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Analyse / De la mer au Jourdain de drapeau il n’y aura qu’un!


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Est-il complètement absurde d’imaginer qu’un jour il n’y aura qu’un seul Etat du Jourdain à la Méditerranée? Evidemment pas un Etat sans Palestiniens, ou sans Juifs. En tout cas, une telle issue du conflit ne semble pas moins raisonnable que la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël, qui est la solution défendue par de nombreux pays, dont la Suisse.



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Le 22 septembre 2023, quelques jours avant le massacre du 7 octobre, le Premier ministre israélien Netanyahou a exposé à l’Assemblée générale de l’ONU une carte du «nouveau Moyen Orient» sur laquelle les frontières de 1967 n’apparaissent pas. De fait, depuis la fin des années 1960 les cartes géographiques officielles israéliennes montrent le Jourdain comme la frontière orientale du pays. Netanyahou a confirmé sa position dans une interview publiée par 24Heures le 20 juin dernier, dans laquelle il affirme que «Israël gardera le contrôle de la sécurité du Jourdain à la mer». Si cela ne suffisait pas à indiquer les intentions de l’actuel gouvernement israélien, son approbation d’il y a quelques jours de la saisie de 1'270 hectares dans les Territoires palestiniens occupés en Cisjordanie ne devrait plus laisser aucun doute; cela faisait une trentaine d’années qu’une saisie d’une telle ampleur n’avait eu lieu. On ne peut donc pas blâmer seulement celles et ceux qui affichent la volonté de voir une Palestine libérée – sous-entendu de l’occupant israélien – s'étendant de la mer au Jourdain. Plus sérieusement, il faut se demander quelles options seront sur la table, une fois que les armes se seront tues, lorsque l’on admettra qu’il faut tenir compte à la fois des aspirations des Juifs israéliens et de celles des Palestiniens. 

Résurgence de la solution à deux Etats

A entendre les discours officiels de nombreux pays, il semblerait y avoir une étrange entente sur la marche à suivre: revenir aux plans datant de la fondation de l’Etat hébreu et établir une nation palestinienne à côté d’Israël. C’est la «solution à deux Etats». Cette solution est aussi celle préconisée par la Suisse, même si elle semble difficile, sinon impossible, à mettre en place.

En 2021, l’importante revue américaine Foreign Affairs a effectué un sondage auprès de 64 experts pour savoir s’il était encore raisonnable de soutenir la solution à deux Etats. La moitié ont répondu qu’il en valait la peine, sept sont restés neutres, et vingt-cinq pensaient qu’il fallait trouver d’autres solutions. On peut débattre de la portée d’un tel sondage, mais le simple fait que la question soit posée montre que la solution à deux Etats pose problème. Pas seulement par manque de bonne volonté des gouvernants, ou parce que le peuple palestinien a de sérieux problèmes de leadership. Plus déterminant est le fait que fin 2021, environ 880'000 Juifs vivaient déjà en Cisjordanie, dont 375'000 dans les quartiers autour de la Jérusalem arabe. Il est impensable que cette population soit déplacée pour permettre la création d’un état palestinien «pur». Rappelons-nous du déchirement causé par l'évacuation de Gaza d'un peu moins de 10'000 colons en 2005...

On ne peut pas raisonnablement vouloir séparer les populations juive et palestinienne. Il est donc étonnant que la solution à deux Etats soit revenue sur le devant de la scène. Cela est sans doute dû au soutien qu’elle a reçue par l’administration Biden, après le 7 octobre. Bien sûr beaucoup des partisans de cette solution sont conscients des difficultés qu’elle comporte, mais s’y tiennent parce qu’à les en croire, il n’y en aurait pas d’autre: elle est peut-être peu crédible, mais elle constituerait la seule perspective d’avenir. Notons en passant que beaucoup de pays se sont prononcés pour la solution à deux Etats mais ne reconnaissent pas l'Etat de Palestine. C’est le cas de la Suisse. La solution à deux Etats n’est donc pas soutenue avec cohérence. En attendant, Israël poursuit son avancée conquérante.

Plusieurs solutions alternatives

Bien sûr une solution alternative radicale à la solution à deux Etats consiste à transférer les Palestiniens hors des Territoires occupés. Celles et ceux qui pensent qu’il est exagéré d’imaginer qu’Israël cherche ou ait cherché à atteindre cet objectif devraient lire Le nettoyage ethnique de la Palestine de l’historien Ilan Pappe, qui vient d’être réédité par les éditions La Fabrique.

Une autre solution radicale consisterait à perpétuer l’actuelle situation de quasi-apartheid. Tout en étant radicales, ces deux options seraient très instables: la première ne ferait qu’empirer la situation créée avec la Nakba, soit l’exode forcé de plus des trois-quarts des Palestiniens qui vivaient dans les territoires sous contrôle israélien. A la fin du mandat britannique, les Arabes représentaient encore deux tiers de la population; avec la création d’Israël, en 1948 ne vivaient dans l’Etat juif plus que quelque 500'000 Arabes à côté d’environ 600'000 Juifs. Avec les récents débats à la Cour internationale de justice, il est apparu que la situation de quasi-apartheid n’est plus tolérée par de nombreux pays.

On peut énumérer (au moins) trois autres solutions potentielles. La première, inspirée des organisations de la Suisse, de la Belgique, du Canada, ou de l’Union européenne, prévoit la création d’un Etat confédéral regroupant (au moins) deux Etats. Mais cet Etat confédéral semble encore plus difficile à réaliser que la solution à deux Etats, car la seconde se fonde sur la première. Si de plus cet Etat putatif incluait aussi le principe d’une citoyenneté commune, alors il n’aurait de chance de voir le jour que si les parties abandonnaient leurs velléités nationales, ce qui paraît très peu probable.  Mais alors, autant se tourner vers des solutions à un Etat. Ces dernières, à partir de la situation actuelle, envisagent des transformations vers un Etat laïc et démocratique, ou alors vers un Etat fédéral binational. La première transformation imiterait celle qui a constitué l’Afrique du Sud post apartheid; c’est la solution qui avait été promue en 1969 par la Plateforme de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Soulignons, d'ailleurs, que le Premier ministre israélien de droite Menachem Begin partageait cette vision, bien qu'il ait souhaité aussi éliminer l’OLP.

En 1977, Begin s’est explicitement prononcé contre l’apartheid, et pour que tous les habitants des Territoires palestiniens occupés aient la possibilité de choisir la citoyenneté israélienne; celles ou ceux ayant fait ce choix pourraient ensuite jouir des mêmes droits que les autres Israéliens. La position de Begin est importante à rappeler, elle montre que le sionisme n'est pas un courant de pensée monolithique, des points de vue très différents y cohabitent.

La solution binationale

De toutes les hypothèses, la solution binationale est celle qui a l’histoire la plus longue. L’arrivée des Juifs en Palestine au début du XXème siècle est une entreprise coloniale. Ceci est admis par les acteurs eux-mêmes, qu’ils aient été de gauche ou de droite. Si le sionisme a réussi, c’est entre autres parce qu’il a rendu des services à la puissance impériale britannique. Cela dit, de 1882 à 1924 seulement 65'000 Juifs ont débarqué en Palestine. De 1924 à 1936, à cause des lois raciales des Etats-Unis et surtout de l'Allemagne nazie, ils sont près de 250'000 à y migrer.

Comme nous l’avons vu, en 1948 Israël était un état binational de fait, attendu que les populations palestinienne et juive étaient à peu près équivalentes en nombre. Dans ces conditions, on peut comprendre qu’une solution binationale prônant la coexistence judéo-arabe ait été à l’ordre du jour, même si pour certains ce n’était certainement qu’une solution de circonstance. Il y a pourtant eu des sionistes convaincus pour croire sérieusement à cette possibilité: Ahad Haam, Martin Buber, Hans Kohn, Leon Magnes, Hannah Arendt, et plus près de nous Avraham B. Yehoshua, etc. Certains pensaient que les Juifs arrivés en Palestine étaient proches des Arabes par la race et par le sang, et qu’il fallait donc se réunir avec eux, ils étaient en quelque sorte pacifistes et … racistes! En 1929, Albert Einstein écrit à Chaïm Weizman, qui deviendra le premier Président israélien: «si nous ne trouvons pas la voie d’une coopération avec les Arabes, nous n’aurons rien appris de notre chemin de calvaire bimillénaire, et nous aurons mérité le sort qui nous est promis». En 1947, lors du vote à l’ONU sur le plan de partage de la Palestine, l’Inde de Gandhi, la Yougoslavie de Tito, et l’Iran du Shah défendent la création d’une (con)fédération, et pendant les travaux de la commission, l’URSS préconise un Etat binational.

La Nakba aura permis de retarder la situation de quasi-apartheid qui s’est instaurée après la Guerre des Six jours de 1967. Ainsi, la solution binationale n’a pas eu besoin d’être défendue entre 1948 et 1967, et la situation après 1967 ne semble guère avoir été favorable à une vraie solution binationale, bien qu’elle ait toujours eu des soutiens. Dans un article de 2014, cité par Shlomo Sand dans son livre de 2022 Deux peuples pour un Etat? Relire l’histoire du sionisme, paru au Seuil, le journaliste Gideon Levy pose: «La solution de l’Etat unique est en place depuis longtemps. C’est une solution pour les citoyens juifs, et un malheur pour les résidents palestiniens. Ceux qui s’en effraient, c’est-à-dire presque tous les Israéliens, font abstraction du fait que l’Etat unique existe déjà; ils ont seulement peur de son changement de nature: d’un Etat d’apartheid et d’occupation en un Etat égalitaire; d’un Etat binational de fait, travesti en Etat-nation (de la nation dominante), en Etat binational de droit».

D'énormes difficultés

Aucune des solutions préconisées, et qui apparaissent raisonnables sur la papier, ne se mettra en place naturellement. Une première difficulté est donnée par la logique démographique. Depuis très longtemps les Israéliens craignent de se trouver en minorité. En 2023, Israël comptait 9,3 millions d’habitants, dont 72% de Juifs, mais dans Israël et les Territoires occupés vivaient 15,3 millions d’habitants dont seulement 47% étaient juifs. A cela il faut ajouter un taux de natalité plus important dans la population arabe, et les variations liées aux flux migratoires des Juifs, vers ou au départ d'Israël. Ainsi, certaines sources font état d’un déficit migratoire d’environ un demi-million de personnes en 2023, après le 7 octobre.

Une deuxième difficulté est donnée par la fondation même de l’Etat d’Israël comme état juif. Il faut voir que cela empêche l’idée d’une nationalité israélienne. En effet, en 2013 la Cour suprême israélienne a statué que les résidents du pays ne peuvent pas être identifiés dans le registre national simplement comme Israéliens, c’est-à-dire avec une identité administrative séculaire, différente – par exemple – de juif, arabe, druze, etc. La Cour, qui est pourtant connue pour être assez libérale, a précisé que permettre aux citoyens d'adopter une identité séculaire seule pourrait miner le principe fondateur d’Israël d’être un état juif, pour les Juifs. 

Conclusion

Toutes les solutions potentielles devront se confronter aux réalités démographiques, qui ne peuvent être modifiées (par des moyens démocratiques), mais l'identité juive d’Israël semble pouvoir être dépassée. On estime à environ 40% les Israéliens qui s’identifient déjà prioritairement comme Israéliens, plutôt que comme Juifs. Bien sûr l’attaque du 7 octobre aura consolidé la position des Juifs qui ne veulent pas partager le pouvoir avec les Palestiniens. Certains l’utilisent même pour décréter la mort de la solution à deux Etats, qui aurait été soutenue par Israël avec le retrait des colons de Gaza, et qui aurait été mise en question par les Palestiniens avec l’attaque terroriste. Ces raisonnements oublient que du côté de la Cisjordanie la colonisation ne s’est jamais arrêtée. Quoiqu'il en soit, il faut surtout stopper le massacre en cours.

Nous ne savons pas si la solution binationale sera finalement choisie. Notre propos visait à donner de la crédibilité à des solutions autres que celle à deux Etats. En mettant en lumière les difficultés propres aux différents scénarios et les transformations nécessaires pour les faire advenir, on entrevoit des actions concrètes possibles à mener.

On devrait commencer par symétriser la situation en remettant en question l’indulgence de la part des pays occidentaux pour Israël, leur précieux «allié démocratique». Les démocraties occidentales seraient bien avisées d’arrêter d’appliquer un régime de faveur à Israël, et de promouvoir le respect du droit international par toutes les parties prenantes. En particulier, il faudrait que les Etats-Unis respectent leur propre droit: le quotidien britannique The Guardian a mis en évidence que le Département d’Etat américain utilise des «mécanismes spéciaux» pour continuer à fournir des armes à Israël malgré les lois prohibant le soutien à des armées étrangères violant de manière évidente les droits humains. Seulement une fois que le droit et le droit international seront respectés pourront avoir lieu des discussions afin de dégager des solutions possibles. De fait, cerner la légalité de la situation actuelle en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés permettrait déjà de mieux voir ce qu’il sera possible d’envisager pour une coexistence pacifique et durable des populations en Palestine, sans leur imposer des solutions qui ne respectent pas leur droit à l’auto-détermination.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@willoft 03.08.2024 | 10h55

«Le découpage fantaisiste de 1947 laisse entrevoir le vrai objectif du sionisme, l'annexion totale.
L'histoire donne malheureusement les preuves à cette théorie et comment croire un état fédératif possible.
La couverture a trop été laissée à Israël et le problème n'a plus de solution, sinon un moyen Orient constamment en ébullition et le détonnateur d'une potentielle WWIII.»


@willoft 05.08.2024 | 21h11

«N'étant pas devin, je ne serais pas étonné qu'Israël cherche à annexer aussi le Liban.
Où la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le Bull...
Et retour à la case départ
Le renouveau, encore et toujours.
L'histoire ne s'invente pas !»


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