Charlize Theron et Seth Rodgen forment un duo inattendu! © ASCOT ELITE
Comédie romantique pour l'ère Trump/#MeToo, «Séduis-moi si tu peux!», ou plutôt «Long Shot», mêle humour adolescent et intelligence politique en imaginant la rencontre d'un plumitif contestataire et d'une candidate à la présidence des Etats-Unis. Un film tour à tour embarrassant et emballant auquel ne manque qu'un minimum d'exigence formelle
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C'est en tout cas fort de cette conviction qu'on est allé voir <i>The Palace</i> et qu'on l'a beaucoup apprécié, contrairement à la meute qui lui est tombée dessus en septembre dernier à Venise. Non, il ne s'agit pas d'un grand film et pourtant, il y a là une liberté de ton, une capacité à mêler burlesque raffiné et mauvais goût le plus trash, à concilier un cynisme apparemment total et un regard moral, qui fait le plus grand bien. Est-ce trop demander aujourd'hui qu'un peu de respect pour cet artiste majeur en fin de carrière et, surtout, le droit de vérifier par soi-même plutôt que de subir de nouveaux censeurs auto-institués</p> <p>Car on en est là. Depuis cette présentation désastreuse hors compétition à la dernière Mostra, précédée d'appels au boycott, plus personne ne semble vouloir de ce film. Déjà son tournage à Gstaad, avec un montage financier acrobatique suite au désistement de nombreuses vedettes, fut tout sauf simple. Malgré l'aura du cinéaste palmé et oscarisé de <i>The Pianist</i> et de son co-scénariste Jerzy Skolimowski <i>(EO),</i> le projet était devenu comme pestiféré déjà avant le premier clap. Et à présent que toute chance de succès commercial a disparu, c'est la débandade.</p> <p>Certes, <i>The Palace </i>est encore sorti plus ou moins normalement dans une poignée de pays (Italie, Pologne, Russie, Hongrie, Suède et Allemagne). Mais dans le monde anglo-saxon, personne n'ose s'en approcher, surtout après son assassinat en règle par les donneurs de ton <i>Variety, The Hollywood Reporter</i> et <i>Screen.</i> En France, après six mois de tergiversations, seule une petite compagnie spécialisée dans la réédition de classiques américains, Swashbuckler Films, a fini par assumer le risque d'une distribution, en espérant que suffisamment de salles suivront d'ici la date annoncée du 15 mai. Et en Suisse, autre pays co-producteur derrière l'Italie et la Pologne? Ici aussi, c'est un mini-distributeur occasionnel, Mont-Blanc, qui est venu à la rescousse, sortant d'abord le film en Suisse allemande le 18 janvier (flop à 4'600 d'entrées) tandis que presque tous les exploitants romands se défilaient. Même notre Cinémathèque se cache courageusement. Ne reste pour l'instant plus que le Ciné 17 de Genève, qui sort le film le 10 avril – qu'on se le dise.</p> <h3>C'est quoi, ce <i>Palace?</i></h3> <p>Car enfin, ce n'est «que» d'une œuvre qu'il sagit, pas d'anciennes affaires de mœurs sur lesquelles nous n'avons ni les moyens ni l'autorité pour juger! Et <i>The Palace,</i> malgré tous les bâtons mis dans ses roues, vaut largement le détour. Peut-être que seuls ceux qui se souviennent encore de <i>What? </i>(1972), la dernière franche comédie de Polanski, comprendront vraiment d'où sort ce film absurde et grotesque, cosmopolite en diable et peuplé de monstres tous plus ou moins escrocs. Après une villa isolée au bord la Méditerranée, c'est dans un grand hôtel de l'Oberland bernois – à Gstaad, où il possède un chalet et passa une année en résidence surveillée sous la menace d'une extradition aux Etats-Unis – que notre auteur a situé sa nouvelle farce. Et à la place de son vieux complice Gérard Brach, décédé en 2006, c'est cette fois son ami de jeunesse Skolimowski qui, avec son épouse Ewa Piaskowska, co-signe le scénario. Soixante ans après leur mémorable collaboration du <i>Couteau dans l'eau,</i> un bel exemple de fidélité.</p> <p>Pays hôte, la Suisse n'en sort pas grandie, et on peut dès lors comprendre que la Confédération n'ait pas lâché le moindre centime au courageux co-producteur CAB Films. Mais elle n'est de loin pas la seule à en prendre pour son grade dans ce qui s'apparente à un grand jeu de massacre géopolitique. Seul épargné, ce «reste du monde», pays du Golfe, Chine, Inde ou Brésil, qui n'a atteint le statut puissance mondiale qu'après l'an 2000. Ce règlement de comptes est donc avec l'ancien monde, celui du XXème siècle qu'a traversé Polanski, aujourd'hui âgé de 90 ans. Mais il concerne tout autant une certaine «belle» société huppée qu'il a aussi côtoyée. Et là, il y a peu de chances que quoi que ce soit ait changé depuis, les nouveaux riches valant bien les anciens.</p> <h3>Jeunesse qui s'enfuit, argent aux abris</h3> <p>Tout commence donc avec l'arrivée des convives pour un réveillon du millénaire qui s'annonce festif tandis que le personnel s'active pour leur accueil. Hansueli Kopf, l'impeccable directeur du palace (Oliver Masucci, un des principaux acteurs allemands actuels), sera particulièrement mis à contribution. Il est le clown blanc de l'affaire, qui se plie aux exigences les plus extravagantes de ses hôtes, arrangeant des services discrets par-ci et éteignant des incendies par-là avec l'aide de ses adjoints Tonino (Fortunato Cerlino) et Mrs. Frautschi (Beatrice Frey). Et parmi les habitués déjà installés, qui d'autre pour ouvrir le bal que... Sydne Rome, l'héroïne de <i>What?</i></p> <p>Las! Ex-beauté d'une fraîcheur exquise, cette juive américaine installée en Italie n'est plus que l'ombre d'elle-même après trop de passages sous les bistouris (à sa décharge, dans la vie réelle, c'est suite à un accident de voiture lors duquel un airbag lui explosa au visage). Vitrine de tous les autres «monstres» à venir, elle remercie un certain Dr. Lima (Joaquim de Almeida, star portugaise du cinéma international) pour les années de jeunesse qu'il lui aurait fait gagner. Très demandé, ce prince de la chirurgie esthétique ne se souvient pas des noms de ses innombrables patientes, plus préoccupé qu'il est par une épouse gagnée par Alzheimer. Claquemurée dans sa suite, une autre de ses clientes, une marquise française (Fanny Ardant), voue son affection à son petit chien Mr. Toby. Mais un souci d'écoulement lui fait bientôt reporter son intérêt sur Karol, un beau plombier polonais.</p> <p>Et ainsi vogue la comédie, de chambre en chambre et de nouvel arrivant en nouvelle crise. Il y a là l'octogéraire milliardaire américain Arthur William Dallas III (John Cleese, des Monty Python) et Magnolia, sa jeune épouse texane enveloppée (la non moins britannique Bronwyn James), surtout intéressée à hériter. Autre Américain quoique d'âge indéfinissable grâce à sa moumoute et son fond de teint orangé, Bill Crush (Mickey Rourke, ou ce qu'il en reste) est un escroc qui s'est invité sans réservation pour faire affaire avec Jacob Tell (Milan Peschel, autre excellent comédien allemand), un timide banquier suisse. Mais qui est donc ce Vaclav, surgi de quelque pays d'Europe centrale avec femme et enfants, qui se présente soudain comme son fils? A l'autre bout du spectre, voici un groupe de jeunes et bruyants oligarques russes avec leurs blondes escorts venus retrouver un ambassadeur corrompu avec des sacs remplis de billets à «blanchir». Trop volumineux pour être accueillis par le safe de l'hôtel, ils trouveront place dans l'abri anti-atomique...</p> <h3>La vanité des monstres</h3> <p>On peut trouver le trait gros, mais la caricature à la Daumier est précise et cruelle, de même que la mise en scène reste affûtée. Par moments, Polanski manque visiblement de moyens (l'envol depuis un balcon qui révèle enfin l'ensemble du bâtiment, réalisé en effets spéciaux) et ses blagues ne sont pas toujours du meilleur goût, comme celles concernant le signor Minetti, alias Bongo, ancienne star du porno bien membré (Luca Barbareschi, complice de longue date et principal producteur du film). Mais un pansement bien placé en souvenir de <i>Chinatown</i> a tôt fait de nous le rendre plus amusant. En fait, tous se valent dans cette grande course à l'argent, contre le temps qui file et qui finira tout de même par les rattraper.</p> <p>Mr. Crush veut convaincre Tell de parier avec lui sur le «bug» informatique prédit pour l'an 2000. A la télévision, en direct, un Boris Eltsine épuisé passe la main à un jeune successeur prometteur, un certain Vladimir Poutine, lequel assure un peu plus tard à tous la protection d'un Etat de droit. Un pingouin offert par le vieux milliardaire à sa petit-fille – pardon, sa jeune épouse – s'échappe dans les couloirs de l'hôtel, pauvre petit intrus dans ce monde de fous. Pour finir, il y aura des morts, mais on ne dévoilera pas ici lesquelles. Par contre, il n'y pas de mal à révéler que, de manière parfaitement réaliste, les riches resteront riches et la Suisse saura en profiter. Quant à Tell, il sortira de là tout ébaudi, déclarant avoir vécu là «la plus belle soirée de sa vie». Clin d'œil au titre du film qu'Ettore Scola tira en 1972 de <i>La Panne</i> de Friedrich Dürrenmatt?</p> <p>Toujours est-il que c'est bien la satire jusqu'au-boutiste des dernières grandes comédies italiennes qui vient ici à l'esprit (bien plus que les récents <i>Youth</i> de Paolo Sorrentino ou <i>Sans filtre/Triangle of Sadness</i> de Ruben Östlund). C'est comme si Polanski avait choisi de rester un cinéaste du siècle passé, pour le meilleur et pour le pire. Quant à l'humour, il n'y a bien sûr rien de plus personnel. Par le passé, il est arrivé au cinéaste de toucher le grand public <i>(Cul-de-sac, Le Bal des vampires)</i> comme de rater sa cible <i>(What?, Pirates). </i>Pour notre part, nous nous sommes bien amusés. En tous cas, ne croyez pas ceux qui clament que Polanski serait soudain devenu gâteux et aurait perdu tout talent. Secondé par ses fidèles collaborateurs, le monteur Hervé de Luze (12ème film en commun), le chef opérateur Pawel Edelman (8ème) et le compositeur Alexandre Desplat (6ème), réunis depuis <i>The Ghost Writer</i> et ses ennuis helvétiques de 2009, cet éternel fugitif a réalisé le film qu'il voulait. Sans doute le dernier d'un esprit libre, qui aura estimé qu'il n'avait plus rien à perdre.</p> <hr /> <p>(<strong>Rédaction</strong>) <em>Nous apprenons que le producteur-délégué du film de Polanski, Jean-Louis Porchet, a été victime d’un grave accident de circulation le dimanche 24 mars, près de Rivaz. Il se trouve dans un état grave au CHUV, à Lausanne. Sa société, CAB-Productions, établie à Lausanne, connaît de sérieuses difficultés en raison du boycott dans quasiment toutes les salles suisses de cette œuvre tournée à Gstaad, avec un grand nombre de techniciens locaux. Ce qui d’ailleurs, outre la notoriété du réalisateur, n’a pas suffi à convaincre la RTS, Cinéforom et l’Office fédéral de la Culture de soutenir le projet. 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Mais aussi d'une musique réputée trop froide, lors de confrontations avec la fidèle interprète-amie Marguerite Long (Emmanuelle Devos) et le critique Pierre Lalo (campé par le pianiste Alexandre Tharaud!). D'une nostalgie d'enfance tenace, via des flash-backs auprès d'une mère aimante (Anne Alvaro). D'une insistante piste espagnole, avec l'idée première d'orchestrer la suite <i>Iberia </i>d'Isaac Albéniz puis une source plus populaire révélée par son aide de maison (Sophie Guillemin). D'une pression économique enfin, qui, alliée au délai qui se rapproche inexorablement, pousse Ravel à une solution «de facilité» qui s'avèrera radicalement moderne (le <i>Bolero</i>, source de la musique répétitive et des boucles électro d'aujourd'hui?). 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Cinéaste inégal mais qui n'a jamais «soldé», toujours là trente ans après ses débuts <i>(Bar des rails,</i> 1991) et devenu également acteur aves un certain succès, Cédric Kahn a mis à profit la pause imposée par le Covid pour imaginer le sien. A travers le prisme d'un «making of», ces documentaires de tournage à fins promotionnelles souvent confiés à de jeunes débutants, il a ainsi imaginé une comédie qui tente de faire la part de l'idéal artistique et du pragmatismne. Et pour peu qu'on s'intéresse au 7e art (mais sinon, pourquoi lire ces lignes), c'est aussi bidonnant qu'éclairant!</p> <p>Cédric Kahn aurait-il été inspiré par la mésaventure de Terry Giliam, dont la première tentative de tourner son <i>Don Quichotte</i> se solda par un documentaire du désastre composé à partir de son «making of» <i>(Lost in La Mancha</i> de Keith Fulton et Louis Pepe, 2002)? 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Alain, qui squatte sans vergogne chez le syndicaliste qu'il est censé interpréter, porte de plus en plus sur les nerfs de sa partenaire Nadia, dont la situation sentimentale est plutôt compliquée. Quant à Simon, qui vit séparé de sa femme Alice (Valérie Donzelli) et de ses enfants sans parvenir à vraiment l'admettre, il sombre de plus en plus dans la déprime en voyant s'éloigner le film qu'il avait rêvé. Seul le jeune Joseph, pourtant obligé de jongler avec son travail de pizzaiolo au restaurant tenu par sa sœur, semble bien déterminé à ne pas lâcher la chance de sa vie!</p> <h3>Conflits en abyme</h3> <p>En fait, Cédric Kahn présente tellement de situations parallèles problématiques (pourtant encore bien moins nombreuses que dans la réalité) qu'un film abouti pourrait presque paraître tenir du miracle. 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Coups bas et visées hautes
L'introduction présente les deux protagonistes évoluant dans des réalités tellement éloignées qu'ils ne semblent jamais devoir se rencontrer. Infiltré dans une réunion de néonazis, le journaliste juif Fred Flarsky espère en tirer un reportage explosif avant de claquer la porte de son journal, victime de l'insidieuse censure «économique». De son côté, la secrétaire d'Etat (c'est-à-dire la ministre des affaires étrangères américaine) Charlotte Field obtient le soutien d'un chef qui a choisi de ne pas se représenter (il préfère tenter sa chance comme acteur à Hollywood!) pour devenir officiellement candidate à la présidence des Etats-Unis. C'est compter sans une soirée new-yorkaise qui les fera se croiser et, surtout, sans un passé commun qui ressurgit alors: en d'autres temps, la plus-que-parfaite et inaccessible Charlotte fut la jeune baby-sitter du petit Fred, responsable de ses premiers émois!
Apprenant ses récents déboires, elle l'engage pour donner plus de punch à ses discours, au grand dam de ses deux plus proches assistants. C'est que Fred, avec sa dégaine d'adulescent hirsute, son humour caustique et sa totale méconnaissance des codes, fait méchamment tache dans ce beau monde. De vols privés en hôtels de luxe, de Washington à Buenos Aires en passant par la Suède et les Philippines où ils échappent à un attentat, ce qui devait arriver arrive: ces deux solitaires très entourés se rapprochent, au risque de compromettre les chances de Madame, que d'aucuns préféreraient voir au bras du séduisant premier ministre canadien. Arrive le moment de vérité d'un projet de traité international sur l'écologie qu'il faut sacrifier sur l'autel de la realpolitik – suite aux pressions d'un certain magnat de la presse – et le nouveau couple se retrouve en crise, au grand soulagement de son entourage...
Vulgarité sublimée
A lire ainsi, tout cela pourrait être irrésistible. Avec les nouvelle règles en vigueur à Hollywood, comme quoi le public demanderait des blagues salaces et des références «pop» à tout-va, on est malheureusement loin du compte. Autant l'idée séduit, autant son exécution par un tâcheron peu inspiré déçoit. Les clins d’œil à Hillary Clinton, Donald Trump, Rupert Murdoch ou Justin Trudeau font certes sourire, mais restent toujours très en-deça de leur potentiel satirique. Jusqu'au meilleur pote black de Fred, les seconds rôles relèvent plutôt de la formule paresseuse que de l'art bien compris du contrepoint. Et puis, miracle, la sauce finit par prendre malgré tout. Entre l'égérie Dior et le potache mal léché, le courant passe.
Il suffit d'une séquence soudain mieux emballée, une grande soirée en Argentine où nos tourtereaux s'éclipsent pour rejouer à Pretty Woman, pour qu'un certain charme commence à opérer; d'une autre qui conjugue prise de substances illicites pour décompresser et crise d'otages à gérer d'urgence pour que l'affaire s'emballe et qu'on soit vraiment pris. Lorsqu'un chantage à la vidéo compromettante menace de couler définitivement aussi bien les ambitions de Charlotte que les espoirs romantiques de Fred – c'est ici que le titre original trouve tout son sens –, on se surprend même à admirer l'audace du concept, d'une vulgarité qui confine au sublime... Quant au final, il ne décevra pas, parvenant à insuffler un minimum d'espoir dans un monde aussi navrant.
De la réalité au rêve
Alors voilà. On s'en veut presque de n'être pas plus enthousiaste, mais un certain principe de réalité oblige à reconnaître l'évidence: Long Shot reste loin du chef-d'oeuvre envisageable si un vrai cinéaste, le Blake Edwards des grands jours ou un condensé encore à trouver de LeoMcCarey et d'Adam McKay, avait été aux commandes. Long Shot n'a ni la vérité politique de The Candidate (Michael Ritchie, 1972, avec Robert Redford) ni la perfection romanesque The American President (Rob Reiner, 1995, avec Michael Douglas et Annette Bening). Mais tel quel, avec sa fantaisie qui va crescendo jusqu'à proposer tout naturellement un renversement des rôles et des priorités politiques, il vous laisse sur un sourire pas du tout désagréable. Loin de Trump et des blockbusters de l'été, une autre Amérique reste donc possible?
La bande annonce:
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Clin d'œil au titre du film qu'Ettore Scola tira en 1972 de <i>La Panne</i> de Friedrich Dürrenmatt?</p> <p>Toujours est-il que c'est bien la satire jusqu'au-boutiste des dernières grandes comédies italiennes qui vient ici à l'esprit (bien plus que les récents <i>Youth</i> de Paolo Sorrentino ou <i>Sans filtre/Triangle of Sadness</i> de Ruben Östlund). C'est comme si Polanski avait choisi de rester un cinéaste du siècle passé, pour le meilleur et pour le pire. Quant à l'humour, il n'y a bien sûr rien de plus personnel. Par le passé, il est arrivé au cinéaste de toucher le grand public <i>(Cul-de-sac, Le Bal des vampires)</i> comme de rater sa cible <i>(What?, Pirates). </i>Pour notre part, nous nous sommes bien amusés. En tous cas, ne croyez pas ceux qui clament que Polanski serait soudain devenu gâteux et aurait perdu tout talent. 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Mais même si elle ne saurait clamer que son Maurice Ravel, c'est elle, ce 19ème opus a déjà l'immense mérite de résister aussi bien à cet académisme formel qui guette tout «film d'époque» qu'au diktat féministe actuel. Toujours produite par son mari Philippe Carcassonne (ça aide), l'auteure de <i>Coco avant Chanel</i> (2009) y approche son grand homme avec une délicatesse rare, qui respecte autant sa musique que les zones d'ombre du personnage. Au point que son film devrait au minimum intriguer ceux qui n'aurait pas été profondément émus!</p> <h3>Cinq femmes autour de Ravel</h3> <p>Après une scène qui voit le jeune Ravel incapable de remporter un Prix de Rome convoité (il s'y reprit à cinq fois), <i>Bolero</i> débute vraiment une vingtaine d'années plus tard, lorsque, compositeur reconnu, il reçoit la commande d'un ballet de la fantasque Ida (Jeanne Balibar, au sommet de sa préciosité). C'est un bel homme de petite stature, élégant et discret, qui se consacre entièrement à la musique, au point qu'elle seule semble compter dans sa vie. Il a des amitiés féminines mais on ne lui connaît pas d'amours, et la principale à le taquiner à ce sujet n'est autre que Misia (Doria Tillier), la mécène et «reine» du tout-Paris d'alors. Eh oui, la même Misia Godebska (ou Edwards ou Sert, selon ses mariages) que l'on a pu voir tout récemment dans le <i>Bonnard</i> de Martin Provost, sous les traits d'Anouk Grinberg! Toujours est-il que même très disponible, Ravel sèche sérieusement sur cette nouvelle commande.</p> <p>Or, c'est justement de cette non-action que le film tire sa particularité et,<i> in fine,</i> sa réussite. A côté de dialogues toujours bien sentis, les tentatives répétées de se mettre au travail, la procrastination, les distractions et les souvenirs composent l'essentiel du scénario. Et c'est tout à fait prenant, du fait de ce double mystère: d'où vient donc l'inspiration de l'artiste, d'autant plus s'il n'est apparemment pas mû par le désir? Il en résulte un portrait singulièrement complexe, qui suggère plutôt qu'il n'affirme. «Détail» qui compte, on entend aussi d'autres compositions de Ravel avant d'en arriver au <i>Bolero,</i> sans oublier quantité de sons auxquels il semble avoir été particulièrement attentif. Et on voit le compositeur entouré de femmes – et même fréquenter le bordel à sa manière, mais sans rien de conclusif – comme dans le classique <i>Cinq femmes autour d'Utamaro,</i> biopic du fameux peintre japonais par Kenji Mizoguchi (1946).</p> <p>Oh, il y aura bien la suggestion d'une sublimation érotique, voire sentimentale, à travers une histoire de gants oubliés par Misia. Mais aussi d'une musique réputée trop froide, lors de confrontations avec la fidèle interprète-amie Marguerite Long (Emmanuelle Devos) et le critique Pierre Lalo (campé par le pianiste Alexandre Tharaud!). D'une nostalgie d'enfance tenace, via des flash-backs auprès d'une mère aimante (Anne Alvaro). D'une insistante piste espagnole, avec l'idée première d'orchestrer la suite <i>Iberia </i>d'Isaac Albéniz puis une source plus populaire révélée par son aide de maison (Sophie Guillemin). D'une pression économique enfin, qui, alliée au délai qui se rapproche inexorablement, pousse Ravel à une solution «de facilité» qui s'avèrera radicalement moderne (le <i>Bolero</i>, source de la musique répétitive et des boucles électro d'aujourd'hui?). Pour finir, le choc avec une chorégraphie aussi érotisée que vouée à la poussière d'Ida Rubinstein donnera lieu à une séquence mémorable, qui oppose le musicien rongé par le doute et l'insatisfation à la danseuse pleine d'assurance mais aussi de suffisance.</p> <h3>Anne Fontaine bien inspirée</h3> <p>A ce moment, on se dit que Raphaël Personnaz, cet acteur au physique de jeune premier un peu démodé, vient de trouver le rôle de sa carrière. Mais, surprise, le film ne s'arrête pas là, pour évoquer encore le déclin du compositeur, frappé par une maladie neurodégénérative et hanté par ce triomphe involontaire. Ne valait-il pas mieux rester un «perdant», cet éternel recalé du Prix de Rome, plutôt que devenir un créateur fêté par tous ceux qui ne sauront jamais rien des affres traversées? Et là encore, Anne Fontaine s'en sort très bien dans l'évocation ramassée (c'est l'un des grands défis de mise en scène du genre) d'une confusion mentale croissante ainsi que de la popularité paradoxale de ce «tube» qui était aussi le comble d'une musique dite savante.</p> <p>Acquise depuis toujours à une forme classiquement commerciale, la cinéaste trahit ses limites dans le manque de regard sur les différents espaces traversés. Egalement par certains mouvements de caméra de pur remplissage, là où un détail-idée ou une attention plus marquée aux personnages (les femmes sont réduites à une seule note) auraient pu encore enrichir son film. Mais sa manière de conclure stylisée ne manque pas de panache, qui prouve la durabilité et la malléabilité du <i>Bolero</i> à travers une nouvelle interprétation dansée par François Alu. Après le déjà remarquable <i>Police</i> (2020, avec Virginie Efira et Omar Sy), Anne Fontaine vient de signer là un film qui comptera assurément parmi ses meilleurs. 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Cinéaste inégal mais qui n'a jamais «soldé», toujours là trente ans après ses débuts <i>(Bar des rails,</i> 1991) et devenu également acteur aves un certain succès, Cédric Kahn a mis à profit la pause imposée par le Covid pour imaginer le sien. A travers le prisme d'un «making of», ces documentaires de tournage à fins promotionnelles souvent confiés à de jeunes débutants, il a ainsi imaginé une comédie qui tente de faire la part de l'idéal artistique et du pragmatismne. Et pour peu qu'on s'intéresse au 7e art (mais sinon, pourquoi lire ces lignes), c'est aussi bidonnant qu'éclairant!</p> <p>Cédric Kahn aurait-il été inspiré par la mésaventure de Terry Giliam, dont la première tentative de tourner son <i>Don Quichotte</i> se solda par un documentaire du désastre composé à partir de son «making of» <i>(Lost in La Mancha</i> de Keith Fulton et Louis Pepe, 2002)? Toujours est-il qu'il semble vouloir exorciser ses pires angoisses à travers cette histoire de tournage d'un film socialement engagé basé sur des faits réel – une affaire d'ouvriers s'opposant à la fermeture de leur usine – qui part à vau-l'eau. Simon (Denis Podalydès) a beau être un réalisateur aguerri, soutenu par son producteur de longue date Marquez (Xavier Beauvois) et protégé par sa directrice de production Viviane (Emmanuelle Bercot), dès le premier jour de tournage, tout va de travers. Y aura-t-il vraiment un film à l'arrivée? Et bien le brulôt politique que Simon avait imaginé?</p> <h3>L'usine en folie</h3> <p>Tout se joue sur un lieu unique d'usine désaffectée dans une morne banlieue française, que le cinéma a investi tel un cirque en tournée. Lors d'une réunion d'urgence demandée par les co-producteurs, il transpire que Marquez leur avait soumis un scénario modifié, avec un <em>happy end</em>, alors que pour Simon il n'en a jamais été question! Et c'est parti à la recherche de nouveaux financiers tandis que le tournage se poursuit de manière précaire. Il y a aussi le problème Alain (Jonathan Cohen), la star aussi indispensable qu'insupportable: même totalement investi, il ne peut s'empêcher de ramener la couverture à lui alors même que ce film se tourne au milieu de ceux à qui le malheur est arrivé. Enfin, il y a Joseph (Stefan Crepon), un figurant local que Simon recrute au pied levé pour réaliser ce fameux «making of». C'est ce jeune fou de cinéma bientôt amoureux de l'actrice principale Nadia (Souheila Yacoub) qui deviendra le cœur battant du récit.</p> <p>Marquez a tôt fait de disparaître, promettant par téléphone des pistes de financement de plus en plus improbables. De son côté, Viviane est forcée de revoir le planning et de négocier avec les différents corps de métier pour rogner sur le budget. Alain, qui squatte sans vergogne chez le syndicaliste qu'il est censé interpréter, porte de plus en plus sur les nerfs de sa partenaire Nadia, dont la situation sentimentale est plutôt compliquée. Quant à Simon, qui vit séparé de sa femme Alice (Valérie Donzelli) et de ses enfants sans parvenir à vraiment l'admettre, il sombre de plus en plus dans la déprime en voyant s'éloigner le film qu'il avait rêvé. Seul le jeune Joseph, pourtant obligé de jongler avec son travail de pizzaiolo au restaurant tenu par sa sœur, semble bien déterminé à ne pas lâcher la chance de sa vie!</p> <h3>Conflits en abyme</h3> <p>En fait, Cédric Kahn présente tellement de situations parallèles problématiques (pourtant encore bien moins nombreuses que dans la réalité) qu'un film abouti pourrait presque paraître tenir du miracle. C'était déjà plus ou moins la leçon de <i>La Nuit américaine</i> de François Truffaut, si juste sur les multiples réalités d'un tournage qu'on se fichait bien du «film dans le film», clairement ringard. Ici, l'ambition de Simon de faire œuvre utile à la manière d'un Stéphane Brizé <i>(En guerre,</i> avec Vincent Lindon) en rajoute une couche. Pour autant, la mise en abyme ne se veut pas aussi clairement politique, artistique et morale que celles de Nanni Moretti dans ses récents <i>Mia Madre</i> et <i>Vers un avenir radieux. </i>Sans doute juste le plus réaliste possible.</p> <p>C'est en tous cas avec une dextérité extraordinaire que l'auteur imbrique les différents niveaux de son récit. 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Juste un ricanement misanthrope qu'on avait déjà deviné dans les films précédents de Yorgos Lanthimos et qui devient ici assourdissant. Comme quoi, fond et forme finissent par se rejoindre dans une laideur commune.</p> <p>Entièrement tourné dans des studios... hongrois, <i>Pauvres créatures</i> n'est pas sans rappeler superficiellement les récents <i>The Story of My Wife</i> (Ildiko Enyedi, 2021) et <i>Three Thousand Years of Longing</i> (George Miller, 2022), dans un étrange effet d'entraînement et d'émulation «auteuriste». Comme pour ces films-là, pas sûr pourtant que le grand public suive l'enthousiasme festivalier, tant l'objet semble par ailleurs déconnecté du réel et boursouflé avec ses 2h20 de projection. Lanthimos deviendra-t-il un jour un cinéaste majeur, de la trempe d'un Luis Buñuel, son maître en surréalisme, d'un Robert Altman, cet autre grand satiriste, ou d'un Lars von Trier, sûrement son modèle en matière de provocation? 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