Culture / La cartographie radicale: une autre vision de notre monde
Mapa-mundi, Beato de Girona, Xème siècle.
Qui n’a pas rêvé devant une mappemonde de Mercator, une carte océanienne tressée avec des bouts de bois ou un plan du métro de Londres? Eh bien, ces temps-là sont finis, définitivement terminés. Le tourisme de masse a tout aplati. Et si jusqu’à présent les cartographes n’ont fait que décrire le monde, il s’agit à présent de le transformer! Et c’est cette transformation qui se veut à l’œuvre dans l’album «Cartographie radicale – Explorations» de l’historienne Nepthys Zwer et du géographe Philippe Rekacewicz qui vient de paraître aux éditions Carré/ La Découverte.
D'où vient la cartographie critique?
Depuis quelques années, dans le sillon de la géographie radicale et de ses grands noms, David Harvey et Mike Davis notamment, une cartographie radicale se développe qui postule que l’exercice de représentation du monde est forcément subjectif et fondamentalement politique.
Le terme nait aux Etats-Unis au début des années 70 pour désigner une cartographie militante animée par des chercheurs que révoltaient les discriminations et les inégalités sociales et économiques. Au même moment, avec le lancement des revues Espace-Temps et Hérodote, apparaît en France la géographie critique. La cartographie radicale vient s’y greffer pour ensuite s’en émanciper dans les années 1990.
Les deux crises pétrolières, en 1973 et 1979, ont brutalement révélé à l’Occident son extrême dépendance à d’autres régions du monde. Les délocalisations, en Asie et surtout en Chine, rendent le monde multipolaire et polycentrique. Il faut inventer des cartes avec des projections décentrées. La micro-informatique démocratise les outils. Faire des cartes devient à la portée de tout le monde. Avec le développement fulgurant d’Internet, des réseaux sociaux et des blogs, l’accès aux données devient infiniment plus facile et plus rapide. Ces changements ont accompagné et grandement contribué à l’émergence de cette cartographie radicale. Il s’agit d’un mouvement encore informel, un champ ouvert, et, sous divers qualificatifs, de nouvelles explorations: cartographie décoloniale, des peuples autochtones, cartographie féministe, etc. Toutes s’emploient à développer des projets contestataires au service d’une plus grande justice sociale.
Autour des années 2000, il y a eu une prise de pouvoir de l’image sur le texte et l’apparition d’innovations technologiques décisives rendant possible la collecte, le stockage et le traitement d’information de manière ordonnée et d’en produire des représentations synthétiques accessibles à tout le monde; ce qui auparavant demandait des mois de travail laborieux, voire des années, se fait à présent d’un clic!
Oui, aujourd’hui, des centaines de projets cartographiques sont en cours de développement au niveau mondial, mettant cette discipline au service de la société civile et passant à l’offensive pour défendre des espaces de vie face aux multiples prédateurs capitalistes.
Des communautés bédouines du Néguev, par exemple, effacées des cartes israéliennes, créent des chambres d’hôtes qui apparaissent sur la carte des sites d’AirBnB et pour finir même sur la carte de Google!
Crayons et feuilles blanches
A la fin des années 1980, deux sociétés américaines se partageaient l’essentiel du marché des logiciels du dessin vectoriel: Adobe et Macromedia, mais nos deux auteurs, Nepthys Zwer et Philippe Rekacewicz, utilisaient Freehand qu’ils jugeaient plus ergonomique. Adobe rachète Freehand en 2005, pour, après l’avoir laissé dépérir, le faire disparaître en 2008. Cela signifiait, écrivent-ils, la perte d’années d’investissement et d’apprentissage et le retour à la case départ avec la perspective de devoir se résigner à un nouvel apprentissage hyper chronophage. Les voilà devenus eux-mêmes victimes du phénomène qu’ils avaient à cœur de cartographier, victimes du grand jeu des fusions-acquisitions! Ils décident donc de boycotter les produits Adobe et puisque face à ce monopole, il n’y avait pas d’alternative, de se remettre à travailler à la main et sur du papier! Et petit à petit, cela va leur permettre de remettre en débat moult conventions et de tenter de s’en émanciper.
En se servant des formes, des couleurs et des mouvements inventés par Kandinsky, Gontcharova, Lissitzky, Malevitch, Itten ou Paul Klee, ils usent d’un style géométrique et de formes synthétiques et efficaces. En cartographie, la recherche sur les formes est fondamentale, au moins autant que le travail sur le fond, disent-ils. Un dessin souple ou angulaire ne donne pas le même rendu. Les cartes thématiques étaient traditionnellement touffues, surchargées d’éléments qui se bousculaient dans tous les sens. Eux veulent réduire ce vacarme graphique et produire des images qui respirent, qui soient simples et épurées.
Quelles sont les intentions des cartographes radicaux?
Pour les auteurs, une carte doit dévoiler ce qui se cache dans les routines de tous les jours, susciter des débats, des interactions, des échanges, permettre de se forger un jugement éclairé. Leurs cartes sont souvent collaboratives et font appel à des personnes lésées, celles qui ne figurent sur aucune carte et à qui il s’agit de faire prendre conscience de leur présence sur le terrain et de la nécessité d’avoir des armes pour demander aux municipalités, par exemple, qu’il y ait chez eux aussi le tout-à-l’égout, des toilettes, des écoles, des lieux de soin.
Etre radical en cartographie, c’est faire apparaître ce qui est invisible, donner à voir ce qu’on ne voit pas! S’il y a débat, la carte aura atteint son but: impliquer les gens, provoquer leurs réactions, susciter, après l’étonnement et l’interrogation, une indignation, une révolte, des voies qui permettent de sortir de l’apathie et de tenter de passer à l’action.
La cartographie radicale est produite par des non-spécialistes et se passe de toute légitimation institutionnelle, elle assume clairement sa subjectivité et est impensable sans les réseaux sociaux qu’elle utilise comme canaux de communication. Son objectif est de porter un regard critique sur les frontières, de représenter les espaces effectifs de la vie des gens, de montrer les pauvres, les précaires, les migrants, être leur voix et, bien sûr, leur image.
Où sont les femmes?
Riche en réflexions et en exemples, le livre a une sous-partie intitulée : «Où sont les femmes?» Elles étaient absentes de l’histoire de la cartographie, «ici, comme ailleurs, victimes de l’invisibilisation systématique de leurs contributions à la production de savoir». Qu’est-ce que c’est qu’une approche cartographique féministe, différente de la pratique actuelle largement «coloniale»? L’Américaine Molly Roy, qui a dessiné City of Women, plan du métro new-yorkais avec chaque station baptisée du nom d’une femme importante du quartier, explique: «Pour adopter une approche cartographique féministe, il suffit souvent de regarder et d’analyser une carte et d’identifier tout ce qu’il y manque, tout ce qui n’est pas dit: les histoires, les lieux, les processus dans lesquels les femmes et les minorités ont une importance majeure ou jouent un rôle critique; ce qui permet d’imaginer des cartes qui mettraient enfin en lumière tout ce qui manque, tout ce qui a disparu ou qui a été volontairement ignoré.»
Cartographie militante
La première carte reproduite dans le livre: «Quartiers dans lesquels des bébés ont été mordus par des rats» date de 1988 et a été réalisée à Détroit. Il y a aussi celle qui décrit les bidonville de Dhaka, la capitale du Bangladesh. Celle qui cartographie les espaces aéroportuaires et leurs duty free shops, et celle qui donne à voir les trajets les moins surveillés à Manhattan ou les lieux d’enfermement autour de la Méditerranée.
Ainsi donc la cartographie radicale va spatialiser les données économiques et sociales, produire des cartes délibérément politiques qui montrent et dénoncent ces situations d’inégalités de vie et de droits, les compromissions politico-économiques, les accaparements de terres, la destruction des milieux par l’agro-industrie, la pollution de la planète.
«Cartographie radicale. Explorations», Nepthys Zwer et Philippe Rekacewicz, Editions Carré/La Découverte, 296 pages.
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Adobe rachète Freehand en 2005, pour, après l’avoir laissé dépérir, le faire disparaître en 2008. Cela signifiait, écrivent-ils, la perte d’années d’investissement et d’apprentissage et le retour à la case départ avec la perspective de devoir se résigner à un nouvel apprentissage hyper chronophage. Les voilà devenus eux-mêmes victimes du phénomène qu’ils avaient à cœur de cartographier, victimes du grand jeu des fusions-acquisitions! Ils décident donc de boycotter les produits Adobe et puisque face à ce monopole, il n’y avait pas d’alternative, de se remettre à travailler à la main et sur du papier! Et petit à petit, cela va leur permettre de remettre en débat moult conventions et de tenter de s’en émanciper.</p> <p>En se servant des formes, des couleurs et des mouvements inventés par Kandinsky, Gontcharova, Lissitzky, Malevitch, Itten ou Paul Klee, ils usent d’un style géométrique et de formes synthétiques et efficaces. 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Les darbystes ne sont pas prisonniers de leur communauté nous apprend l’auteur qui sait de quoi il parle puisqu’il en fut. Ils peuvent dire <em>Je</em>, faire entendre une idée ou signifier un désaccord. Le retour de Jean Prod’hom sur le darbysme confronte les pratiques et le caractère de son fondateur John Nelson Darby à la fantasque personnalité d’un pasteur de l'Eglise évangélique vaudoise, Alexis Muston. L’un, sombre prêcheur dogmatique, dit la loi, s’occupe de pouvoir, représente l’ordre; l’autre, en quête de grâce, vagabonde et fuit tout cela en bondissant de sentier en chemin. Pour Darby, les croyants ne peuvent ni ne doivent s'organiser en Eglise et les pasteurs doivent renoncer à leurs titres, il n’est nul besoin d'une organisation pour se réunir entre chrétiens, nul besoin de l'ordination, chaque croyant est prêtre mais ce moment anarchiste se métamorphose en machine à exclure et ne sera plus que débats et affrontements autour du pouvoir. 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En Inde, au Pakistan, en Afghanistan, en Malaisie et en Indonésie, les personnes transgenres sont reconnues et acceptées alors qu’en Turquie 1'933 personnes trans ont été assassinées entre 2008 et 2015.</p> <h3>L'orientalisme</h3> <p>Ingres et Nerval, même combat. 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Nous savons que l’art aujourd’hui se situe dans un nouveau dialogue avec le réel – que le vrai rapport n’est plus à l’intérieur de l’œuvre, mais entre l’œuvre et la vie, écrit-il.</p> <p>Hans Haacke, formellement inventif et conceptuellement gênant pour les institutions culturelles capitalistes, correspond au type d’artiste qu’il soutient. Ses œuvres dérangeantes, manipulables et anonymes, vont défaire l’institution. A la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence, par exemple, il construit un spectacle dénonçant l’aspect commercial de cette fondation.</p> <h3>Triomphe de l’art bourgeois</h3> <p>En 1968, considérant intolérable la confiscation de la créativité à des fins d’embellissement d’une société obscène, Jean Clay se déclare être pour l’artiste offensif, pour le mouvement, la participation du public, le <i>Pénétrable</i>, le happening et l’art conceptuel et contre l’art activité inoffensive, marginale et décorative. Il soutient toutes les entreprises fondées sur l’absence de limites, toutes les initiatives dont en commençant, on ne connaît pas le terme.</p> <p>Mais dès 1971, il constate que la culture, devenue chaque jour davantage l’ingrédient indispensable à toute opération d’intoxication commerciale ou politique, contribue à la crétinisation générale des consciences et à l’abrutissement des masses par les intellectuels qui apportent une aura de spiritualité à la marchandise et à ce qui l’emballe. 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Robert Barry diffuse dans des parcs des gaz invisibles. Edward Ruscha présente des photos d’anciennes petites amies. On Kawara envoie chaque jour une carte postale spécifiant l’heure à laquelle il s’est levé. Ambitions minuscules dans lesquelles la société bourgeoise se découvre avec ravissement telle qu’elle se rêve: immuable et universelle. </p> <p>Le commerce de détail liquide le cinétisme en de multiples gadgets qui simulent le mouvement pour ne pas avoir à le vivre. Vasarely inspire papiers peints et bottines de femmes. Au rayon emballage, personne n’a poussé plus avant que lui l’esthétisation de l’inhumanité de la vie urbaine.</p> <h3>Les années <i>Macula</i></h3> <p>Créée en 1976 et devenue une maison d’édition en 1979, <i>Macula</i> nait dans une époque surexcitante intellectuellement, nous dit Jean Clay. 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Les papiers peints de Vuillard, sa dilution de la figure, non pas dans la lumière, mais dans la texture, la tâche, la touche, ses personnages rongés, mités, abolis dans la tavelure qui les cerne, l’épaisseur, le feuilletage, l’interpénétration des couches, l’interférence des strates, les grattages.</p> <p>Monet, le précurseur, qui n’a atteint son public que dans les années 1950, avec une génération de peintres américains qui reconnaît être en dette envers lui et ses <i>Nymphéa</i>s, dix-neuf panneaux de continuum spatiotemporel, de tissu sans couture, d’espace sans charnière.</p> <p>Cette mise en crise est aussi le résultat du travail de Malevitch, de ses deux achromes accrochés horizontalement au plafond ou de Piet Mondrian, qui pointe l’ambivalence et l’incertitude restées inaperçues dans les formes classiques des arts, de Van Doesburg qui retournait les peintures face au mur afin de les utiliser simplement comme éléments de division de l’espace, des <i>Texturologies</i> de Dubuffet, sans centre ni cible.</p> <h3>Les purs: Robert Ryman & Martin Barré</h3> <p>Ryman gagne sa vie en étant gardien de musée. 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