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Culture


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Sur nos écrans depuis dix jours, la Palme d'Or du Festival de Cannes a tout pour remporter un joli succès: un suspense judiciaire passionnant et surtout un sujet, le couple aujourd'hui, qui peut parler à tout un chacun. Avec en prime les performances majeures de la comédienne allemande Sandra Hüller, d'un jeune garçon et... d'un chien.



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Rarement Palme d'Or aura été aussi peu contestée que celle-ci. Anatomie d'une chute de Justine Triet a même doublé la mise – une première – en remportant également la «Palm Dog», l'officieux prix (un collier) pour la meilleure interprétation canine décerné depuis 2001. Et ce, sans contestation possible, vu la performance mémorable du boarder collie Messi dans le rôle de Snoop, le chien-guide d'un enfant malvoyant. Blague à part, cet emploi génial d'un chien en dit long sur la réussite de ce film, qui marque un saut qualitatif dans la carrière de Justine Triet, réalisatrice qu'on ne voyait pas forcément arriver si haut, si vite, après La Bataille de Solférino (2013), Victoria (2016) et Sybil (2019).

A ce stade, tout le monde ou presque doit déjà connaître le sujet: la mort d'un homme tombé du grenier de son chalet et le terrible soupçon qui amène son épouse devant un tribunal, avec leur jeune garçon en position inconfortable d'arbitre. Accident, suicide ou assassinat? La justice saura-t-elle trancher, en l'absence de témoins directs? Le titre annonce la difficulté de l'affaire en plaçant la barre très haut, puisqu'il démarque le fameux Autopsie d'un meutre (Anatomy of a Murder d'Otto Preminger, 1959), modèle du genre. Il s'agit donc de la question du couple, de la justice humaine et de la vérité, si difficile, voire impossible, à saisir. Et malgré tout ce qu'on sait déjà, le film vous happe, vous surprend, vous renvoie à des questionnements intimes comme peu d'autres, sur deux heures et demi qu'on ne voit pas passer.

Le malaise de la montagne

Le décor d'un chalet de montagne ne rappellera pas forcément les meilleurs souvenirs aux plus cinéphiles. Mais après Possessions d'Eric Guirado (2011) et L'Amour est un crime parfait d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu (2013), on est au moins préparé à ce que quelque chose y tourne mal. Sauf qu'ici, l'entrée en matière paraît d'emblée si étrange – un chien descend l'escalier, une étudiante interviewe une écrivaine au salon, son mari à l'étage met sa musique plein tube comme pour l'éloigner, leur garçon préfère sortir avec son chien – qu'on devine que tout cela pourrait avoir son importance par la suite: le son autant que la vision, le hors-champ comme les différents points de vue, les individus et leur genre aussi bien que l'entité familiale.

Alors oui, il y a là un élément de mystère criminel comme dans La Nuit du 12, suivi d'un procès, comme dans Saint-Omer, pour reprendre deux films marquants récents. Mais Anatomie d'une chute les surpasse aisément l'un et l'autre en échappant à la fois au strict genre cinématographique et à la démonstration trop théorique. La fiction s'y déploie à travers la complexité du récit et la richesse des personnages, mais tout autant par le brio d'une mise en scène qui allie précision et souplesse. A tout moment, un flash-back ou une scène inattendue peut vous déstabiliser, une nouvelle donnée surgir qui remet tout en question. Sans oublier l'extraordinaire performance aux multiples facettes de l'actrice allemande Sandra Hüller (Toni Erdmann, déjà utilisée par Justine Triet dans Sybil).

On soupçonne aussi que cette insaisissable Sandra Voyter, écrivaine à succès, mère apparemment aimante mais possible meurière de son mari, n'est autre qu'un nouvel autoportrait fantasmé de la cinéaste elle-même. Comme dans tous ses films précédents, il est en effet question ici d'une femme forcée de jongler entre sa vie professionnelle et sa vie privée, tiraillée entre ses propres besoins et ceux des autres – comme toute femme moderne, en fait. Mais le portrait paraît d'autant plus proche qu'après une jeune journaliste, une avocate et une psy, il s'agit cette fois d'une artiste, qui vit en couple avec un autre artiste à l'image de Justine Triet et Arthur Harari (le réalisateur de Diamant noir et Onoda, ici co-scénariste). Enfin, il y a la tonalité: après la légèreté un peu loufoque des deux premiers essais, puis l'ambition un peu trop élevée du troisième film, plus rien ici ne paraît forcé. On est bien arrivé dans le vif du sujet.

Le couple, cet(te) inconnu(e)

Après la police et la presse, c'est surtout la machine judiciaire qui s'empare de cette mort mystérieuse pour nous mener au cœur du problème. Viennent bientôt s'ajouter un avocat ami de longue date (Swann Arlaud) et son assistante (Saada Bentaïeb), ainsi qu'une accompagnatrice pour le petit Daniel (Jehnny Beth). Lorsque débute le procès, le procureur (un Antoine Reinartz à contre-emploi) se montre impitoyable, faisant tout pour démolir l'accusée – seul moyen pour la faire vaciller en l'absence de preuves directes. On assiste alors à la mise en pièces de ce couple qui avait l'air si idéal. Création, carrière, vie domestique, sexualité, argent, enfant, origines et langue, tout y passe. En réalité, il y avait des fêlures partout! Des déséquilibres qu'on peut s'employer à compenser ou au contraire s'envoyer à la figure, dès lors que la défiance et un rapport de pouvoir prennent le pas sur l'amour.

Là-dessus, le film est formidable, même en l'absence du disparu (incarné dans quelques flash-back par Samuel Theis, le réalisateur de Party Girl et Petite nature). La survivante de cet «enfer» est-elle forcément un «monstre», une ambitieuse manipulatrice et une séductrice qui cherchait à se débarrasser d'un mari velléitaire devenu encombrant? Acculée mais l'air sincère malgré son opacité et son retranchement derrière un anglais qu'elle maîtrise mieux, Sandra a plutôt notre sympathie. Pourtant, le doute s'installe. Et que vient soudain faire cette scène qui semble préluder un rapprochement sentimental avec l'avocat? La vérité humaine paraît décidément de plus en plus complexe et insaisissable. Au tribunal, on sait bien que le doute finit par profiter à l'accusé, mais pour l'enfant, c'est là un terrible apprentissage. C'est sans doute en recentrant son film sur lui que Justine Triet emporte le morceau. Enfin, après le jugement, comment recoller les morceaux? L'innocence tuée, comment restaurer la confiance?

La chute du titre cachait en fait le naufrage d'un couple. De tous les couples, dès lors que la parfaite égalité devient loi et affaire comptable? Film miroir de cette évolution sociétale, Anatomie d'une chute gardera sans doute longtemps sa pertinence. En tout cas aussi longtemps que l'étonnant Barbie de Greta Gerwig, l'autre film qui, cet été, s'est amusé à questionner les nouveaux rapports entre les genres. Il est d'ailleurs piquant de constater que tant la Palme d'Or de Cannes que le plus gros succès public de l'année ont été réalisés par des femmes et co-écrits par leurs compagnons cinéastes. Comme quoi l'union fait toujours la force, même si les places respectives ont été redistribuées.


«Anatomie d'une chute» de Justine Triet (France, 2023), avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner, Antoine Reinartz, Samuel Theis, Jehnny Beth, Camille Rutherford. 2h23

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Apitoyou 01.09.2023 | 09h34

«Merci de (pour) cette analyse»


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