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Analyse

Analyse / Le 7 octobre et l’inanité du conflit Nord-Sud


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Les atrocités commises le 7 octobre par le Hamas ont été suivies de l’invasion de Gaza par les forces armées israéliennes, qui continue de causer la mort de milliers de civils. Ces événements ont des répercussions au niveau planétaire, où ils sont lus comme étant la manifestation d’un affrontement entre un Nord qui a fait son temps, et un Sud dit Global, qui revendique une plus grande place. Nous en parlons avec le politologue Gilles Kepel, qui a récemment publié «Holocaustes – Israël, Gaza et la Guerre contre l’Occident».



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Boas Erez: Vous soulignez l’ampleur des conséquences dans le monde entier du massacre du 7 octobre. Celles-ci ont-elles été anticipées par le Hamas?

Gilles Kepel1: La razzia du 7 octobre a effectivement amené un énorme chamboulement. Je ne crois pourtant pas que son ampleur ait été anticipée par le Hamas. Les jours qui ont suivi l’incursion sur le territoire israélien on pouvait encore penser qu’elle s’inscrivait dans un dessein partagé par exemple avec l’Iran. La suite a montré que cela n’a pas été le cas. Cette action commando a été décidée en autonomie par Yahya Sinwar, chef du Hamas dans la bande de Gaza. En l’appelant une razzia, je veux souligner son caractère symbolique, qui peut à lui seul la justifier. Comme le 11 septembre, le 7 octobre a montré de manière éclatante que l’ennemi a un défaut dans sa cuirasse. De plus, il ne faut pas négliger comment le choix de la date et du type d’action peuvent être lus par les Palestiniens. Les djihadistes sont des numérologues. Le samedi 7 octobre 2023, Israël fêtait Sim’hat Torah. Le jour précédent recourrait le cinquantième anniversaire du début de la Guerre du Kippour. Surtout, la cruauté des actes perpétrés à cette occasion rappelle les razzia des tribus habitant la Péninsule arabe qui, en tuant et en violant, attaquaient les tribus adverses et repartaient en emportant les enfants. L’attaque du 7 octobre fut nommée en arabe par ses initiateurs le «Déluge d’al-Aqsa», qui invoque celui, envoyé par Allah, qui noya tous les mécréants. La référence au déluge souligne le caractère virtuose du massacre. En 628, Mahomet a lui-même mené une razzia contre les Juifs vivant dans l’oasis de Khaïbar, pendant laquelle les hommes furent torturés, passés au fil de l’épée, les femmes capturées et réparties dans les harems des vainqueurs, les enfants réduits en esclavage.

Comment s’expliquer qu’une telle opération ait pu réussir?

Le Premier ministre israélien Netanyahou est otage d’une minorité, qui occupe seulement 14 sièges sur 120 à la Knesset, mais qui a la capacité de dicter son agenda. Au centre de ce programme figure l’accélération de la colonisation en Cisjordanie. Ceci s’est traduit en une stratégie qui a amené à renforcer le Hamas afin d’affaiblir l’Autorité palestinienne. Ce faisant, Netanyahou a largement sous-estimé Sinwar, qu’il avait lui-même libéré en 2011 dans le cadre d’un échange de 1'027 prisonniers palestiniens contre le caporal Gilad Shalit. Jusqu’aux Printemps arabes, le Hamas était proche de la ligne des Frères musulmans, et suivait une stratégie que l’un pourrait dire gestionnaire: il vitupérait Israël, mais avait instauré un modus vivendi qui semblait s’accommoder de la situation. Ceci faisait le jeu d’Israël. Après 2011, le Hamas se radicalise et s’éloigne des Frères, en se rapprochant de l’Iran, grâce à l’unique voyage à l’étranger de Sinwar. Netanyahou continue de croire que «chien qui aboie, ne mord pas», et fait en sorte que chaque semaine passent par l’aéroport Ben Gurion 40 millions de dollars en cash, provenant du Qatar à destination de Gaza. Une partie de ces sommes servira à construire les tunnels dont maintenant tout le monde est au courant. L’aveuglement du gouvernement israélien a été absolument remarquable. En octobre 2023, le mandataire Sinwar a pris l’ascendant sur ses mandants iraniens, et a marqué un énorme coup symbolique, qui ne fait pas forcément les intérêts de l’Iran, ni peut-être même pas des Palestiniens, en tout cas à court-terme. On peut penser que les services de renseignement israéliens avaient idée de ce qui allait venir, mais ils n’ont pas été entendus par Netanyahou.

Vu que la razzia du Hamas a été menée en grande autonomie et que la riposte d’Israël n’avait pas été planifiée, n’est-il pas étonnant que ces actions aient été inscrites dans un affrontement Nord-Sud?

La razzia du 7 octobre a mis à mal un des fondements de la création de l’Etat d’Israël. Elle a remis en question le «plus jamais ça» référé aux exterminations subies par les Juifs à travers les âges. Or, la création de l’Etat juif et le déplacement de la population palestinienne sont une des conséquences de l’organisation du monde voulu par les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. La Guerre contre l’Occident est menée par les pays de ce qui est appelé Sud Global sur le front des valeurs morales. Il s’agit essentiellement des pays BRICS+: Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Egypte, Emirats arabes unis, Ethiopie et Iran. D’après eux, la Shoah ne serait pas le pire qui soit arrivé: la colonisation est bien pire. De plus, la Shoah serait un «truc entre Blancs», qui a eu lieu il y a longtemps, et dont certains doutent même qu’elle ait eu lieu. Voilà le genre de position qui est soutenu par les leaders de ces pays, et qui demandent maintenant aux colonisateurs de payer pour leurs méfaits. Je ne mets pas en doute la gravité de l’Apartheid, ni la posture morale d’un Mandela, mais je m’interroge sur le bien-fondé de telles revendications faites au nom de populations qui pour la plupart vivent sous des régimes autoritaires, et dont une grande partie n’a qu’une aspiration, à savoir émigrer vers le Nord tant vilipendé, qui semble donc encore fournir un espoir. C’est pourquoi je souligne l’inanité du clivage entre le Sud Global et le Nord occidental. Au nom de la morale on occulte la question démocratique, faisant ainsi le jeu de personnages comme Netanyahou ou Trump. Dans mon livre j’appelle l’Europe à mettre en avant ses valeurs démocratiques et sa capacité intégratrice, mais je constate avec dépit que l’idéologie et le clientélisme prennent de plus en plus de place, en se substituant à la recherche de la connaissance.


 1Dans sa longue carrière académique, le Professeur Gilles Kepel a formé des milliers d’étudiants à Sciences Po Paris, auprès de l’Ecole Normale Supérieure, et aux Etats-Unis aux universités Columbia et de New York. Il est l’auteur de nombreux ouvrages traduits dans une vingtaine de langues, où il élabore des éléments de pensée précieux pour analyser les enjeux d’événements qui ont secoué notre monde.


«Holocaustes. Israël, Gaza et la guerre contre l'Occident», Gilles Kepel, Editions Plon, 216 pages.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Chan clear 08.05.2024 | 09h21

«Merci pour ces détails qui permettent d’avoir un avis dans cette tourmente d’informations .»


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