Culture / Pieter de Hooch, peintre à l’infinitif
"Le départ pour la promenade", Pieter de Hooch, 1663.
Le XVIIème siècle est celui de l’âge d’or de la peinture hollandaise. A cette époque, dit-on, dans cette république calviniste, cette toute première démocratie capitaliste, chaque Hollandais possédait au moins un tableau chez lui. D’où l’incroyable développement d’un marché de l’art déjà spéculatif, commerce de luxe pour un mercantilisme triomphant et l’arrivée massive d’une nouvelle sorte de tableaux, ceux dans lesquels, comme chez Pieter de Hooch, il ne se passe rien.
Ces tableaux-là sont remplis de pavements astiqués, d’armoires pleines de linge plié et parfumé, de jardins tirés au cordeau, d’arrière-cours propres en ordre. Pas d’émotion, pas d’histoire, tout au plus un vague sourire, ce qui importe, ce qui compte, c’est de bien garder ses distances. Aucune promiscuité. Jamais de familiarité!
Le salut, la grâce
La petite bourgeoisie d’affaire était l’armature de cette république hollandaise qui hébergeait le marrane Spinoza et qui accueillit le rationnel Descartes. Le salut catholique dépend des œuvres, de ce que nous faisons, le salut réformé dépend de ce que l’on est, ce salut est un bien immérité, une grâce. A partir de cela la question du mode de vie, c'est-à-dire de la quotidienneté de nos actes, devient absolument essentielle. Etre calviniste, c’est croire en la prédestination, ce qui implique le fait que, lorsque l’on est peintre, on ne représente que ce que la nature offre aux yeux, qu’on montre le monde sans vraiment en privilégier une partie plutôt qu'une autre.
Pieter de Hooch est né en 1629 et mort vers 1684. Il appartient donc à cette constellation totalement unique de peintres hollandais, Vermeer, Rembrandt, Franz Hals et compagnie, qui ont surgi et disparu à un moment unique de l’histoire des Provinces Unies, à ce moment où la Hollande se libérait de la domination de l’Empire espagnol. Mais alors que Rembrandt, par exemple, a fait fantasmer des dizaines d’auteurs de toutes nationalités, de toutes esthétiques, sensibilités et opinions politiques, de l’ultragauche aux nazis, personne n’a jamais songé à raconter la vie de Pieter de Hooch, nous apprend André Scala, l’auteur de cet essai. Eh oui, il a connu, comme son compatriote, Vermeer, une très, très longue période d’oubli complet. Pendant un siècle ou deux, on l’a considéré comme étant un pâle imitateur des grands maîtres qu’il avait croisés de ci de là. On possède aujourd’hui de lui 160 tableaux et pas un seul dessin. Cet essai nous apprend, entre autres, que s’il était grand coloriste, il n’était pas très doué en tant que dessinateur.
Peinture de genre
Ce peintre de genre représente, en toute simplicité sur ses toiles, des gens absolument comme tout le monde et ceci à destination d’un public de gens tout aussi absolument comme tout le monde. Oui, chez notre Calimero de la fortune critique, il n’y a jamais rien d’ostentatoire. Il peint ce que tout le monde voit, il peint comme si voir peignait, il est une tautologie, il peint pour peindre, il peint comme on astique un plancher, comme on plie des draps avant de les ranger dans une armoire. Il peint comme on travaille, il ne fait pas de l’art pour l’art, il gagne sa vie.
Delft
A l’époque, Delft comptait entre 25 et 30'000 habitants et avait la réputation d’être la ville la plus propre de Hollande. C’est là que de Hooch peint ses meilleures toiles. Netteté et dignité, réserve et imposante gravité, les vertus de membres locaux de la guilde de Saint-Luc sont également la marque de fabrique de son art.
Au milieu des pavements, carreaux, parquets et enfilades de colonnes latérales, dans les peintures de de Hooch règne une atmosphère, des habitudes, et il y vit comme une troupe de théâtre prise dans ses routines, pas d’histoire. Il y a toujours cette femme au nez un peu aquilin, un enfant palot, chafouin et un peu fripé et une jeune fille aux joues roses et pleine d’espoir dans la vie. Si à Harlem, où il est né, il était proche de la vie militaire et de ses trivialités, si à Amsterdam, où il finira ses jours, il était plus lié à la vie mondaine, peignait des scènes dites alors à la française, des concerts, des réunions, s’il y travaillait vite et à la commande, produisant une centaine d’œuvres dans cette période amstellodamoise, c’est à Delft qu’il fut le plus près de la vie quotidienne, le plus près de l’essence même de sa pratique.
L'espace
Un tableau de Pieter de Hooch se reconnaît à 25 mètres, nous assure André Scala. Il y a toujours quelque chose derrière, plus loin que ce que l’on croit, que ce l’on voit, un emboitement de cadres, une enfilade de pièces, des pièces qui donnent sur une cour qui donne sur un canal qui donne sur l’autre rive qui donne sur une maison dans laquelle il y a quelqu’un qui est en train de lire une lettre et qu’on aperçoit par une fenêtre entrouverte. Face à ces toiles, nous avons l’impression qu’il n’y a pas de surface, que nous sommes aspirés dans une infinie spirale et tous ceux qui se sont intéressés à lui, les Pierre Francastel et les Elie Faure, l’ont reconnu: qui contemple une peinture de Pieter de Hooch s’y retrouve aspiré, en est enveloppé avec l’impression qu’il y a plus d’espace que ce que l’on peut y voir et que toute vérité y est atmosphérique.
En outre, au-delà de ses variations géométriques, de Hooch aime aussi le jeu des couleurs, jeu qui leur gagne une indépendance vis-à-vis des choses. Il y a, par exemple, un thème assez courant chez lui: un verre rempli d’un liquide et tendu vers le soleil, motif purement optique, la lumière devenant spectacle, la couleur existant enfin en soi et pour soi, indépendamment de toute autre considération. Il trace des chemins de couleurs chaudes, de couleurs qui vont se vider, comme on vide un évier, dans du bleu, dans du froid, dans une dynamique éblouissante, vertigineuse, parsemée de lignes d’infini et ceci jusqu’au point où ces lignes finissent par s’infinir l’une l’autre.
Les corps
Chez de Hooch, les corps ne sont pas sculptés par l’action mais par ce qu’ils sont en train de voir, par les yeux, et il n’y a jamais de regard dirigé frontalement vers le spectateur mais plutôt à droite, à gauche, en oblique. On ne sait pas très bien ce que les personnages voient. Ils ont un regard totalement absent, distrait, les yeux dans le vague, dans le vide, un regard perdu. Ces regards donnent l’impression d’évaser le tableau vers nous, qu’entre nous et le tableau, il y a un espace et que cet espace n’est pas le nôtre. Maints de ses tableaux offrent une échappée sur une pièce voisine, un couloir, une cour ou un jardin, sont toujours à la recherche de ces fameux passages par des cadres, portes, porches, fenêtres et trouées, de plus en plus étroits dans le lointain.
On verra rarement chez lui, comme chez Vermeer, une dentellière attentive, concentrée sur son ouvrage. Si, malgré tout, il y a de l’attention, ce sera une attention sans concentration volontaire et qui ne se substitue pas à l’action — il aime montrer des actions qui nécessitent de l’immobilité: peser, viser, scruter, verser, tenir en équilibre, attendre… Lever son verre donc pour y contempler les effets de lumière. Et c’est comme cela que ce champion des arrière-cours offre une parcelle d’éternité dans l’instant qui passe, dans le momentané.
Le dimanche de la vie
Donc la population du pays des digues veut retrouver dans ses tableaux la coquette propreté de ses villes, de ses maisons, de ses meubles, de ses ustensiles familiers, y jouir de sa paix domestique, des parures honorables de ses femmes et de ses enfants, de l’éclat si fameux de ses fêtes municipales, écrit Hegel, qui dit aussi de la peinture hollandaise qu’elle est l’éternel dimanche de la vie et que ce peuple contemplatif, avec son amour pour les choses en apparence si insignifiantes et la fraîcheur toujours en éveil de son œil et l’immersion concentrée de l’âme toute entière en ce qu’il y a de plus clos et de plus limité, pratique une peinture où s’allie, en même temps, la plus haute liberté de composition et la conscience infiniment scrupuleuse de l’exécution.
«Pieter de Hooch. Un peintre à l’infinitif», André Scala, L'Atelier contemporain, 160 pages.
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Et c’est comme cela que ce champion des arrière-cours offre une parcelle d’éternité dans l’instant qui passe, dans le momentané.</p> <h3>Le dimanche de la vie</h3> <p>Donc la population du pays des digues veut retrouver dans ses tableaux la coquette propreté de ses villes, de ses maisons, de ses meubles, de ses ustensiles familiers, y jouir de sa paix domestique, des parures honorables de ses femmes et de ses enfants, de l’éclat si fameux de ses fêtes municipales, écrit Hegel, qui dit aussi de la peinture hollandaise qu’elle est l’éternel dimanche de la vie et que ce peuple contemplatif, avec son amour pour les choses en apparence si insignifiantes et la fraîcheur toujours en éveil de son œil et l’immersion concentrée de l’âme toute entière en ce qu’il y a de plus clos et de plus limité, pratique une peinture où s’allie, en même temps, la plus haute liberté de composition et la conscience infiniment scrupuleuse de l’exécution.</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1653552826_arton380.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="275" height="382" /></h4> <h4>«Pieter de Hooch. 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De Christophe Colomb à Montaigne et Gobineau: rien que des des bons sauvages. </p> <p>Les personnes blanches nourrissent leur imaginaire sexuel de tropes et de poncifs racistes, d’exotisation des corps: l’Antillais danse, le Noir est herculéen, l’Asiatique, épicé et l’homme arabe est poilu, endurant, puissant mais pas trop pour pouvoir être dompté.</p> <h3>Et l'amour dans tout ça?</h3> <p>L’auteur ne tente-t-il pas de nous donner quelque chose qu’il n’a pas, l’amour donc, et dont nous ne voulons pas?</p> <p>Il Y a un côté développement personnel, du genre sauver la religion tout en ayant la sexualité de SON choix, et tel un Bisounours dansant sous un arc-en-ciel fluo, il va même jusqu’à se référer à l’apologiste des petites vertus, Comte-Sponville.</p> <p>Bref, en guise de conclusion, il propose d’aller danser sur la scène <i>voguing</i>, style de danse urbaine consistant à faire, en marchant, avec les bras et les mains des mouvements inspirés des poses de mannequins, défilés dans lesquels chaque personne est célébrée pour ses talents et son inventivité. Etre en vie, ce n’est pas juste exister. Oui! C’est défiler sur le <i>danceflor</i>! Vivre intensément! Créer nos tribus, nos familles, nos communautés! <i>Yallah!</i></p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1730972532_amourrevolutionnerlamourgracealasageearabeetoumusulmane.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="310" /></p> <h4>«Amour: révolutionner l’amour grâce à la sagesse arabe et/ou musulmane», Jamal Ouazzani, Leduc société Editeur, 335 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'voeux-pieux', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 66, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2107, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5210, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'D'Edouard Manet à Robert Ryman et vice-versa', 'subtitle' => 'Remarquable et passionnant, «Atopiques. 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Du coup, il rencontre de nombreux artistes tel Marcel Duchamp ou Andy Warhol et écrit le premier article en français sur le minimalisme américain.</p> <h3>Les années<i> Robho</i> </h3> <p>Avec le performeur Julien Blaine, en 1966, il fonde la revue <i>Robho</i>, périodique qui tout en relayant des pratiques artistiques n’en dénonce pas moins les excès de la société du spectacle. </p> <p>Dans les écrits qu’il consacre à l’art optique, l’art du mouvement, l’art-événement et l’art-environnement, il utilise un vocabulaire étendu de la description et fait preuve d’une observation minutieuse et aiguë. </p> <p>Il se montre grand défenseur de Jesús Rafael Soto, le destructeur méthodique de toute forme stable, de toute forme figée. Dorénavant, toute évaluation vivante du réel doit englober des données comme l’espace-temps, la transformabilité permanente des choses, la fluidité et la ductilité des phénomènes naturels, le caractère corpusculaire et ondulatoire de la matière énergie.</p> <p>C’est Clay qui trouve l’appellation <i>Pénétrable</i> pour l’œuvre de 400 m<sup>2</sup> accrochée entre les deux ailes du Palais de Chaillot: une pluie faite de milliers de fils de nylon suspendus provoquant, d’après lui, ivresse et joie chez le spectateur.</p> <p>La peinture est finie, dit-il, et cette intuition, on pouvait déjà la pressentir dans les formes rongées de Rembrandt, vaporeuses de Watteau, noyées de Turner. Dès 1960, Allan Kaprow a proposé l’abandon de l’idée de permanence et l’utilisation de matériaux de la vie de tous les jours.</p> <p>Chaque individu, passif et actif, doit devenir partie intégrante de l’œuvre, spectateur et acteur. Nous savons que l’art aujourd’hui se situe dans un nouveau dialogue avec le réel – que le vrai rapport n’est plus à l’intérieur de l’œuvre, mais entre l’œuvre et la vie, écrit-il.</p> <p>Hans Haacke, formellement inventif et conceptuellement gênant pour les institutions culturelles capitalistes, correspond au type d’artiste qu’il soutient. Ses œuvres dérangeantes, manipulables et anonymes, vont défaire l’institution. A la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence, par exemple, il construit un spectacle dénonçant l’aspect commercial de cette fondation.</p> <h3>Triomphe de l’art bourgeois</h3> <p>En 1968, considérant intolérable la confiscation de la créativité à des fins d’embellissement d’une société obscène, Jean Clay se déclare être pour l’artiste offensif, pour le mouvement, la participation du public, le <i>Pénétrable</i>, le happening et l’art conceptuel et contre l’art activité inoffensive, marginale et décorative. Il soutient toutes les entreprises fondées sur l’absence de limites, toutes les initiatives dont en commençant, on ne connaît pas le terme.</p> <p>Mais dès 1971, il constate que la culture, devenue chaque jour davantage l’ingrédient indispensable à toute opération d’intoxication commerciale ou politique, contribue à la crétinisation générale des consciences et à l’abrutissement des masses par les intellectuels qui apportent une aura de spiritualité à la marchandise et à ce qui l’emballe. La répétition du signe de Daniel Buren, par exemple, étant la même que celle d’un chevron qui représente une marque automobile, le logotype d’un produit-marchandise.</p> <p>A présent, on passe de l’artiste marginal à l’artiste vedette, excentrique et sublime (Warhol) ou légendaire (Pollock mort) et le système impose partout ses trois conditions: l’artiste doit réduire sa recherche à la production d’objets commercialisables, la valeur d’échange de son travail doit l’emporter sur sa valeur d’usage et il doit constamment réaffirmer la pureté de ses intentions et de son travail.</p> <h3>Esthétisation de l’aliénation </h3> <p>Oui, cette société du chloroforme se satisfait d’un art constat, d’un art de la non-intervention qui reflète et favorise la réification collective et dans laquel l’importance supposée de l’artiste est inversement proportionnelle à l’originalité de son acte. Max Baxter urine dans la neige. Bruce Nauman demande à un conservateur de musée de faire des bonds. Robert Barry diffuse dans des parcs des gaz invisibles. Edward Ruscha présente des photos d’anciennes petites amies. On Kawara envoie chaque jour une carte postale spécifiant l’heure à laquelle il s’est levé. Ambitions minuscules dans lesquelles la société bourgeoise se découvre avec ravissement telle qu’elle se rêve: immuable et universelle. </p> <p>Le commerce de détail liquide le cinétisme en de multiples gadgets qui simulent le mouvement pour ne pas avoir à le vivre. Vasarely inspire papiers peints et bottines de femmes. Au rayon emballage, personne n’a poussé plus avant que lui l’esthétisation de l’inhumanité de la vie urbaine.</p> <h3>Les années <i>Macula</i></h3> <p>Créée en 1976 et devenue une maison d’édition en 1979, <i>Macula</i> nait dans une époque surexcitante intellectuellement, nous dit Jean Clay. 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Les papiers peints de Vuillard, sa dilution de la figure, non pas dans la lumière, mais dans la texture, la tâche, la touche, ses personnages rongés, mités, abolis dans la tavelure qui les cerne, l’épaisseur, le feuilletage, l’interpénétration des couches, l’interférence des strates, les grattages.</p> <p>Monet, le précurseur, qui n’a atteint son public que dans les années 1950, avec une génération de peintres américains qui reconnaît être en dette envers lui et ses <i>Nymphéa</i>s, dix-neuf panneaux de continuum spatiotemporel, de tissu sans couture, d’espace sans charnière.</p> <p>Cette mise en crise est aussi le résultat du travail de Malevitch, de ses deux achromes accrochés horizontalement au plafond ou de Piet Mondrian, qui pointe l’ambivalence et l’incertitude restées inaperçues dans les formes classiques des arts, de Van Doesburg qui retournait les peintures face au mur afin de les utiliser simplement comme éléments de division de l’espace, des <i>Texturologies</i> de Dubuffet, sans centre ni cible.</p> <h3>Les purs: Robert Ryman & Martin Barré</h3> <p>Ryman gagne sa vie en étant gardien de musée. La première fois que notre auteur va dans son atelier, il passe devant un tableau blanc sans comprendre qu’il vient de passer devant une œuvre! Dans <i>Macula</i>, il lui consacre un époustouflant entretien de 37 pages.</p> <p>Ryman, sa force, est d’interroger méthodiquement tout: le statut de la signature, l’éclairage de la galerie, la géométrie du boulon porteur, la persistance du pinceau à se soutenir égal tout au long du recouvrement systématique d’une surface, les variations discrètes de deux ou trois modules de brosse, le changement de pigment, huile puis émail, la subreptice réduction ou suppression d’un élément dans une série.</p> <p>Martin Barré, lui, se demande: Qu’en est-il du fond comme limite? Et envisage chaque tableau à la fois en lui-même et comme un élément en relation avec les autres œuvres de la série auquel il appartient. Il mène un travail précis, où s’élaborent des articulations choisies entre couleurs et réserves, premiers et arrières plans, espace pictural et hors-champ, transparence et bordure. </p> <h3>Edouard Manet, le précurseur</h3> <p>C’est à Manet que Clay fait remonter le repérage des éléments centraux de l’esthétique moderne et de la mise en crise de la peinture tout entière. Il est le premier peintre à ressentir comme dissociable tous les constituants matériels du tableau tels que surface, limite, couleur, texture, geste, – et à les traiter comme un jeu de variables. Moire des tissus, satin, taffetas, creps – paravents, tapisseries, papiers peints. Puisant chez les peintres anciens tels Titien ou Goya, mélangeant et synthétisant Carrache et Rubens, empruntant à l’art japonais, s’inspirant de la photographie, il subvertit les notions de continuité linéaire, de progrès, d’origine. Il n’a pas de style et il les a tous. Chacune de ses œuvres est contredite par la suivante. 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A Francfort, des universitaires, dont Adorno, ayant bloqué la candidature de Günther Stern, le couple déménage à Berlin où Günther contacte Bertolt Brecht, qui le recommande à un quotidien dont il devient, sous le pseudonyme de Gustave Anders, l’homme à tout faire et à tout écrire.</p> <h3>Hitler chancelier</h3> <p>Le 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier de la République allemande. Le 27 février a lieu l'incendie du Reichstag. Aussitôt toutes les libertés civiles et politiques sont suspendues. 4'000 personnes sont arrêtées. Hannah Arendt entre résolument en politique et décide d’aider les persécutés. En juillet 1933, sa mère et elle sont arrêtées. Sa mère est relâchée rapidement et elle, huit jours plus tard. Elles sont accueillies ensuite par une amie à Genève où Hannah travaillera pendant deux mois à la SDN avant de partir pour Paris.</p> <h3>Paris, capitale des Années folles</h3> <p>Sa mère, jeune, a passé trois ans à Paris et y a toujours des amis. 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De 1935 à 1936, elle en fait émigrer 120. Passant le printemps 1935 en Palestine, elle en revient, tout en restant attachée à ce pays, vaccinée contre le sionisme.</p> <p>En 1936 Anders part pour les Etats-Unis. Au printemps, un certain Heinrich Blücher assiste à une conférence d’Hannah Arendt. Hannah a 29 ans, lui 36. En juin, quelques jours après le départ de Günther, attirée par l’humour et l’intelligence de ce Berlinois, elle l’invite avec un autre ami à diner dans sa chambre d’hôtel et succombe à son charme.</p> <p>Un dialogue intense s’établit entre eux. Heinrich n’y va pas de main morte pour critiquer les sionistes. Sur la Palestine, il lui écrit: «Vouloir en cadeau tout un pays, pour ainsi dire, par charité, n’est-ce pas comme si on voulait faire en sorte qu’une femme qui ne peut pas vous aimer couche quand même avec vous, par charité chrétienne – ou juive?» </p> <p>Le 4 mai 1936 voit la victoire du Front populaire en France. Le 17 juillet, la guerre d’Espagne éclate. En 1937, Hannah et Heinrich s’installent ensemble et l’amitié tient une place centrale dans leur vie. Fritz Fränkel, un médecin et ami, vit au 10, rue Dombasle dans le 15ème arrondissement, dans un immeuble neuf en béton armé où habitent aussi Rudolph Neumann et sa femme; Fränze, Arthur Koestler et sa compagne, Daphné Hardy et à partir de janvier 1938, Walter Benjamin.</p> <p>Hannah et Heinrich s’y rendent souvent. On y joue au poker ou aux échecs. On peut y croiser Mina Flake, médecin, Dora Benjamin, Robert Gilbert, compositeur et parolier, Erich Cohn-Bendit, avocat spartakiste et Herta David. C’est grâce à cette petite tribu qu’ils se sentent chez eux à Paris.</p> <h3>D’«indésirables» à «ennemis d’Etat» (1938-1939)</h3> <p>Quelques jours après la Nuit de cristal, le décret-loi du gouvernement Daladier portant sur la police et le statut des étrangers aggrave leurs conditions de vie. En mai 1939, Martha, la mère d’Hannah vient s’installer avec le couple. Ils vivent dans un appartement à dix minutes à pied de la rue Dombasle. Depuis la fin 1938, Hannah travaille pour le<em> Central Bureau for the Settlement of German Jews</em> pour lequel elle négocie avec les autorités françaises des visas de transit. </p> <p>Le 23 août 1939 est signé le pacte germano-soviétique. La guerre, inévitable, éclate. Les réfugiés Blücher, Benjamin, Cohn-Bendit, Fränkel, Neumann et Krüger, sont arrêtés.</p> <h3>Dans les camps de la République (1939-1940)</h3> <p>Ils sont tous emmenés au Stade olympique de Colombes et incarcérés en plein air, sans couvertures, sans rien. Heinrich s’empresse de rassurer Hannah. Quand on lit ce qu’il lui écrit, on pleure: </p> <p>«<em>Ma petite,</em></p> <p><em>Je me suis couché pendant deux nuits sur une belle pelouse. Cohn et moi, nous avons trouvé ces nuits fort belles mais assez fraîches. J’ai trouvé ici tous les copains – y compris le malheureux Benji. Tous les Militaires et les agents sont pleins de gentillesses. Il me manque rien, sauf mon couteau, mon briquet et toutes mes allumettes.</em></p> <p><em>Il est bon de pouvoir penser à toi sous les étoiles.</em>»</p> <p>Le pouvoir, la droite française de l’époque, pétri de xénophobie, d’antisémitisme et d’anticommunisme, considère que l’indésirable est l’étranger antifasciste; il regarde les régimes autoritaires d’Italie et d’Allemagne avec une certaine sympathie.</p> <h3>Dans les camps français</h3> <p>La France se couvre de plus d’une centaine de camps improvisés enfermant 20'000 prisonniers. En partant du 10, rue Dombasle, Benjamin a emporté des lettres de Paul Valéry et Jules Romains mais il n’a personne à qui les montrer. Il souffre des reins et doit rester couché. Horkheimer et Adorno lui écrivent leur avis très positif sur la nouvelle version de son <em>Baudelaire</em>. Cela lui redonne de la force et il se lance dans un cours de philosophie en plein air pour lequel il demande, en rémunération de chaque leçon, trois Gauloises, un clou ou un crayon. La libraire Adrienne Monnier, qui connaît du monde, parvient finalement à le faire libérer.</p> <h3>L’hiver obscur de la «drôle de guerre»</h3> <p>Pour conjurer la douloureuse séparation de trois mois qu’ils viennent de vivre, le 16 janvier 1940, Hannah et Heinrich se marient. Walter Benjamin se réfugie dans le travail, le <em>black-out</em> l’angoisse, mais il croit à la défaite rapide de l’Allemagne. Heinrich affirme que l’armée française est l’une des meilleures d’Europe. Hannah dépose une demande de visa à l’ambassade des Etats-Unis et elle entraîne Heinrich et Walter dans des cours d’anglais.</p> <h3>Le supplice administratif d’Arthur Koestler</h3> <p>Le 17 janvier 1940, Koestler est relâché du camp de Vernet. Après cela, il reçoit des sursis à son expulsion du pays qui varient de quarante-huit heures à un mois. Il échoue à se faire enrôler dans l’armée anglaise et à la Croix-Rouge. Il sollicite l’aide de Léon Blum qui appelle le chef du service des étrangers à la Sureté nationale, M. Combe, mais lorsque Koestler s'y rend, il lui est impossible de le rencontrer. Arthur abandonne et se réfugie dans le je-m’en-foutisme; il termine la rédaction du<i> Zéro et l’Infini</i> qui deviendra un best-seller mondial. </p> <p>Le 10 mai, l’Allemagne envahit la Belgique. Le 12 paraît un avis enjoignant les hommes d’origine allemande de 17 à 55 ans, les femmes célibataires ou mariées sans enfant de rejoindre des centres de Rassemblement. Henri Hoppenot, un diplomate ami intervient: Benjamin, Kracauer et Koestler n’ont pas à se rendre au stade Buffalo. Blücher et Fränkel s’y rendent. Le lendemain, Hannah et Fränze Neumann partent en métro jusqu’au stade du Vélodrome d’hiver. Au 10, rue Domsbale, le chauffage central cesse de fonctionner, puis l’eau chaude, puis l’ascenseur. Le jour de l’invasion allemande, le téléphone est coupé.</p> <p>Une semaine plus tard, des policiers ordonnent à Koestler de se rendre au stade où il arrive ivre mort et raconte des mensonges à l’officier qui l’accueille. L’officier le relâche. Désormais hors la loi, le 25 mai, Daphné et lui fuient Paris.</p> <h3>Le camps de Gurs </h3> <p>Une semaine après leur arrivée au Vélodrome d’hiver, les femmes sont déportées au camp de Gurs, immense étendue désertique et insalubre dans les Pyrénées, ne comportant ni arbre ni buisson, mais des rangées de baraques alignées à perte de vue, entourées de barbelés de deux mètres de haut. Les prisonniers y sont 12'000 dont, outre Hannah Arendt, sept autres de ses connaissances, telle Dora, la sœur de Walter. On ne leur donne rien à manger. Dans la baraque baptisée «Infirmerie», il n’y a ni lit, ni médicaments. 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Le poison qu’il avale le fait juste vomir. Arendt décide de se rendre à Monbahus, commune du Lot dans le Sud-Ouest où se trouve Lotte en espérant que Heinrich, dont elle est sans nouvelles, aura la même idée. Quelques jours plus tard, par un hasard inouï, elle le retrouve.</p> <h3>La fuite à tout prix</h3> <p>Le 6 août radio Vichy commence une campagne antisémite.</p> <p>Le 13, le fameux journaliste américain Varian Fry débarque à Marseille d’où il fera obtenir des visas d’urgence pour les Etats-Unis à bien des gens, dont Hannah et Heinrich.</p> <p>Walter Benjamin pénètre en Espagne où il apprend qu’un décret interdit désormais de laisser entrer les apatrides. Il se suicide.</p> <p>Le 23 mai 1941, Hannah et Heinrich arrivent aux Etats-Unis avec cinquante dollars en poche et ils devront y batailler longtemps pour obtenir la nationalité américaine: à la fin des années quarante commence l’ère du maccarthysme.</p> <p>En 1952, Hannah Arendt revient en Europe pour un séjour de six mois. Elle écrit à Heinrich: «<em>Paris, c’est comme être à la maison, encore plus cette fois-ci, parce que je reparle parfaitement le français et que je connais la ville comme aucune autre. Je connais même encore par cœur le réseau du métro</em>».</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1727899448_pariascouvv2.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="292" /></p> <h4>«Parias. Hannah Arendt et la "tribu" en France (1933-1941)», Marina Touilliez, Editions L’Echappée, 512 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'hannah-arendt-et-les-parias-a-paris', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 73, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2107, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 9284, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Going_for_a_walk_mg_0081-2.jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 158242, 'md5' => 'e6df8aafd672ef34777a67a0ff16dc2a', 'width' => (int) 1024, 'height' => (int) 850, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => '"Le départ pour la promenade", Pieter de Hooch, 1663.', 'author' => '', 'copyright' => '', 'path' => '1653553810_going_for_a_walk_mg_00812.jpg', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [] $author = 'Yves Tenret' $description = 'Le XVIIème siècle est celui de l’âge d’or de la peinture hollandaise. 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