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Culture / Vincent Corpet, joueur de bonneteau et diseur de bonne aventure

Yves Tenret

5 octobre 2020

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A l’occasion d’une exposition rétrospective des dessins de Vincent Corpet, Agnès Callu, historienne de l’art, consacre au travail de l’artiste un élégant catalogue de 80 pages comprenant de nombreuses reproductions. Elle y livre l’analyse d’un geste esthétique hanté par un trajet biographique, lui-même sous le joug d’obsessions formelles qui, partout, écrit-elle, traversent l’œuvre du peintre: la chair, l’amour, le combat.



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La peinture comme sport

Au moment où Vincent Corpet commence à peindre, au début des années quatre-vingt, on ne prête aucun avenir à ce medium et lui va passer les 40 années suivantes à essayer sans relâche d’infirmer cette opinion, de démontrer la vitalité de l’image peinte. Pour ce faire, il va déployer une richesse d’inventions, un sens du spectaculaire et une énergie constante.  Se considérant comme étant l’égal  d’un sportif de haut niveau, d’Usain Bolt, l’athlète le plus titré de l’histoire des Jeux Olympiques, il pratique son art tous les jours de 7h à 19h, alignant douze heures de présence journalière à l’atelier pour 20 minutes de concentration, de production, de dessin, de peinture.

L’homme

Vincent Corpet abolit la distance entre le spectateur et l’œuvre, joue avec les critiques, désamorce leurs attentes et massacre les codes de composition comme ceux de bonne conduite. Il met à mal la représentation. Ces toiles s’avouent comme simulacre, exhibent le travail. Ejaculateur de formes, gicleur d’idées, bélier, étrange mélange de chasseur-cueilleur et de cultivateur,  l’homme a des affirmations très tranchées mais, jamais pesant, il reste à 60 ans toujours léger, vif et jubilant, un elfe au pas dansant, un ballet d’étincelles.

Ajoutons que c’est un solitaire, un provocateur né, un virtuose de la déconstruction, nostalgique de rien et de tout, du passé de la peinture, de l’innocence de la petite enfance, de l’art pariétal, d’un porno porno, qu’il n’a qu’un maître et que c’est Picasso, et que la vraie impudeur chez lui est la recherche de l’innocence. Il joue à l’esprit fort mais tout en étant un punk doublé d’un anarchiste, il est aussi et de façon contradictoire un être doué d’un naturel désarmant, un père de famille qui a eu quatre enfants, un ascète qui ne mange pas à midi.

Il a été représenté dix ans par la fameuse galerie Templon, a fait une exposition scandale à Beaubourg avec des sujets religieux dont certaines personnes n’ont pas perçu qu’il s’agissait d’un exercice de style dénué de toute religiosité.

Refusant tout lyrisme, pour ses peintures, il définit des protocoles, des déclinaisons, une sorte de pratique cruciverbistiforme compulsive maniaco-dépressive extrêmement productive et jouissive. Il revendique le non sens, le non style et, agile, peint au sol en tournant autour de ses toiles qui peuvent ensuite, lorsqu’elles sont redressées, se lire dans tous les sens. Sa production ne connaît pas d’à-coup, de période de doute, elle est toujours fluide et destinée à être mis dans le flux de la vie et à être emporté par lui.

Le travail

Idée de mathématiques, d'une équation imaginaire comme tracée par un enfant qui voudrait imiter une équation savante! Revient souvent le 8, l'idée de fini et d'infini, de l’infini au sens pratique, du pas terminé autant qu'au sens métaphysique. Inlassablement, il essaie de défaire ce que les autres projettent sur lui, sur son travail. Sa main lui dicte la ligne et il n’y a pas de propos. «Je suis un artiste qui n’a rien à dire, répète-t-il, rien à exprimer». Il  dit «travail» et non pas «œuvre» et considère que son travail est un travail sur l’analogie, telle chose le faisant penser à telle autre. En partant de formes abstraites, de giclements de peinture, il les amène à la représentation. Il aime être comme un acteur et changer de rôle, de peindre des tableaux représentants des sentiments qu’il n’éprouve pas. Cela lui permet de couvrir un champ qui l’étonne lui-même et qui le désennuie.

La plupart de ses expositions, il les monte tout seul et elles sont toujours pédagogiques. Il explique ce qu’il est en train de faire en le faisant.

Trois temps forts

1 - Les 120 journées, 5 dessins par journée X 120 = 600. Volonté de donner à voir les «rosaces de la cathédrale sadienne», ce que le livre, Les 120 journée de Sodome, contient sans omission ni ajout. Vincent Corpet a voulu faire entendre «le silence de Sade, l’accumulation minutieuse de supplices en tant que torrent infini, cette caverne vide et avec une exceptionnelle énergie, a écrit Philippe Sollers, il est arrivé à nous en montrer la musique et, avec beaucoup de vigueur et de rigueur, ce qui est raconté dans ce livre indépassable et indépassé.»

2 -  Une longue série de nus à l’échelle un/un dont celui de Catherine Millet qui pense et qui l’a écrit dans un très long article paru dans Le Monde que: «Sans le savoir, pendant les heures passées à assister au transfert de mon image sur un rectangle de toile, je me préparais à écrire un jour La Vie sexuelle de Catherine M.»

Le nu de Catherine Millet. © DR

3 - Des palimpsestes à rebours: la série des Fuck master, très bien référencée dans les vidéos d’Olivier Taïeb, toutes visibles sur You Tube, où il cisèle au cutter une toile entièrement couverte de noir et dont il ôte ensuite de la matière en frottant grattant essuyant pour y retrouver, et ceci devant l’œuvre, in situ, au Louvre par exemple, des Poussin, Manet ou Delacroix. Une revisitassions complète de l’histoire de la peinture des grottes de Lascaux aux charbonnages de Yann Pei-Ming!


Agnès Callu, Vincent Corpet. Une polygraphie de l'austère jouissance, Editions Gourcuff-Gradenigo, 80 pages

 

 

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