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Culture

Culture / Retour sur une sale guerre, entre réalité et imaginaire

Norbert Creutz

18 septembre 2018

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Enquête sur la mystérieuse disparition d'un jeune reporter Bâlois durant la guerre en ex-Yougoslavie, «Chris the Swiss» d'Anja Kofmel arrive sur nos écrans auréolé de plusieurs sélections festivalières internationales.



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Seul long-métrage vraiment suisse invité à Cannes cette année, Chris the Swiss est un documentaire qui a également participé au festival du cinéma d’animation d’Annecy. Par quel tour de passe-passe? Une forme hybride encore peu usitée, mais ici employée avec un réel bonheur. Malgré son sujet grave – la sale guerre en ex-Yougoslavie et l’attrait qu’elle a pu exercer sur des jeunes têtes brulées – et sa forme austère – des séquences animées charbonneuses, toutes en noir, blanc et gris –, ce premier long métrage de la Bâloise Anja Kofmel est un must. «Tombeau» pour un cousin dont le destin tragique l’a hantée depuis ses 10 ans, ce film est aussi devenu une œuvre politique au sens fort, qui s’emploie à démontrer la complexité du réel et qui, par sa force poétique, résonne comme un avertissement de portée universelle. Entretien avec une cinéaste comblée, en pleine tournée nationale de promotion.



Le thème de Chris the Swiss vous a longtemps accompagné puisqu’il était déjà à l’origine de votre film de fin d’études Chrigi en 2009. Alors, soulagée d’avoir enfin réussi à mener ce projet à terme?

Oh oui! Au niveau intime, je m’étais déjà réconciliée plus tôt avec l’histoire de mon cousin Chris. Mais la fabrication du film a été extrêmement compliquée, avec les lenteurs liées au cinéma d’animation et des aléas politiques qui ont encore retardé sa finition. En tout, il aura fallu huit ans de travail, qui ne se devinent pas forcément à l’écran...

Ce long-métrage est né du succès d’estime qu’avait rencontré Chrigi?

En partie seulement. La même année, en 2009, la nouvelle de la mort du principal suspect dans l’affaire de l’assassinat de Chris a relancé mon intérêt, libérant par la même occasion la parole de certains. Avec tout ce qu’on a appris à ce moment-là, il m’est apparu qu’il y avait matière à un long-métrage. Le style graphique aussi a beaucoup évolué par rapport au court-métrage.

Vous avez donc décidé de mêler dessin animé – votre spécialité – et documentaire. Un mariage tout sauf évident...

Chris the Swiss arrive à un moment où cette forme hybride peut paraître à la mode, avec des films comme Another Day of Life et Samouni Road également présentés à Cannes, mais à l’époque de sa conception, il n’y avait encore quasiment pas de précédent! Mes références étaient plutôt Valse avec Bachir et Persépolis, des purs films d’animation. Ma frustration avec les quelques tentatives existantes était que l’animation n’y servait qu’à pallier un manque d’images, sans exploiter tout le potentiel surréaliste et de symbolique de cette forme. Tout au contraire, je voulais assumer cette dimension imaginaire. Mais cela a été difficile de convaincre...

Vous avez heureusement trouvé un producteur compréhensif et solide en Samir?

Dschoint Ventschr, sa maison de production, est l’idéal pour ce type de projet: ils aiment les sujets politiques et encouragent l’expérimentation. Mais pour les aides publiques, je tombais vraiment entre deux chaises. Malgré les refus initiaux, nous avons insisté et fini par obtenir un soutien du fonds documentaire et un autre pour l’animation - encore très insuffisants. Ce sont les coproductions avec la Croatie, l’Allemagne et la Finlande qui ont vraiment permis de ficeler le budget, bien plus élevé que celui d’un documentaire «normal».

Aviez-vous une expérience pour ce volet documentaire du projet?

Aucune! Heureusement, j’ai pu m’appuyer sur d’excellents collaborateurs pour ne pas commettre toutes les erreurs du débutant, durant mes voyages sur place, en Croatie, comme en interview. Après, l’essentiel dans un documentaire me semble relever de la curiosité, de l’envie d’aller vers les gens, non? Et comme il s’agit d’une quête personnelle, j’ai ajouté une narration. Côté graphisme, il s’agit de mes dessins qui ont été développés ensuite dans un studio d’animation créé spécialement à Zagreb. Enfin, j’ai été particulièrement attentive au son, parce qu’il devait faire le lien entre les deux parties.

Chris avait laissé des carnets et d’autres documents. Qui est-ce qui les conservait?

Son frère et sa mère, qui m’ont laissé m’y plonger librement, une condition sine qua non pour faire ce film. Il ne manque que les derniers carnets de son journal, sans doute détruits par ses assassins.

Vous y avez découvert le nom du fameux terroriste Carlos que vous avez interviewé sans sa prison et qui affirme que Chris était un agent secret...

J’ai pensé que c’était important de commencer par là pour situer le milieu dans lequel évoluait Chris. Je n’ai bien sûr obtenu aucune confirmation du côté de nos services secrets. Mais j’ai de la peine à croire que c’est vrai. En fait, Carlos connaissait avant tout le père de Chico, le chef de la brigade internationale avec laquelle s’est acoquiné Chris. Mais de là à en savoir plus... L’essentiel est de se rendre compte de l’existence d’un véritable monde parallèle, où se tissent des liens entre les conflits les plus improbables.

L’Hisparo-Hongrois «Chico», alias Eduardo Rosza Flores, né et mort en Bolivie et lié à l’Opus Dei, est l’autre personnage mystère du film...

Bien plus nettement que Chris, il s’agit d’un journaliste qui a franchi la limite de l’engagement partisan. Son parcours idéologique, du communisme à l’extrême-droite et de Croatie en Bolivie en passant par l’Angola, est totalement déroutant. C’est lui qui a fondé cette brigade internationale pour combattre de côté croate à un moment où les vrais militaires, qui avaient fait partie de la même armée yougoslave, rechignaient encore à s’entretuer. Cette bande de mercenaires, pour l’essentiel d’extrême-droite, n’avait pas vraiment de contrôle politique. Ils se filmaient aussi assez librement entre eux, d’où ces images vidéo qui ont été conservées par le journaliste espagnol Julio César Alonso et qui m’ont beaucoup servi.

Avez-vous retrouvé la trace du livre que projetait Chris, selon certains témoins?

Non, le manuscrit aura été détruit, mais je suis certaine qu’il avait vraiment ce projet. Il ressort clairement de ses notes qu’à ce moment, il se voyait encore comme un journaliste infiltré, undercover. A ses yeux, peu importe l’uniforme et les armes qu’il portait. A-t-il été naïf, comme l’affirme Heidi Rinke, une collègue allemande? Pour avoir pu faire confiance à ce «Chico», c’est sûr. Mais pour le reste, il n’aura pas pu rester si innocent...

Il aurait donc pu participer à des exactions de type «nettoyage ethnique»?

C’est toute la question, si terrible pour sa famille. Comment aurait-il pu faire partie d’une telle bande sans donner des gages de fidélité? Ses carnets prouvent qu’il a au moins assisté de près à des horreurs. Et il faut bien comprendre qu’il n’était lié à aucun média important, qu’il n’a jamais bénéficié du moindre soutien psychologique. Ses décisions, il a dû les prendre seul, avec les justifications qu’il a bien pu se trouver sur le moment.

Votre film résonne comme un avertissement pour tous ceux qui, journalistes ou candidats combattants, imaginent se lancer aujourd’hui dans ce genre de conflits lointains?

C’est sa justification a posteriori. Mais en le faisant, je voulais surtout mettre à jour les mécanismes à l’œuvre derrière ce destin individuel. Montrer comment on peut perdre ses repères moraux quand politique et médias sont à ce point manipulés par des forces obscures. Prenez le cas de Vukovar, cette ville frontière entre la Croatie et la Serbie dont le massacre aurait sans doute pu être évité par une intervention de la communauté internationale. Mais l’évacuation n’a pas eu lieu, certains ayant préféré laisser faire, sous l’œil des médias, pour favoriser la reconnaissance de la Croatie comme Etat indépendant...

L’Opus Dei, société secrète ultracatholique chère à Jean-Paul II, aurait lui aussi joué un sale rôle dans ce conflit?

C’est hautement probable. Et l’ironie veut qu’on le retrouve aujourd’hui derrière le nouveau gouvernement de droite arrivé au pouvoir en Croatie en 2016. Du jour au lendemain, certains thèmes étaient mal vus et on a tenté de stopper notre travail. Pour ces gens, il s’agit de présenter la Croatie comme simple victime de l’agression serbe, alors que la réalité est bien plus complexe: des nettoyages ethniques ont eu lieu des deux côtés. Du coup, nous avons été décrits dans la presse comme des traîtres à la patrie (Nestbeschmutzer, en v.o.) et mes coproducteurs locaux ont connu les pires ennuis. Tout le projet s’est trouvé retardé de deux ans avant de pouvoir se terminer comme prévu en Allemagne.

J’imagine qu’après tout ça, la sélection par la Semaine de la critique à Cannes est venue comme un baume sur le cœur!

Cannes nous a énormément aidés. Le film y a acquis une réputation qui a démultiplié la curiosité et les invitations à le montrer ailleurs. Depuis, Chris the Swiss a été présenté en Bosnie, au Festival de Sarajevo, et même en Croatie - où il n’y a heureusement pas que des idiots. Il y a suscité le débat, a été critiqué, mais de manière constructive. Je n’en demande pas plus!



Chris the Swiss, essai documentaire d’Anja Kofmel (Suisse-Croatie-Allemagne-Finlande, 2018). 90 min.

Liste des avant-premières en présence de la cinéaste (à partir du 18 septembre).







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