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Chronique

Chronique / Et si nous faisions une pause avec deux vieux amants taiseux?

Jean-Louis Kuffer

4 septembre 2020

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A l’opposé du blockbuster «à voir absolument toutes affaires cessantes», le beau film du réalisateur indo-américain Ritesh Batra, intitulé «Nos âmes la nuit» et tiré du roman éponyme de Kent Haruf, évoque la vendange tardive d’une amitié amoureuse entre deux personnages attachants, Abbie et Louis, incarnées avec la même sensibilité vive par Jane Fonda et Robert Redford. Où comment rompre la solitude avec la complicité d’un petit garçon et d’un gentil chien. Guimauve conventionnelle? Tout le contraire et en finesse!



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Tout en douceur, en lenteur et en délicatesse de sentiments, Nos âmes la nuit démarre de façon qu’on pourrait dire provocatrice tellement elle semble à la fois inconvenante et non convenue. Plus précisément, il s’agit de la proposition impromptue, non moins qu’intempestive, que la septuagénaire Addie, apparemment bon chic bon genre sous tous rapports (Jane Fonda) fait un jour à un voisin de quartier de coucher avec elle sans qu’il soit question de sexe, rien que pour se tenir chaud.

Or la chose paraît immédiatement ahurissante au prénommé Louis (Robert Redford), ancien prof  en veuvage qui ne connaît Addie que de loin à cela près que Gene, le fils de celle-ci, a été son élève. Mais cela va-t-il de soi de coucher, même chastement, avec une quasi inconnue certes fort belle? 

Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir hésité quelque peu, et sans autre explication, Louis accepte bel et bien de rejoindre Addie un soir, d’abord par  la porte de derrière de la jolie maison de celle-ci, crainte de faire jaser les voisins, se pointant avec ses affaires de nuit dans un sac en papier, plutôt gêné et ne trouvant à peu près rien à lui dire lors de leur première soirée suivie d’une nuit toute sage.

D’emblée, Addie semble plus à l’aise et entreprenante (psychologiquement s’entend), et la relation va bientôt se prolonger et s’étoffer entre ces deux personnes sensibles et intelligentes, qui ont visiblement des points communs et même des atomes crochus, comme on dit, des choses à partager et des aveux à se faire qui exigent de chacun le plus honnête retour sur soi, l’un et l’autre ayant à se reprocher certains faits de leur vie passée: lui de s’être trahi lui-même – c’est comme ça qu’il voit la chose – dans une relation extra-conjugale qui a fait du mal à sa femme autant qu’à sa belle maîtresse et lui a valu l’opprobre des vertueux,  et elle de n’avoir pas été assez présente auprès du petit Gene après la mort accidentelle de sa fille aînée – entre autres péripéties qu’on appelle «les choses de la vie».

Tout cela pourrait sembler d’une banalité de sitcom, et d’autant plus que s’y greffe le personnage, à vrai dire central, du petit-fils d’Addie, «casé» chez celle-ci par son père Gene que sa femme n’en finit plus de quitter. Et quoi encore pour compléter le feuilleton? Un chien  en bonus? Parfaitement, et le train électrique que Louis conserve précieusement dans son emballage, qui va lui permettre d’amadouer le gosse en père de substitution momentané, etc.  

Mais alors quoi d’intéressant là-dedans? Le fait qu’y soit évoquée la sexualité des plus de 66 ans? Qu’on y aborde le thème de la solitude des seniors? Que l’on y évente des secrets de famille?

Oui et non, car tout, dans Nos âmes la nuit, dépasse ces «sujets» par la façon de les aborder, où la complexité et la subtilité des sentiments ressaisis dans le temps se trouvent modulés par un dialogue et une interprétation merveilleusement sensibles, où ne cesse de filtrer une tendresse restant pourtant lucide.  

Quant à la question, qui se pose tout de même dans l’espèce d’atelier protégé qu’est devenu une partie de notre société où l’on se «penche» sur les seniors, de savoir si les croulants ont encore le droit de faire l’amour, inutile d’insister sur sa pertinence illustrée, dans le film, par les réactions globalement négatives de l’entourage des deux protagonistes, qu’il s’agisse des potes de Louis à leur réunion de retraités joueurs de cartes (ah,ah,ah, ce Louis, quel énergie, quel sauteur !), de la meilleure amie d’Addie ou du fils de celui-ci se montrant tout à coup modèle de vertu pour dégommer son ancien prof, et le même thème avait déjà été abordée, au cinéma, par le beau film de l’Irakien Hiner Saleen, en 2007, intitulé Sous les toits et réunissant la plus très jeune Mylène Demonjeot et le presque vieux Michel Piccoli.

Cependant la question posée par Nos âmes la nuit est  plus futée, qui revient à se demander si les vieux, de nos jours, ont le droit de tomber amoureux sans forcément «baiser»? Il est vrai que Jane et Robert finissent bel et bien par s’étreindre au sens «biblique», mais cela ne compte guère dans ce film de pure émotion rompant avec le clinquant habituel de la production américaine,  particulièrement abondante sur Netflix – support du film en question.

En 2007, nous avions découvert Sous les toits au festival de Locarno, où  Nos âmes la nuit eussent constitué une soirée parfaite sur la Piazza Grande, et je me rappelle avoir rencontré Michel Piccoli sur un chemin de vignes des hauts de Muralto, le lendemain de la projection, que j’avais remercié de nous avoir émus et d’avoir soutenu un jeune cinéaste indépendant avec autant de cœur, comme Robert Redford l’a fait en co-produisant le film du talentueux  Indien. Beaux gestes de belles personnes, n’est-ce pas, et pourquoi dire que ça  devient rare puisque ça existe encore?

Ce qui n’est pas moins vrai, c’est que Nos âmes la nuit me paraît aussi bon pour la tête que pour le cœur,  l’âme et le cul. Sur quoi je vais me précipiter au cinéma avant le prochain reconfinement (!) pour voir si le dernier film de Christopher Nolan en dit autant, en ses tonitruements hyperactifs, que celui de Ritesh Batra par ses silences…

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