Actuel / Lagerfeld, reviens-nous!
L'industrie du luxe s'est déjà emparée des codes de l'après coronavirus. La starlette Nabilla porte un masque sanitaire griffé Louis Vuitton. © Snapchat Nabilla Vergara
Les masques à cent dollars pièce, les leggins griffés, les baumes à lèvres qui apportent la douceur dont tout le monde rêve, voici la réponse de l’industrie du luxe à notre inapaisable besoin de consommation ostentatoire. Il n’y aurait pas de quoi s’affoler, si la nouvelle «classe de loisir» n’était une élite exclusivement économique.
Dans Milly ou La Terre natale Lamartine s’interrogeait: «Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer?». Certes l’esprit du poète se référait à l’image de la chaumière familière. Nous avons bien progressé depuis, ce qui n’enlève rien à l’actualité brûlante de la question, même si les chaumières sont passées d’usage. Il faut se demander, en effet, de quelle âme sont dotés les objets qu’on s’arrache, et parfois à des prix délirants, depuis le déclenchement de la pandémie? Que dire de la nature de ce rouge à lèvres, siglé Hermès et décliné en vingt-quatre couleurs, pour qu’une file impressionnante se forme devant la boutique de la marque à Bangkok? Une queue, précisons, composée de personnes doctement masquées.
Et ceci au moment, où les grandes marques n’ont pas encore saisi l’opportunité qu’offre le marché des produits dérivés de la Covid-19. Pourtant, dès à présent on s’arrache un masque facial signé Off-White, la griffe de Virgil Abloh - ancien directeur artistique pour homme chez Louis Vuitton, à quatre-vingt quinze dollars pièce. Suscitant même la spéculation sur le web, l’objet a été récemment proposé pour la modique somme de 1000 dollars sur le site de vente de luxe Farfetch. Si la sottise protégeait, les heureux possesseurs des masques Off-White pourraient se sentir à l’abri du virus potentiellement mortel.
A défaut d’études épistémologiques concluant dans ce sens, il ne reste qu’à se réjouir du fait que le monde post-pandémie ne diffère radicalement dans son infinie conformisme statutaire, du monde d’avant. Au moins personne ne peut se plaindre du manque de repères.
En pleine occupation allemande, le magazine Votre santé invitait en effet ses lectrices à «se maintenir en forme, saines, solides, nettes», ce qui aurait relevé d’un «devoir», selon l’auteur de l’article. Partant de là, il est tentant de relativiser l’imbécillité des acquéreurs des masques à logo: si ces derniers ne protègent pas davantage que les masques jetables achetés au supermarché du coin, à n’en pas douter ils chassent plus efficacement l’angoisse de la mort, en détournant le caractère préventif et médical de cet objet qu’il nous faut d’urgence apprivoiser.
Mieux, leur excessivité, à laquelle il serait facile de reprocher une forme de vanité et de nihilisme très contemporains, renvoie pourtant à un phénomène ancien: la consommation ostentatoire.
La nouvelle «classe de loisir», pour maintenir la typologie sociale de Veblen, à l’abri des besoins matériels immédiats et libre de la contrainte du travail autre que souhaité, se masque à prix d’or comme autrefois l’aristocratie et la bourgeoisie se corsetaient à ne plus pouvoir respirer et se surplombaient d’un chapeau aux dimensions faisant oublier qu’il s’agit d’un accessoire utilitaire.
La seule différence, et hélas de taille, réside dans le fait que cette nouvelle «classe de loisir» ne profite que trop rarement de ses privilèges pour élargir ses connaissances des manières, des règles de courtoisie, ou du goût, sans parler de subtilités telles que la syntaxe ou la prosodie. Dire qu’un masque à cent dollars reste à la portée de n’importe quel idiot, alors que des milliers de gens à travers le monde sont menacés de misère, sentirait la provocation gratuite.
Toutefois, il faut consentir qu’un dealer de seconde zone ne devrait pas avoir de difficultés à se l’offrir. Il y a de quoi verser une larme en pensant à de Rothschild. La «café-society» de jadis, où on cultivait «l’art des rapports inhumains, un art de cour», suivant la brillante formule de Françoise d’Origny, irriguait les discussions mondaines de mots d’esprit et, fréquemment, d’une grande culture. Probablement qu’il serait décevant de s’attendre aux mêmes prodiges de la part de nos masqués de luxe. Et ce n’est pas la seule raison de regretter les happy few des époques passées.
L’inimitable Karl Lagerfeld mérite d’être ici cité, alors que la consommation ostentatoire mène à des dérives sans nom:
«Le pantalon de jogging sent un signe de défaite. Vous avez perdu le contrôle de votre vie, donc vous sortez en jogging».
Inutile de se demander que penserait alors le Kaiser de cette nouvelle tendance affichée par toutes les modeuses en vue sur Instagram, et qui consiste à se trainer du matin au soir dans un pantalon de jogging. Qu’on parle de pièces de luxe ne change rien à l’affaire au parfum de grande dégringolade dans le laisser-aller.
«Wellness» ne peut tout justifier. S’il est hors de propos de contester la notion de confort, devenue centrale depuis le déclenchement de la pandémie pour ceux qui n’ont pas d’autres problèmes, il faut rappeler que le bien-être exige un savoir-faire véritable.
Nicolas Dagennes, directeur artistique maquillage de Givenchy, apporte dans ce sens un précieux éclairage:
«Plutôt que des rouges mats dont la texture particulière agit telle une armure et a du mal à se faire oublier sur les lèvres, privilégier des baumes légèrement teintés qui apporteront la délicatesse et la fraîcheur dont tout le monde rêve actuellement».
La «classe de loisir» ferait grâce aux pouilleux en se montrant soucieuse de ce genre de nuances qui n’ont rien à envier aux préoccupations des personnages de Proust. Qui, sinon, redonnera un brin d’espoir à l’humanité en souffrance? Se badigeonner d’un inadapté rouge mat, d’autant plus qu’on va le dissimuler sous un masque Jean-Paul Gauthier, décliné en modèle corset ou marinière, revient à une faute de goût impardonnable par les temps qui courent.
Les futilités du luxe ne doivent pas servir qu’à faire tourner l’économie. Leur rôle consiste à mettre en évidence sa richesse, son pouvoir, son statut. Alors même si les difficultés des classes possédantes à se montrer actuellement peuvent susciter une sincère compassion, qu’il nous soit permis d’exiger d’elles un minimum de tenue, au lieu et à la place d’un jogging dont le prix dépasse le montant d’un SMIC.
Quant à savoir si les objets ont une âme et vers quoi elle nous oriente? Non seulement, ils en ont une, mais une qui nous ramène vers l’amour: celui de nous-mêmes et de la communauté des consommateurs à laquelle nous appartenons.
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Après Jean-Luc Godard, des Français parmi les plus chanceux viendront sans doute en Suisse en finir avec une vie qu’ils n’estiment plus valoir la peine d’être vécue.</p> <h3>Colloque intime et singulier</h3> <p>On savait le Président français disciple de Paul Ricoeur, on le découvre à présent en adepte de formules qui feraient défaillir de jalousie Paolo Coelho, plus creuses et nigaudes les unes que les autres. Incertains, on aimerait à cet exemple qu’on nous traduise du français vers le nôtre, ce que veut dire: «Parler de la mort est un vrai débat, il ne faut pas l’éluder.» Pauvres de nous, simples administrables, à qui il faut désormais analyser la parole présidentielle comme un tirage du tarot, en nous livrant à des interprétations hasardeuses.</p> <p>D’ailleurs, devant la presse qui l’a accompagné au Vatican, le Président a déclaré qu’il n’aime pas parler de l’euthanasie. Très bien. Mais que devrait-on en déduire? Que «le modèle belge», tant vanté par Emmanuel Macron en dépit de ce qu’il a qualifié de ses «dérives», à savoir la possibilité pour les mineurs et les personnes «qui n’ont plus de jugements» de recevoir une dose létale, n’est plus souhaitable chez nous, en France? Ou qu’il bigle vers la Suisse et son «suicide assisté»? A moins qu’il ne songe à la solution d’une <em>kill pill</em>, adoptée dans l’Etat de l’Oregon? Sinon et enfin, que la loi Leonetti-Clayes, actuellement en vigueur, ne changera pas? Du moins, pas du vivant de Line Renaud, 94 ans, grande passionaria de la «mort dans la dignité», à qui le Président Macron aurait pourtant fait très récemment une promesse sans équivoque, tout en lui remettant la Grand-croix de la Légion d’honneur. Evidemment, on souhaite à l’actrice de battre les records de longévité, mais à vouloir suivre Emmanuel Macron, sur ce dossier comme sur beaucoup d’autres, on frôle la syncope.</p> <p>De l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par les Républicains, la classe politique française sue ainsi à grosses gouttes, cherchant à deviner le scénario le plus probable. Non qu’un seul des élus de la République ait à dire quoi que ce soit de nouveau ou de constructif, faire une proposition inédite ou lancer l’idée d’une hypothétique «exception française», pourquoi pas, traçant ainsi une voie autonome à travers les exemples qui existent dans le monde. Pas du tout. L’histoire est d’aboyer un petit coup, par principe et par plaisir.</p> <p>D’un côté donc, Marine Le Pen verrait d'un bon œil le recours au référendum, tout en précisant qu’il «ne faut pas de loi». Ah bon? «Ce sont les sujets qui touchent à l’intime», précise la présidente du Rassemblement National. Que ceux qui sont atteints de la maladie de Charcot choisissent alors s’ils préfèrent se jeter sous une rame du métro ou plutôt de se supprimer à l’aide d’un fusil de chasse, si tant est qu’ils aient les capacités physiques de le faire.</p> <p>A l’autre bout de l’échiquier politique, Clémentine Autain estime audacieusement que «le temps est venu de mener le débat grand angle et de prendre de nouvelles décisions pour ouvrir cette possibilité de mourir dans la dignité de façon très encadrée.» On saisit. Après le mariage pour tous, la gauche ne se risquera pas à réclamer l’euthanasie pour tous.</p> <p>Au milieu, Les Républicains récitent le mantra sur le développement des soins palliatifs, comme si lesdits soins, par ailleurs en insuffisance chronique et patente depuis des années en France, réglaient la question de la fin de vie. Et Emmanuel Macron de souffler le couplet final dans le registre des plus belles balades de Céline Dion: «Je n’ai jamais parlé d’euthanasie. Mais il y a des cas de conscience qui se posent, quand il n’y a plus d’espérance, de la douleur et de la déchéance. On n’offre pas à ces familles de cadre. Il faut leur offrir les moyens d’un colloque intime et singulier.» A défaut de comprendre les paroles, on sort nos petits mouchoirs. </p> <h3>Socle de fraternité</h3> <p>C’est bien connu, contrairement à la Suisse et à la Belgique, la France a de grands hommes politiques, de grands crus, de grands fromages, de grands artistes, qui ont de grandes idées. Michel Houellebecq en tête. Prophète en son pays, quand l’écrivain goncourisé annonce dans la presse qu’une société qui légalise l’euthanasie perd à ses yeux «tout droit au respect», voire ne mérite pas mieux qu’une destruction pure et simple, un nombre de ses fidèles doit probablement sauter dans le vide par anticipation. L’apocalypse est pour demain, alors tant qu’à faire. Enfin, les cercles avisés évoquent de préférence «une rupture anthropologique». En France, le spectre revient à chaque changement sociétal important. Le PACS? Une rupture anthropologique! Le mariage homosexuel? Une rupture anthropologique! La PMA ouverte aux femmes célibataires? Une rupture anthropologique! On peut certes rester dubitatif et même très critique par rapport à ces réformes, mais soyons clairs, la société française n’a pas davantage péri de la légalisation sur l’avortement que de la déjudiciarisation du divorce. Mieux! Dans son ensemble, la civilisation occidentale a su se relever de vraies ruptures anthropologiques, qu’il s’agisse des fours crématoires à Auschwitz ou des goulags soviétiques, là où la vie humaine ne valait pas plus que celle d’un insecte nuisible. En quoi délivrer un malade incurable qui n’a pas la force physique ou morale nécessaire pour aller au bout de sa peine, serait-il assimilable à la négation de l’humanité?</p> <p>Craindre une rupture anthropologique entrainée par la virtualisation de nos relations interpersonnelles, fatalement accélérée pendant la pandémie, ou, pis encore, par la contestation des différences biologiques entre les femmes et les hommes, se justifierait pleinement. Comment ne pas s’en inquiéter? Pourtant, plus hystérique qu’une groupie sud-coréenne, Houellebecq persiste et signe une connerie prodigieuse: «Personne n’a envie de mourir. On préfère en général une vie amoindrie à pas de vie du tout; parce qu’il reste de petites joies.» Quel dommage que les plus de dix mille (sic!) personnes qui se suicident chaque année en France, la propulsant au podium des pays de l’UE où le taux de mortalité par suicide est le plus élevé, juste derrière les pays baltes et la Hongrie, ne puissent plus rien nous dire de leurs petites joies quotidiennes. Pas un mot! De même que les vieux oubliés dans leurs EPHAD, morts en masse pendant la canicule de 2003 ou maltraités à l'envi, n’ont pas la possibilité de donner leur avis sur la fraternité, la belle devise de la République, dont on ne manque pas une occasion de dévoyer le sens. Chantre du sordide, Houellebecq sait détourner son regard quand cela l’arrange. Et il n’est pas seul à le faire. </p> <p>A chaque fois lorsqu’on lance un débat sur l’aide active à mourir, s’ouvre en France un grand concours de beauté de faux-culs éhontés. Sur le podium de l’édition 2022 figure parmi d’autres Damien Le Guay, philosophe et conférencier, à qui <em>Le</em> <em>Figaro</em> a ouvert ses colonnes pour qu’il nous assène ses vérités, à commencer par un constat des plus curieux sur «la vraie incompatibilité entre l’euthanasie et les soins palliatifs». De quoi résulterait-elle? Comment justifier un tel constat? Pas d’explication. Il nous reste donc à croire Le Guay incapable d’imaginer que quelqu’un puisse choisir les soins palliatifs dans un premier temps et, finalement – usure, douleur ou peur aidant – décider d’y raccourcir son séjour en basculant vers le suicide assisté ou l’euthanasie. Mais le meilleur vient en conclusion de la longue tartine de notre philosophe-conférencier: «L’euthanasie est une idée séduisante aux effets calamiteux. Cette supposée "liberté", promue comme telle par les partisans de l’euthanasie, viendra affaiblir encore plus l’extrême faiblesse des personnes en fin de vie. Une "solution" facile leur sera proposée. Cette facilité-là est-elle conforme à notre socle de fraternité? Non».</p> <p>Et réduire les grands seniors en une authentique caste d’intouchables est-il compatible avec notre socle de fraternité? Les infantiliser, les priver du moindre droit de décider de leur vie et de leur thérapeutique, les enfermer dans des mouroirs médicalisés pour leur plus grand bien, les couper du monde, y compris de leurs proches, comme ce fut le cas pendant les deux années de la pandémie, c’est agir en frères humains envers eux? Les laisser crever seuls, sans même donner la possibilité aux familles de les accompagner dans le dernier voyage, c’est humain et fraternel? Les contraindre à une existence circonscrite à une sonde gastrique et un changement de couches, malgré la volonté explicite de certains d’entre eux d’en finir, reviendrait donc à nous hisser collectivement sur le socle de la fraternité? Leur présent est notre avenir. Les Français ne sont pas dupes. Voilà ce qui explique le soutien massif à la légalisation de l’euthanasie en France, et qui ne faiblit pas au fil des années. </p> <h3>Couilles en or</h3> <p>Je n’aime pas la Suisse. Je ne voudrais pas y vivre et encore moins y mourir. A la slave que je suis, les Suisses donnent l’impression d’être perpétuellement sous une légère surdose de calmants, ce qui finit toujours par me déranger les nerfs. Mais la mollasserie apparente des Suisses dissimule leur grand pragmatisme et leur détermination plus grande encore dans chaque affaire qu’ils entreprennent. Généralement, ils se refusent aussi à tout fatalisme, ce qui mérite des applaudissements.</p> <p>De ce fait, je me suis passionnée pour l’histoire d’Alda Gross qui, à 82 ans, a saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), après avoir été déboutée par la justice suisse dans sa demande de recevoir un produit létal. Son parcours du combattant – c’est le cas de le dire – m’a été rapporté par le sulfureux président de Dignitas, Ludwig A. Minelli, en même temps qu’un mode d’emploi détaillé pour un suicide rapide. Je lui suis redevable à jamais. Nous nous sommes longuement entretenus dans les locaux de son association à Zurich, alors que je travaillais sur un livre-enquête consacré à la pratique de l’aide active à mourir en Europe. Successivement, madame Gross avait essayé d’obtenir un permis pour l’achat d’une arme à feu, ensuite d’un poison efficace, enfin d’une dose de pentobarbital de sodium – sans succès. Rien d’étonnant à cela, étant donné que la vieille dame ne souffrait d’aucune pathologie. Le ras-le-bol général de la vie, son seul argument, ne pouvait d’évidence satisfaire aucune autorité compétente. Interloquée, j’ai cherché auprès du président de Dignitas la réponse à une question fondamentale: pourquoi Alda Gross ne s’est-elle pas, tout bonnement, jetée du haut d’une falaise, ce n’est pas ce qui manque en Suisse. Bien qu’une réponse claire ne m’ait pas été fournie, sept ans après notre discussion et la parution de mon livre, je salue la démarche de la Suissesse octogénaire, moins une obsédée procédurale qu’une obstinée à faire valoir son point de vue. Au nom de quoi, en effet, la société s’arroge-t-elle le droit de forcer à vivre des personnes qui n’en ont plus la volonté, sans leur apporter en même temps le moindre bout de solution susceptible d’améliorer leur situation ou de changer leur état d’esprit?</p> <p>Dans le judaïsme, dès lors que vous sauvez la vie de quelqu’un, vous en devenez responsable. Dans notre religion de la fausse fraternité, on préfère inventer «des petites joies» et supprimer du marché tout médicament qui permettrait un passage à trépas indolore et sûr. En ce qui concerne le cas d’Alda Gross, la CEDH a néanmoins estimé que la qualité de vie importe autant, voire davantage, que la vie elle-même, créant ainsi une jurisprudence des plus utiles. </p> <p><i>La carte et le territoire,</i> un ouvrage de fiction nullement documenté, vu que son auteur s’est contenté du sensationnel, circule toujours comme un titre de référence pour les opposants à la légalisation de l’aide active à mourir. Sauf que contrairement aux allégations de Houellebecq, ce n’est pas Dignitas qui a réussi à «se faire des couilles en or», mais lui-même, en déversant des approximations ou des contre-vérités, bien noyées dans un dégueulis sur le déclin civilisationnel qui plaît tant aux âmes sensibles de l’extrême droite.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'euthanasie-prenez-votre-mal-en-patience-ou-un-aller-simple-pour-zurich', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 750, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 5933, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 3884, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'L'UE: la beauté dans la lâcheté, la joie dans le reniement', 'subtitle' => 'La Pologne a rejoint l'UE en 2004, dans la joie et le champagne. 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Deux siècles plus tard, nous sommes en Europe!» Voilà en grandes lignes le résumé de ma soirée du 1er mai 2004, date de l’entrée en vigueur du traité d’adhésion de dix pays de l’Europe centrale à l’Union européenne. On n’avait pas oublié ma Pologne natale dans le lot. J’allais enfin avoir le droit de faire la queue devant le panneau <i>EU CITIZENS ONLY </i>dans les aéroports. Ah, la fierté! Ce soir-là, mes amis français m’observaient avec indulgence, sinon avec condescendance. Souverainistes pour la plupart, ils avaient voté contre Maastricht et ne s’en cachaient pas. J’ai pris soin de leur épargner une dissertation savante sur le complexe concept d<i>’européanisation, </i>auquel j’ai consacré six années de ma vie et mille deux cents pages d’une thèse de doctorat, à présent ensevelie sous une épaisse couche de poussière au dixième sous-sol de Panthéon-Assas. En quittant l’anecdotique, j’ajoute que la foi européaniste m’habitait – enfin, l’ensemble de ma génération – depuis l’adolescence, comme la seule alternative envisageable et fiable, d’une part à la tentation xénophobe, et de l’autre à la loi du plus fort, lesquelles ravageaient de concert les débris de l’Empire soviétique. Certes, nous souhaitions connaître la prospérité, voyager et étudier où bon nous plairait, mais surtout, nous voulions les garanties d’un état de droit en Pologne. </p> <p>Curieusement, il nous a paru acceptable de payer un prix exorbitant en échange de ce privilège: celui d’une régression sociétale et d’une injustice criante à l’égard des femmes. Peu le savent, mais le «oui» écrasant (77,5%), qui l’a emporté lors du référendum d’adhésion à l’UE en Pologne, devait beaucoup à un accord contre-nature entre l’Eglise polonaise et la gauche, alors au pouvoir. Influente et incontournable, l’Eglise s’était engagée à prêcher la vertu du ralliement à l’UE, en contrepartie de quoi la gauche renonçait à tout bricolage autour de la loi interdisant l’avortement, autrement dit à sa libéralisation. Si la majorité des Polonais, moi y compris, avait oublié cette infâme affaire, tant les bénéfices de l’appartenance à l’UE sont nombreux, la dernière trahison de la gauche européenne, dégueulasse au-delà de l’entendement, me l’a bien rappelée. Depuis lors, je m’interroge: le jeu en valait-il vraiment la chandelle? Faut-il encore soutenir l’UE au vu de ses dérapages répétitifs concernant les valeurs fondamentales que cette institution prétend en même temps incarner et défendre? </p> <h3>Tu es belle, mon enfant, dans ton voile islamique</h3> <p>Il y a d’abord eu, à l’automne 2021, cette épatante campagne du Conseil de l’Europe, qui au prétexte de lutter contre le discours de haine antimusulman, vantait tout bonnement «la liberté dans le hijab» ou, en anglais dans le texte, «Joy in hijab». On s’étonne que le Conseil n’ait pas financé en prime des séjours en Afghanistan ou en Arabie saoudite à chaque Européenne qui souhaiterait s’éclater et profiter sans limites des loisirs et avantages réservés aux femmes dans les pays musulmans. Le fait que le Conseil de l’Europe soit une institution distincte de l’UE, contrairement au Conseil européen qui regroupe quant à lui les chefs d’Etat et de gouvernements des pays membres, ne constitue pas hélas une circonstance atténuante, étant donné que la Commission européenne a cofinancé la louable initiative via son programme «Droits, Egalité et Citoyenneté», doté de 439 millions d’euros pour la période 2014-2020.</p> <p>Personnellement, savoir cette somme plutôt allouée à la construction de la défense européenne me soulagerait grandement. Mais que valent les rêves d’une Européenne non-racisée, de surcroît originaire de l’Est, honteusement récalcitrant au progressisme en vogue? Certes, devant le tollé généralisé – au demeurant particulièrement vif en France, cramponnée à sa vision de la laïcité –, les images de femmes voilées tout sourire ont vite disparu. Pour autant l’attitude des institutions européennes, s’il n’y a pas lieu de parler d’une politique, n’a pas changé. Voilà qu’en septembre dernier, la Commission européenne a choisi d’illustrer son programme éducatif Erasmus avec une fillette voilée, à peine en âge d’aller au collège. C’est dire qu’Eric Zemmour a connu son orgasme de l’année! Oserait-on encore contredire Benjamin Sire, journaliste à l’hebdomadaire <em>Franc-Tireur</em>: «Un peu comme si l’Union européenne votait Reconquête…»? Et oui. Vous cherchez à expliquer l’ascension de Giorgia Meloni à Rome? Regardez donc ce qui se passe à Bruxelles. </p> <p>De surcroît, et c’est là où les choses se corsent, l’extrême droite europhobe s’érige au niveau européen en cette force politique qui tente de sauver notre maison commune de la noyade dans ses propres miasmes islamo-laxistes. Fou mais vrai. En France, on ne compte plus les ministres, femmes et hommes politiques, qui ont protesté avec fermeté contre les charmes du voile qu’agitait la Commission européenne. C’est tout à leur honneur. Reste que sur l’arène européenne, la France fait figure d’exception, comme l’a expliqué au <em>Figaro</em> Clément Beaune, l’ex-ministre délégué chargé de l’Europe: «La laïcité française est une vigie, qui nous permet d’être précurseurs: aujourd’hui peu de pays en Europe sont aussi vigilants que nous face à l’entrisme de l’islamisme radical dans nos sociétés.» Pis, de manière récurrente, la France se fait taxer d’islamophobie par la nébuleuse islamiste parée de ses plus beaux atours diversitaires. Comment en effet s’opposer au financement, avec l’argent des contribuables européens, d’une organisation telle que le FEMYSO, relais d’influence pour les Frères musulmans en Europe, ou de sa sœur l’EMU (European Muslim Union), dont l’effronté co-fondateur, l’avocat allemand Andreas Rieger, a regretté dans une vidéo enregistrée en 1993 que les nazis n’aient pas achevé l’extermination de tous les juifs? Si vous vous dites Européen, il vous faut accepter sans broncher que l’UE ait versé à l’EMU quelques 90'000 euros, rien qu’en 2019. Au premier signe de révolte, on vous imputera de nourrir la haine antimusulmane.</p> <p>Il y en a pourtant qui s’indignent, qui protestent, qui agissent, et qui n’ont rien à voir avec l’extrême droite. Normalien, agrégé de philosophie, autant dire un type qui sait tourner les verbes, François-Xavier Ballamy représente les Républicains au sein du groupe du Parti populaire européen (PPE) et ne semble pas prêt à se dégonfler face aux tentatives d’intimidation des bien-pensants. En 2021, Bellamy rapportait dans la presse française une scène qui nous ferait bien rire, si elle ne trahissait pas une fragilité extrême, peut-être même fatale, des institutions européennes: à l’occasion d’un événement réunissant des jeunes à Strasbourg, une fille voilée a pris la parole dans l’hémicycle du Parlement pour dénoncer…l’islamophobie structurelle dans l’UE, soutenue en cela, et applaudie, par de nombreux parlementaires de la gauche à LREM. On dirait que le passe-temps favori de certains députés européens consiste à scier la branche sur laquelle sont assis 446 millions d’habitants. Mais notre député n’a rien d’un suicidaire, au contraire. En dénonçant à juste titre le «déni de réalité» des institutions européennes, Bellamy a demandé le 6 octobre dernier qu’il soit voté un amendement pour empêcher de financer avec le budget européen la moindre campagne promotionnelle du voile islamique. Aurait-on pu choisir meilleur moment pour réclamer à ce qu’en Europe, au moins, cesse l’infâme invisibilisation des femmes, la détestation de leur corps, leur oppression au nom d’une religion? Sûrement pas. Au moment où des milliers d’Iraniennes héroïques brûlent leurs tchadors au risque de leur vie, l’Europe devrait réaffirmer à la fois ses valeurs et la cause des femmes. Sauf que l’Europe n’a rien fait. Enfin si: l’Europe a trahi ses principes par l’aveuglement idéologique des élus de la gauche, des Insoumis, des écolos, et même de quelques députés LREM, qui se sont levés pour que l’amendement soit rejeté. Et la politologue Djemila Benhabib, militante laïque condamnée à mort par le Front islamique du djihad armé de conclure: «Pour celles et ceux qui se sont entichés du voile pour le faire passer comme un accessoire, la liberté est dans le hijab. Ceux-là n’ont jamais risqué un cheveu de leur tête. 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Quand pourra-t-on enfin dire «le roi est nu», sans passer dans la catégorie d’affreux réactionnaires et sécessionistes? En Pologne du moins, l’euroscepticisme relève toujours du blasphème. Et pour cause.</p> <p>Peu de routes ou d’écoles ont été construites en Pologne autrement qu’avec l’aide des fonds européens. Soutenir que la Pologne n’a pas profité de son appartenance à l’UE serait absurde. Quiconque a eu l’occasion d’y mettre les pieds dans les années 90 et aujourd’hui constate un bond civilisationnel qui tient du prodige. Mais serions-nous cependant devenus plus européens que nous ne l’étions en 1989? On en douterait, à regarder les vitrines de certains commerces ornées d’autocollants qui clament fièrement «LGBT Free Zone». Que faire, alors? Introduire les «<i>gender studies</i>» dans chaque université polonaise où, par ailleurs, les étudiantes de confession musulmane auraient le droit de se pavaner enfouies sous des burqas? En toute sincérité, je me félicite qu’on ignore (encore?) de telles avancées au bord de la Vistule. De même que je déplore la totale inefficacité de l’UE face aux outrances du gouvernement populiste de Kaczynski, qui n’a certainement pas servi son peuple en se subordonnant la justice ou en essayant de museler la presse.</p> <p>Et que penser du «noyau» européen, de ces anciens pays membres de l’UE tiraillés entre l’islamo-wokisme de l’extrême gauche et les obsessions «grand-remplacistes» de l’extrême droite? Les hurlements rageurs des minorités diverses et variées n’y laissent plus entendre la voix de la majorité. En outre, quand elle réussit à percer, elle aussi nous fige de stupeur. Tendez l’oreille. Ce petit refrain à la con qui agrémente le journal de 20 heures sur France 2, les élections nationales aussi bien que les sommets européens, à vous donner envie de foutre le camp sous les tropiques: «Tout va bien, tout va très bien madame la marquise…» Justement, plus rien ne va. Dotée de mécanismes qui préservent les préférences nationales en matière de mœurs, de culture et de valeurs – en Pologne, le respect des valeurs chrétiennes figure dans la Constitution – l’Union européenne peine à définir clairement l’européanité. Que veut dire «européen»? </p> <p>Le processus d’<i>européanisation,</i> qui m’a valu de passer beaucoup de nuits blanches devant l’ordinateur, désigne la construction, la diffusion et l’institutionnalisation de règles formelles et informelles, de procédures, de paradigmes politiques, mais aussi de styles, de «façon de faire», de croyances et de normes, d’abord formulés et consolidés au cours des politiques de l’Union européenne, et ensuite incorporés dans la logique des discours et structures politiques des pays-membres. 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Elle n’a pas d’autre dieu qu’elle-même. Elle tua son père avec beaucoup de dextérité, en l’épluchant comme une patate, à l’exemple de l’héroïne d’un polar commis par Sandrine Rousseau, sorcière en chef des boutefeus écolos français. Avec fureur et détermination, chaque femme digne de ce nom se voue désormais à traquer la fumée des barbecues virils et à buter jusqu’à dans les chiottes le reliquat du patriarcat blanc hétéronormé, responsable, comme tout enfant le sait, de la crise climatique, suivant l’érudite théorie de «l’androcène».', 'subtitle_edition' => 'La femme est une et indivisible. Elle n’a pas d’autre dieu qu’elle-même. Elle tua son père avec beaucoup de dextérité, en l’épluchant comme une patate, à l’exemple de l’héroïne d’un polar commis par Sandrine Rousseau, sorcière en chef des boutefeus écolos français. Avec fureur et détermination, chaque femme digne de ce nom se voue désormais à traquer la fumée des barbecues virils.', 'content' => '<p>Mais pas que. La femme, la vraie, celle qui souffre de l’oppression masculine, se doit <i>in fine</i> de flinguer aussi sa mère. Et voici la grande réforme du catéchisme néo-féministe. D’une mère non-racisée, bourgeoise, et de surcroît favorable au maintien en vie des spécimens mâles de l’humanité, autrement dit d’une collabo, la jeune génération ne veut pas. Qu’on la lapide! <em>A minima</em>, qu’on la fasse taire! Aussi utile qu’elle soit à ses buts politico-partisans, la grande fiction de l’unanimité féminine a volé en éclats avec le tollé provoqué par les propos qu’Elisabeth Badinter a tenus sur l’antenne de France Inter.</p> <h3>Au nom de celleux qui souffrent, ferme-la!</h3> <p>Nul n’ignore que du féminisme, nous avons vu déferler des vagues, apparaître et disparaître des courants, monter des marées. Cantonnés plus ou moins dans les pages des revues militantes, les combats internes ne passionnaient que les initiées. Il aurait pourtant peut-être fallu y fourrer le nez pour mieux contrer la propagande néo-féministe actuelle qui s’ingénie à faire croire aux femmes des quatre coins du monde qu’elles pensent et veulent exactement la même chose, qu’importe leur éducation, leur statut économique ou histoire personnelle. Parti de la mutinerie d’une poignée de stars hollywoodiennes malmenées par ce vieux satyre de Harvey Weinstein, le mouvement #MeToo dont on fête le cinquième anniversaire, s’est en effet à ce point enivré de son fulgurant succès médiatique qu’il a d’emblée visé une sororité universelle. Il faut reconnaître que ses déclinaisons régionales avec, notamment, #BalanceTonPorc en France, ont créé l’illusion d’une expérience commune à toutes les femmes: harcèlement sexuel, viol, violence. Pis, il s’agirait de faits si répandus, banalisés, voire institutionnalisés, qu’il y a lieu de dénoncer la «culture du viol». Pas au Pakistan ou au fin fond du Continent noir, ah non! Plutôt rue du Faubourg Saint-Honoré ou dans le sud de Manhattan. </p> <p>C’est dans ce contexte, que <i>Le Monde</i> a publié en 2018 la fameuse tribune défendant, tenez-vous bien, une «<i>liberté d’importuner indispensable à la liberté sexuelle»,</i> cosignée, entre autres, par Catherine Deneuve, Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet. Un premier coup de pioche dans le mur de «nous toutes». Sans réussir à le faire ébranler, l’historienne Bibia Pavard, auteure du remarqué <i>Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nous jours </i>(La Découverte, 2020) a mis noir sur blanc une évidence habilement escamotée: «<i>Il n’y a jamais eu dans l’histoire un féminisme unifié, mais des positionnements féministes antagonistes». </i></p> <p>Petit à petit, les divergences des points de vue et des convictions profondes apparaissent au grand jour. Entre sœurs bienveillantes, on a quand même cloué au pilori J.K.Rowling, celle-là même qui a signé les aventures de Harry Potter, pour avoir affirmé publiquement qu’il existe une différence biologique des sexes. Si la synergie des combats féministes et LGBT n’a rien de nouveau, datant encore des années 70, à présent elle explose en plein vol sur les questions transgenre. Pour faire court, les expressions telles que «<i>personne qui ont des règles» </i>ou «<i>personnes enceintes</i>» font grimper au rideau, et à juste titre, les féministes <i>boomer. </i>Il en est ainsi car aussi hallucinantes qu’elles soient, les fantaisies trans posent des problèmes concrets: faut-il laisser entrer dans les vestiaires ou les prisons réservées aux femmes, les transgenres qui se sentent femmes mais gardent leurs organes génitaux de naissance? Bienvenue dans le meilleur des mondes! Ajoutez à ce stock de nitrate d’ammonium féministe la question du port du voile islamique et vous entendrez une assourdissante détonation. Tandis que les féministes universalistes condamnent le voile, symbole, selon elles, de l’oppression masculine et religieuse, les néo-féministes postcoloniales le chérissent au nom d’une liberté individuelle et d’une légitime émancipation de l’impérialisme blanc. Les Iraniennes qui, au risque de leur vie, brûlent leurs tchadors dans la rue, doivent sans doute apprécier.</p> <p><em>Last but not least</em>, le sexe autrefois appelé faible, se déchire sur les méthodes de lutte émancipatrice. Et c’est là que nous revenons aux propos d’Elisabeth Badinter. En somme, au micro de Léa Salamé, la philosophe, spécialiste du siècle des Lumières, s’est opposé vigoureusement à l’idée de modifier les délais de prescription pour les violences sexistes: «Si on en finissait avec la prescription, cela voudrait dire qu’on assimile les violences sexistes à des crimes contre l’humanité. Ce n’est pas possible. Il faut être un peu logique. Les violences faites aux femmes sont punies. Mais enfin, ce sont des crimes contre l’humanité? Il ne faut pas exagérer, c’est même indécent à mon avis…»</p> <p>Rappelons qu’en 2017, la prescription est passée en France de dix à vingt ans. Pas assez, à en croire les victimes présumées de Patrick Poivre d’Arvor, directement concernées par le sujet et premières à jeter la pierre à Badinter qui se présente d’ailleurs comme «fille spirituelle de Simone de Beauvoir». Après avoir signé une tribune collective dans <em>Le Monde</em>, en juillet 2021, pour dénoncer la lenteur de la justice dans ce type d’affaires, cette fois-ci elles ont attaqué en ordre dispersé. Ainsi Cécile Delarue, une des accusatrices de PPDA, a envoyé sur le champ un bon scud: «Naufrage d’Elisabeth Badinter ce matin. Qualifier d’indécent le mouvement des femmes qui parlent aujourd’hui des viols qu’elles ont subis hors délai de prescription. INDECENT! Oser la comparaison avec les crimes contre l’humanité! C’est honteux. Et pour le coup, INDECENT!». De son côté, Jeanne Bazelaire, comédienne, a souhaité s’exprimer dans les pages de Libération au nom de «tous.tes celleux qui n’ont pas été entendu.e.s», ce qui hélas fait plutôt penser aux personnages de fiction de Philip K.Dick qu’aux victimes réelles de violences sexuelles, confrontées «au temps infernal et long de la justice, à l’inhumanité abjecte qui règne dans cette institution et ses bureaux.» Institution pourtant, rappelons-le, féminisée à quelque 65%... N’empêche, le ton est donné, le climat difficilement respirable. Face aux «celleux» méprisés par les tribunaux de la République, comment ne pas comprendre, et d’évidence excuser, le recours à la justice expéditive des réseaux sociaux? Au grand dam de l’utopie néo-féministe, Elisabeth Badinter a eu le courage rare de fustiger les dérives des justicières et des vengeresses des plus acharnées. </p> <h3>Je pleure donc je suis</h3> <p>Au moment du lancement de #BalanceTonPorc, son instigatrice, Sandra Muller, a imposé les nouvelles règles du jeu, en abolissant les précédentes, à commencer par le principe de la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable, au fondement de toute société démocratique et civilisée: «Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d’un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends.»</p> <p>Le temps est venu pour la peur de changer de camp, nous disent ces innocentes. Si la colère des milliers des femmes qui ont subi les agissements déplacés de leurs patrons ou collègues se défend de toute critique, la dénonciation publique, et jusqu’à preuve du contraire arbitraire, d’un supposé oppresseur, a de quoi effrayer. Pourquoi diable s’arrêter en si bon chemin, en se refusant de procéder à des castrations sommaires des désignés coupables? La ligne de démarcation entre le féminisme et le néo-féminisme se situe donc sur la crète de la radicalité. Et décidemment, la vertu de l’extrémisme féministe séduit jusqu’au sommet du pouvoir, compte tenu de la déclaration du Président Macron, le lendemain de la parution du livre de Camille Kouchner: «On est là. On vous écoute. On vous croit. Et vous ne serez plus jamais seules.» Reprenant mot pour mot le slogan des Colleuses néo-féministes, celui qui, par sa fonction, est le garant d’un Etat de droit, a choisi de se placer dans le sens du vent de l’Histoire. Certes, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs.</p> <p>Gare aux autres dépassés qui n’auraient pas encore saisi ce qui se trame. La Relève féministe est en marche, comme nous en avertit le collectif éponyme dans les colonnes de <em>Libération</em>: «Aux masculinistes et à leurs allié.e.s, aux complices de ceux qui se taisent, nous disons que l’heure de l’impunité et de la toute-puissance est révolue. Puisque vous êtes incapables de faire mieux, il est temps de passer la main. Alors, sur tous les fronts, la relève sera féministe!»</p> <p>Il faut en déduire que Jean-Luc Mélenchon a d’ores et déjà préparé sa petite valise et un guide du Routard pour sa retraite anticipée de la vie politique: le soutien qu’il a porté à Adrien Quatennens ne lui sera pas pardonné. Inutile d’argumenter que si toutes les violences sont condamnables, elle ne se valent pas toutes, et qu’une gifle que le jeune député de la France Insoumise a reconnu avoir envoyée à sa femme n’a rien à voir avec une agression sexuelle et encore moins avec un viol. Selon les évangiles féministes il n’y a pas de fautes plus ou moins graves. Au contraire, il existe un continuum entre toutes les violences. C’est cet ultracisme ivre de ses propres promesses qu’Elisabeth Badinter a osé contester.</p> <p>L’extrémisme post-MeToo porte en France le nom de Sandrine Rousseau, ancienne apparatchik d’EELV, devenue personnification ultramédiatisée de l’écoféminisme. Clivante jusque dans les rangs de son propre parti, elle ne risque pas de disparaître des radars, passée championne en communication de l’outrance et de la provocation. Elisabeth Badinter n’est certainement pas allée trop loin sur l’antenne de France Inter, imputant à la députée verte de vouloir «faire tout flamber»: «Où sommes-nous pour mépriser à ce point la justice? Madame Rousseau est dans la toute-puissance et se permet de contrer la justice.»</p> <p>Le pire, c’est que Madame Rousseau n’y est pas seule. D’un côté épaulée par le génie lesbien d’Alice Coffin, de l’autre par une <em>fanbase</em> jeune et non négligeable en nombre, la députée de Paris semble prête à tout, y compris au prix de la dissolution de la Nupes. Quand elle n’a plus de cartouches à tirer, il lui reste toujours un réservoir de larmes à déverser en direct sur un plateau télé, ce qui dans son cas relève d’une véritable vision politique: «A trop retenir nos larmes, nos peurs et nos colères, nous nous empoisonnons.»</p> <p>Nous voilà mis au parfum. Une fois la grande œuvre de la déconstruction des mâles achevée, Sandrine Rousseau noiera le reste des opposants, homme ou femme, dans ses propres larmes. 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S’il est difficile de dater avec précision le début de la Fridamania, à n’en pas douter son <em>biopic</em> made in Hollywood, avec la bombastique épouse de François-Henri Pinault dans le rôle principal, a grandement accéléré le mouvement. Depuis sa sortie en 2002, il est plus difficile d’échapper à Frida qu’à la pollution atmosphérique.</p> <p>Décédée en 1954, Frida n’a plus rien de nouveau à nous montrer de son art, qui a fait l’objet de moult expositions d’envergure, à commencer par sa rétrospective à la prestigieuse Modern Tate à Londres, en 2005. Mais décidemment, quand on n’en peut plus, on peut encore. Il suffit de se gratter un peu la cervelle et de trouver un bon angle d’attaque.</p> <p>A Paris, on sait faire. Le sublime Palais Galliera qui abrite le musée de la Mode, nous convie ainsi à découvrir Frida «Au-delà des apparences». En d’autres termes, on y scrute à la loupe, au sens propre comme au figuré, l’intimité de l’artiste sulfureuse: ses flacons de parfum et de potions médicinales, ses rouges à lèvres Revlon et ses parures en or, ses châles tissés à la main et ses chaussures orthopédiques faites sur mesure chez un bottier de la rue du faubourg Saint-Martin, enfin ses lettres et ses photos de famille. Frida la fashionista, pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt?</p> <p>En pionnière de la tendance <em>gender fluid</em>, elle nous jette des clins d’œil foudroyants de dessous ses sourcils à la Brejnev, hissée à une hauteur digne de notre époque. Faut-il vous décrire ses portraits en costume d’homme? Alors! L’heure du rattrapage vient de sonner. Ce qui est fantastique avec Frida, c’est que chaque femme, ou presque, risque de trouver en elle son reflet. Vous ne correspondez pas à un canon de beauté? Elle non plus. Seriez-vous moustachue, peut-être? Pas de raison d’en désespérer, la <em>it girl</em> mexicaine en a fait sa force, en revendiquant fièrement son androgynie: «Du sexe opposé, j’ai la moustache et le visage en général.» Que donc vous soyez handicapée, métisse, communiste ou bourgeoise, cocue ou libertine, émancipée ou épouse dévouée, forcément vous allez reconnaître une part de Frida en vous.</p> <p>Gare toutefois à celles qui s’apprêteraient à copier son look à l’identique. Frida a eu une opinion tranchée sur ce qu’on dénonce à présent sous l’appellation de «l’appropriation culturelle» et la langue bien pendue pour l’exprimer. Enveloppée dans un sari indien en guise de robe du soir, Peggy Guggenheim a payé les frais de la méchanceté tueuse de notre grande défenseuse de l’authenticité vestimentaire: «une Gringa juive, qui fait chier comme les autres, déguisée en Indienne de cirque, pleine aux as et de la merde dans la tête.» Vous êtes prévenues, mesdames. 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