Analyse / La main invisible, la dette et la violence
Le président américain Joe Biden lors de son discours sur l'Etat de l'Union en 2023. A l'arrière-plan, la vice-présidente Kamala Harris et le leader de l'opposition et président de la Chambre des représentants Kevin McCarthy. © POTUS - Source officielle
Le 300ème anniversaire du baptême de Adam Smith, fêté début juin, et le récent accord trouvé sur la dette américaine fournissent l’occasion d'interroger les récits sous-jacents à notre pratique économique. Ces récits contribuent à faire oublier la violence nécessaire pour maintenir le fonctionnement actuel de l’économie mondiale. La nature politique de ces récits empêche d’imaginer des alternatives.
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David Graeber, par exemple, pointe l’absence de tout fondement scientifique au récit standard qui voudrait que la monnaie est apparue pour améliorer une économie basée sur le troc (voir son important ouvrage <em>Dette: 5000 ans d’histoire</em>). De manière analogue, l’attribution au moraliste écossais Adam Smith de la conception que l’économie aurait priorité sur le politique, est tout autant dénuée de fondement. S’il est vrai que Smith a imaginé que les acteurs économiques puissent opérer en ne suivant que leurs propres intérêts, car une main invisible serait intervenue pour défendre l’intérêt général, il n’aurait par exemple pas poussé son idée jusqu’à défendre l’esclavagisme ou l’accumulation exagérée de richesses dans peu de mains. On voit alors que de tels récits mythologiques servent des intérêts politiques.</p> <h3>La place centrale de la dette</h3> <p>Dans notre système économique la croissance est fondamentale, et le fait qu’il soit possible d’emprunter des sommes d’argent à la seule condition de les rendre avec des intérêts, en est un mécanisme crucial. On peut se demander pourquoi tant de personnes se privent de leur liberté en s’endettant, mais il est encore plus mystérieux que les Etats eux-mêmes s’endettent. Le fonctionnement actuel de l’économie explique en partie ces comportements, justement parce qu’il faut qu’il y ait croissance. Mais les Etats empruntent aussi pour étendre leur domination. Ainsi, pour financer les missions des <i>conquistadors</i>, les têtes couronnées européennes empruntaient à des banquiers. Ces derniers ont d’ailleurs été les seuls à vraiment tirer profit de la découverte et de l’exploitation du Nouveau Monde.</p> <h3>Le psychodrame du plafond de la dette américaine</h3> <p>Les médias ont récemment suivi les tribulations du président américain Biden pour éviter le défaut de paiement de son administration. Rappelons rapidement l’essentiel. Aux Etats-Unis, c’est le Congrès qui fixe le plafond de la dette d’Etat. Celui-ci a été rehaussé 79 fois en un siècle, et il a été atteint une énième fois en janvier 2023. C’est-à-dire que l’administration avait dès lors besoin d’emprunter plus que les 31 mille milliards de dollars du plafond pour assurer son fonctionnement courant. Cette somme énorme représente 125% du PIB américain. Les Républicains ont essayé de profiter de cette situation, et de leur majorité à la Chambre des représentants, pour obtenir des concessions de Biden. 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Le positionnement belliciste des pays occidentaux par rapport à la guerre en Ukraine n’est qu’une indication du fait qu’il faudra encore attendre longtemps pour que les choses changent de manière radicale.</p> <p>Les dépenses militaires augmentent de partout: en 2022 elle ont augmenté de 4% au niveau mondial; le budget de la défense chinois a augmenté d’environ 75% ces dix dernières années; celui du Japon devrait augmenter de deux-tiers d’ici 2027, portant ce pays à être le troisième sur la liste des plus dépensiers; suivant l’incitation de l’OTAN, les pays européens tâchent d’arriver à dépenser 2% de leurs PIB respectifs en armement (la Pologne vise même les 4%); et tout en ne faisant pas partie de l’OTAN, la Suisse a décidé une augmentation progressive des dépenses jusqu’à 1% du PIB en 2030, pour arriver à 8 milliards de francs par an. 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Son orientation est foncièrement libérale et interroge l’action de l’Etat qui intervient en moralisateur dans une question jugée de nature strictement personnelle.</p> <p>Le professeur canadien Alexandre Baril parle d’«un système d’oppression dans lequel les personnes suicidaires vivent de multiples formes d’injustice et de violence», qu’il appelle «suicidisme». Pour y faire face il promeut un accompagnement (positif) des personnes suicidaires, et en particulier le suicide assisté, dont il pense qu’il pourrait même «sauver plus de vies que les stratégies de prévention courantes». Pour lui comme pour d’autres, c’est l’accompagnement qui humanise la fin de vie. Nous verrons comment des réflexions sociologiques mènent à des conclusions analogues.</p> <p>Reprenons les considérations de Finsterwald et voyons comment l’Etat peut arriver à restreindre la liberté d’individus ne nuisant (apparemment) pas à autrui. Examinons pour cela l’interdiction des lancers de nains. 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Ainsi, il faut se poser la question: lancer un nain ou aider quelqu’un à se donner la mort ne nuit pas forcément à d’autres, mais qu’en est-il de l’atteinte à la dignité humaine?</p> <h3>La technologie de l'aide au suicide</h3> <p>Le médecin et activiste australien Philip Nitschke (né en 1947) semble avoir résolu cette difficulté une fois pour toutes, et est passé à l’action. Il a fait profession notamment d'inventer des méthodes pour aider au suicide. Ceci lui a valu les surnoms de <em>Dr Death</em> et de <em>The Elon Musk of assisted suicide</em> (<em>Newsweek,</em> 2017). Ce dernier lui a été attribué à l’occasion de la présentation de sa capsule Sarco qui vient de faire le buzz en Suisse.</p> <p>Avant Sarco, Nitschke avait conçu plusieurs autres dispositifs. Citons l’Exit-bag, un sac à se mettre sur la tête qui donne la mort en se remplissant d’azote. Ce gaz est censé rendre l’expérience moins pénible. Quatre personnes en ont fait usage. Puis il y a eu CoGen, un masque permettant l’inhalation de monoxyde de carbone. Depuis que les voitures possèdent des pots catalytiques et que le gaz de houille a été remplacé par du gaz naturel, il est devenu moins efficace de se suicider en s’enfermant dans son garage avec le moteur de la voiture allumé, ou en mettant sa tête dans un four. Le dispositif appelé Délivrance, quant à lui, permettait de se donner la mort par injection d’une substance létale en appuyant sur le bouton d’un ordinateur. Ce dispositif «de bureau» a été répertorié par le British Science Museum. Dans une autre direction, en partant du constat qu’il est possible de se procurer en ligne des substances comme le Nembutal qui, ingéré à doses élevées, permet de s’endormir pour toujours, Nitschke a mis au point un kit de «petit chimiste» afin de vérifier la pureté de la substance achetée. Il a aussi publié des instructions sur la conservation du Nembutal en poudre. Plus systématiquement, il a rédigé des manuels disponibles en ligne expliquant comment s’y prendre pour se tuer, et qui sont régulièrement mis à jour. Il a aussi imaginé des «navires de la mort» pour échapper aux restrictions des législations nationales...</p> <p>En 2021, notre Dr Death ouvre une brasserie de manière à pouvoir se procurer des bidons d’azote. Ceux-ci étaient probablement destinés à alimenter son invention la plus discutée, et qui synthétise quelques-unes de ses trouvailles précédentes: la capsule Sarco, en forme de cercueil imprimée en 3D conçue en 2017, et présentée à la Foire du design de Venise en 2019. La «Tesla de l’assistance à la mort» permet à une personne de se donner la mort en appuyant sur un bouton: la capsule où la personne est allongée se remplit alors d’azote, et le départ se fait en regardant le ciel à travers le couvercle vitré. Une commande vocale, ou un clignement des yeux, pourraient aussi activer la capsule. Vu que l’azote n’est pas un médicament, aucune intervention médicale n’est requise. Nitschke aurait ainsi atteint l’objectif de proposer à tous les adultes le choix d'une mort paisible, même si bien-portants, sans interférence indésirée.</p> <p>Dans les faits, les choses ne sont pas si simples. Passons sur le fait que quelqu’un, forcément, doit se charger de mettre à disposition la capsule, puis s’occuper du corps. La première utilisation de Sarco devait avoir lieu en juillet dernier en Suisse. Notre pays est une sorte de Paradis pour les activistes du suicide assisté, vu que, le premier depuis 1942, il autorise l’assistance au suicide en l’absence de «mobile égoïste». Les avis pourtant divergent sur la légalité de l’emploi de cette (nouvelle) technologie: même si celle-ci ne fait pas usage de médicaments, elle s’apparente à un dispositif médical, et pourrait donc nécessiter une autorisation de la part de Swissmedic. En tout cas, les procureurs de plusieurs cantons se sont depuis exprimés contre son utilisation, et parmi les professionnels de l'assistance au suicide, des voix critiques se sont élevées. La crainte est que Sarco, et surtout son créateur, donnent des arguments à ceux qui s’opposent aux pratiques éprouvées d’assistance, et précipitent la mise en place d’une nouvelle législation plus restrictive pour le suicide assisté.</p> <p>Nitschke est coutumier des conflits avec les autorités et raffole du tapage médiatique, mais il semblerait que cette fois, il ait vraiment dépassé les bornes de la décence: la femme de 55 ans gravement malade qui a fait le voyage depuis les Etats-Unis pour mourir avec Sarco a finalement décidé de passer par une des associations opérant en Suisse, et a laissé un écrit après sa mort dénonçant les méthodes de Nitschke et de ses associés. Ceux-ci l’auraient exploitée financièrement et soumise à une forte pression médiatique.</p> <p>Plus objectivement, la méthode Sarco ne permet pas le contact physique et pousse ainsi à un hyper-individualisme que des partisans du suicide assisté considèrent comme extrême. Nitschke a répondu à ces accusations en qualifiant son ancienne cliente de «psychotique» et en mettant en cause l’objectivité des autres associations, qui ne seraient pas prêtes à accepter sa concurrence. On peut discuter des motivations personnelles du médecin australien. Peut-être aime-t-il simplement se mettre en scène et a-t-il choisi un sujet controversé pour ce faire; peut-être essaie-t-il de pallier une hypocondrie dont il aurait souffert et qui l’aurait déjà motivé à entreprendre ses études de médecine.</p> <p>Au fond, le docteur Nitschke ne fait que pousser un peu plus loin des pratiques déjà établies, et fournit une réponse commerciale à une demande très particulière. Le Nembutal et plus récemment l’azote ont été utilisés pour des exécutions de condamnés à mort aux Etats-Unis. Nitschke a notamment assisté à celle, controversée, d'Eugene Smith en Alabama, qui a eu lieu en janvier passé.</p> <p>La technologie évolue de telle sorte qu'on la croie capable de fournir une réponse à tout, et même aux problèmes qu'elle a elle-même créés, comme le dérèglement climatique. On nous propose ainsi des avatars électroniques pour avoir une vie après la mort; des entreprises essaient d’attirer des talents en leur proposant de planifier leur parentalité comme il le souhaitent, en particulier en leur facilitant la congélation de leurs gamètes. Nietschke est en phase avec cette tendance, pourtant rien de ce qu’il propose n’a le potentiel de changer notre lien à la mort. Sa série d’inventions peut faire réfléchir, mais ni plus ni moins que les inventions du lapin des <i>Bunny suicides</i>.</p> <h3>Sociologie du suicide</h3> <p>Les déterminants sociaux du suicide ont été identifiés de manière définitive en 1897 par Emile Durkheim dans son ouvrage <em>Le suicide</em>, qui inaugure la sociologie quantitative. En procédant à la première étude statistique systématique d’un phénomène social, Durkheim a mis en évidence que «chaque société a pour le suicide une aptitude plus ou moins prononcée». En particulier, il y a plus de suicides là où «l’esprit de libre examen» est davantage répandu, notamment – à son époque – dans les pays protestants. Mais surtout «l’homme se tue parce que la société religieuse dont il fait partie a perdu de sa cohésion».</p> <p>A un autre niveau d’organisation sociale, «la famille est un puissant préservatif du suicide, elle en préserve d’autant mieux qu’elle est plus fortement constituée». De manière générale «le suicide varie en raison inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu». Ainsi, le plus faible nombre de suicides dans les pays catholiques n’est pas dû au fait que le Vatican condamne fermement le suicide, mais plutôt parce que l’Eglise y est plus présente, et ainsi en structure les interactions. De surcroît, si les groupes sociaux auxquels on appartient se désintègrent, on se sent d'autant plus détaché de la société, et ainsi, dit Durkheim, on se détache de la vie dont la société «est à la fois la source et le but».</p> <p>Nous sommes ici bien loin de considérations centrées sur les seuls libertés et droits individuels: l’homme est aussi animal social. Durkheim s’inquiétait des conséquences du développement du «monde du commerce et de l’industrie», qui a mené à un dérèglement social (anomie) chronique, et son lot de suicides. A l’époque dans l’industrie agricole «les anciens pouvoirs régulateurs» se font encore sentir, et les suicides y sont moins nombreux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui en Suisse, exactement pour les raisons mises en évidence par Durkheim: les paysans se suicident davantage que d’autres groupes sociaux, parce qu'ils souffrent d’un isolement plus important.</p> <p>Durkheim considérait également «nécessaire que le suicide soit classé au nombre des actes immoraux»: le suicide lèse la société «parce que le sentiment sur lequel reposent aujourd’hui ses maximes morales les plus respectées, et qui sert presque d’unique lien entre ses membres, est offensé, et qu’il s’énerverait si cette offense pouvait se produire en toute liberté».</p> <p>Le sociologue pose donc en principe que la personne humaine est et doit être considérée comme une chose sacrée, dont ni l’individu ni le groupe n’ont la libre disposition. En toute cohérence, Durkheim préconise en conclusion de «rendre aux groupes sociaux assez de consistance pour qu’ils tiennent plus fermement l’individu et que lui-même tienne à eux». Il constate en effet que l’Etat est la seule force collective ayant «survécu à la tourmente», mais qu’il est devenu «aussi envahissant qu’impuissant». Il rejoint donc ceux qui critiquent l’action de l’Etat en la matière, mais suggère qu’il faut agir à des niveaux d’organisation inférieurs.</p> <p><em>In fine</em>, Durkheim aussi valorise l’accompagnement. Les méthodes pour se suicider, plus ou moins technologiques, relèvent d’une «culture locale», elles n’ont pas d’incidence sur le phénomène: au Japon on se tranche l’abdomen, dans les villes on se jette du haut des immeubles. Ce sont les liens sociaux qui sont déterminants, notamment pour aider les individus à faire face aux différents problèmes auxquels ils sont confrontés, souffrances physiques ou psychologiques, ou – justement – un isolement devenu insupportable, peut-être après qu’il a été vécu comme une liberté promue par une société qui nous permet de travailler depuis chez nous, de communiquer sans se rencontrer, et de faire nos achats à distance.</p> <p>Sur une photo de Sarco on peut lire, inscrite au bas de la capsule, une citation de Carl Sagan. Elle dit que nous sommes faits de la matière des étoiles, et que nous sommes un moyen pour l’Univers de se connaître lui-même. Or nous ne sommes justement pas que des monades composées des mêmes éléments chimiques que les astres. 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De fait, depuis la fin des années 1960 les cartes géographiques officielles israéliennes montrent le Jourdain comme la frontière orientale du pays. Netanyahou a confirmé sa position dans une interview publiée par <em>24Heures</em> le 20 juin dernier, dans laquelle il affirme que «Israël gardera le contrôle de la sécurité du Jourdain à la mer». Si cela ne suffisait pas à indiquer les intentions de l’actuel gouvernement israélien, son approbation d’il y a quelques jours de la saisie de 1'270 hectares dans les Territoires palestiniens occupés en Cisjordanie ne devrait plus laisser aucun doute; cela faisait une trentaine d’années qu’une saisie d’une telle ampleur n’avait eu lieu. On ne peut donc pas blâmer seulement celles et ceux qui affichent la volonté de voir une Palestine libérée – sous-entendu de l’occupant israélien – s'étendant de la mer au Jourdain. 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La moitié ont répondu qu’il en valait la peine, sept sont restés neutres, et vingt-cinq pensaient qu’il fallait trouver d’autres solutions. On peut débattre de la portée d’un tel sondage, mais le simple fait que la question soit posée montre que la solution à deux Etats pose problème. Pas seulement par manque de bonne volonté des gouvernants, ou parce que le peuple palestinien a de sérieux problèmes de leadership. Plus déterminant est le fait que fin 2021, environ 880'000 Juifs vivaient déjà en Cisjordanie, dont 375'000 dans les quartiers autour de la Jérusalem arabe. Il est impensable que cette population soit déplacée pour permettre la création d’un état palestinien «pur». Rappelons-nous du déchirement causé par l'évacuation de Gaza d'un peu moins de 10'000 colons en 2005...</p> <p>On ne peut pas raisonnablement vouloir séparer les populations juive et palestinienne. Il est donc étonnant que la solution à deux Etats soit revenue sur le devant de la scène. Cela est sans doute dû au soutien qu’elle a reçue par l’administration Biden, après le 7 octobre. Bien sûr beaucoup des partisans de cette solution sont conscients des difficultés qu’elle comporte, mais s’y tiennent parce qu’à les en croire, il n’y en aurait pas d’autre: elle est peut-être peu crédible, mais elle constituerait la seule perspective d’avenir. Notons en passant que beaucoup de pays se sont prononcés pour la solution à deux Etats mais ne reconnaissent pas l'Etat de Palestine. C’est le cas de la Suisse. La solution à deux Etats n’est donc pas soutenue avec cohérence. En attendant, Israël poursuit son avancée conquérante.</p> <h3>Plusieurs solutions alternatives</h3> <p>Bien sûr une solution alternative radicale à la solution à deux Etats consiste à transférer les Palestiniens hors des Territoires occupés. 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La position de Begin est importante à rappeler, elle montre que le sionisme n'est pas un courant de pensée monolithique, des points de vue très différents y cohabitent.</p> <h3>La solution binationale</h3> <p>De toutes les hypothèses, la solution binationale est celle qui a l’histoire la plus longue. L’arrivée des Juifs en Palestine au début du XXème siècle est une entreprise coloniale. Ceci est admis par les acteurs eux-mêmes, qu’ils aient été de gauche ou de droite. Si le sionisme a réussi, c’est entre autres parce qu’il a rendu des services à la puissance impériale britannique. Cela dit, de 1882 à 1924 seulement 65'000 Juifs ont débarqué en Palestine. De 1924 à 1936, à cause des lois raciales des Etats-Unis et surtout de l'Allemagne nazie, ils sont près de 250'000 à y migrer.</p> <p>Comme nous l’avons vu, en 1948 Israël était un état binational de fait, attendu que les populations palestinienne et juive étaient à peu près équivalentes en nombre. Dans ces conditions, on peut comprendre qu’une solution binationale prônant la coexistence judéo-arabe ait été à l’ordre du jour, même si pour certains ce n’était certainement qu’une solution de circonstance. Il y a pourtant eu des sionistes convaincus pour croire sérieusement à cette possibilité: Ahad Haam, Martin Buber, Hans Kohn, Leon Magnes, Hannah Arendt, et plus près de nous Avraham B. Yehoshua, etc. Certains pensaient que les Juifs arrivés en Palestine étaient proches des Arabes par la race et par le sang, et qu’il fallait donc se réunir avec eux, ils étaient en quelque sorte pacifistes et … racistes! En 1929, Albert Einstein écrit à Chaïm Weizman, qui deviendra le premier Président israélien: «si nous ne trouvons pas la voie d’une coopération avec les Arabes, nous n’aurons rien appris de notre chemin de calvaire bimillénaire, et nous aurons mérité le sort qui nous est promis». En 1947, lors du vote à l’ONU sur le plan de partage de la Palestine, l’Inde de Gandhi, la Yougoslavie de Tito, et l’Iran du Shah défendent la création d’une (con)fédération, et pendant les travaux de la commission, l’URSS préconise un Etat binational.</p> <p>La Nakba aura permis de retarder la situation de quasi-apartheid qui s’est instaurée après la Guerre des Six jours de 1967. Ainsi, la solution binationale n’a pas eu besoin d’être défendue entre 1948 et 1967, et la situation après 1967 ne semble guère avoir été favorable à une vraie solution binationale, bien qu’elle ait toujours eu des soutiens. Dans un article de 2014, cité par Shlomo Sand dans son livre de 2022 <em>Deux peuples pour un Etat? Relire l’histoire du sionisme</em>, paru au Seuil, le journaliste Gideon Levy pose: «La solution de l’Etat unique est en place depuis longtemps. C’est une solution pour les citoyens juifs, et un malheur pour les résidents palestiniens. 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Comme le souligne le chercheur Jérémie Barthas, Machiavel a affirmé «sans ambages la nécessité de protéger la majorité contre la minorité des riches et de contenir "l’appétit" de domination des "grands"» (voir par exemple son article disponible en ligne <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2014-1-page-37.htm" target="_blank" rel="noopener">«Le riche désarmé est la récompense du soldat pauvre»</a>).</p> <p>Machiavel a compris comment le système militaire basé sur le mercenariat permettait aux élites financières de maintenir leur hégémonie politique et économique grâce aux rapports de force instaurés par une gestion particulière de la dette publique. 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Ce qu’elle investit dans l’armée pourrait donc s’avérer complètement inutile, mais – dit-on – il faut se préparer au pire en investissant peut-être à perte dans notre sécurité. Encore faudrait-il le faire de manière sérieuse. Machiavel nous apprend que plus d’argent dépensé ne signifie pas une meilleure défense. Au contraire, les dépenses pourraient servir des intérêts tout autres que ceux de la défense du peuple, car la gestion de la dette implique un rapport de force entre intérêts (économiques) divergents. Si on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, on ne peut pas non plus avoir le beurre et les canons, mais surtout il faut être au clair sur la proportion entre les deux. </p> <h3>Les propositions de nos politiques à «l’âge du beurre»</h3> <p>Ce dernier point est plus ou moins pris en compte par deux des trois propositions faites ces derniers mois en vue d’augmenter le financement de l’armée. Le deal à 15 milliards défendu par une coalition de centre-gauche, qui visait la création d’un «fonds pour la sécurité de la Suisse et la paix en Europe», prévoyait 10 milliards pour l’armée (canons) et 5 pour l’Ukraine, ce qui aurait permis de ne pas toucher l’aide au développement (beurre?). La «proposition Würth», aussi appelée «du pourcent de sécurité», consistant à lever 18 milliards avec une augmentation de 1% de la TVA devait permettre de financer l’armée (canons) et la 13ème rente AVS (beurre). Par contre, la proposition de la conseillère fédérale Amherd de créer un fonds spécial de 10 milliards pour l’armée se contente seulement d’indiquer vaguement comment cette création serait compatible avec le frein à l’endettement (moins de beurre).</p> <p>Aucune de ces propositions n'explicite la raison pour laquelle notre pays devrait augmenter le budget de son armée. Comme si cela allait de soi. 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Il propose en effet de diminuer la redevance pour les ménages à 300 francs de manière progressive d’ici à 2029, et de préciser le mandat de prestations de la SSR dans la nouvelle concession (l’actuelle étant prorogée jusqu’en 2028). Les entreprises ne seront pas exonérées, et 80% d’entre elles devront payer une redevance. La SSR verrait ainsi sa part de la redevance réduite de 120 millions, ce qui est une diminution considérable, mais non létale.</p> <p>Arrêtons-nous un instant sur la redevance pour les entreprises, vu que leurs représentants politiques clament haut et fort qu'il est injuste qu’elles paient cet impôt progressif calculé en fonction du chiffre d’affaires, et qui peut se monter à plusieurs milliers de francs. Il y a d’ailleurs régulièrement des entreprises qui contestent ce paiement, dû depuis 2019. 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Des récits mythologiques
Il est difficile de croire qu’à notre époque un large pan des économistes se contentent de fonder leur discipline en s’appuyant sur des mythes. C’est pourtant ce qu’ont mis en évidence des travaux d’anthropologues. David Graeber, par exemple, pointe l’absence de tout fondement scientifique au récit standard qui voudrait que la monnaie est apparue pour améliorer une économie basée sur le troc (voir son important ouvrage Dette: 5000 ans d’histoire). De manière analogue, l’attribution au moraliste écossais Adam Smith de la conception que l’économie aurait priorité sur le politique, est tout autant dénuée de fondement. S’il est vrai que Smith a imaginé que les acteurs économiques puissent opérer en ne suivant que leurs propres intérêts, car une main invisible serait intervenue pour défendre l’intérêt général, il n’aurait par exemple pas poussé son idée jusqu’à défendre l’esclavagisme ou l’accumulation exagérée de richesses dans peu de mains. On voit alors que de tels récits mythologiques servent des intérêts politiques.
La place centrale de la dette
Dans notre système économique la croissance est fondamentale, et le fait qu’il soit possible d’emprunter des sommes d’argent à la seule condition de les rendre avec des intérêts, en est un mécanisme crucial. On peut se demander pourquoi tant de personnes se privent de leur liberté en s’endettant, mais il est encore plus mystérieux que les Etats eux-mêmes s’endettent. Le fonctionnement actuel de l’économie explique en partie ces comportements, justement parce qu’il faut qu’il y ait croissance. Mais les Etats empruntent aussi pour étendre leur domination. Ainsi, pour financer les missions des conquistadors, les têtes couronnées européennes empruntaient à des banquiers. Ces derniers ont d’ailleurs été les seuls à vraiment tirer profit de la découverte et de l’exploitation du Nouveau Monde.
Le psychodrame du plafond de la dette américaine
Les médias ont récemment suivi les tribulations du président américain Biden pour éviter le défaut de paiement de son administration. Rappelons rapidement l’essentiel. Aux Etats-Unis, c’est le Congrès qui fixe le plafond de la dette d’Etat. Celui-ci a été rehaussé 79 fois en un siècle, et il a été atteint une énième fois en janvier 2023. C’est-à-dire que l’administration avait dès lors besoin d’emprunter plus que les 31 mille milliards de dollars du plafond pour assurer son fonctionnement courant. Cette somme énorme représente 125% du PIB américain. Les Républicains ont essayé de profiter de cette situation, et de leur majorité à la Chambre des représentants, pour obtenir des concessions de Biden. Les journalistes ont donné beaucoup de place à l’explication du processus, à la négociation entre les parties, mais surtout à évaluer l’ampleur de la catastrophe qui aurait suivi, si jamais un accord n’avait pas été trouvé avant la date de cessation de paiement – fixée autour du 5 juin.
Un accord a finalement été trouvé juste à temps, mais certains ont eu l’impression d’une mise en scène. Le Monde a intitulé un éditorial «Pour en finir avec le psychodrame du plafond de la dette américaine». Le Financial Times a même utilisé l'expression «jeu de la poule mouillée» pour décrire ce qui s’est passé. Dans un tel jeu les joueurs se retrouvent sur une route de collision et celui qui en dévie pour éviter l’accident est considéré comme un lâche. On mesure l’absurdité de la situation sachant que Biden aurait de toute façon pu s’en sortir en utilisant un expédient déjà envisagé par Obama, lorsque celui-ci s’est trouvé dans une situation analogue en 2011: le Président aurait pu frapper une pièce de platine d’une valeur de 1'000 milliards, et continuer à dépenser. D’autres voies moins spectaculaires étaient aussi ouvertes.
La dette et l'armement
Avec l’accord bipartisan voté par le Congrès, le plafond de la dette pourra être réhaussé jusqu’au 1er janvier 2025, de sorte que ce ne sera pas un sujet de débat lors des législatives qui se tiendront en novembre 2024. Les Républicains ont obtenu que l’on ne touche pas aux dépenses militaires, que le soutien aux vétérans soit maintenu, et qu’il n’y ait pas d’impôt supplémentaire. Le président démocrate se félicite de ne pas devoir trop contraindre les dépenses sociales et de pouvoir maintenir son engagement en faveur des énergies renouvelables et de l’annulation des dettes contractées par les étudiants. Ce compromis politique est largement insatisfaisant, vu qu’il évite soigneusement d’aller à la racine du problème. D’ailleurs les parties se sont privées de la possibilité de traquer efficacement les fraudes fiscales, en limitant le recrutement de personnel compétent! Mais quelle est l’origine du problème? La réponse est d’une déroutante simplicité: la dépense militaire.
De fait, la courbe de la variation de la dette des Etats Unis suit de très près celle de ses dépenses militaires, et beaucoup estiment que ces dépenses expliquent à elles seules le déficit américain (voir par exemple le chap. 12 du livre cité de Graeber). Les Etats Unis ne sont pas le seul pays endetté: le Fonds monétaire international (FMI) recense 41 Etats gravement endettés. Pour la plupart de ces pays, ceci implique une perte d’autonomie. Pour les Etats Unis, au contraire, l’endettement offre une forme paradoxale de contrôle. Ses créditeurs sont essentiellement des investisseurs institutionnels de pays comme l’Allemagne, le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, la Thaïlande, ou les pays du Golfe, qui sont tous dépendants de sa protection militaire. Or, celle-ci est largement financée avec leurs prêts! Même la part de la dette détenue par la Chine lie celle-ci aux intérêts américains. Pour saisir l’ampleur de cette domination paradoxale il suffit de noter que les obligations émises par les Etats Unis, détenues par ses créditeurs, correspondent à un tiers du total des obligations émises par tous les pays du monde.
Difficulté à imaginer des alternatives
Bien que des analystes indiquent qu’il suffirait de diminuer de 5% les dépenses et d’augmenter de 2% les impôts pendant 30 ans, pour ramener la dette américaine à 70% du PIB, on voit quels intérêts il faudrait bousculer pour sortir du fonctionnement actuel. Le positionnement belliciste des pays occidentaux par rapport à la guerre en Ukraine n’est qu’une indication du fait qu’il faudra encore attendre longtemps pour que les choses changent de manière radicale.
Les dépenses militaires augmentent de partout: en 2022 elle ont augmenté de 4% au niveau mondial; le budget de la défense chinois a augmenté d’environ 75% ces dix dernières années; celui du Japon devrait augmenter de deux-tiers d’ici 2027, portant ce pays à être le troisième sur la liste des plus dépensiers; suivant l’incitation de l’OTAN, les pays européens tâchent d’arriver à dépenser 2% de leurs PIB respectifs en armement (la Pologne vise même les 4%); et tout en ne faisant pas partie de l’OTAN, la Suisse a décidé une augmentation progressive des dépenses jusqu’à 1% du PIB en 2030, pour arriver à 8 milliards de francs par an. La fin de la guerre froide avait laissé entrevoir la possibilité de réorienter les dépenses publiques pour faire face aux besoins de la société civile. Les machines de guerre sont relancées, et elles demandent à être alimentées. Ou alors est-ce l’économie elle-même qui a besoin de cette dynamique, les marges de croissance se réduisant par ailleurs?
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David Graeber, par exemple, pointe l’absence de tout fondement scientifique au récit standard qui voudrait que la monnaie est apparue pour améliorer une économie basée sur le troc (voir son important ouvrage <em>Dette: 5000 ans d’histoire</em>). De manière analogue, l’attribution au moraliste écossais Adam Smith de la conception que l’économie aurait priorité sur le politique, est tout autant dénuée de fondement. S’il est vrai que Smith a imaginé que les acteurs économiques puissent opérer en ne suivant que leurs propres intérêts, car une main invisible serait intervenue pour défendre l’intérêt général, il n’aurait par exemple pas poussé son idée jusqu’à défendre l’esclavagisme ou l’accumulation exagérée de richesses dans peu de mains. 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Puis il y a eu CoGen, un masque permettant l’inhalation de monoxyde de carbone. Depuis que les voitures possèdent des pots catalytiques et que le gaz de houille a été remplacé par du gaz naturel, il est devenu moins efficace de se suicider en s’enfermant dans son garage avec le moteur de la voiture allumé, ou en mettant sa tête dans un four. Le dispositif appelé Délivrance, quant à lui, permettait de se donner la mort par injection d’une substance létale en appuyant sur le bouton d’un ordinateur. Ce dispositif «de bureau» a été répertorié par le British Science Museum. Dans une autre direction, en partant du constat qu’il est possible de se procurer en ligne des substances comme le Nembutal qui, ingéré à doses élevées, permet de s’endormir pour toujours, Nitschke a mis au point un kit de «petit chimiste» afin de vérifier la pureté de la substance achetée. Il a aussi publié des instructions sur la conservation du Nembutal en poudre. 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En tout cas, les procureurs de plusieurs cantons se sont depuis exprimés contre son utilisation, et parmi les professionnels de l'assistance au suicide, des voix critiques se sont élevées. La crainte est que Sarco, et surtout son créateur, donnent des arguments à ceux qui s’opposent aux pratiques éprouvées d’assistance, et précipitent la mise en place d’une nouvelle législation plus restrictive pour le suicide assisté.</p> <p>Nitschke est coutumier des conflits avec les autorités et raffole du tapage médiatique, mais il semblerait que cette fois, il ait vraiment dépassé les bornes de la décence: la femme de 55 ans gravement malade qui a fait le voyage depuis les Etats-Unis pour mourir avec Sarco a finalement décidé de passer par une des associations opérant en Suisse, et a laissé un écrit après sa mort dénonçant les méthodes de Nitschke et de ses associés. 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Le Nembutal et plus récemment l’azote ont été utilisés pour des exécutions de condamnés à mort aux Etats-Unis. Nitschke a notamment assisté à celle, controversée, d'Eugene Smith en Alabama, qui a eu lieu en janvier passé.</p> <p>La technologie évolue de telle sorte qu'on la croie capable de fournir une réponse à tout, et même aux problèmes qu'elle a elle-même créés, comme le dérèglement climatique. On nous propose ainsi des avatars électroniques pour avoir une vie après la mort; des entreprises essaient d’attirer des talents en leur proposant de planifier leur parentalité comme il le souhaitent, en particulier en leur facilitant la congélation de leurs gamètes. Nietschke est en phase avec cette tendance, pourtant rien de ce qu’il propose n’a le potentiel de changer notre lien à la mort. Sa série d’inventions peut faire réfléchir, mais ni plus ni moins que les inventions du lapin des <i>Bunny suicides</i>.</p> <h3>Sociologie du suicide</h3> <p>Les déterminants sociaux du suicide ont été identifiés de manière définitive en 1897 par Emile Durkheim dans son ouvrage <em>Le suicide</em>, qui inaugure la sociologie quantitative. En procédant à la première étude statistique systématique d’un phénomène social, Durkheim a mis en évidence que «chaque société a pour le suicide une aptitude plus ou moins prononcée». En particulier, il y a plus de suicides là où «l’esprit de libre examen» est davantage répandu, notamment – à son époque – dans les pays protestants. Mais surtout «l’homme se tue parce que la société religieuse dont il fait partie a perdu de sa cohésion».</p> <p>A un autre niveau d’organisation sociale, «la famille est un puissant préservatif du suicide, elle en préserve d’autant mieux qu’elle est plus fortement constituée». De manière générale «le suicide varie en raison inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu». Ainsi, le plus faible nombre de suicides dans les pays catholiques n’est pas dû au fait que le Vatican condamne fermement le suicide, mais plutôt parce que l’Eglise y est plus présente, et ainsi en structure les interactions. De surcroît, si les groupes sociaux auxquels on appartient se désintègrent, on se sent d'autant plus détaché de la société, et ainsi, dit Durkheim, on se détache de la vie dont la société «est à la fois la source et le but».</p> <p>Nous sommes ici bien loin de considérations centrées sur les seuls libertés et droits individuels: l’homme est aussi animal social. Durkheim s’inquiétait des conséquences du développement du «monde du commerce et de l’industrie», qui a mené à un dérèglement social (anomie) chronique, et son lot de suicides. A l’époque dans l’industrie agricole «les anciens pouvoirs régulateurs» se font encore sentir, et les suicides y sont moins nombreux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui en Suisse, exactement pour les raisons mises en évidence par Durkheim: les paysans se suicident davantage que d’autres groupes sociaux, parce qu'ils souffrent d’un isolement plus important.</p> <p>Durkheim considérait également «nécessaire que le suicide soit classé au nombre des actes immoraux»: le suicide lèse la société «parce que le sentiment sur lequel reposent aujourd’hui ses maximes morales les plus respectées, et qui sert presque d’unique lien entre ses membres, est offensé, et qu’il s’énerverait si cette offense pouvait se produire en toute liberté».</p> <p>Le sociologue pose donc en principe que la personne humaine est et doit être considérée comme une chose sacrée, dont ni l’individu ni le groupe n’ont la libre disposition. En toute cohérence, Durkheim préconise en conclusion de «rendre aux groupes sociaux assez de consistance pour qu’ils tiennent plus fermement l’individu et que lui-même tienne à eux». Il constate en effet que l’Etat est la seule force collective ayant «survécu à la tourmente», mais qu’il est devenu «aussi envahissant qu’impuissant». Il rejoint donc ceux qui critiquent l’action de l’Etat en la matière, mais suggère qu’il faut agir à des niveaux d’organisation inférieurs.</p> <p><em>In fine</em>, Durkheim aussi valorise l’accompagnement. Les méthodes pour se suicider, plus ou moins technologiques, relèvent d’une «culture locale», elles n’ont pas d’incidence sur le phénomène: au Japon on se tranche l’abdomen, dans les villes on se jette du haut des immeubles. Ce sont les liens sociaux qui sont déterminants, notamment pour aider les individus à faire face aux différents problèmes auxquels ils sont confrontés, souffrances physiques ou psychologiques, ou – justement – un isolement devenu insupportable, peut-être après qu’il a été vécu comme une liberté promue par une société qui nous permet de travailler depuis chez nous, de communiquer sans se rencontrer, et de faire nos achats à distance.</p> <p>Sur une photo de Sarco on peut lire, inscrite au bas de la capsule, une citation de Carl Sagan. Elle dit que nous sommes faits de la matière des étoiles, et que nous sommes un moyen pour l’Univers de se connaître lui-même. Or nous ne sommes justement pas que des monades composées des mêmes éléments chimiques que les astres. 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De fait, depuis la fin des années 1960 les cartes géographiques officielles israéliennes montrent le Jourdain comme la frontière orientale du pays. Netanyahou a confirmé sa position dans une interview publiée par <em>24Heures</em> le 20 juin dernier, dans laquelle il affirme que «Israël gardera le contrôle de la sécurité du Jourdain à la mer». Si cela ne suffisait pas à indiquer les intentions de l’actuel gouvernement israélien, son approbation d’il y a quelques jours de la saisie de 1'270 hectares dans les Territoires palestiniens occupés en Cisjordanie ne devrait plus laisser aucun doute; cela faisait une trentaine d’années qu’une saisie d’une telle ampleur n’avait eu lieu. On ne peut donc pas blâmer seulement celles et ceux qui affichent la volonté de voir une Palestine libérée – sous-entendu de l’occupant israélien – s'étendant de la mer au Jourdain. Plus sérieusement, il faut se demander quelles options seront sur la table, une fois que les armes se seront tues, lorsque l’on admettra qu’il faut tenir compte à la fois des aspirations des Juifs israéliens et de celles des Palestiniens. </p> <h3>Résurgence de la solution à deux Etats</h3> <p>A entendre les discours officiels de nombreux pays, il semblerait y avoir une étrange entente sur la marche à suivre: revenir aux plans datant de la fondation de l’Etat hébreu et établir une nation palestinienne à côté d’Israël. C’est la «solution à deux Etats». Cette solution est aussi celle préconisée par la Suisse, même si elle semble difficile, sinon impossible, à mettre en place.</p> <p>En 2021, l’importante revue américaine <em>Foreign Affairs</em> a effectué un sondage auprès de 64 experts pour savoir s’il était encore raisonnable de soutenir la solution à deux Etats. La moitié ont répondu qu’il en valait la peine, sept sont restés neutres, et vingt-cinq pensaient qu’il fallait trouver d’autres solutions. On peut débattre de la portée d’un tel sondage, mais le simple fait que la question soit posée montre que la solution à deux Etats pose problème. Pas seulement par manque de bonne volonté des gouvernants, ou parce que le peuple palestinien a de sérieux problèmes de leadership. Plus déterminant est le fait que fin 2021, environ 880'000 Juifs vivaient déjà en Cisjordanie, dont 375'000 dans les quartiers autour de la Jérusalem arabe. Il est impensable que cette population soit déplacée pour permettre la création d’un état palestinien «pur». Rappelons-nous du déchirement causé par l'évacuation de Gaza d'un peu moins de 10'000 colons en 2005...</p> <p>On ne peut pas raisonnablement vouloir séparer les populations juive et palestinienne. Il est donc étonnant que la solution à deux Etats soit revenue sur le devant de la scène. Cela est sans doute dû au soutien qu’elle a reçue par l’administration Biden, après le 7 octobre. Bien sûr beaucoup des partisans de cette solution sont conscients des difficultés qu’elle comporte, mais s’y tiennent parce qu’à les en croire, il n’y en aurait pas d’autre: elle est peut-être peu crédible, mais elle constituerait la seule perspective d’avenir. Notons en passant que beaucoup de pays se sont prononcés pour la solution à deux Etats mais ne reconnaissent pas l'Etat de Palestine. C’est le cas de la Suisse. La solution à deux Etats n’est donc pas soutenue avec cohérence. En attendant, Israël poursuit son avancée conquérante.</p> <h3>Plusieurs solutions alternatives</h3> <p>Bien sûr une solution alternative radicale à la solution à deux Etats consiste à transférer les Palestiniens hors des Territoires occupés. Celles et ceux qui pensent qu’il est exagéré d’imaginer qu’Israël cherche ou ait cherché à atteindre cet objectif devraient lire <em>Le nettoyage ethnique de la Palestine</em> de l’historien Ilan Pappe, qui vient d’être réédité par les éditions La Fabrique.</p> <p>Une autre solution radicale consisterait à perpétuer l’actuelle situation de quasi-apartheid. Tout en étant radicales, ces deux options seraient très instables: la première ne ferait qu’empirer la situation créée avec la Nakba, soit l’exode forcé de plus des trois-quarts des Palestiniens qui vivaient dans les territoires sous contrôle israélien. A la fin du mandat britannique, les Arabes représentaient encore deux tiers de la population; avec la création d’Israël, en 1948 ne vivaient dans l’Etat juif plus que quelque 500'000 Arabes à côté d’environ 600'000 Juifs. 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La position de Begin est importante à rappeler, elle montre que le sionisme n'est pas un courant de pensée monolithique, des points de vue très différents y cohabitent.</p> <h3>La solution binationale</h3> <p>De toutes les hypothèses, la solution binationale est celle qui a l’histoire la plus longue. L’arrivée des Juifs en Palestine au début du XXème siècle est une entreprise coloniale. Ceci est admis par les acteurs eux-mêmes, qu’ils aient été de gauche ou de droite. Si le sionisme a réussi, c’est entre autres parce qu’il a rendu des services à la puissance impériale britannique. Cela dit, de 1882 à 1924 seulement 65'000 Juifs ont débarqué en Palestine. De 1924 à 1936, à cause des lois raciales des Etats-Unis et surtout de l'Allemagne nazie, ils sont près de 250'000 à y migrer.</p> <p>Comme nous l’avons vu, en 1948 Israël était un état binational de fait, attendu que les populations palestinienne et juive étaient à peu près équivalentes en nombre. Dans ces conditions, on peut comprendre qu’une solution binationale prônant la coexistence judéo-arabe ait été à l’ordre du jour, même si pour certains ce n’était certainement qu’une solution de circonstance. Il y a pourtant eu des sionistes convaincus pour croire sérieusement à cette possibilité: Ahad Haam, Martin Buber, Hans Kohn, Leon Magnes, Hannah Arendt, et plus près de nous Avraham B. Yehoshua, etc. Certains pensaient que les Juifs arrivés en Palestine étaient proches des Arabes par la race et par le sang, et qu’il fallait donc se réunir avec eux, ils étaient en quelque sorte pacifistes et … racistes! En 1929, Albert Einstein écrit à Chaïm Weizman, qui deviendra le premier Président israélien: «si nous ne trouvons pas la voie d’une coopération avec les Arabes, nous n’aurons rien appris de notre chemin de calvaire bimillénaire, et nous aurons mérité le sort qui nous est promis». 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En effet, en 2013 la Cour suprême israélienne a statué que les résidents du pays ne peuvent pas être identifiés dans le registre national simplement comme Israéliens, c’est-à-dire avec une identité administrative séculaire, différente – par exemple – de juif, arabe, druze, etc. La Cour, qui est pourtant connue pour être assez libérale, a précisé que permettre aux citoyens d'adopter une identité séculaire seule pourrait miner le principe fondateur d’Israël d’être un état juif, pour les Juifs. </p> <h3>Conclusion</h3> <p>Toutes les solutions potentielles devront se confronter aux réalités démographiques, qui ne peuvent être modifiées (par des moyens démocratiques), mais l'identité juive d’Israël semble pouvoir être dépassée. On estime à environ 40% les Israéliens qui s’identifient déjà prioritairement comme Israéliens, plutôt que comme Juifs. Bien sûr l’attaque du 7 octobre aura consolidé la position des Juifs qui ne veulent pas partager le pouvoir avec les Palestiniens. 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Comme le souligne le chercheur Jérémie Barthas, Machiavel a affirmé «sans ambages la nécessité de protéger la majorité contre la minorité des riches et de contenir "l’appétit" de domination des "grands"» (voir par exemple son article disponible en ligne <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2014-1-page-37.htm" target="_blank" rel="noopener">«Le riche désarmé est la récompense du soldat pauvre»</a>).</p> <p>Machiavel a compris comment le système militaire basé sur le mercenariat permettait aux élites financières de maintenir leur hégémonie politique et économique grâce aux rapports de force instaurés par une gestion particulière de la dette publique. 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Ce qu’elle investit dans l’armée pourrait donc s’avérer complètement inutile, mais – dit-on – il faut se préparer au pire en investissant peut-être à perte dans notre sécurité. Encore faudrait-il le faire de manière sérieuse. Machiavel nous apprend que plus d’argent dépensé ne signifie pas une meilleure défense. Au contraire, les dépenses pourraient servir des intérêts tout autres que ceux de la défense du peuple, car la gestion de la dette implique un rapport de force entre intérêts (économiques) divergents. Si on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, on ne peut pas non plus avoir le beurre et les canons, mais surtout il faut être au clair sur la proportion entre les deux. </p> <h3>Les propositions de nos politiques à «l’âge du beurre»</h3> <p>Ce dernier point est plus ou moins pris en compte par deux des trois propositions faites ces derniers mois en vue d’augmenter le financement de l’armée. 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Le comité n’a pas explicité comment la SSR devrait être redimensionnée, laissant entendre que la discussion en vue de la votation sur l’initiative allait permettre de débattre du fond de l’affaire, à savoir quel est le futur souhaité pour le service public média.</p> <p>Avant de voir comment le comité entend affronter cette question, arrêtons-nous sur d’autres aspects de l’initiative, et quelques chiffres. L’initiative prévoit que le montant de 200 francs pour la redevance soit inscrit dans la Constitution, et que ce soit au législateur de définir ce qu’est un «service [de la SSR] indispensable à la collectivité». Ces points pourraient sembler anodins, mais il subvertissent l’actuelle répartition des compétences entre le Conseil fédéral (CF) et l’Assemblée nationale. Actuellement, le pilotage matériel de la SSR est assuré par le CF à l’aide de deux instruments reliés entre eux, qui sont justement la fixation du montant de la redevance et la définition de la concession. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@willoft 16.06.2023 | 13h15
«La dette est sauf erreur de
31.5 billions.»
@willoft 18.06.2023 | 23h37
«Tous les vieux cons ont sans doute pensé
Quils pourraient inverser le cours de l'histoire
»
@stef 30.07.2023 | 17h39
«Waouh, quelle claque !
Homo Sapiens est au bord du gouffre, mais continue pourtant d'avancer sur un pont tissé de billets de banque en train de s'effriter ! »