos qui règne ce soir-là sur la scène: «Malgré le prix d’entrée élevé, la Galerie était trop petite pour contenir tous les visiteurs. Dans une pièce du fond, Tzara était responsable de l’éclair et du tonnerre et, comme un perroquet, il devait répéter "Anima, douce Anima!". 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Oui, de porter une attention soutenue à ce qui nous environne, car si le dessin, comme il l’écrit, déplie le visible, cela ne peut être que pour le pénétrer plus intensément.</p> <h3>Les débuts</h3> <p>Le dessin est une activité solitaire, peinture des jours de pluie, enfermé dans une pièce et l’infini plaisir de n’avoir à faire que ça, ok, d’accord, mais c’est avec sa main dans le bac à sable que Philippe Comar a commencé à dessiner, ou avec un doigt sur des meubles couverts de poussière, sur des vitres embuées, dans de la farine, de la pâte à tarte, en piétinant la neige, en courant dans le sable. Il a dessiné dans le noir avec la pointe de sa langue dans le creux de sa main. En crachant sur les murs, en envoyant gicler des gouttes à la brosse à dent, à la craie sur les trottoirs, au canif sur les arbres. Il a dessiné sur ses mains avec un stylo à bille et comme Léonard de Vinci, il a aimé contempler sans penser à rien les tâches fortuites sur les murs, les traces de moisissure. Il a eu une période labyrinthes, dédales, passerelles, escaliers dérobés, tout un monde à la Piranèse. Il s’est essayé à l’anamorphose, aux dessins étirés, gonflés, dilatés. Pour lui, le dessin n’est jamais au service de quelque chose d’autre. Il est une fin en soi, un moment de grâce durant lequel on peut enfin s’abandonner à un afflux de sensations. Bien sûr, croyant observer, on ne fait qu’effleurer ce qu’on voit et c’est en cela que l’acte de dessiner est plus important que le dessin fini. Comme l’écrivait en 1971 le célèbre historien d’art John Berger, il s’agit de voir le voir. Et même en dessinant d’après nature, de trouver non pas ce que l’on voit mais ce que l’on sent.</p> <h3>Les fluides</h3> <p>Ces <i>Premiers traits</i>, indiqués dans le titre de ce nouvel opus, sont ceux que tracent, depuis l’enfance, tous les fluides qui s’écoulent du corps: salive, lait, larmes, urine. A l’école primaire, un jour, la maitresse le sermonne: il a couvert pendant des mois son bureau de centaines de petits dessins. Et pourquoi pas faire pipi sur les pupitres, s’exclame-t-elle. Toute la classe se gondole et en guise de punition, le petit Philippe est enfermé toute une longue et interminable journée dans les toilettes, et ceci sans manger ni boire et sans lumière. D’où que depuis ce jour-là, il associe l’acte d’uriner et le dessin. Et effectivement, tel Gargantua, du haut des tours de Notre-Dame, il adore dessiner ainsi sur le sable. 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Répétons-le: pour lui, il ne s’agit pas d’imiter mais de traduire un ressenti.</p> <h3>Le trait, la tache</h3> <p>Lorsqu’il a sept ans, sensible à l’application qu’il met à copier des tableaux, ceux du Greco par exemple, ses parents l’inscrivent dans une Académie dite «du Jeudi». Les enfants y peignent debout et n’y apprennent rien mais pratiquent assidument la chose. Et notre jeune futur artiste y prend plaisir à tracer des lignes parallèles et à s’y s’entraîner à tracer des lignes régulières, à main levée ou à la règle. C’est une technique qu’il connaît par les illustrations exécutées au burin figurant dans ses livres de classe. Dans son ouvrage, après une vibrante apologie de la gomme, il enchaîne avec celle d’une roulotte de bohémiens, de leur osier tressé pour les paniers, et de la petite bohémienne, pieds nus et cheveux sales pour laquelle il ressent une forte attirance physique. Sujet à sa première érection spontanée, il apprend ce jour-là que le sale et le sexuel ont affaire ensemble et que la découverte de l’outil peut précéder la connaissance de sa fonction. D’un côté, le trait aigu qui cerne. De l’autre, la tâche qui bave. Deux bornes: idéalisme et réalisme. Rodin, dans ses dessins érotiques, associe d’ailleurs ces deux démarches.</p> <h3>Le dessin: une habitude</h3> <p>Notre artiste, cent pour cent sédentaire, habitant depuis cinquante ans la même maison, homme d’habitudes, retrouve ce trait de caractère dans l’acte même de dessiner: le désir de retenir à tout prix, de saisir ce qui fuit. Très tôt sensible au pouvoir du dessin et des mots, la frontière entre les deux n’étant pas aussi nette qu’il y paraît, pour lui les mots ne sont pas que des signes arbitraires. Leur graphie suggère des figures. 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Et petit-à-petit, il se met à remplacer la Marianne sur les lettres et cartes postales par des fragments de corps nus de dame. Oblitéré par la Poste, le timbre devient œuvre.</p> <h3>S'auto créer par et pour le dessin</h3> <p>Ses parents n’ont pas une sensualité marquée, son père lui inflige des fessées pantalon baissé, sa mère répugne au contact physique avec ses enfants et lui, il dessine en cachette des femmes nues, dessins qu’il détruit ensuite. Il rêve aussi d’auto-fellation et de s’auto-dévorer lui-même et retrouve cela dans un personnage de Saul Steinberg, personnage s’auto-dessinant et dans certains dessins de Hans Bellmer, un corps s’auto-dessinant également; et finit par penser que le phantasme d’auto-engendrement est l’essence même de l’art.</p> <h3>Dessin d'enfant</h3> <p>Les dessins d’enfant permettent-ils de retracer les fondements d’une œuvre à venir? Rien n’est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d’un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d’enfant. Tout en tentant de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur, Philippe Comar n’est guère porté à leur attribuer plus d’attention qu’ils n’en méritent. </p> <p>Pourtant, le XXème siècle a préféré cette naïveté à tous les savoirs. Lui, à l’inverse, défend la maitrise du dessin en tant que plaisir originel secondant phantasme jouissance et hédonisme. Il n’angélise rien, goûte à tout, nous raconte ses émois les plus anciens, scatologie et signes fortement sexués. Oui, décidément, dessiner, c’est voir et voir mieux.</p> <h3>Epitaphe</h3> <p>Très tôt, il a été obnubilé par la représentation des rayons lumineux. Fasciné donc par tout ce qui trace, que ce soit droit ou courbe, une ligne dans l’air, sans écran, ni feuille de papier: étoile filante, sillage d’avion, etc. Les traités de balistique en sont pleins. Un trait est un signe, une abstraction, les rayons de soleil, la ligne d’horizon en sont aussi mais dans la nature rien n’est parfait et tout a une dimension charnelle. Aux lignes droites qu’il observe dans le ciel s’ajoutent les cercles concentriques entourant le caillou qu’il vient de jeter dans l’eau. Et la courbe que trace en l’air, écrit-il, le jet mictionnel et qui se retrouve chez les peintres Lorenzo Lotto, Jean Cousin, Titien, Rubens, Rembrandt, Guido Remi et tant d’autres encore. Et les coquillages, les vignes, les crosses de fougère. Mais de toutes les lignes, celles qui l’ont le plus fasciné sont les herbes. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. 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Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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Par le polar, ils peuvent raconter tout ce qu’ils ne peuvent plus dire par le journalisme. Ils utilisent dans l’écriture leur méthodologie d’investigation: collecte de données, recueil de témoignages, enquête de terrain, étude d’archives.</p> <p>Carlos Ginsburg dans <i>Signes, traces et pistes,</i> son article paru en 1980, article faisant lui-même référence à l’article <i>Attribution</i> d’Enrico Castelnuovo paru en 1968 dans l’Encyclopédie Universalis: en 1876, il y a beaucoup de fausses attributions dans les musées, G. Morelli postule que pour distinguer les originaux des copies, il ne faut pas se baser sur les caractères les plus apparents et, par conséquent, les plus faciles à imiter mais examiner les détails les plus négligeables: les lobes des oreilles, les ongles, la forme des doigts des mains et des pieds. 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Il plait à droite comme à gauche, au centre comme aux extrêmes, à Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, George Bush, à l’extrême droite française, à la Fédération anarchiste, au Figaro, à Alain Finkielkraut, Michel Onfray, BHL, Edwy Plenel, André Comte-Sponville, à Robert Smith du groupe new wave The Cure et à Mark E. Smith du groupe de post-punk britannique The Fall.
Mais est-il vraiment ce saint laïc, cet humaniste accompli, ce philosophe indépassable, ce militant anticolonialiste, ce résistant de la première heure, cet homme épris de justice et opposé à la peine de mort que tous décrivent? Non, non et non!
Dans Oublier Camus, son essai paru ces jours-ci aux Editions de la Fabrique, le quinquagénaire Olivier Gloag, professeur dans une université de Caroline du Nord, le conteste avec force.
Le colonialisme, le colon et ses contradictions
Mort à 47 ans, le 4 janvier 1960, dans un accident de voiture, ce penseur et écrivain adulé, nanti d’un style sobre, précis, fin et ironique, sans cesse traversé par d’angoissants dilemmes moraux, opposant un stoïcisme insolent à la cruauté des hommes, revendiquant l’absence de compassion et de remords, a multiplié les récits sublimant la domination française en Algérie.
Tant L’Etranger que La Peste portent sur des morts d’Arabes, des morts dont la seule fonction est de mettre en lumière les problèmes de conscience de colons français. Récits qui racontent les effets d’une victoire remportée sur une population musulmane, pacifiée et décimée, dont les droits à la terre ont été durement restreints.
L’Etranger porte sur le déni de l’Arabe en tant qu’être humain. Meursault tue un Arabe, mais cet Arabe n’est pas nommé et paraît sans histoire, et bien sûr n’a ni père ni mère. Toutes les descriptions physiques que Camus fait des Arabes sont péjoratives et aucun n’accède au statut de personnage parlant.
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«J’avais eu raison, j’avais encore raison, j’avais toujours raison. J’avais vécu de telle façon et j’aurais pu vivre de telle autre. J’avais fait ceci et je n’avais pas fait cela. Je n’avais pas fait telle chose alors que j’avais fait cette autre. Et après? C’était comme si j’avais attendu pendant tout le temps cette minute et cette petite aube où je serais justifié.»
Dans La Peste, des Arabes meurent en masse de maladie, or le récit de la dévastation d’Oran n’est pas destiné à exprimer ces morts mais les tourments de conscience d’une poignée de Français.
La mission civilisatrice
Un attachement viscéral au colonialisme et au mode de vie des colons traverse les trois romans majeurs, L’Etranger, La Peste et Le Premier Homme et lorsque, dans les dernières années de sa vie, Camus s’oppose violemment à la revendication nationaliste d’indépendance algérienne, il le fait dans le droit fil de la représentation qu’il a donnée de l’Algérie depuis le début de sa carrière littéraire.
Pour lui les forces françaises ont été obligées de prendre des mesures déplaisantes pour répondre à des agressions de la part des indigènes «poussés par leur ardeur religieuse et par l’attrait du pillage».
Et il déclare en 1958: «Il faut considérer la revendication de l’indépendance nationale algérienne en partie comme une manifestation de ce nouvel impérialisme arabe, dont l’Egypte, présumant de ses forces, prétend prendre la tête, et que, pour le moment, la Russie utilise à des fins de stratégie anti-occidentale. Que cette revendication soit irréelle n’empêche pas, bien au contraire, son utilisation stratégique.»
Les contradictions du personnage
L’homme révolté sera européen ou ne sera pas, et l’ennemi, c’est le communisme. Tout aussi passionnément attaché aux acquis sociaux du Front populaire qu’à la présence française en Algérie, à Madagascar ou en Indochine, Camus joue l’esprit méditerranéen contre l’idéologie allemande, les anarchistes contre les communistes, l’Europe contre le reste du monde, lui contre Sartre, Beauvoir et Les Temps modernes.
En 1937, il soutient le projet «Blum-Viollette», la France doit entreprendre une seconde conquête du peuple algérien, octroyer plus de droits aux élites algériennes, pour mettre celles-ci de son côté. C’est aussi cette année-là qu’il quitte le parti communiste algérien car celui-ci commence à prendre des positions nationalistes.
A partir de novembre 1946, Camus rédige une série d’articles regroupés sous le titre «Ni victimes ni bourreaux» dans lesquels il exprime son refus de choisir entre la violence des colonisateurs et la contre-violence des colonisés: il les considère comme également répréhensibles.
Les massacres de Guelma et de Sétif, pour Camus, c’est une centaine de morts Pieds-noirs. Les 10'000 morts assassinés par l’armée, la police et les milices, c’est juste de la légitime répression. Là, il n'y a pas scandale. Et il explique et réexplique sans cesse dans ses nombreux écrits que ce qui importe, c’est de convaincre le colonisé du bien-fondé du colonialisme.
Par exemple, un de ses articles dans Combat, le 23 mai 1945, intitulé «C’est la justice qui sauvera l’Algérie de la haine», comporte un appel à intensifier la colonisation. Et en 1954, après Dien Bien Phu, il compare les Indochinois qui libèrent leur pays aux Allemands envahissant le France en juin 1940.
Sartre et Camus
«Les lectures contemporaines selon lesquelles Sartre était favorable à la tyrannie, tandis que Camus soutenait la liberté, s'articulent autour de l'engagement anticolonial du premier et de l'anticommunisme du second, plutôt que d'après un bilan objectif de leurs itinéraires et de leurs prises de position», écrit Olivier Gloag qui est tout autant spécialiste de l’un que de l’autre.
Sartre a dénoncé très tôt l’antisémitisme de Drieu La Rochelle, n’a jamais été l’ombre d’un collaborateur et il a réellement risqué sa vie en s’engageant dans la Résistance. Alors que Camus, contrairement à ce qu’on prétend parfois, n’a pas rejoint la Résistance en 1942. Il a écrit quatre lettres pour un petit magazine entre janvier et août 1944 et c’est tout. Il n’a jamais été le directeur de Combat. Celui-ci était Pascal Pia.
Pour Sartre, Camus masque ses difficultés intérieures en les nommant mesure méditerranéenne, et décrète qu’il n’y a rien à comprendre parce qu’il n’a rien compris; si chez Camus les sensations priment sur les idées, c’est parce que des idées, il n’en a pas. Il ajoute: Camus nous confie son amour du silence et c’est étrange, pour nous le confier, cet amour, il parle tout le temps, c’est même le champion des bavards.
Bref, son recours à l’absurde n’est que le refus de l’Histoire et le déni de la lutte des peuples colonisés, car refuser de choisir entre colons et colonisés revient à déclarer: je suis pour la violence chronique que les colons exercent sur les colonisés, pour leur surexploitation et leur asservissement par la terreur.
L’Exil et le Royaume, en 1957, est la franche expression premièrement d’une colère contre les intellectuels qui soutiennent l’indépendance, deuxièmement d’un constant paternalisme vis-à-vis des Algériens et troisièmement d’un ressentiment contre tout et n’importe quoi.
Pour Camus, c’est le colon, cet éducateur, ce sauveur, qui est la victime incomprise d’autochtones ingrats et violents!
La peine de mort
Sur la peine de mort, en fonction du contexte, les engagements de Camus furent intermittents et contradictoires, ce qui n'empêche pas qu'il soit aujourd'hui considéré comme une figure importante de l'abolitionnisme.
En 1944, il est pour la peine de mort. «Il n’est pas question d’épurer beaucoup, il est question d’épurer bien», écrit-il. Ensuite, il signera la pétition demandant à De Gaulle la grâce pour Thierry Maulnier et il interviendra aussi en faveur de Lucien Rebatet. Mais Gisèle Halimi explique qu’il ne voudra jamais intervenir à propos des condamnés à mort algériens ou même dénoncer l’usage de la torture.
Après la sortie du livre d’Henri Alleg, La Question, Claude Mauriac, Jean-Paul Sartre, Roger Martin du Gard, André Malraux, tous acceptent de signer l’appel de Jérôme Lindon contre l’usage de la torture, tous, sauf Camus.
Réflexions sur la guillotine nous apprend que ce n’est pas la peine de mort qui le tracasse mais la façon de tuer: il voudrait que la science puisse servir à tuer décemment.
Camus et les femmes
L’homme absurde est un Don Juan qui préfère la quantité à la qualité.
Mille pages, huit cent lettres à Maria Casarès avec laquelle il a vécu une passion tumultueuse. Dans quasiment chaque lettre, Camus se plaint de son sort. La jalousie sexuelle est un thème primordial dans son œuvre. La femme indépendante l’irrite. Il voudrait que les femmes qu’il désire soient vierges de passé et d’hommes. Pour lui, la femme, hors de l’amour, hors du désir, est ennuyeuse. Il réagit très négativement à la publication du Deuxième sexe et accuse Simone de Beauvoir d’avoir ridiculisé le mâle français. Il considère que l’homme qui aspire à l’égalité souffre de ne pas pouvoir trouver en la femme un véritable égal.
«Oublier Camus», Olivier Gloag, La Fabrique Editions, 160 pages.
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En 1909, il expose des nus qui plaisent beaucoup et sont très rapidement vendus. Dans les années 1910, il réalise des dessins très travaillés, entre autres pour la revue <i>Sturm</i>. Traits secs et nerveux, densification des lignes, portraits expressionnistes d’hommes et de femmes, suites d’illustrations, passage à la lithographie, il expérimente à tout va. En 1911, il donne des cours dans une école privée et en 1912 et 1913, enseigne le nu au sein d’une institution qu’il a lui-même créée. 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Il traverse une période de dessins monochromes, dont des croquis de la danseuses Mary Meerson à la sanguine par exemple. Il réalise aussi beaucoup de dessins, de celle qui deviendra son épouse, la danseuse Olda Palkovská, essayant inlassablement de rendre la grâce d’un mouvement et ce sans jamais user d’aucun effet vériste, de rien qui ne paraisse régulier ou lisse, cherchant sans trêve la subjectivité, l’authenticité, la vivacité, rêvant de rendre la vie à la vie elle-même. En 1937, les nazis l’étiquettent «artiste dégénéré» et à leur fameuse et infamante exposition <i>Entartete Kunst</i>, c’est lui qui aura l’honneur d’avoir le plus d’œuvres représentées. Exilé à Prague, puis à Londres et devenu ensuite, après-guerre, peintre nomade, on l’aperçoit en Grèce, en Italie, en Tunisie, en Libye, en Turquie, au Maroc et, pour finir, à Jérusalem. </p> <h3>Kokoschka en Suisse</h3> <p>Le lac Léman le fascine depuis qu’en janvier 1910 accompagnant le célèbre Adolf Loos, auteur de <i>Ornement et Crime</i> (1908) et préfigurateur du <i>brutalisme </i>en architecture, aux Avants, au-dessus de Montreux, il a peint <i></i>le célèbre paysage <i>Les Dents du Midi </i>ainsi que plusieurs portraits, dont à Yvorne, celui du renommé naturaliste, psychiatre et réformateur social, Auguste Forel. Adolf Loos installe ensuite son protégé au Sanatorium du Mont Blanc à Leysin, où il réalise des portraits d’aristocrates tuberculeux, portraits qui sont aujourd’hui considérés comme des sommets de la si romantiquement tourmentée représentation expressionniste de la figure humaine. Oui, tempête et passion! Adolf Loos, en 1913, organise au Kunsthaus de Zurich une présentation d’une douzaine de ceux-ci, présentation ressentie par la plupart des indigènes helvètes comme un conte d’épouvante.</p> <p>Mais, événement entre tous historique, voici que Dada débarque et que la comédie de Kokoschka, <i>Le sphinx et l’homme de paille, </i>est jouée le 14 avril 1917 au Cabaret Voltaire à Zurich. Marcel Janco en signe les masques que portent les comédiens et la mise en scène, Tristan Tzara joue le rôle du perroquet, Emmy Hennings celui de l’infidèle Anima, Friedrich Glauser, la mort et Hugo Ball, Firdusi, l’époux trompé. Dans <i>La fuite hors du temps</i>, qu’il écrit et publie dix ans plus tard, Ball nous raconte le chaos qui règne ce soir-là sur la scène: «Malgré le prix d’entrée élevé, la Galerie était trop petite pour contenir tous les visiteurs. Dans une pièce du fond, Tzara était responsable de l’éclair et du tonnerre et, comme un perroquet, il devait répéter "Anima, douce Anima!". Mais il confondait les entrées et les sorties, faisait éclater l’orage aux mauvais moments et donnait, à tout prendre, l’impression que c’étaient des effets spéciaux, une confusion calculée des arrière-plans. Finalement, lorsque Monsieur Firdusi était censé tomber, tout s’est embrouillé dans une pagaille de fils électriques et de lampes. Pendant quelques minutes, ce fut la nuit noire et la confusion totale; après quoi la Galerie a retrouvé son aspect habituel.» </p> <p>La Seconde Guerre mondiale passée, la Suisse offrant à Kokoschka des perspectives de commandes de portraits et une clientèle prospère, en 1951, il décide de se faire construire une petite villa sur les bords du lac Léman: «Ce n’est pas par fierté de propriétaire, mais simplement le désir de pouvoir souffler de temps en temps quelque part au cœur de l’Europe dans un lieu politiquement paisible», écrit-il à sa sœur.</p> <p>En 1953, il s’établit définitivement non loin du Château de Chillon, à Villeneuve. Il y passe les vingt-sept dernières années de son existence, et décède en 1980, à Montreux, à l’âge de nonante-quatre ans et en ayant donc vécu un tiers de sa vie en pays vaudois.</p> <h3>Portrait de l'artiste dessinant</h3> <p>Il existe de nombreuses photographies le montrant, regard vif, main souple, dessinant avec agilité des vestiges archéologiques, noircissant des centaines de pages dans ses carnets de croquis, explorant des thèmes liés à l’Antiquité ou effectuant des reproductions dans des musées, redessinant inlassablement des bribes de tragédies grecques ou de récits mythologiques afin d’y trouver le ferment commun de toutes les sociétés, des décors et des costumes de théâtre ou d’opéras. Bref, c’est son destin, il l’a accepté et il dessine et redessine sans trêve ni repos.</p> <p>Pendant septante ans, à coups de traits outrés et fracturés, de visions oniriques, il alterne des représentations d’insectes, de nus, de scènes bibliques ou mythologiques et des paysages aux perspectives bizarres, Kokoschka préférant une vue bifocale à la perspective cavalière, vue embrassant l’étendue du paysage, des représentations de fleurs, d’animaux. Dans le paysage, ce qui l’intéresse, ce n’est pas l’idylle, mais la nature à l’état sauvage, indomptée. 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Oui, de porter une attention soutenue à ce qui nous environne, car si le dessin, comme il l’écrit, déplie le visible, cela ne peut être que pour le pénétrer plus intensément.</p> <h3>Les débuts</h3> <p>Le dessin est une activité solitaire, peinture des jours de pluie, enfermé dans une pièce et l’infini plaisir de n’avoir à faire que ça, ok, d’accord, mais c’est avec sa main dans le bac à sable que Philippe Comar a commencé à dessiner, ou avec un doigt sur des meubles couverts de poussière, sur des vitres embuées, dans de la farine, de la pâte à tarte, en piétinant la neige, en courant dans le sable. Il a dessiné dans le noir avec la pointe de sa langue dans le creux de sa main. En crachant sur les murs, en envoyant gicler des gouttes à la brosse à dent, à la craie sur les trottoirs, au canif sur les arbres. Il a dessiné sur ses mains avec un stylo à bille et comme Léonard de Vinci, il a aimé contempler sans penser à rien les tâches fortuites sur les murs, les traces de moisissure. Il a eu une période labyrinthes, dédales, passerelles, escaliers dérobés, tout un monde à la Piranèse. Il s’est essayé à l’anamorphose, aux dessins étirés, gonflés, dilatés. Pour lui, le dessin n’est jamais au service de quelque chose d’autre. Il est une fin en soi, un moment de grâce durant lequel on peut enfin s’abandonner à un afflux de sensations. Bien sûr, croyant observer, on ne fait qu’effleurer ce qu’on voit et c’est en cela que l’acte de dessiner est plus important que le dessin fini. Comme l’écrivait en 1971 le célèbre historien d’art John Berger, il s’agit de voir le voir. Et même en dessinant d’après nature, de trouver non pas ce que l’on voit mais ce que l’on sent.</p> <h3>Les fluides</h3> <p>Ces <i>Premiers traits</i>, indiqués dans le titre de ce nouvel opus, sont ceux que tracent, depuis l’enfance, tous les fluides qui s’écoulent du corps: salive, lait, larmes, urine. A l’école primaire, un jour, la maitresse le sermonne: il a couvert pendant des mois son bureau de centaines de petits dessins. Et pourquoi pas faire pipi sur les pupitres, s’exclame-t-elle. Toute la classe se gondole et en guise de punition, le petit Philippe est enfermé toute une longue et interminable journée dans les toilettes, et ceci sans manger ni boire et sans lumière. D’où que depuis ce jour-là, il associe l’acte d’uriner et le dessin. Et effectivement, tel Gargantua, du haut des tours de Notre-Dame, il adore dessiner ainsi sur le sable. 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Et petit-à-petit, il se met à remplacer la Marianne sur les lettres et cartes postales par des fragments de corps nus de dame. Oblitéré par la Poste, le timbre devient œuvre.</p> <h3>S'auto créer par et pour le dessin</h3> <p>Ses parents n’ont pas une sensualité marquée, son père lui inflige des fessées pantalon baissé, sa mère répugne au contact physique avec ses enfants et lui, il dessine en cachette des femmes nues, dessins qu’il détruit ensuite. Il rêve aussi d’auto-fellation et de s’auto-dévorer lui-même et retrouve cela dans un personnage de Saul Steinberg, personnage s’auto-dessinant et dans certains dessins de Hans Bellmer, un corps s’auto-dessinant également; et finit par penser que le phantasme d’auto-engendrement est l’essence même de l’art.</p> <h3>Dessin d'enfant</h3> <p>Les dessins d’enfant permettent-ils de retracer les fondements d’une œuvre à venir? Rien n’est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d’un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d’enfant. Tout en tentant de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur, Philippe Comar n’est guère porté à leur attribuer plus d’attention qu’ils n’en méritent. </p> <p>Pourtant, le XXème siècle a préféré cette naïveté à tous les savoirs. Lui, à l’inverse, défend la maitrise du dessin en tant que plaisir originel secondant phantasme jouissance et hédonisme. Il n’angélise rien, goûte à tout, nous raconte ses émois les plus anciens, scatologie et signes fortement sexués. Oui, décidément, dessiner, c’est voir et voir mieux.</p> <h3>Epitaphe</h3> <p>Très tôt, il a été obnubilé par la représentation des rayons lumineux. Fasciné donc par tout ce qui trace, que ce soit droit ou courbe, une ligne dans l’air, sans écran, ni feuille de papier: étoile filante, sillage d’avion, etc. Les traités de balistique en sont pleins. Un trait est un signe, une abstraction, les rayons de soleil, la ligne d’horizon en sont aussi mais dans la nature rien n’est parfait et tout a une dimension charnelle. Aux lignes droites qu’il observe dans le ciel s’ajoutent les cercles concentriques entourant le caillou qu’il vient de jeter dans l’eau. Et la courbe que trace en l’air, écrit-il, le jet mictionnel et qui se retrouve chez les peintres Lorenzo Lotto, Jean Cousin, Titien, Rubens, Rembrandt, Guido Remi et tant d’autres encore. Et les coquillages, les vignes, les crosses de fougère. Mais de toutes les lignes, celles qui l’ont le plus fasciné sont les herbes. Toutes les sortes d’herbes qui existent, le gazon dru, le chiendent, les hautes graminées et la <i>Grande touffe d’herbes </i>de Dürer lui paraît être le plus beau dessin jamais exécuté. Une douzaine d’espèces d’herbacés y sont représentées. A l’âge adulte, de la pousse native jusqu’à la pourriture, il a lui aussi tenté de relever le défi et exécuté plusieurs séries de cet inépuisable sujet. 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Ils y attendent. </p> <p>Le récit est non linéaire, avançant dans une gratuité et un arbitraire paradoxalement archi gratifiant. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée, dans une histoire avec un début et une fin, mais dans un espace où nous nous évadons et gambadons d’image en image, sautillant de page en page, passant vite là, nous attardant ici, flânant ailleurs et retournant en arrière là.</p> <p>La dialectique entre textes et images et le jeu entre les échelles des dessins sont subtils, tendus, perpétuellement inventifs et renouvelés. Il en nait une musique visuelle avec ses thèmes obsédants. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Ph.L. 06.10.2023 | 09h26
«Un parfait émule de Zoïle, ce monsieur Gloag qu'il n'est même pas nécessaire d'oublier, puisque son nom ne parvient à s'inscrire dans l'actualité que dans l'ombre d'un autre, infiniment plus grand... Cela dit, la médisance a toujours son utilité : relisons "La Chute" qui évoque, à travers l'allégorie amstellodamoise, toute sorte de Gloag - ou cloaques, ce que furent autrefois ses canaux, d'ailleurs - que Camus avait prophétisés déjà avant 1956. Nihil novi sub sole.»