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Culture / Quand le Christ vire à droite

Norbert Creutz

29 janvier 2019

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Primé à la dernière Berlinale, «Mug / Twarz» de Malgorzata Szumowska est une fable satirique sur la Pologne conservatrice de Jaroslaw Kaczynski. Un film peut-être malcommode, mais dont la rage sincère et l'inventivité constante font le plus grand bien.



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A l’heure où l’ensemble de la critique fait mine de s’extasier devant le dernier retour sclérosé de son anar de droite Américain favori, regardons plutôt ailleurs: du côté d’une jeune femme de gauche et de l’Est. Parfois, un tel décalage est le seul moyen de croire encore en la pertinence du 7e art! Chouchou du festival de Berlin, où elle a remporté l’an dernier le Grand Prix du Jury, la Polonaise Malgorzata Szumowska reste ici une mal-aimée. A tort, tant il est vrai que de Elles (enquête sur la prostitution estudiantine) à Body/Cialo (le mal-être urbain en question) en passant par Au nom de... (ou l’homosexualité dans l’église), ses films comptent parmi les plus stimulants du moment.

Malgorzata Szumowska à la Berlinale 2018 © Capture d’écran/DR

Question titre, son 7e opus Mug/Twarz aurait très bien pu s’appeler «Gueule» (ou «Face» ou «Visage») si les traducteurs faisaient encore leur travail. Mais bon, l’avantage de ce titre abscons est d’accentuer une impression d’imprévisibilité devenue rare. Impossible en effet de deviner où ce film va nous mener après sa séquence d’ouverture-choc: à l’occasion de soldes de Noël, des quidams acceptent le «concept marketing» de se déshabiller pour s’arracher des téléviseurs bradés. Critique appuyée d’un consumérisme devenu délirant? Un peu plus tard, l’un d’eux, le jeune et beau Jacek, retourne dans sa famille à la campagne aux sons «heavy metal» de Metallica...

De gueule d’ange à sale gueule

Ce pseudo-rebelle à cheveux longs a beau leur annoncer son désir de filer bientôt en Angleterre, en attendant, il ne s’accommode pas trop mal de la vie à la ferme et de son job sur le grand chantier local: l’érection d’un Christ géant appelé à surpasser celui de Rio de Janeiro (cette statue existe bel et bien depuis 2010, à Swiebodzin, près de la frontière allemande). Avec sa petite amie Dagmara, une blonde à cheveux courts, il se moque volontiers des ploucs racistes, sexistes et bigots de la région. Mais il paraît déjà bien velléitaire avant qu’un accident du travail vienne tout remettre en question: tombé d’un échafaudage, le voilà défiguré. Et ce, même après avoir bénéficié de la première greffe du visage tentée dans le pays!

A la première partie, menée de manière impressionniste en accordant autant d’importance au décor qu’aux personnages, succède d’abord un moment de suspension, le temps du séjour de Jacek à l’hôpital en ville. Dans une pièce stérile aux murs vitrés, il émerge du coma pour faire l’apprentissage d’une terrible solitude. La réaction des autres va en effet de la joie et de l’engouement médiatique devant ce «miracle» à une gêne profonde face à sa nouvelle apparence. Dès son retour au pays, la fable se précise. Transformé en une sorte de monstre de Frankenstein, Jacek devient peu à peu persona non grata, lâché par l’Etat, par l’Eglise (qui va jusqu’à tenter un exorcisme!) et même par les siens, à une exception près.

La vraie beauté est ailleurs

C’est sûr, personne n’ira qualifier un tel film de feelgood! Certains passages sont même franchement désagréables. Et pourtant il y a là une énergie, une volonté d’en découdre, sans oublier un vrai travail de mise en scène, qui vous emportent. On admire cette vista capable d’embrasser un pays entier. On a envie de connaître la suite, de voir jusqu’où l’auteure osera aller. Et pour chaque moment éprouvant, il y en a un autre qui prête à sourire voire même qui subjugue. Car ici, le grotesque n’exclut pas l’émotion, de même que le choix curieux d’une netteté limitée (souvent, une partie de l’image reste dans le flou) n’empêche pas les paysages et la photo (signée Michal Englert, par ailleurs coscénariste, coproducteur et compagnon de la cinéaste) d’être splendides. En fait, seuls les humains font tache. Y compris ce pauvre Jésus, instrumentalisé jusqu’à voir son message oublié, son visage détourné.

On voit d’ici l’accusation de «mépris» qui ne manquera pas de fuser. Si la question est pertinente devant ce regard sans pitié que l’auteure pose sur ses compatriotes, on ferait mieux de se souvenir de la désormais longue lignée d’un certain «cinéma du dégoût» critique et sardonique qui, de Clouzot à Ostlund en passant par Fellini, Altman ou Solondz, n’a rien d’illégitime. En réalité, ce film serait français ou américain qu’on l’accueillerait tout autrement. Il serait suisse qu’on crierait sans doute au chef-d’œuvre. Il se trouve qu’il est polonais et prend violemment à partie l’hypocrisie et la médiocrité qui règnent aujourd’hui dans ce pays, défiant un pouvoir qui ne cache pas sa volonté de remettre ses artistes au pas. Chapeau, Madame Szumowska!


Mug (Twarz), de Malgorzata Szumowska (Pologne 2018), avec Mateusz Kosciukiewicz, Agnieszka Podsiadlik, Malgorzata Gorol, Anna Tomaszewska, Dariusz Chojnacki, Robert Talarczyk. 1h31


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