Charlize Theron et Seth Rodgen forment un duo inattendu! © ASCOT ELITE
Comédie romantique pour l'ère Trump/#MeToo, «Séduis-moi si tu peux!», ou plutôt «Long Shot», mêle humour adolescent et intelligence politique en imaginant la rencontre d'un plumitif contestataire et d'une candidate à la présidence des Etats-Unis. Un film tour à tour embarrassant et emballant auquel ne manque qu'un minimum d'exigence formelle
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Parfaitement symptomatique de l'heure actuelle, le résultat pourrait toutefois connaître un certain succès, pas totalement immérité.</p> <h3>Coups bas et visées hautes</h3> <p>L'introduction présente les deux protagonistes évoluant dans des réalités tellement éloignées qu'ils ne semblent jamais devoir se rencontrer. Infiltré dans une réunion de néonazis, le journaliste juif Fred Flarsky espère en tirer un reportage explosif avant de claquer la porte de son journal, victime de l'insidieuse censure «économique». De son côté, la secrétaire d'Etat (c'est-à-dire la ministre des affaires étrangères américaine) Charlotte Field obtient le soutien d'un chef qui a choisi de ne pas se représenter (il préfère tenter sa chance comme acteur à Hollywood!) pour devenir officiellement candidate à la présidence des Etats-Unis. 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Entre l'égérie Dior et le potache mal léché, le courant passe.</p> <p>Il suffit d'une séquence soudain mieux emballée, une grande soirée en Argentine où nos tourtereaux s'éclipsent pour rejouer à <em>Pretty Woman,</em> pour qu'un certain charme commence à opérer; d'une autre qui conjugue prise de substances illicites pour décompresser et crise d'otages à gérer d'urgence pour que l'affaire s'emballe et qu'on soit vraiment pris. Lorsqu'un chantage à la vidéo compromettante menace de couler définitivement aussi bien les ambitions de Charlotte que les espoirs romantiques de Fred – c'est ici que le titre original trouve tout son sens –, on se surprend même à admirer l'audace du concept, d'une vulgarité qui confine au sublime... Quant au final, il ne décevra pas, parvenant à insuffler un minimum d'espoir dans un monde aussi navrant.</p> <h3>De la réalité au rêve</h3> <p>Alors voilà. 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Dans un genre sur lequel la critique a peu de prise tant le sujet tend à primer, il faut pourtant bien reconnaître que la méthode, la sensibilité, l'art narratif et la profondeur intellectuelle du l'auteur(e) peuvent faire la différence. Et il n'en fallait pas moins pour s'attaquer à un sujet tel que Leni Riefenstahl, déjà documenté une bonne vingtaine de fois pour la télévision, notamment dans un mémorable <i>Leni Riefenstahl - Le Pouvoir des images</i> (Ray Müller, 1993). Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. Pour le grand écran, après ses déjà mémorables <i>Black Box BRD</i> (2001) et <i>Beuys</i> (2017), il a signé un sobrement intitulé <i>Riefenstahl,</i> présenté hors compétition à la dernière Mostra de Venise plutôt qu'à la Berlinale.</p> <p>A l'heure du retour en grâce du nazisme chez certains jusqu'en Allemagne, d'une possible apologie féministe chez d'autres, c'était sans doute plus sage pour ce film qui réexamine le cas de cette figure hautement controversée, artiste de grand talent mais qui a failli humainement. Qu'ils semblent lointains, ses anciens triomphes à la Mostra fasciste des années 1930! Depuis, on n'ose quasiment plus montrer ses documentaires de propagande nazie <i>Le Triomphe de la volonté </i>(1935) et <i>Les Dieux du stade (Olympia, </i>1938) et, côté fictions, son superbe début <i>La Lumière bleue</i> (1932) ou son dernier opus compromis <i>Tiefland</i> (1944/1954). Aujourd'hui, ne reste plus guère de Leni Riefenstahl que sa réputation de cinéaste officielle du IIIe Reich, qui paya pour tous les autres par une mise à l'écart définitive (même Veit Harlan, l'auteur du tristement fameux <i>Juif Süss,</i> le très problématique Karl Ritter ou encore Alfred Weidenmann, chantre des Jeunesses hitlériennes<i>,</i> retouvèrent le chemin des plateaux dans les années 1950, tandis que Hans Seinhoff, le plus nazi d'entre tous, mourut opportunément en 1945).</p> <h3>Une irrésistibe ascension</h3> <p>Le travail remarquable de Veiel rend justice à la femme et à l'artiste tout en se concentrant sur les questions du degré de son implication et de sa responsabilité. Ensuite, il met en lumière toute une seconde partie de son existence passée à se justifier et réécrire sa légende. Où il apparaît que pour Leni Riefenstahl, la seule vraie catastrophe fut en définitive la guerre. Ne reconnaît-elle pas lors d'une interview que sa vie aurait mieux fait de s'arrêter en 1939? Jusque-là, tout ne fut en effet que mouvement ascentionnel – peu importe apparemment au service de quoi.</p> <p>Au début était une grande fille sportive, traitée comme un garçon par son père autoritaire et réceptacle de toutes les ambitions frustrées de sa mère. D'abord danseuse, c'est suite à un accident qu'elle se retrouve plutôt actrice, choisie à 23 ans pour être la vedette d'un film de montagne d'Arnold Fanck. Les six films tournés coup sur coup avec le brave Dr. Fanck, très basiques à part <i>L'Enfer blanc du Piz Palu</i> (co-signé par G.W. Pabst), ne sont aujourd'hui plus que d'un intérêt anecdotique. Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. Coup d'essai, coup de maître: à la fois idéaliste, féministe et mystique, <i>La Lumière bleue</i> (1932) la propulse à 30 ans cinéaste à part entière.</p> <p>C'est à ce moment qu'un collaborateur, le scénariste juif Carl Mayer, l'avertit que ce film risque bien de faire d'elle l'égérie des nazis, alors aux portes du pouvoir. En vain, puisqu'elle se jettera littéralement dans leurs bras, demandant peu après à rencontrer personnellement Adolf Hitler. Lourdement courtisée (jusqu'à une tentative de viol) par le ministre de la propagande Josef Goebbels, elle ne se donna apparemment ni à l'un ni à l'autre, finissant par épouser plutôt l'officier Hans-Peter Jacob. Mais alors même qu'elle ne jurait que par la fiction, elle se lança avec enthousiasme dans la confection de documentaires à la gloire du régime, séduite par les budgets illimités mis à sa disposition. C'est ainsi qu'elle fut impliquée aux côtés de l'architecte Albert Speer dès la préparation du fameux Congrès de Nuremberg puis des Jeux Olympiques de Berlin – où elle dit n'avoir jamais voulu que saisir la beauté, son unique souci. Et à en revoir des extraits, il faut bien avouer que le résultat fut grandiose, cinématographiquement parlant.</p> <h3>Une simple suiveuse?</h3> <p>Mais par la suite, tout s'est effectivement gâté pour Leni Riefenstahl. Embrigadée pour immortaliser l'invasion de la Pologne, elle emploie des prisonniers comme figurants avant de jeter l'éponge. Ses soutiens s'étiolent pour <i>Tiefland,</i> qui doit marquer son retour à la fiction et à ses chères montagnes. La guerre interfère avec le tournage et, à 40 ans, elle paraît trop âgée pour tenir le rôle principal. Elle utilise aussi des jeunes tziganes recrutés dans des camps, enfants qu'elle prétendra avoir revus plus tard alors qu'ils furent pour la plupart assassinés à Auschwitz. Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple <i>Mitläuferin</i> (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de <i>Tiefland</i> – un flop.</p> <p>Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. Par contre, il y a tout un art de s'aveugler, qu'elle pratiqua très activement, jusqu'à devenir par là-même la porte-parle de toute une BRD (l'Allemagne de l'Ouest d'alors) qui aurait préféré ne jamais avoir à se confronter à son passé.</p> <p>Divorcée en 1947, sans revenus et réfugiée auprès de sa vieille mère, Leni Riefenstahl se refait une santé économique dès le début des années 1960 en devenant photographe. Une expédition au sud du Soudan, d'où elle rapporte des photos du peuple Nuba, sont particulièrement remarquées. Sponsorisée, elle y retournera maintes fois, albums et expositions à la clé. En 1967, c'est surtout la rencontre avec Horst Kettner, un étrange jeune homme de 40 ans son cadet qui devient son assistant et son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. C'est ensemble qu'ils s'attellent à la lourde tâche de sa réhabilitation, fondée sur un formidable travail d'archivage et l'écriture de ses <i>Mémoires</i>, publiés en 1987.</p> <h3>De la défense au réarmement</h3> <p>Il faut la voir alors, septuagénaire puis octogénaire, toujours dans une forme étonnante pour son âge, dans leur grande maison bavaroise avec jardin; courant le cachet sur les plateaux TV, défendant mordicus sa version contre des journalistes tous mal intentionnés; retrouvant son vieil ami Albert Speer sorti de prison et discutant avec lui de leurs honoraires; ou encore dirigeant avec une autorité retrouvée et très colonialiste ses chers Nubas dans des images filmées restées inédites. C'est sûr, cette femme se sera renforcée dans l'adversité, éloignant toute possibilité de remise en question.</p> <p>Impeccable dans son travail de montage toujours dialectique, Andres Veiel se garde bien de porter un jugement. Mais le film rend bien perceptible un ego parfaitement proportionnel à son ambition artistique. Et en définitive, c'est bien de la place de l'artiste dans la société, du sens de son travail et de sa responsabilité humaine qu'il est question. C'est ainsi que l'idéal esthétique de Riefenstahl devient suspect en lui-même. A la question «Auriez-vous filmé de la sorte des athlètes handicapés?», la dame répond du tac au tac par un «Jamais de la vie!» scandalisé. Et si on ne saura jamais le degré de son antisémitisme, on peut là aussi soupçonner une certaine compatibilité avec le national-socialisme, elle qui s'employa très vite à effacer la participation décisive du fameux théoricien juif hongrois Béla Balász à <i>La Lumière bleue..</i>.</p> <p>Le réalisateur conclut sur des extraits parlants de deux émissions. L'une de la TSR («Destins», 1982) qui voit Claude Torracinta annoncer la défection de Leni Riefenstahl à l'entretien durant lequel il avait prévu de la confronter aux plus terribles images des camps de la mort. Une autre en Allemagne qui se clôt par des appels de soutien d'auditeurs auxquels elle répond, philosophe et confiante, qu'il faudra au moins deux générations pour finir par faire reconnaître leur innocence, mais qu'elle est certaine «que le peuple allemand a cela en lui». 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Entre école, centres autogérés, collectifs de production et RSI (Radio-télévision Suisse Italophone), le désir de cinéma n'est venu que peu à peu, toujours sous le signe du politique. De <i>Volo in ombra</i> (2012) à <i>Non ho l'età</i> (2017, sur l'immigration italienne) et <i>La scomparsa di Bruno Bréguet,</i> les moyens ont grandi en fonction des sujets. Plutôt qu'une sophistication filmique ou une carrière, ce réalisateur cherche du sens en se frottant à l'histoire récente. Un parcours et une démarche qui l'ont logiquement fait atterrir, pour co-produire son dernier film, chez les Zurichois de Dschoint Ventschr (Samir, Werner Schweizer & co), une maison de production née de la contre-culture. 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Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. Il a donc été élevé à Muralto, à côté de Locarno, avec ses trois frères et sœurs. La famille parlait déjà plusieurs langues et c'est ainsi qu'il a pu devenir très tôt un «citoyen du monde» sachant l'italien, le français, l'allemand et l'anglais. Plus tard, en prison, il a encore appris l'arabe.</p> <p><strong>Et comment s'est-il engagé, puis radicalisé?</strong></p> <p>D'après toutes les descriptions, c'était un garçon très réservé et secret, qui lisait beaucoup. Les fameuses fiches fédérales contiennent le détail de sa bibliothèque. Au lycée déjà, à la fin des années 1960, il a fait des présentations sur l'énergie atomique et sur la cause palestinienne. Il a commencé à fréquenter certains groupes de gauche, toujours en retrait. Et puis un jour, il s'est rendu à Genève pour prendre contact avec la Ligue arabe, dans l'idée de se rendre utile aux Palestiniens. Après son arrestation en Israël, sa radicalisation est vraiment venue de ses longues années de prison – et encore, il n'en aura purgé que la moitié! Puis il s'est installé à Berlin avec sa première compagne, au bénéfice d'une bourse fédérale d'études universitaires... C'est à ce moment qu'il est entré en contact avec le terroriste Carlos, à l'époque le terroriste le plus recherché au monde.</p> <p><strong>A-t-on facilement accès aux archives le concernant, en tant que chercheur?</strong></p> <p>A Berne, aux Archives fédérales, ça s'est fait en plusieurs étapes. J'ai pu consulter presque tous les dossiers contre signature d'une promesse de non-divulgation. En plus du détail de sa surveillance, on y trouve même les photocopies de tous les documents est-allemands de la Stasi le concernant. Puis je suis retourné avec une demande plus précise d'utilisation de certains documents, en expliquant mon projet et son intérêt public. Ce qui n'a pas posé de problèmes. En fait, je pense que les derniers dossiers encore gardés secrets sont ceux liés à sa disparition.</p> <p><strong>Et pour essayer de retracer son parcours international?</strong></p> <p>Là, je me suis contenté d'archives de presse ou filmiques, comme l'INA. L'essentiel de son activité est alors souterraine et donc difficile à cerner. En Grèce, où il s'est insallé avec une deuxième compagne anglaise, je n'ai retrouvé que le lieu où il habitait – un village où tout le monde l'appréciait sans savoir vraiment qui il était. Mais j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur les recherches d'Adrian Hänni, qui apparaît dans le film et qui a eu accès à des archives des services secrets américains déclassifiées. C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Nous pouvons juste espérer améliorer des choses à petite échelle.</p> <p><strong>Et concernant Bréguet lui-même et sa dérive dans l'action violente?</strong></p> <p>Clairement, Bréguet n'a rien d'un modèle à suivre. Son histoire est tragique, jusqu'au mystère de sa disparition. S'il est facile d'avoir de la sympathie pour le jeune idéaliste qu'il était au début, son image se brouille fatalement par la suite. Les autres protagonistes du film, eux, sont restés dans le cadre d'une lutte collective et non-violente. Même Giorgio Bellini, qui a participé à l'attentat contre le pavillon d'information de la centrale de Kaiseraugst en 1979, est finalement resté sur cette ligne. Bréguet et le groupuscule autour de Carlos se sont vus comme une élite révolutionnaire et ce qu'ils ont fait est l'exact contraire des grandes manifestations ou des petites actions pacifiques auxquelles nous autres avons pu participer. Au-delà du destin de Bréguet, c'est ce contraste que le film cherche à évoquer, laissant à chacun de juger par lui-même.</p> <p><strong>La fabrication de ce film et son parcours à ce jour vous ont-ils satisfait?</strong></p> <p>La co-production avec Dschoint Ventschr a été un grand soutien. C'est ma monteuse Kathrin Plüss – qui pense s'arrêter sur ce film, quarante ans après <i>Der Grüne Berge</i> de Fredi M. Murer – qui nous a mis en contact. Karin Koch a œuvré comme productrice, mais des cinéastes aussi chevronnés que Samir ou Sabine Gisiger ont aussi apporté leurs conseils artistiques. Et pour la sortie, je ne vais pas me plaindre. Le film a été bien accueilli à Soleure et Locarno et a remporté un prix au festival du documentaire de Milan Visioni dal Mondo avant de connaître un beau succès au Tessin, où il est resté sept semaines à l'affiche. Si la sortie est nettement plus confidentielle dans le reste de la Suisse, c'est sans doute parce que le personnage y est encore plus oublié...</p> <p><strong>Auriez-vous déjà de nouveaux projets?</strong></p> <p>Je suis cinéaste indépendant, alors forcément j'y travaille. Je m'intéresse en ce moment à deux sujets, l'un concernant l'hôpital psychatrique de Mendrisio, l'autre une communauté hippie romande qui a existé dans le Malcantone, près de Lugano. 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Avec le coming out d'Ellen Page, le petite actrice canadienne adoptée par Hollywood dans les années 2000 <i>(Hard Candy, Juno, Bliss, X-Men, Inception, Free Love,</i> etc.), on passe un nouveau cap. Disparue des radars depuis le catastrophique <i>Flatliners</i> de 2017, la/le voici qui ressurgit comme Elliot Page, au terme d'une transition déjà largement rendue publique par la publication de mémoires intitulées <i>Pageboy.</i> Et le film choisi pour entériner cette transition est... un drame de la transidentité. Bref, un geste hautement politique.</p> <p>Désormais, un site comme I'Internet Movie Data Base (imbd.com) ne s'autorise même plus à offrir de renvoi à partir du nom d'Ellen Page! Par contre, le film en question, <i>Close to You</i> de Dominic Savage, un ciné-téléaste britannique de 60 ans, a bien peu de chances de rester dans les mémoires. 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Au lieu de prendre la route habituelle d'une suite ou d'un dérivé de série, le réalisateur Todd Phillips et son complice Scott Silver, co-scénariste, avaient consacré à ce fameux antagoniste de Batman un prototype vraiment adulte, aux accents psy et socio-politiques douloureux. Inspirée par <i>Taxi Driver </i>et surtout <i>The King of Comedy</i> de Martin Scorsese, leur histoire d'un comique raté qui prend une sanglante revanche en direct sur un plateau de TV et rencontre l'approbation d'un public en mal de héros avait fait l'unanimité. 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Non seulement ce bis fait parfaitement sens en termes de scénario, mais tout ce que le premier <i>Joker</i> pouvait avoir de problématique dans son nihilisme semblant faire l'apologie du chaos, s'y trouve remis en question et retravaillé. Pour donner à la clé ce qui pourrait bien être le film le plus anti-hollywoodien jamais réalisé au sein du système.</p> <h3>Un amour fou en prison</h3> <p>Première surprise, cette suite s'ouvre sur un dessin animé intitulé <i>Me and My Shadow,</i> dans le style des cartoons classiques des années 1950. En fait d'introduction rigolote, il s'agit d'un résumé de l'opus précédent qui présente le protagoniste comme dépassé par son ombre, laquelle serait responsable de ses crimes commis grimé en clown. Réalisé par le Français Sylvain Chomet <i>(Les Triplettes de Belleville, L'Illusionniste),</i> ce dessin animé qui explicite la personnalité psychotique d'Arthur Fleck n'est déjà pas très drôle. Mais ce qui va suivre sera carrément anti-<i>fun!</i> Soudain, on passe à l'écran large et à un décor carcéral bien glauque. Interné dans l'île-prison d'Alcatraz – pardon l'asile d'Arkham, univers de <i>Batman</i> oblige –, un Fleck terriblement amaigri y attend stoïquement d’être jugé. Souffre-douleur des gardiens, il croise un jour Lee Quinzel, une détenue qui participe à une chorale et qui ne tarde pas à lui déclarer son admiration en mimant un suicide, les doigts pointés sur la tempe!</p> <p>Voici déjà posé l'essentiel. Un lien improbable va naître dans ce quotidien désespérant. Planche de salut pour ce pauvre Arthur qui n'avait jamais connu d'autre amour que celui de sa mère (qu'il a tuée)? Un autre pari insensé se révèle alors, d'abord en chansons entonnées à mi-voix: transformer cette histoire en <i>musical</i> via des séquences imaginaires qui se jouent dans l'esprit du duo et inspirées quant à elles par la grande tradition hollywoodienne. Comme pour <i>Emilia Perez</i> de Jacques Audiard, il fallait oser! Mystérieusement remise en liberté, Lee – en qui les fans de <i>Batman</i> auront reconnu cette cinglée de Harley Quinn – sera dès lors présente dans le public pour soutenir Arthur une fois ouvert le procès au tribunal de Gotham City.</p> <h3>Le spectacle en question</h3> <p>Qui de l'avocate Maryanne Stewart, pleine de compassion pour son client, ou du jeune procureur Harvey Dent (le futur Two-Face), qui requiert sans sourciller la peine de mort, aura le dernier mot? Mais surtout qu'espérons-nous, public, qui sommes témoins du traitement cruel d'Arthur en prison et de cet espoir inespéré né d'un amour partagé, tout en étant également rappelés au souvenir de ses crimes? Une évasion spectaculaire ou bien que justice soit rendue? C'est là que le film devient très fort: après avoir joué avec nos fausses attentes (un film d'action à grand spectacle) et de l'effet d'identification, il nous tend un miroir. Lorsque surviennent coup sur coup deux événements inouïs, un retournement interne suivi d'un coup de théâtre externe, cette interrogation devient encore plus claire. Voulons-nous le chaos ou un semblant d'ordre, sommes-nous pour l'irresponsabilité ou pour un rappel aux actes commis?</p> <p>Les déçus affirment qu'il ne se passe quasiment rien dans ce film, qu'il n'est même pas cohérent avec son projet initial de «récit des origines». Pour ce qui est de l'action, on dira au contraire: quelle belle idée que ces personnages ramenés à une dimension réaliste, tellement plus intéressante que ces exploits répétitifs à base d'effets spéciaux. Après les images choc de la prise d'assaut du Capitole en 2021, ce retour de sobriété introspective était la meilleure chose à faire. Quant à l'étincelle qui nait dans les yeux de Joaquin Phoenix et de Lady Gaga, portée à des sommets imaginaires typiques d'une «folie à deux», elle suffit largement en termes de spectacle.</p> <p>Mais ce qui advient ensuite de leur histoire d'amour n'est pas moins captivant, ce film allant en effet jusqu'à dire la méprise, la part de malentendu dans toute histoire d'amour. Lee aime le Joker, son déguisement et son acte insensé, et non Arthur. Et de son côté, Arthur pense avoir trouvé en Lee son âme sœur, ce que cette fille de «bonne famille» mythomane n'est pas vraiment. L'un comme l'autre s'imaginent en vedettes d'un grand spectacle («<em>That's Entertainment</em>»)? C'est le comble de l'illusion romantique, qui va les voir retomber de haut. Et Todd Phillips d'enfoncer le clou jusqu'à un déchirant «<em>If you Go Away</em>», alias «Ne me quitte pas» de Brel revu par Rod McKuen, chanté au téléphone. Pas si loin de <i>A Star Is Born,</i> qui lança Lady Gaga au cinéma, ceci est à coup sûr un des films les plus anti-romantiques jamais osés à Hollywood!</p> <h3>Quand Fleck fait tache</h3> <p>Quant aux origines du populaire Joker de <i>Batman, </i>peut-être qu'il y a eu méprise là aussi. Et si ce Joker était un autre, si ces deux volets n'étaient qu'une vertigineuse histoire de doubles? La fin est explicite à ce sujet, qui nous parle d'effet d'entraînement et d'imitation fatale. C'est-à-dire par ailleurs aussi de la responsabilité des images et des films, surtout celles et ceux qui touchent une corde sensible parmi le grand public. Toutes choses qui ne changent rien à la valeur de la déplorable histoire d'Arthur Fleck en elle-même, si choquante qu'on ne pourra que la méditer.</p> <p>Il faut dire enfin tout le brio formel de ce film, tour à tour réaliste et mental, pesant et électrisant, décevant et inouï. Tant plastiquement qu'auditivement, le travail est impressionnant et la mise en scène souvent inspirée tandis que Joaquin Phoenix et Lady Gaga se livrent à des performances exceptionnelles. Cinéaste doué mais longtemps porté sur la facilité, comme tant de confrères juifs américains à Hollywood (un syndrome des héritiers?), le «non engagé» Todd Phillips semble, au contact de son ami Bradley Cooper (vedette de <i>The Hangover</i> et passé réalisateur de <i>A Star Is Born</i> et <i>Maestro),</i> s'être enfin réveillé à une vraie ambition d'auteur.</p> <p>Reste à savoir comment elle survivra à l'échec quasi programmé de cette auto-critique subversive, sans doute la plus radicale depuis le fameux <i>Gremlins 2</i> de Joe Dante – et en affirmant ça, on n'oublie pas toute l'œuvre impressionnante mais inaboutie de Paul Verhoeven. 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Aussi calculé, usiné et digitalisé soit-il, le cinéma hollywoodien restera toujours l'affaire des personnes qui le font. Prenez ce Long Shot réalisé par Jonathan Levine (auteur du sympathique film de zombies romantique Warm Bodies) sur un scénario co-signé Dan Sterling (la grossière satire nord-coréenne The Interview) et Liz Hannah (le sérieusement admirable The Post de Steven Spielberg). A l'image de son titre original à triple détente, tout le film paraît tiraillé entre ces trois sensibilités cherchant à s'accorder, de même que l'improbable duo de stars formé par Seth Rogen et Charlize Theron. Parfaitement symptomatique de l'heure actuelle, le résultat pourrait toutefois connaître un certain succès, pas totalement immérité.
Coups bas et visées hautes
L'introduction présente les deux protagonistes évoluant dans des réalités tellement éloignées qu'ils ne semblent jamais devoir se rencontrer. Infiltré dans une réunion de néonazis, le journaliste juif Fred Flarsky espère en tirer un reportage explosif avant de claquer la porte de son journal, victime de l'insidieuse censure «économique». De son côté, la secrétaire d'Etat (c'est-à-dire la ministre des affaires étrangères américaine) Charlotte Field obtient le soutien d'un chef qui a choisi de ne pas se représenter (il préfère tenter sa chance comme acteur à Hollywood!) pour devenir officiellement candidate à la présidence des Etats-Unis. C'est compter sans une soirée new-yorkaise qui les fera se croiser et, surtout, sans un passé commun qui ressurgit alors: en d'autres temps, la plus-que-parfaite et inaccessible Charlotte fut la jeune baby-sitter du petit Fred, responsable de ses premiers émois!
Apprenant ses récents déboires, elle l'engage pour donner plus de punch à ses discours, au grand dam de ses deux plus proches assistants. C'est que Fred, avec sa dégaine d'adulescent hirsute, son humour caustique et sa totale méconnaissance des codes, fait méchamment tache dans ce beau monde. De vols privés en hôtels de luxe, de Washington à Buenos Aires en passant par la Suède et les Philippines où ils échappent à un attentat, ce qui devait arriver arrive: ces deux solitaires très entourés se rapprochent, au risque de compromettre les chances de Madame, que d'aucuns préféreraient voir au bras du séduisant premier ministre canadien. Arrive le moment de vérité d'un projet de traité international sur l'écologie qu'il faut sacrifier sur l'autel de la realpolitik – suite aux pressions d'un certain magnat de la presse – et le nouveau couple se retrouve en crise, au grand soulagement de son entourage...
Vulgarité sublimée
A lire ainsi, tout cela pourrait être irrésistible. Avec les nouvelle règles en vigueur à Hollywood, comme quoi le public demanderait des blagues salaces et des références «pop» à tout-va, on est malheureusement loin du compte. Autant l'idée séduit, autant son exécution par un tâcheron peu inspiré déçoit. Les clins d’œil à Hillary Clinton, Donald Trump, Rupert Murdoch ou Justin Trudeau font certes sourire, mais restent toujours très en-deça de leur potentiel satirique. Jusqu'au meilleur pote black de Fred, les seconds rôles relèvent plutôt de la formule paresseuse que de l'art bien compris du contrepoint. Et puis, miracle, la sauce finit par prendre malgré tout. Entre l'égérie Dior et le potache mal léché, le courant passe.
Il suffit d'une séquence soudain mieux emballée, une grande soirée en Argentine où nos tourtereaux s'éclipsent pour rejouer à Pretty Woman, pour qu'un certain charme commence à opérer; d'une autre qui conjugue prise de substances illicites pour décompresser et crise d'otages à gérer d'urgence pour que l'affaire s'emballe et qu'on soit vraiment pris. Lorsqu'un chantage à la vidéo compromettante menace de couler définitivement aussi bien les ambitions de Charlotte que les espoirs romantiques de Fred – c'est ici que le titre original trouve tout son sens –, on se surprend même à admirer l'audace du concept, d'une vulgarité qui confine au sublime... Quant au final, il ne décevra pas, parvenant à insuffler un minimum d'espoir dans un monde aussi navrant.
De la réalité au rêve
Alors voilà. On s'en veut presque de n'être pas plus enthousiaste, mais un certain principe de réalité oblige à reconnaître l'évidence: Long Shot reste loin du chef-d'oeuvre envisageable si un vrai cinéaste, le Blake Edwards des grands jours ou un condensé encore à trouver de LeoMcCarey et d'Adam McKay, avait été aux commandes. Long Shot n'a ni la vérité politique de The Candidate (Michael Ritchie, 1972, avec Robert Redford) ni la perfection romanesque The American President (Rob Reiner, 1995, avec Michael Douglas et Annette Bening). Mais tel quel, avec sa fantaisie qui va crescendo jusqu'à proposer tout naturellement un renversement des rôles et des priorités politiques, il vous laisse sur un sourire pas du tout désagréable. Loin de Trump et des blockbusters de l'été, une autre Amérique reste donc possible?
La bande annonce:
Séduis-moi si tu peux! (Long Shot), de Jonathan Levine (Etats-Unis 2019), avec Seth Rogen, Charlize Theron, June Diane Raphael, O'Shea Jackson Jr., Bob Odenkirk, Andy Serkis, Alexander Skarsgard. 2h06
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Entre l'égérie Dior et le potache mal léché, le courant passe.</p> <p>Il suffit d'une séquence soudain mieux emballée, une grande soirée en Argentine où nos tourtereaux s'éclipsent pour rejouer à <em>Pretty Woman,</em> pour qu'un certain charme commence à opérer; d'une autre qui conjugue prise de substances illicites pour décompresser et crise d'otages à gérer d'urgence pour que l'affaire s'emballe et qu'on soit vraiment pris. Lorsqu'un chantage à la vidéo compromettante menace de couler définitivement aussi bien les ambitions de Charlotte que les espoirs romantiques de Fred – c'est ici que le titre original trouve tout son sens –, on se surprend même à admirer l'audace du concept, d'une vulgarité qui confine au sublime... Quant au final, il ne décevra pas, parvenant à insuffler un minimum d'espoir dans un monde aussi navrant.</p> <h3>De la réalité au rêve</h3> <p>Alors voilà. 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Dans un genre sur lequel la critique a peu de prise tant le sujet tend à primer, il faut pourtant bien reconnaître que la méthode, la sensibilité, l'art narratif et la profondeur intellectuelle du l'auteur(e) peuvent faire la différence. Et il n'en fallait pas moins pour s'attaquer à un sujet tel que Leni Riefenstahl, déjà documenté une bonne vingtaine de fois pour la télévision, notamment dans un mémorable <i>Leni Riefenstahl - Le Pouvoir des images</i> (Ray Müller, 1993). Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. Pour le grand écran, après ses déjà mémorables <i>Black Box BRD</i> (2001) et <i>Beuys</i> (2017), il a signé un sobrement intitulé <i>Riefenstahl,</i> présenté hors compétition à la dernière Mostra de Venise plutôt qu'à la Berlinale.</p> <p>A l'heure du retour en grâce du nazisme chez certains jusqu'en Allemagne, d'une possible apologie féministe chez d'autres, c'était sans doute plus sage pour ce film qui réexamine le cas de cette figure hautement controversée, artiste de grand talent mais qui a failli humainement. Qu'ils semblent lointains, ses anciens triomphes à la Mostra fasciste des années 1930! Depuis, on n'ose quasiment plus montrer ses documentaires de propagande nazie <i>Le Triomphe de la volonté </i>(1935) et <i>Les Dieux du stade (Olympia, </i>1938) et, côté fictions, son superbe début <i>La Lumière bleue</i> (1932) ou son dernier opus compromis <i>Tiefland</i> (1944/1954). Aujourd'hui, ne reste plus guère de Leni Riefenstahl que sa réputation de cinéaste officielle du IIIe Reich, qui paya pour tous les autres par une mise à l'écart définitive (même Veit Harlan, l'auteur du tristement fameux <i>Juif Süss,</i> le très problématique Karl Ritter ou encore Alfred Weidenmann, chantre des Jeunesses hitlériennes<i>,</i> retouvèrent le chemin des plateaux dans les années 1950, tandis que Hans Seinhoff, le plus nazi d'entre tous, mourut opportunément en 1945).</p> <h3>Une irrésistibe ascension</h3> <p>Le travail remarquable de Veiel rend justice à la femme et à l'artiste tout en se concentrant sur les questions du degré de son implication et de sa responsabilité. Ensuite, il met en lumière toute une seconde partie de son existence passée à se justifier et réécrire sa légende. Où il apparaît que pour Leni Riefenstahl, la seule vraie catastrophe fut en définitive la guerre. Ne reconnaît-elle pas lors d'une interview que sa vie aurait mieux fait de s'arrêter en 1939? Jusque-là, tout ne fut en effet que mouvement ascentionnel – peu importe apparemment au service de quoi.</p> <p>Au début était une grande fille sportive, traitée comme un garçon par son père autoritaire et réceptacle de toutes les ambitions frustrées de sa mère. D'abord danseuse, c'est suite à un accident qu'elle se retrouve plutôt actrice, choisie à 23 ans pour être la vedette d'un film de montagne d'Arnold Fanck. Les six films tournés coup sur coup avec le brave Dr. Fanck, très basiques à part <i>L'Enfer blanc du Piz Palu</i> (co-signé par G.W. Pabst), ne sont aujourd'hui plus que d'un intérêt anecdotique. Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. Coup d'essai, coup de maître: à la fois idéaliste, féministe et mystique, <i>La Lumière bleue</i> (1932) la propulse à 30 ans cinéaste à part entière.</p> <p>C'est à ce moment qu'un collaborateur, le scénariste juif Carl Mayer, l'avertit que ce film risque bien de faire d'elle l'égérie des nazis, alors aux portes du pouvoir. En vain, puisqu'elle se jettera littéralement dans leurs bras, demandant peu après à rencontrer personnellement Adolf Hitler. Lourdement courtisée (jusqu'à une tentative de viol) par le ministre de la propagande Josef Goebbels, elle ne se donna apparemment ni à l'un ni à l'autre, finissant par épouser plutôt l'officier Hans-Peter Jacob. Mais alors même qu'elle ne jurait que par la fiction, elle se lança avec enthousiasme dans la confection de documentaires à la gloire du régime, séduite par les budgets illimités mis à sa disposition. C'est ainsi qu'elle fut impliquée aux côtés de l'architecte Albert Speer dès la préparation du fameux Congrès de Nuremberg puis des Jeux Olympiques de Berlin – où elle dit n'avoir jamais voulu que saisir la beauté, son unique souci. Et à en revoir des extraits, il faut bien avouer que le résultat fut grandiose, cinématographiquement parlant.</p> <h3>Une simple suiveuse?</h3> <p>Mais par la suite, tout s'est effectivement gâté pour Leni Riefenstahl. Embrigadée pour immortaliser l'invasion de la Pologne, elle emploie des prisonniers comme figurants avant de jeter l'éponge. Ses soutiens s'étiolent pour <i>Tiefland,</i> qui doit marquer son retour à la fiction et à ses chères montagnes. La guerre interfère avec le tournage et, à 40 ans, elle paraît trop âgée pour tenir le rôle principal. Elle utilise aussi des jeunes tziganes recrutés dans des camps, enfants qu'elle prétendra avoir revus plus tard alors qu'ils furent pour la plupart assassinés à Auschwitz. Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple <i>Mitläuferin</i> (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de <i>Tiefland</i> – un flop.</p> <p>Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. Par contre, il y a tout un art de s'aveugler, qu'elle pratiqua très activement, jusqu'à devenir par là-même la porte-parle de toute une BRD (l'Allemagne de l'Ouest d'alors) qui aurait préféré ne jamais avoir à se confronter à son passé.</p> <p>Divorcée en 1947, sans revenus et réfugiée auprès de sa vieille mère, Leni Riefenstahl se refait une santé économique dès le début des années 1960 en devenant photographe. Une expédition au sud du Soudan, d'où elle rapporte des photos du peuple Nuba, sont particulièrement remarquées. Sponsorisée, elle y retournera maintes fois, albums et expositions à la clé. En 1967, c'est surtout la rencontre avec Horst Kettner, un étrange jeune homme de 40 ans son cadet qui devient son assistant et son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. 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Mais le film rend bien perceptible un ego parfaitement proportionnel à son ambition artistique. Et en définitive, c'est bien de la place de l'artiste dans la société, du sens de son travail et de sa responsabilité humaine qu'il est question. C'est ainsi que l'idéal esthétique de Riefenstahl devient suspect en lui-même. A la question «Auriez-vous filmé de la sorte des athlètes handicapés?», la dame répond du tac au tac par un «Jamais de la vie!» scandalisé. Et si on ne saura jamais le degré de son antisémitisme, on peut là aussi soupçonner une certaine compatibilité avec le national-socialisme, elle qui s'employa très vite à effacer la participation décisive du fameux théoricien juif hongrois Béla Balász à <i>La Lumière bleue..</i>.</p> <p>Le réalisateur conclut sur des extraits parlants de deux émissions. 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Brrrr...</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/7n5wKuahSZs?si=rbkQAXxuzsCtMeAl" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«Leni Riefenstahl – la lumière et les ombres (Riefenstahl)», documentaire d'Andres Veiel (Allemagne, 2024), avec la voix d'Ulrich Noethen. 1h55</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'leni-riefenstahl-mise-au-point', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5254, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'En quête d'un terroriste suisse', 'subtitle' => 'Le documentaire «La Disparition de Bruno Bréguet» du Tessinois Olmo Cerri tire de l'oubli une figure un peu gênante de notre histoire récente. 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Entre école, centres autogérés, collectifs de production et RSI (Radio-télévision Suisse Italophone), le désir de cinéma n'est venu que peu à peu, toujours sous le signe du politique. De <i>Volo in ombra</i> (2012) à <i>Non ho l'età</i> (2017, sur l'immigration italienne) et <i>La scomparsa di Bruno Bréguet,</i> les moyens ont grandi en fonction des sujets. Plutôt qu'une sophistication filmique ou une carrière, ce réalisateur cherche du sens en se frottant à l'histoire récente. Un parcours et une démarche qui l'ont logiquement fait atterrir, pour co-produire son dernier film, chez les Zurichois de Dschoint Ventschr (Samir, Werner Schweizer & co), une maison de production née de la contre-culture. Présenté à Soleure en janvier, puis dans la section helvétique du Festival de Locarno, <i>La Disparition de Bruno Bréguet</i> s'attache à la figure intrigante d'un terroriste suisse d'envergure internationale qui avait fait couler pas mal d'encre dans les années 1970 et 80, avant de s'évaporer sans laisser de trace le 12 novembre 1995. Pour autant, il ne semble pas avoir éveillé l'intérêt de nos distributeurs. Qu'à cela ne tienne, Olmo Cerri aura pris son bâton de pèlerin pour venir le présenter dans le réseau des mini-salles romandes, où le film comme son auteur semblent à vrai dire plus à leur place que dans le circuit du grand cinéma commercial.</p> <hr /> <p><strong>Bon Pour La Tête</strong>: Comment êtes-vous tombé sur ce personnage énigmatique de Bruno Bréguet?</p> <p><strong>Olmo Cerri</strong>: A travers son livre <i>La scuola dell'odio</i> («L'école de la haine», non traduit, ndlr), en fait. Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. Il a donc été élevé à Muralto, à côté de Locarno, avec ses trois frères et sœurs. La famille parlait déjà plusieurs langues et c'est ainsi qu'il a pu devenir très tôt un «citoyen du monde» sachant l'italien, le français, l'allemand et l'anglais. Plus tard, en prison, il a encore appris l'arabe.</p> <p><strong>Et comment s'est-il engagé, puis radicalisé?</strong></p> <p>D'après toutes les descriptions, c'était un garçon très réservé et secret, qui lisait beaucoup. Les fameuses fiches fédérales contiennent le détail de sa bibliothèque. Au lycée déjà, à la fin des années 1960, il a fait des présentations sur l'énergie atomique et sur la cause palestinienne. Il a commencé à fréquenter certains groupes de gauche, toujours en retrait. Et puis un jour, il s'est rendu à Genève pour prendre contact avec la Ligue arabe, dans l'idée de se rendre utile aux Palestiniens. Après son arrestation en Israël, sa radicalisation est vraiment venue de ses longues années de prison – et encore, il n'en aura purgé que la moitié! Puis il s'est installé à Berlin avec sa première compagne, au bénéfice d'une bourse fédérale d'études universitaires... C'est à ce moment qu'il est entré en contact avec le terroriste Carlos, à l'époque le terroriste le plus recherché au monde.</p> <p><strong>A-t-on facilement accès aux archives le concernant, en tant que chercheur?</strong></p> <p>A Berne, aux Archives fédérales, ça s'est fait en plusieurs étapes. J'ai pu consulter presque tous les dossiers contre signature d'une promesse de non-divulgation. En plus du détail de sa surveillance, on y trouve même les photocopies de tous les documents est-allemands de la Stasi le concernant. Puis je suis retourné avec une demande plus précise d'utilisation de certains documents, en expliquant mon projet et son intérêt public. Ce qui n'a pas posé de problèmes. En fait, je pense que les derniers dossiers encore gardés secrets sont ceux liés à sa disparition.</p> <p><strong>Et pour essayer de retracer son parcours international?</strong></p> <p>Là, je me suis contenté d'archives de presse ou filmiques, comme l'INA. L'essentiel de son activité est alors souterraine et donc difficile à cerner. En Grèce, où il s'est insallé avec une deuxième compagne anglaise, je n'ai retrouvé que le lieu où il habitait – un village où tout le monde l'appréciait sans savoir vraiment qui il était. Mais j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur les recherches d'Adrian Hänni, qui apparaît dans le film et qui a eu accès à des archives des services secrets américains déclassifiées. C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Nous pouvons juste espérer améliorer des choses à petite échelle.</p> <p><strong>Et concernant Bréguet lui-même et sa dérive dans l'action violente?</strong></p> <p>Clairement, Bréguet n'a rien d'un modèle à suivre. Son histoire est tragique, jusqu'au mystère de sa disparition. S'il est facile d'avoir de la sympathie pour le jeune idéaliste qu'il était au début, son image se brouille fatalement par la suite. Les autres protagonistes du film, eux, sont restés dans le cadre d'une lutte collective et non-violente. Même Giorgio Bellini, qui a participé à l'attentat contre le pavillon d'information de la centrale de Kaiseraugst en 1979, est finalement resté sur cette ligne. Bréguet et le groupuscule autour de Carlos se sont vus comme une élite révolutionnaire et ce qu'ils ont fait est l'exact contraire des grandes manifestations ou des petites actions pacifiques auxquelles nous autres avons pu participer. Au-delà du destin de Bréguet, c'est ce contraste que le film cherche à évoquer, laissant à chacun de juger par lui-même.</p> <p><strong>La fabrication de ce film et son parcours à ce jour vous ont-ils satisfait?</strong></p> <p>La co-production avec Dschoint Ventschr a été un grand soutien. C'est ma monteuse Kathrin Plüss – qui pense s'arrêter sur ce film, quarante ans après <i>Der Grüne Berge</i> de Fredi M. Murer – qui nous a mis en contact. Karin Koch a œuvré comme productrice, mais des cinéastes aussi chevronnés que Samir ou Sabine Gisiger ont aussi apporté leurs conseils artistiques. Et pour la sortie, je ne vais pas me plaindre. Le film a été bien accueilli à Soleure et Locarno et a remporté un prix au festival du documentaire de Milan Visioni dal Mondo avant de connaître un beau succès au Tessin, où il est resté sept semaines à l'affiche. Si la sortie est nettement plus confidentielle dans le reste de la Suisse, c'est sans doute parce que le personnage y est encore plus oublié...</p> <p><strong>Auriez-vous déjà de nouveaux projets?</strong></p> <p>Je suis cinéaste indépendant, alors forcément j'y travaille. Je m'intéresse en ce moment à deux sujets, l'un concernant l'hôpital psychatrique de Mendrisio, l'autre une communauté hippie romande qui a existé dans le Malcantone, près de Lugano. 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Avec le coming out d'Ellen Page, le petite actrice canadienne adoptée par Hollywood dans les années 2000 <i>(Hard Candy, Juno, Bliss, X-Men, Inception, Free Love,</i> etc.), on passe un nouveau cap. Disparue des radars depuis le catastrophique <i>Flatliners</i> de 2017, la/le voici qui ressurgit comme Elliot Page, au terme d'une transition déjà largement rendue publique par la publication de mémoires intitulées <i>Pageboy.</i> Et le film choisi pour entériner cette transition est... un drame de la transidentité. Bref, un geste hautement politique.</p> <p>Désormais, un site comme I'Internet Movie Data Base (imbd.com) ne s'autorise même plus à offrir de renvoi à partir du nom d'Ellen Page! Par contre, le film en question, <i>Close to You</i> de Dominic Savage, un ciné-téléaste britannique de 60 ans, a bien peu de chances de rester dans les mémoires. 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Au lieu de prendre la route habituelle d'une suite ou d'un dérivé de série, le réalisateur Todd Phillips et son complice Scott Silver, co-scénariste, avaient consacré à ce fameux antagoniste de Batman un prototype vraiment adulte, aux accents psy et socio-politiques douloureux. Inspirée par <i>Taxi Driver </i>et surtout <i>The King of Comedy</i> de Martin Scorsese, leur histoire d'un comique raté qui prend une sanglante revanche en direct sur un plateau de TV et rencontre l'approbation d'un public en mal de héros avait fait l'unanimité. 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Non seulement ce bis fait parfaitement sens en termes de scénario, mais tout ce que le premier <i>Joker</i> pouvait avoir de problématique dans son nihilisme semblant faire l'apologie du chaos, s'y trouve remis en question et retravaillé. Pour donner à la clé ce qui pourrait bien être le film le plus anti-hollywoodien jamais réalisé au sein du système.</p> <h3>Un amour fou en prison</h3> <p>Première surprise, cette suite s'ouvre sur un dessin animé intitulé <i>Me and My Shadow,</i> dans le style des cartoons classiques des années 1950. En fait d'introduction rigolote, il s'agit d'un résumé de l'opus précédent qui présente le protagoniste comme dépassé par son ombre, laquelle serait responsable de ses crimes commis grimé en clown. Réalisé par le Français Sylvain Chomet <i>(Les Triplettes de Belleville, L'Illusionniste),</i> ce dessin animé qui explicite la personnalité psychotique d'Arthur Fleck n'est déjà pas très drôle. Mais ce qui va suivre sera carrément anti-<i>fun!</i> Soudain, on passe à l'écran large et à un décor carcéral bien glauque. Interné dans l'île-prison d'Alcatraz – pardon l'asile d'Arkham, univers de <i>Batman</i> oblige –, un Fleck terriblement amaigri y attend stoïquement d’être jugé. Souffre-douleur des gardiens, il croise un jour Lee Quinzel, une détenue qui participe à une chorale et qui ne tarde pas à lui déclarer son admiration en mimant un suicide, les doigts pointés sur la tempe!</p> <p>Voici déjà posé l'essentiel. Un lien improbable va naître dans ce quotidien désespérant. Planche de salut pour ce pauvre Arthur qui n'avait jamais connu d'autre amour que celui de sa mère (qu'il a tuée)? Un autre pari insensé se révèle alors, d'abord en chansons entonnées à mi-voix: transformer cette histoire en <i>musical</i> via des séquences imaginaires qui se jouent dans l'esprit du duo et inspirées quant à elles par la grande tradition hollywoodienne. Comme pour <i>Emilia Perez</i> de Jacques Audiard, il fallait oser! Mystérieusement remise en liberté, Lee – en qui les fans de <i>Batman</i> auront reconnu cette cinglée de Harley Quinn – sera dès lors présente dans le public pour soutenir Arthur une fois ouvert le procès au tribunal de Gotham City.</p> <h3>Le spectacle en question</h3> <p>Qui de l'avocate Maryanne Stewart, pleine de compassion pour son client, ou du jeune procureur Harvey Dent (le futur Two-Face), qui requiert sans sourciller la peine de mort, aura le dernier mot? Mais surtout qu'espérons-nous, public, qui sommes témoins du traitement cruel d'Arthur en prison et de cet espoir inespéré né d'un amour partagé, tout en étant également rappelés au souvenir de ses crimes? Une évasion spectaculaire ou bien que justice soit rendue? C'est là que le film devient très fort: après avoir joué avec nos fausses attentes (un film d'action à grand spectacle) et de l'effet d'identification, il nous tend un miroir. Lorsque surviennent coup sur coup deux événements inouïs, un retournement interne suivi d'un coup de théâtre externe, cette interrogation devient encore plus claire. Voulons-nous le chaos ou un semblant d'ordre, sommes-nous pour l'irresponsabilité ou pour un rappel aux actes commis?</p> <p>Les déçus affirment qu'il ne se passe quasiment rien dans ce film, qu'il n'est même pas cohérent avec son projet initial de «récit des origines». Pour ce qui est de l'action, on dira au contraire: quelle belle idée que ces personnages ramenés à une dimension réaliste, tellement plus intéressante que ces exploits répétitifs à base d'effets spéciaux. Après les images choc de la prise d'assaut du Capitole en 2021, ce retour de sobriété introspective était la meilleure chose à faire. Quant à l'étincelle qui nait dans les yeux de Joaquin Phoenix et de Lady Gaga, portée à des sommets imaginaires typiques d'une «folie à deux», elle suffit largement en termes de spectacle.</p> <p>Mais ce qui advient ensuite de leur histoire d'amour n'est pas moins captivant, ce film allant en effet jusqu'à dire la méprise, la part de malentendu dans toute histoire d'amour. Lee aime le Joker, son déguisement et son acte insensé, et non Arthur. Et de son côté, Arthur pense avoir trouvé en Lee son âme sœur, ce que cette fille de «bonne famille» mythomane n'est pas vraiment. L'un comme l'autre s'imaginent en vedettes d'un grand spectacle («<em>That's Entertainment</em>»)? C'est le comble de l'illusion romantique, qui va les voir retomber de haut. Et Todd Phillips d'enfoncer le clou jusqu'à un déchirant «<em>If you Go Away</em>», alias «Ne me quitte pas» de Brel revu par Rod McKuen, chanté au téléphone. Pas si loin de <i>A Star Is Born,</i> qui lança Lady Gaga au cinéma, ceci est à coup sûr un des films les plus anti-romantiques jamais osés à Hollywood!</p> <h3>Quand Fleck fait tache</h3> <p>Quant aux origines du populaire Joker de <i>Batman, </i>peut-être qu'il y a eu méprise là aussi. Et si ce Joker était un autre, si ces deux volets n'étaient qu'une vertigineuse histoire de doubles? La fin est explicite à ce sujet, qui nous parle d'effet d'entraînement et d'imitation fatale. C'est-à-dire par ailleurs aussi de la responsabilité des images et des films, surtout celles et ceux qui touchent une corde sensible parmi le grand public. Toutes choses qui ne changent rien à la valeur de la déplorable histoire d'Arthur Fleck en elle-même, si choquante qu'on ne pourra que la méditer.</p> <p>Il faut dire enfin tout le brio formel de ce film, tour à tour réaliste et mental, pesant et électrisant, décevant et inouï. Tant plastiquement qu'auditivement, le travail est impressionnant et la mise en scène souvent inspirée tandis que Joaquin Phoenix et Lady Gaga se livrent à des performances exceptionnelles. Cinéaste doué mais longtemps porté sur la facilité, comme tant de confrères juifs américains à Hollywood (un syndrome des héritiers?), le «non engagé» Todd Phillips semble, au contact de son ami Bradley Cooper (vedette de <i>The Hangover</i> et passé réalisateur de <i>A Star Is Born</i> et <i>Maestro),</i> s'être enfin réveillé à une vraie ambition d'auteur.</p> <p>Reste à savoir comment elle survivra à l'échec quasi programmé de cette auto-critique subversive, sans doute la plus radicale depuis le fameux <i>Gremlins 2</i> de Joe Dante – et en affirmant ça, on n'oublie pas toute l'œuvre impressionnante mais inaboutie de Paul Verhoeven. 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