Culture / Une quête de liberté peu durable

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«The Bikeriders» de Jeff Nichols revient sur la sous-culture des motards telle qu'elle s'est répandue aux Etats-Unis dans les années 1960. Inspiré d'un fameux livre de photos, il s'en écarte dans sa seconde partie pour raconter les impasses d'un mouvement tiraillé entre quête de liberté et violence. Un film dans la meilleure veine américaine, qui finit pourtant par paraître un peu superficiel.
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Excellente idée, tant cette sous-culture à jamais représentée par les iconiques <i>The Wild One</i> avec Marlon Brando (Laslo Benedek, 1953) et <i>Easy Rider</i> de Dennis Hopper (1969) appelait un regard rétrospectif. Encore fallait-il trouver le moyen de dramatiser ce qui se présente comme un mélange de photographies et d'interviews réalisées par un <i>insider...</i></p> <h3>Une princesse chez les durs</h3> <p>C'est la première partie du film qui s'en inspire le plus directement, allant jusqu'à reproduire le plus fidèlement possible quelques clichés et utiliser certains passages du texte verbatim. Pour la narration, le cinéaste a choisi de mettre en avant le personnage féminin de Kathy (Jodie Comer), qui n'est pas motarde elle-même mais la compagne de Benny (Austin Butler), une tête brûlée prompte à s'attirer des ennuis. 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Dans un genre sur lequel la critique a peu de prise tant le sujet tend à primer, il faut pourtant bien reconnaître que la méthode, la sensibilité, l'art narratif et la profondeur intellectuelle du l'auteur(e) peuvent faire la différence. Et il n'en fallait pas moins pour s'attaquer à un sujet tel que Leni Riefenstahl, déjà documenté une bonne vingtaine de fois pour la télévision, notamment dans un mémorable <i>Leni Riefenstahl - Le Pouvoir des images</i> (Ray Müller, 1993). Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. Pour le grand écran, après ses déjà mémorables <i>Black Box BRD</i> (2001) et <i>Beuys</i> (2017), il a signé un sobrement intitulé <i>Riefenstahl,</i> présenté hors compétition à la dernière Mostra de Venise plutôt qu'à la Berlinale.</p> <p>A l'heure du retour en grâce du nazisme chez certains jusqu'en Allemagne, d'une possible apologie féministe chez d'autres, c'était sans doute plus sage pour ce film qui réexamine le cas de cette figure hautement controversée, artiste de grand talent mais qui a failli humainement. Qu'ils semblent lointains, ses anciens triomphes à la Mostra fasciste des années 1930! Depuis, on n'ose quasiment plus montrer ses documentaires de propagande nazie <i>Le Triomphe de la volonté </i>(1935) et <i>Les Dieux du stade (Olympia, </i>1938) et, côté fictions, son superbe début <i>La Lumière bleue</i> (1932) ou son dernier opus compromis <i>Tiefland</i> (1944/1954). 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Ne reconnaît-elle pas lors d'une interview que sa vie aurait mieux fait de s'arrêter en 1939? Jusque-là, tout ne fut en effet que mouvement ascentionnel – peu importe apparemment au service de quoi.</p> <p>Au début était une grande fille sportive, traitée comme un garçon par son père autoritaire et réceptacle de toutes les ambitions frustrées de sa mère. D'abord danseuse, c'est suite à un accident qu'elle se retrouve plutôt actrice, choisie à 23 ans pour être la vedette d'un film de montagne d'Arnold Fanck. Les six films tournés coup sur coup avec le brave Dr. Fanck, très basiques à part <i>L'Enfer blanc du Piz Palu</i> (co-signé par G.W. Pabst), ne sont aujourd'hui plus que d'un intérêt anecdotique. Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. Coup d'essai, coup de maître: à la fois idéaliste, féministe et mystique, <i>La Lumière bleue</i> (1932) la propulse à 30 ans cinéaste à part entière.</p> <p>C'est à ce moment qu'un collaborateur, le scénariste juif Carl Mayer, l'avertit que ce film risque bien de faire d'elle l'égérie des nazis, alors aux portes du pouvoir. En vain, puisqu'elle se jettera littéralement dans leurs bras, demandant peu après à rencontrer personnellement Adolf Hitler. Lourdement courtisée (jusqu'à une tentative de viol) par le ministre de la propagande Josef Goebbels, elle ne se donna apparemment ni à l'un ni à l'autre, finissant par épouser plutôt l'officier Hans-Peter Jacob. Mais alors même qu'elle ne jurait que par la fiction, elle se lança avec enthousiasme dans la confection de documentaires à la gloire du régime, séduite par les budgets illimités mis à sa disposition. C'est ainsi qu'elle fut impliquée aux côtés de l'architecte Albert Speer dès la préparation du fameux Congrès de Nuremberg puis des Jeux Olympiques de Berlin – où elle dit n'avoir jamais voulu que saisir la beauté, son unique souci. Et à en revoir des extraits, il faut bien avouer que le résultat fut grandiose, cinématographiquement parlant.</p> <h3>Une simple suiveuse?</h3> <p>Mais par la suite, tout s'est effectivement gâté pour Leni Riefenstahl. Embrigadée pour immortaliser l'invasion de la Pologne, elle emploie des prisonniers comme figurants avant de jeter l'éponge. Ses soutiens s'étiolent pour <i>Tiefland,</i> qui doit marquer son retour à la fiction et à ses chères montagnes. La guerre interfère avec le tournage et, à 40 ans, elle paraît trop âgée pour tenir le rôle principal. Elle utilise aussi des jeunes tziganes recrutés dans des camps, enfants qu'elle prétendra avoir revus plus tard alors qu'ils furent pour la plupart assassinés à Auschwitz. Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple <i>Mitläuferin</i> (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de <i>Tiefland</i> – un flop.</p> <p>Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. Par contre, il y a tout un art de s'aveugler, qu'elle pratiqua très activement, jusqu'à devenir par là-même la porte-parle de toute une BRD (l'Allemagne de l'Ouest d'alors) qui aurait préféré ne jamais avoir à se confronter à son passé.</p> <p>Divorcée en 1947, sans revenus et réfugiée auprès de sa vieille mère, Leni Riefenstahl se refait une santé économique dès le début des années 1960 en devenant photographe. Une expédition au sud du Soudan, d'où elle rapporte des photos du peuple Nuba, sont particulièrement remarquées. Sponsorisée, elle y retournera maintes fois, albums et expositions à la clé. En 1967, c'est surtout la rencontre avec Horst Kettner, un étrange jeune homme de 40 ans son cadet qui devient son assistant et son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. 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Mais le film rend bien perceptible un ego parfaitement proportionnel à son ambition artistique. Et en définitive, c'est bien de la place de l'artiste dans la société, du sens de son travail et de sa responsabilité humaine qu'il est question. C'est ainsi que l'idéal esthétique de Riefenstahl devient suspect en lui-même. A la question «Auriez-vous filmé de la sorte des athlètes handicapés?», la dame répond du tac au tac par un «Jamais de la vie!» scandalisé. Et si on ne saura jamais le degré de son antisémitisme, on peut là aussi soupçonner une certaine compatibilité avec le national-socialisme, elle qui s'employa très vite à effacer la participation décisive du fameux théoricien juif hongrois Béla Balász à <i>La Lumière bleue..</i>.</p> <p>Le réalisateur conclut sur des extraits parlants de deux émissions. 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Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. 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En fait, je pense que les derniers dossiers encore gardés secrets sont ceux liés à sa disparition.</p> <p><strong>Et pour essayer de retracer son parcours international?</strong></p> <p>Là, je me suis contenté d'archives de presse ou filmiques, comme l'INA. L'essentiel de son activité est alors souterraine et donc difficile à cerner. En Grèce, où il s'est insallé avec une deuxième compagne anglaise, je n'ai retrouvé que le lieu où il habitait – un village où tout le monde l'appréciait sans savoir vraiment qui il était. Mais j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur les recherches d'Adrian Hänni, qui apparaît dans le film et qui a eu accès à des archives des services secrets américains déclassifiées. C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. 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Avec le coming out d'Ellen Page, le petite actrice canadienne adoptée par Hollywood dans les années 2000 <i>(Hard Candy, Juno, Bliss, X-Men, Inception, Free Love,</i> etc.), on passe un nouveau cap. Disparue des radars depuis le catastrophique <i>Flatliners</i> de 2017, la/le voici qui ressurgit comme Elliot Page, au terme d'une transition déjà largement rendue publique par la publication de mémoires intitulées <i>Pageboy.</i> Et le film choisi pour entériner cette transition est... un drame de la transidentité. Bref, un geste hautement politique.</p> <p>Désormais, un site comme I'Internet Movie Data Base (imbd.com) ne s'autorise même plus à offrir de renvoi à partir du nom d'Ellen Page! Par contre, le film en question, <i>Close to You</i> de Dominic Savage, un ciné-téléaste britannique de 60 ans, a bien peu de chances de rester dans les mémoires. 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Cinéaste indépendant originaire du Midwest, Jeff Nichols (Shotgun Stories, Take Shelter, Mud, Midnight Special, Loving) est tombé un jour sur le fameux livre The Bikeriders du photographe Danny Lyon. Un reportage publié en 1968 et consacré aux Outlaws de Chicago, dont Lyon faisait alors partie. Incapable de se plier aux règles de Hollywood (il a pris la porte de A Quiet Place – Day One), voici donc que Jeff Nichols décide d'en tirer un film, se déclarant plus intéressé par cette dimension historique que par la réalité des motards d'aujourd'hui. Excellente idée, tant cette sous-culture à jamais représentée par les iconiques The Wild One avec Marlon Brando (Laslo Benedek, 1953) et Easy Rider de Dennis Hopper (1969) appelait un regard rétrospectif. Encore fallait-il trouver le moyen de dramatiser ce qui se présente comme un mélange de photographies et d'interviews réalisées par un insider...
Une princesse chez les durs
C'est la première partie du film qui s'en inspire le plus directement, allant jusqu'à reproduire le plus fidèlement possible quelques clichés et utiliser certains passages du texte verbatim. Pour la narration, le cinéaste a choisi de mettre en avant le personnage féminin de Kathy (Jodie Comer), qui n'est pas motarde elle-même mais la compagne de Benny (Austin Butler), une tête brûlée prompte à s'attirer des ennuis. Et pour saisir d'emblée notre attention, il commence par une scène de brutalité extrême, peu caractéristique de son cinéma mais certes associée au milieu: une sorte d'anticipation de ce qui sera le point de bascule du film.
Les Outlaws, qui existent encore et risquaient d'objecter, ont été ici rebaptisés Vandals, et le décor paraît décidément plus rural que les suburbs de Chicago originels. Au début, il y a encore une sorte d'innocence dans le récit de cette princesse attirée par un loubard. Puis celui-ci s'inscrit dans une chronique plus vaste de comment le chef-fondateur de la bande, le charismatique Johnny (Tom Hardy), commence à faire des émules à travers le pays. Rien de bien spectaculaire, en somme. Il s'agit pour l'essentiel de jeunes gens de la classe ouvrière plus ou moins en rupture avec les valeurs dominantes de la société et qui se sont trouvé là une sorte de famille.
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Vers une impasse
Du milieu des années 1960 au début des années 1970, un glissement s'opère cependant, qui échappe en partie au chroniqueur Danny (Mike Faist, de West Side Story et Challengers). Des vétérans du Vietnam amènent leurs problèmes et d'autres nouveaux venus semblent plus portés sur la violence et le crime organisé que le maintien de règles et d'une saine camaraderie. Tandis que la rixe du début avec des rednecks met Benny hors-jeu pour un moment, un jeune simplement appelé Kid cherche à se faire admettre dans la bande. Débouté par Johnny, il pourrait bien revenir contester son autorité. Quant à Kathy, elle en a assez et n'aura de cesse de sortir son Benny de là, avec les inévitables étincelles que cela suppose.
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Un film trop propret?
Qui aurait lu le reportage contemporain de Hunter S. Thompson sur les Hell's Angels de la côte Ouest ou vu d'autres biker movies sales, bêtes et méchants de l'époque (Hell's Angels '69, Angel Unchained, The Hard Ride, etc.) sera aussi frappé par l'aspect finalement très propret de ces Bikeriders. Pour réablir la vérité après trop d'exploitation sensationnaliste? Ou simple auto-censure de la part d'un cinéaste pas franchement attiré par ce milieu? Un seul monologue de Michael Shannon (son acteur fétiche au rôle cette fois très en retrait) pour rappeler les accointances néofascistes d'une large frange de ces autoproclamés hors-la-loi ou vandales, c'est bien peu, même si les clubs officiels s'en sont toujours défendus. Et en tant que spectateur, on en vient à regretter que la partie du déclin ne soit pas plus dramatique.
Mais Jeff Nichols est un drôle d'oiseau. Comme nombre de collègues tels que James Gray, Bennett Miller ou Sean Durkin, il s'inscrit dans une certaine tradition d'indépendance réaliste et critique tout en opérant un retour à un certain classicisme hollywoodien. Ce n'est sans doute pas par hasard que sa seule citation explicite soit The Wild One avec Brando, aperçu à la TV... Quant à la narration en voix off, avec sa «naïveté poétique», elle paraît si évidemment calquée sur celles – assurément géniales – des premiers films de Terrence Malick, Badlands et Days of Heaven, que cela en devient gênant.
Malgré un joli épilogue qui retrouve le couple Kathy-Benny en Floride, l'ensemble laisse donc un sentiment d'inabouti. Où il revient à l'esprit qu'à l'exception de Take Shelter, tous les autres films de Nichols manquaient déjà soit de profondeur soit de mystère. Peut-être qu'avec un sujet plus inspirant que ces gros machos violents (du moins potentiellement), pollueurs (un impensé de l'époque) et bas de plafond...
«The Bikeriders», de Jeff Nichols (Etats-Unis, 2024), avec Jodie Comer, Austin Butler, Tom Hardy, Michael Shannon, Mike Faist, Boyd Holbrook, Norman Reedus, Will Oldham. 1h56
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N'allez pas leur chercher noise, mal pourrait vous en prendre...</p> <h3>Vers une impasse</h3> <p>Du milieu des années 1960 au début des années 1970, un glissement s'opère cependant, qui échappe en partie au chroniqueur Danny (Mike Faist, de <i>West Side Story</i> et <i>Challengers).</i> Des vétérans du Vietnam amènent leurs problèmes et d'autres nouveaux venus semblent plus portés sur la violence et le crime organisé que le maintien de règles et d'une saine camaraderie. Tandis que la rixe du début avec des <i>rednecks </i>met Benny hors-jeu pour un moment, un jeune simplement appelé Kid cherche à se faire admettre dans la bande. Débouté par Johnny, il pourrait bien revenir contester son autorité. Quant à Kathy, elle en a assez et n'aura de cesse de sortir son Benny de là, avec les inévitables étincelles que cela suppose.</p> <p>«J'aurais voulu qu'il change», reconnaît-elle, comme n'importe quelle épouse parlant de son mari. Et comment lui donner tort? Car il faut avouer que cette «contre-culture» paraît vite terriblement limitée, sans la moindre possibilité d'évoluer, de grandir tant intellectuellement que spirituellement. Venus là en quête de liberté, pour fuir d'autres carcans, ces marginaux ne tendent qu'à devenir des caricatures d'eux-mêmes. Avant même les luttes de pouvoir intrinsèques à toute bande et la dérive vers des activités illicites (drogue, prostitution, braquages, viols, etc., pour finir évoqués mais pas montrés), on devine déjà l'impasse.</p> <p>Mais est-ce bien le cinéaste, soucieux de ne pas rendre ses protagonistes antipathiques, qui le suggère? Ou est-ce plutôt une pointe d'ennui qui s'installe peu à peu en leur compagnie? En effet, ils restent tous bien peu définis, guère plus personnalisés que les engins qu'ils enfourchent. Et trop isolés du reste de la société. Les acteurs font ce qu'ils peuvent, mais il y a des limites. D'ailleurs, tous ne sont pas des plus crédibles. Au-delà de son accent très étudié, l'Anglaise Jodie Comer <i>(The Last Duel</i>, de Ridley Scott) paraît ainsi un peu trop classe et âgée pour son rôle. Et que dire de son compatriote Tom Hardy, rarement très convaincant, qui «brandoïse» à mort? C'est encore Austin Butler (l'Elvis de Baz Luhrmann) qui s'en tire le mieux avec son personnage nihiliste mi-attachant mi-inquiétant de Benny, clairement dangereux ne serait-ce que pour lui-même.</p> <h3>Un film trop propret?</h3> <p>Qui aurait lu le reportage contemporain de Hunter S. Thompson sur les Hell's Angels de la côte Ouest ou vu d'autres <i>biker movies</i> sales, bêtes et méchants de l'époque <i>(Hell's Angels '69, Angel Unchained, The Hard Ride, </i>etc.) sera aussi frappé par l'aspect finalement très propret de ces <i>Bikeriders.</i> Pour réablir la vérité après trop d'exploitation sensationnaliste? Ou simple auto-censure de la part d'un cinéaste pas franchement attiré par ce milieu? Un seul monologue de Michael Shannon (son acteur fétiche au rôle cette fois très en retrait) pour rappeler les accointances néofascistes d'une large frange de ces autoproclamés hors-la-loi ou vandales, c'est bien peu, même si les clubs officiels s'en sont toujours défendus. Et en tant que spectateur, on en vient à regretter que la partie du déclin ne soit pas plus dramatique.</p> <p>Mais Jeff Nichols est un drôle d'oiseau. Comme nombre de collègues tels que James Gray, Bennett Miller ou Sean Durkin, il s'inscrit dans une certaine tradition d'indépendance réaliste et critique tout en opérant un retour à un certain classicisme hollywoodien. Ce n'est sans doute pas par hasard que sa seule citation explicite soit <i>The Wild One </i>avec Brando, aperçu à la TV... Quant à la narration en voix off, avec sa «naïveté poétique», elle paraît si évidemment calquée sur celles – assurément géniales – des premiers films de Terrence Malick, <i>Badlands</i> et <i>Days of Heaven,</i> que cela en devient gênant.</p> <p>Malgré un joli épilogue qui retrouve le couple Kathy-Benny en Floride, l'ensemble laisse donc un sentiment d'inabouti. Où il revient à l'esprit qu'à l'exception de <i>Take Shelter,</i> tous les autres films de Nichols manquaient déjà soit de profondeur soit de mystère. 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Dans un genre sur lequel la critique a peu de prise tant le sujet tend à primer, il faut pourtant bien reconnaître que la méthode, la sensibilité, l'art narratif et la profondeur intellectuelle du l'auteur(e) peuvent faire la différence. Et il n'en fallait pas moins pour s'attaquer à un sujet tel que Leni Riefenstahl, déjà documenté une bonne vingtaine de fois pour la télévision, notamment dans un mémorable <i>Leni Riefenstahl - Le Pouvoir des images</i> (Ray Müller, 1993). Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. 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Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple <i>Mitläuferin</i> (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de <i>Tiefland</i> – un flop.</p> <p>Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. 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Brrrr...</p> <hr /> <p><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/7n5wKuahSZs?si=rbkQAXxuzsCtMeAl" title="YouTube video player" width="560"></iframe></p> <h4>«Leni Riefenstahl – la lumière et les ombres (Riefenstahl)», documentaire d'Andres Veiel (Allemagne, 2024), avec la voix d'Ulrich Noethen. 1h55</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'leni-riefenstahl-mise-au-point', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 41, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5254, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'En quête d'un terroriste suisse', 'subtitle' => 'Le documentaire «La Disparition de Bruno Bréguet» du Tessinois Olmo Cerri tire de l'oubli une figure un peu gênante de notre histoire récente. 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Entre école, centres autogérés, collectifs de production et RSI (Radio-télévision Suisse Italophone), le désir de cinéma n'est venu que peu à peu, toujours sous le signe du politique. De <i>Volo in ombra</i> (2012) à <i>Non ho l'età</i> (2017, sur l'immigration italienne) et <i>La scomparsa di Bruno Bréguet,</i> les moyens ont grandi en fonction des sujets. Plutôt qu'une sophistication filmique ou une carrière, ce réalisateur cherche du sens en se frottant à l'histoire récente. Un parcours et une démarche qui l'ont logiquement fait atterrir, pour co-produire son dernier film, chez les Zurichois de Dschoint Ventschr (Samir, Werner Schweizer & co), une maison de production née de la contre-culture. 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Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. Il a donc été élevé à Muralto, à côté de Locarno, avec ses trois frères et sœurs. La famille parlait déjà plusieurs langues et c'est ainsi qu'il a pu devenir très tôt un «citoyen du monde» sachant l'italien, le français, l'allemand et l'anglais. Plus tard, en prison, il a encore appris l'arabe.</p> <p><strong>Et comment s'est-il engagé, puis radicalisé?</strong></p> <p>D'après toutes les descriptions, c'était un garçon très réservé et secret, qui lisait beaucoup. Les fameuses fiches fédérales contiennent le détail de sa bibliothèque. Au lycée déjà, à la fin des années 1960, il a fait des présentations sur l'énergie atomique et sur la cause palestinienne. Il a commencé à fréquenter certains groupes de gauche, toujours en retrait. Et puis un jour, il s'est rendu à Genève pour prendre contact avec la Ligue arabe, dans l'idée de se rendre utile aux Palestiniens. Après son arrestation en Israël, sa radicalisation est vraiment venue de ses longues années de prison – et encore, il n'en aura purgé que la moitié! Puis il s'est installé à Berlin avec sa première compagne, au bénéfice d'une bourse fédérale d'études universitaires... C'est à ce moment qu'il est entré en contact avec le terroriste Carlos, à l'époque le terroriste le plus recherché au monde.</p> <p><strong>A-t-on facilement accès aux archives le concernant, en tant que chercheur?</strong></p> <p>A Berne, aux Archives fédérales, ça s'est fait en plusieurs étapes. J'ai pu consulter presque tous les dossiers contre signature d'une promesse de non-divulgation. En plus du détail de sa surveillance, on y trouve même les photocopies de tous les documents est-allemands de la Stasi le concernant. Puis je suis retourné avec une demande plus précise d'utilisation de certains documents, en expliquant mon projet et son intérêt public. Ce qui n'a pas posé de problèmes. 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C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. 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Au-delà du destin de Bréguet, c'est ce contraste que le film cherche à évoquer, laissant à chacun de juger par lui-même.</p> <p><strong>La fabrication de ce film et son parcours à ce jour vous ont-ils satisfait?</strong></p> <p>La co-production avec Dschoint Ventschr a été un grand soutien. C'est ma monteuse Kathrin Plüss – qui pense s'arrêter sur ce film, quarante ans après <i>Der Grüne Berge</i> de Fredi M. Murer – qui nous a mis en contact. Karin Koch a œuvré comme productrice, mais des cinéastes aussi chevronnés que Samir ou Sabine Gisiger ont aussi apporté leurs conseils artistiques. Et pour la sortie, je ne vais pas me plaindre. Le film a été bien accueilli à Soleure et Locarno et a remporté un prix au festival du documentaire de Milan Visioni dal Mondo avant de connaître un beau succès au Tessin, où il est resté sept semaines à l'affiche. Si la sortie est nettement plus confidentielle dans le reste de la Suisse, c'est sans doute parce que le personnage y est encore plus oublié...</p> <p><strong>Auriez-vous déjà de nouveaux projets?</strong></p> <p>Je suis cinéaste indépendant, alors forcément j'y travaille. Je m'intéresse en ce moment à deux sujets, l'un concernant l'hôpital psychatrique de Mendrisio, l'autre une communauté hippie romande qui a existé dans le Malcantone, près de Lugano. 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