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Culture

Culture / Christopher Nolan, l'implosion?

Norbert Creutz

25 août 2020

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Son nouveau film, «Tenet» était attendu comme le Messie pour sauver un 7e art à la dérive. Las! Cette fois, ce cinéaste anglais a poussé le bouchon conceptuel trop loin, signant un film d'action à base d'inversions temporelles quasiment incompréhensible. Et pour finir plus lassant qu'impressionnant.



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Peut-être que le moi futur de l'auteur de ces lignes comprendra enfin ce film et le jugera soudain limpide, en avance sur son temps et peut-être même génial. Mais pour l'instant, dans le présent et à la lumière du passé, il faut bien reconnaître que la désillusion est de taille. Une revision d'Inception (toujours très fort, dix ans plus tard) nous avait pourtant bien chauffé, ainsi que le petit film promotionnel projeté en avant-programme (ode à Christopher Nolan le visionnaire, l'artiste d'une exigence supérieure, le dernier défenseur du vrai cinéma sans tripatouillage digital, etc.). Tout ça pour ça? A l'arrivée, pas de vertige, pas d'émotion, juste une impression de surcharge narrative et sensorielle, d'un système poussé trop loin qui s'effondre tel un château de cartes...

Faut-il rappeler que la Warner joue gros avec ce film, le premier «blockbuster» au budget avoisinant les 200 millions de dollars lancé dans cet après-Covid alors que des restrictions frappent encore les salles du monde entier? A priori, l'effet de manque et une curiosité décuplée par les multiples reports devraient l'emporter. Mais il faudra plus de temps qu'«avant» pour faire le plein du public, et si le bouche-à-oreille devait s'avérer négatif, gare à la casse! Pour nous, celle-ci a déjà eu lieu, artistiquement parlant: un cinéaste surfait vient d'imploser devant nos yeux, un peu comme Paolo Sorrentino (avec Youth ou Loro, selon les sensibilités) ou les frères/soeurs Wachowski (Matrix Revolutions ou Speed Racer) avant lui.

Paradoxes temporels contre principes de base

Cela commence dès la séquence d'ouverture dans une salle de concert ukrainienne, avec des enjeux de terrorisme bien flous (surtout pas de politique!) et le choix d'un protagoniste aussi indéfini que peu charismatique. Agent de qui et de quoi, auquel Nolan aura beau adjoindre bientôt le plus intéressant Robert Pattinson, John David Washington (de BlacKkKlansman) restera tout du long un vague ectoplasme incapable de capter notre désir d'identification projective. Puis arrive le désormais habituel barrage d'informations lancées à la volée dans des dialogues ultra-sérieux par des types ultra-compétents mais dont on ne saisit pas la moitié. Juste qu'il sera question d'armes «inversées» venues du futur et d'un marchand qui pourrait en faire mauvais usage, notamment en provoquant la fin du monde.

Rien que ça.

Cela devrait être James Bond en mieux, ce n'est qu'un Jack Ryan noir flanqué d'un faire-valoir blanc et qui s'amuserait à Retour vers le futur. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de bons moments sur les 2h30 de projection: quelques effets spéciaux pyrotechniques «réels» sont vraiment impressionnants, une leçon de snobisme donnée par Sir Michael Caine fait sourire, un exposé du fonctionnemnent des ports francs donne une furieuse envie de les abolir. Et pendant un moment, l'intrigue elle-même paraît prometteuse, qui introduit le couple infernal composé du marchand d'armes russe Andreï Sator (Kenneth Branagh en super-méchant, pour le punir d'être devenu si médiocre cinéaste?) et sa femme Katherine, qui le méprise mais qui est devenue sa prisonnière (la filiforme australienne Elizabeth Debicki).

Un film en forme de palindrome

Tandis qu'une chasse au tableau envolé puis au plutonium dérobé se met en place, on saute de Mumbai à Oslo et d'Amalfi à Tallin, on assiste à un crash d'avion et à d'étranges phénomènes d'action inversée (combats, fusillades, carambolages) qui font appel à notre compréhension profonde des paradoxes temporels. Vers les deux tiers, ça repart en arrière, les héros ayant enfin maîtrisé le processus d'inversion. On entend parler d'une opération «en tenaille» menée à la fois depuis le passé et le futur. Nos héros commencent à se battre contre eux-mêmes.

Bref, on est largué.

Et comme la seule touche d'émotion est censée reposer le sentiment maternel de Katherine pour un garçon à peine entrevu, la panne de curiosité pour ce qui va arriver menace aussi de ce côté-là. Et ce n'est pas le grand final bruyant dans une sorte de friche post-soviétique avec un nouveau personnage sorti de nulle part (Aaron Taylor-Johnson) qui peut y changer quoi que ce soit.

Entendons-nous: il ne s'agit pas de prétendre que nous avons mieux saisi la logique interne du film que l'auteur qui y a consacré plusieurs années de sa vie. Juste de constater que même avec la meilleure volonté du monde, on décroche. Et cette fois, pas de Leonardo DiCaprio hanté par ses rêves ni de Marion Cotillard coincée dans une dimension parallèle pour nous repêcher! Sans parler des effets de style désormais attendus, de la palette de couleurs jaune-bleue qui exclut le vert et le rouge à la musique à base d'infra-basses assourdissantes (le fameux «braaam» hanszimmerien, laissé cette fois à un infâme tâcheron). L'ensemble vous laisse sur une terrible impression de pesanteur, écrasé par une prétention qui pourrait bien avoir rejoint la vanité tarantinienne au panthéon de la vacuité du cinéma actuel.

A ce propos, le mystérieux titre de Tenet n'est pas plus un hommage à l'ancien patron de la CIA de Clinton et Bush que quelque «principe d'une doctrine» (traduction de l'anglais), mais une référence au fameux Carré Sator, palindrome latin trouvé à Pompéi: SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Les autres mots sont disséminées de par le film, trouvez-les! A défaut d'avoir quelque chose à dire, on s'amuse comme on peut.


Tenet, de Christopher Nolan (Etats-Unis 2020), avec John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Kenneth Branagh, Dimple Kapadia, Michael Caine, Aaron Taylor-Johnson, Clémence Poésy, Martin Donovan. 2h30

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