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Culture

Culture / Deuil à l'Islandaise

Norbert Creutz

20 février 2020

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Dernier venu d'une «nouvelle vague islandaise» qui ne cesse d'étonner, «A White, White Day» de Hlynur Pálmason mêle drame privé, film policier et digressions expérimentales pour le plus grand bonheur du spectateur. Un film déroutant qui s'extrait d'un tout-venant international ronronnant.



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Les derniers Oscars sacrant Parasite de Bong Joon-ho l'ont asséné comme un coup de tonnerre à ceux qui font toujours mine de ne rien entendre: le présent et l'avenir du cinéma mondial se jouent ailleurs qu'à Hollywood. On pourrait même dire ailleurs tout court, là où l'on ne ressasse pas les mêmes histoires et les même formules usées jusqu'à la corde. En réalité, jamais là où l'on s'y attend. Après les «nouvelles vagues» taïwanaise, argentine, roumaine ou coréenne (liste non exhaustive), c'est ainsi au tour de l'Islande de flamber.

Depuis une dizaine d'années, autrement dit depuis sa retentissante crise financière et politique, ce pays ne cesse de nous envoyer des films surprenants, imposant successivement les noms de Benedikt Erlingsson (Des chevaux et des hommes, Woman at War), Grímur Hákonarson (Béliers, Mjölk - La guerre du lait) et Rúnar Rúnarsson (Sparrows, Echo). Et voici déjà un nouveau venu, Hlynur Pálmason, dont A White, White Day, lancé à la Semaine de la critique cannoise, vient confirmer les promesses de Winter Brothers (Locarno 2017). Mais que se passe-t-il donc dans ce petit pays d'à peine 365 000 habitants, doté de juste 40 salles et qui produit une dizaine de films par an? Au-delà d'un soutien étatique accru et d'une saine émulation, voici sans doute un cas de limites qui stimulent la créativité.

Un flic veuf et cocu 

C'est ainsi que A White, White Day (annoncé comme Un jour si blanc en France, mais pas chez nous) s'ouvre sur les mêmes paysages dénudés que d'habitude, mais autrement. Pour signifier le temps qui passe entre un accident de voiture dans la blancheur annoncée par le titre et le moment du récit, le cinéaste nous gratifie d'emblée d'une étonnante séquence qui voit un bout de terrain quelconque avec une sorte de hangar à l'abandon se transformer au fil des saisons. Même pas d'effet spécial, juste un plan fixe avec des ellipses de montage. Et c'est absolument fascinant!

Un jour, quelqu'un arrive et se met à transformer les lieux en maison d'habitation. C'est Ingimundur (formidable Ingvar E. Sigurdsson, déjà repéré dans Des chevaux et des hommes et Sparrows), un commissaire de police mis en congé après la mort accidentelle de sa femme. Le veuf en thérapie s'est plongé dans cette tâche pour se distraire tout en veillant sur une petite-fille que lui confient volontiers ses parents et en jetant des regards de travers à ses coéquipiers d'équipe de foot. Il trouve bientôt la confirmation de ses soupçons dans un livre (genre polar-thriller à la mode) que sa femme n'avait pas rendu à la bibliothèque: elle le trompait, et il veut savoir avec qui.

Clairement, quelque chose va se passer, mais le cinéaste n'est pas de ceux à entretenir le suspense de manière traditionnelle. Egalement artiste plasticien, il préfère poser un regard plus décalé sur cette tragédie en puissance, amenant des pointes d'humour inattendues mais aussi des moments de recul proprement philosophique. Dans cet ordre d'idée, la plus belle séquence est sans doute celle d'un bloc de pierre sur la route qu'Ingimundur balance en contrebas et dont on suit alors la course jusqu'au fond de l'eau: symbolique ou non, un moment sidérant qui invite déjà à considérer différemment le drame humain qui se joue. Le traitement surprenant d'un poisson par la fillette, de mystérieux écrans de surveillance qui décomposent un trajet en voiture ou une séance de thérapie via Skype ne seront pas moins mémorables...

Le contraire d'une larme facile

On l'aura compris, l'essentiel du film se joue entre les vivants et les morts, le désir de vengeance et le travail du deuil. Incapable de verser une larme, de plus en plus obsédé, Ingimundur s'oriente vers la seconde option, au risque de faire de gros dégâts. Mais on ne se défait pas si aisément d'un rival et encore moins de ses souvenirs gâchés. Si le «pétage de plombs» attendu aura bien lieu, il se déroulera de manière typiquement inattendue – un art du contre-pied où scénario et mise en scène conspirent à hauteur égale. Et ce jusqu'à une belle séquence finale qui fait rédécouvrir une chanson peu connue de Leonard Cohen, «Memories» (de l'album Death of a Ladies' Man).

Ici, comme dans Echo (Rúnarsson), l'originalité vient clairement de la forme plutôt que du fond, au contraire de Béliers (Hákonarson), tandis que le formidable Woman at War (Erlingsson) se situait idéalement à mi-chemin. Déjà, cette «nouvelle vague» que l'on devine fragile se dévoile multiple, composée de tempéraments très différents derrière la même froide clarté de leurs images. Sur les traces de devanciers plus isolés, Fridrik Thor Fridriksson, Baltasar Kormákur et Dagur Kári, ces auteurs vont sans doute devoir bientôt choisir entre un avenir insulaire ou international. Mais on se promet déjà de les suivre de près. Avec une certaine confiance dans le cas de Pálmason, dont cette fable qui se refuse à toute facilité intrigue durablement.


A White, White Day / Un Jour si blanc (Hvítur, Hvítur Dagur) de Hlynur Pálmason (Islande-Danemark 2019), avec Ingvar E. Sigurdsson, Ida Mekkin Hlynsdottir, Hilmir Snaer Gudnason, Bjorn Ingi Hilmarsson, Elma Stefania Agustsdottir. 1h49 

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