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Culture


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Le véritable sujet du livre «Le Droit au sexe» n’est pas le sexe mais la classe sociale. Pour l’auteur, Amia Srinivasan, les féministes sont de deux sortes: celles qui appartiennent à la classe dominante et qui se comportent comme telle en usant des outils habituels de celle-ci, en ayant recours, par exemple, à la police et à la justice, et celles qui appartiennent aux classes dominées et qui luttent pour une transformation globale de la société. Le problème étant qu’aux Etats-Unis, les premières ont totalement évincé les secondes.



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Philosophe née de parents indiens en 1984 à Bahreïn, Amia Srinivasan est titulaire de la chaire de théorie sociale et politique à l'université d'Oxford et son ouvrage qui a été traduit en 20 langues, se termine par quarante pages d’une bibliographie très dense et constituée principalement par des articles récents.

Pour elle, le sexe est quelque chose qui se situe clairement dans le cadre de la critique sociale et elle assume ouvertement être en guerre contre une partie des féministes. Moins par plaisir de la controverse que par souci de réinventer un militantisme pro femmes qui se dégagerait de ses côtés autoritaires.

Le consentement

En ce moment, il existe des sujets qui font plus mouche que d’autres. Le consentement sexuel par exemple. Pour appréhender cette question dans toute sa complexité et ses profondes ambivalences, l’autrice, tout en soulignant la nécessité d’aller au-delà du «oui et non», de l’acte voulu et du non désiré, interroge les relations tendues entre discrimination et préférence, pornographie et liberté, viol et injustice raciale, punition et responsabilité, plaisir et pouvoir, capitalisme et libération.

Comment se fait-il que nous en soyons arrivés à accorder un tel poids psychologique, culturel et juridique à la notion de consentement, s’interroge-t-elle. Joignez-vous à moi, continue-elle, pour rêver d’un sexe plus libre, pour avoir l’audace de refaire une critique politique du sexe, en prenant au sérieux le rapport complexe entre le sexe et la race, la classe, le handicap, la nationalité et la caste, en réfléchissant à ce qu’est devenu le sexe à l’ère d’internet, en interrogeant ce que cela signifie de faire appel au pouvoir de l’Etat capitaliste et carcéral pour répondre aux problèmes soulevés par le sexe.

Critiquant une bonne partie de la pensée féministe anglophone dominante, universaliste et libérale, à laquelle elle reproche de faire abstraction des femmes dominées socialement, et en insistant sur le fait que ce sont le racisme, le classisme, le validisme et l’hétéronormativité qui déterminent qui nous désirons et aimons et qui nous désire et nous aime, et en posant des questions de morale politique dans des contextes précis tirés de l’actualité de ces dix dernières années.

L'incel ou le sexe à la Une

Le 23 mai 2014, Elliot Rodger, 22 ans, devient l’incel (involuntary celibate) le plus célèbre du monde. Il a poignardé à mort trois personnes puis a fait feu sur trois femmes provoquant le décès de deux d’entre elles. Puis dans une série de fusillades a encore tué un étudiant et blessé quatorze personnes avant de se suicider en se tirant une balle dans la tête. Métisse sino-malaisien, il s’était teint les cheveux en blond et avait envoyé par mail un Manifeste dans lesquels il décrivait ses problèmes: «Tout ce que j’ai toujours voulu, c’est m’intégrer et vivre une vie heureuse, mais j’ai été mis à l’écart et rejeté, forcé d’endurer une existence de solitude et d’insignifiance, tout ça parce que les femelles de l’espèce humaine étaient incapables de voir la valeur de ma personne.» 

Comment devrions-nous parler de sexe? Du nôtre, de celui que l’on pratique? C’est un acte privé chargé de sens public, une préférence personnelle façonnée par des forces extérieures, un lieu où plaisir et éthique marchent rarement en parallèle.

Les féminismes

Il en existe donc deux sortes: celui qui se méfie de l’Etat et celui qui fait appel à lui. 

C’est le pivot central central du livre: une féministe ne se préoccupant que de l’oppression sexuée optera pour des stratégies ayant peu d’utilité pour les femmes réellement opprimées. 

Quand ces féministes adoptent des positions dites carcérales telles qu’envoyer les hommes en prison ou mettre plus de policiers dans les rues, au lieu de s’attaquer aux causes de ces crimes comme la pauvreté, la domination raciale, les frontières, le système de castes, elles offrent une couverture idéologique à la classe dirigeante. 

Que devraient faire les féministes quand elles obtiennent une part de pouvoir? Certaines, bourgeoises et blanches, cheffes politiques ou PDG, en ont déjà pas mal. Celles qui ont joué un rôle-clef dans les lois relatives au harcèlement sexuel à l’université aussi. Et en général, leur militantisme se cantonne dans le symbolique comme celui de Jeff Bezos, par exemple, qui commémore chaque 19 juin la fin de l’esclavage avec ses employés, employés qui dans les entrepôts d’Amazon n’ont pas le droit de prendre une pause pour aller aux toilettes!

La question de la prostitution

Côté prostituées, il y a un vif débat entre la vision morale de l’échange sexuel tarifé et sa réalité. Les féministes dominantes cherchent à rendre illégal l’achat et la vente des rapports sexuels. Malheureusement, cela rend la vie des praticiennes cent fois plus dangereuse, plus difficile, plus précaire et plus violente. La croyance qu’une travailleuse du sexe bénéficierait de la pénalisation de sa profession repose sur l’hypothèse qu’elle aurait d’autres choix à sa disposition. 

En général, la préoccupation des féministes blanches anglo-saxonnes pour les prostituées se résume à un refus d’entendre ce qu’elles ont à dire. Et c’est inouï! Ce qu’elles cherchent avant tout, c’est à punir les hommes. En s’auto qualifiant d’abolitionnistes, elles font référence à l’esclavage mais la pénalisation n’a jamais permis d’éliminer la prostitution. Elle a juste pourri les conditions objectives de son exercice. Et bizarrement, ce sont les mêmes qui, à propos de l’avortement, arguent que son interdiction ne l’a jamais aboli mais n’a fait qu’augmenter le nombre de personnes qui en meurent.

L'historique du mouvement

Le ménage, les soins à la personne, les repas, l’éducation des enfants, l’enseignement aux jeunes, la prise en charge des personnes âgées, de plus en plus, dans les pays capitalistes, le travail des femmes est acheté et vendu. Les femmes mal payées sont devenues le nouveau visage de la classe ouvrière et elles sont au cœur de ses manifestations les plus prometteuses. 

La génération 1960-70 militait pour obtenir l’accès universel à la garde des enfants, à la santé et à l’éducation, l’autodétermination reproductive et la fin de la famille nucléaire, des droits syndicaux, la redistribution des richesses, des salaires pour le travail ménager. A partir de 1980, il n’y a plus de luttes, le féminisme devient à fond pour la loi et l’ordre. Le système est parfait. Il doit juste être appliqué. Le crime n’est plus vu et vécu comme une pathologie sociale mais en tant que défaillance personnelle. 

Le slogan #MeToo a été inventé en 2007 par une militante noire et n’a rencontré que très peu d’échos alors. Ce sont les femmes blanches d’Hollywood qui lui ont fait accéder à une notoriété universelle en 2017.

Profs vs étudiantes et le modèle freudien

En 1992, Jane Gallop, professeur d’université, a été reconnue coupable d’avoir enfreint l’interdiction  des relations amoureuses, consenties ou non, entre les enseignantes et les étudiantes. Cinq ans plus tard, elle a publié un livre: Feminist Accused of Sexual Harrassment. Oui, elle a flirté et couché avec ses étudiantes, oui, elle a délibérément eu des relations pédagogiques teintées de séduction sexuelle car dans sa forme idéale, l’enseignement constitue déjà une relation amoureuse et érotique, y explique-t-elle.

En 1989, 17% des universités made in USA réglementaient les relations consenties, en 2004, 57%, en 2014, 84%, ! Certaines féministes ont dénoncé cela. Les étudiantes ne sont-elles pas des adultes libres d’avoir les rapports qu’elles désirent avec qui elles le désirent? Cette interdiction ne renforce-t-elle pas une vision hiérarchique: le prof tout puissant, l’étudiante vulnérable? 

En fait, explique notre auteur, le problème n’est pas de savoir si l’amour est possible mais si l’enseignement l’est.

Et ceci en faisant remarquer, en un parallèle avec le transfert freudien, que les profs sont en bute à des adorations ou à des détestations démesurées et que les enseignants qui s’épanchent sur la dimension érotique de leur activité professionnelle sont toujours des profs de sciences humaines dans des universités d’élite avec un type d’étudiant venant de milieux favorisés!

Féminisme et pornographie

Les féministes de la deuxième vague ont commencé à protester contre le porno à la fin des années 60. En 1974, Robin Morgan a déclaré: La pornographie est la théorie, et le viol, la pratique. En 1976, le premier groupe féministe anti-porno a été fondé à San Francisco et à Los Angeles le WAVAW (Women Against Violence Against Women) a manifesté contre l’affiche de Black and Blue des Rolling Stones qui montrait une femme ligotée couverte de bleus et un texte qui disait: Les Rolling Stones m’ont couverte de bleus et j’ai adoré ça!

C’était une chose d’envisager d’abolir le porno à l’ère des cinémas sordides et des magazines sous cellophane, c’en est une autre du temps de son omniprésence instantanée. 

Les étudiantes de l’auteur appartiennent à la première génération à avoir grandi avec le porno en ligne. Des dizaines de milliards de visites chaque jour. A quoi ressemblera le monde lorsque chaque personne sur terre se sera construite sexuellement dans le monde du virtuel?

Le désir de la politique ou la politique du désir?

Il n’y a pas de droit au sexe («Penser le contraire, c’est penser comme un violeur»), et l’important à présent est de prendre la femme au mot. Si elle dit qu’elle aime travailler dans le porno, ou être payée pour avoir des rapports sexuels avec des hommes, ou explorer ses phantasmes de viol, ou porter des talons aiguille, et même si elle considère ces pratiques comme étant émancipatrices, les féministes que nous sommes, écrit l’auteur, sommes tenues de la croire. (p.155). Il ne s’agit plus d’être sur un plan moral mais d’être sur celui du désir. Les féministes de la troisième génération  affirment que le travail du sexe peut constituer un meilleur travail que les tâches subalternes accomplies par la plupart des femmes et que c’est d’une protection juridique et matérielle que ces travailleuses ont besoin et non d’être secourues ou réinsérées.

Bref, méfions-nous des personnes d’âge mûr qui se plaignent des mœurs de la jeunesse et abstenons-nous autant que possible de parler de ce dont les femmes ont réellement envie ou de ce dont une version idéalisée d’elles-mêmes devrait avoir envie car c’est là, quand on pense à la place des autres, que se tapit toujours l’autoritarisme et son sadique éternel désir insatiable de répression punitive.


«Le Droit au sexe. Le féminisme au vingt-et-unième siècle», Amia Srinivasan, Presses Universitaires de France, 368 pages.

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