Culture / Punk et rebelle, la nouvelle droite occidentale
Joaquin Phoenix dans "Joker" de Todd Philips. © 2019 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved. TM & © DC Comics / Niko Tavernise
Cela donne le tournis, c’est vertigineux. A chaque minute, nous arrive une information qui aurait pu figurer dans «La rébellion est-elle passée à droite?» de Pablo Stefanoni. Oui, c’est sec à l’os tout autant que cela semble complètement délirant. S’opposer au système est aujourd’hui de droite!
Oui, à présent, la néo droite a récupéré à son profit le décalé, le rebelle et le subversif en adoptant un langage dissident, un vocabulaire transgressif, des références et des modes d’action inédits qui fabriquent une contre-culture violente et tapageuse. L’ultra-right combine désormais nationalisme et antiétatisme, racisme, sexisme, climatoscepticisme et préoccupations écologistes et s’est doté d’une capacité notable à passer rapidement sur la plupart de ces sujets de la marginalité à la viralité.
Un Joker à la Maison Blanche?
L’auteur place Joker (2019), le film de Todd Phillips, joué magistralement par Joaquin Phoenix, en ouverture de sa démonstration. Ce film a rapporté un milliard de dollars. Pourquoi? Parce qu’en incarnant la révolte des blancs pauvres en colère, il décrit avec acuité la façon dont, après nous avoir lavé le cerveau, on nous pousse à une vie vouée à la consommation, vie qui crée un terrain propice à la solitude, au désespoir et aux maladies mentales et qu’on nous a appris que les personnes qui pensent différemment sont un danger pour la société et doivent être ostracisées à tout prix?
Dans cette perspective, le «nous», ce sont les incels, les fameux célibataires involontaires qui finissent par prendre une arme et tirer au hasard dans la foule, les hommes blancs laissés-pour-compte, les mâles bêta, une jeunesse exaspérée par la banalité du bien et son paternalisme sermonneur, les vieux perdants d’une Amérique profonde toujours si méprisée par d’éternelles arrogantes élites.
Donald Trump en est la version parfaite, lui qui a obtenu pendant la durée de son mandat que le monde entier soit suspendu à ses tweets. Sa campagne de 2016 a attiré non seulement tout l’alt-right, un mouvement de conservateurs qui n’ont plus rien à conserver, mais aussi des nazis purs et durs. Il appelle un chat un chat, privilège qui dans les cours médiévales était réservé aux bouffons, et a repris à son compte le fameux slogan de Mai 68, il est interdit d’interdire. Il a compris que la véritable ligne de clivage passait aujourd’hui entre les mondialistes et les antimondialistes. Hillary Clinton représentant les élites transnationales. Son triomphe a donc redynamisé une droite qui remet toutes les orthodoxies en question, y compris la démocratie elle-même. Son moteur n’était pas l’idéologie mais la psychologie. Aucun autre politicien de l’histoire américaine n’a jamais été aussi habile à exploiter les ressentiments refoulés et à les commercialiser sous une marque personnelle.
Ses électeurs ont dit non à la combinaison mortifère d’austérité, de libre-échange, de dette prédatrice et de travail précaire sous-payé, toutes choses qui caractérisent le capitalisme contemporain, son néolibéralisme progressiste, y compris cette alliance entre les courants dominants des nouveaux mouvements sociaux genre féminisme, antiracisme, multiculturalisme et droits LGBTQ et d’autre part, le secteur privé des services et de la production symbolique haut de gamme style Wall Street, Silicon Valley et Hollywood.
Désormais, la droite est punk et la gauche puritaine
Pablo Stefanoni nous présente donc le portrait d’une droite décomplexée au look renouvelé et décoiffant, une droite punk, qui dénonce l’élite bien-pensante et démoniaque qui ne cesse de malmener l’homme blanc en le forçant à uriner assis, en proscrivant les boissons gazeuses, les cigarettes, les barbecues, en interdisant à quiconque de s'inquiéter de l’immigration ou en traitant d’homophobe qui est contre le mariage pour tous ou contre la PMA, en discriminant les amateurs d’armes à feu, ceux qui refusent un régime à base de quinoa, en se moquant de la Bible mais jamais du Coran, en qualifiant d’appropriation culturelle tout et n’importe quoi, genre les costumes d’Indiens des enfants.
La force du message de cette nouvelle droite réside dans sa capacité à lier nationalisme et populisme, la nation contre l’«Autre» et le peuple contre les élites.
Lost: Les Disparus
D’après notre auteur, aux Etats-Unis, le wokisme, et ses cinquante nuances de susceptibilité se nourrit de l’espoir d’une rédemption du pécheur. Outre ce côté born again, il s’agit aussi d’îlots progressistes sis dans des campus et jouissant d’une caisse de résonance médiatique sans aucune commune mesure avec leur poids réel dans la société. C’est lors de la révolution conservatrice de Ronald Reagan qu’une bonne partie de la gauche états-unienne s’est repliée dans les universités mais c’est bien après qu’elle a déplacé son engagement en faveur de la classe ouvrière vers celle des minorités et qu’elle a remplacé la mémoire des luttes par la mémoire des victimes. Socialisme ou barbarie, le slogan de Rosa Luxemburg, n’est plus d’actualité. La gauche défend maintenant la barbarie d’aujourd’hui contre la barbarie de demain, le capitalisme tel qu’il est contre celui qu’il risque de devenir.
Bref, le présent étant devenu inaccessible et le futur étant de plus en plus perçu comme une menace, la gauche se retrouve sur la défensive, retranchée dans le politiquement correct et ralliée à l’Etat providence, et elle n’est absolument plus capable d’aucun projet crédible de transformation du monde.
Les libertariens et l’extrême droite
Enormément de gens disent détester les politiques. L’abolition du politique était l’un des buts du marxisme. Elon Musk, le nouveau patron de Twitter, est libertarien. C’est tout dire. La période allant de 1968 à l’investiture de Reagan en 1983 fut l’âge d’or des libertariens aux Etats-Unis. Dans sa version classique, c’est une aspiration à éliminer l’emprise de l’Etat, le droit à consommer des drogues et à s’adonner à tous les rapports sexuels consentis.
Pour eux, la manière dont la crise de 1929 a été résolue a marqué un tournant négatif dont la société n’est sortie qu’avec cette révolution conservatrice. Les néo-cons parlaient de la fin de l’histoire. Ronald Reagan et Margaret Thatcher considéraient qu’ils avaient gagné la guerre froide.
A l’inverse, la droite actuelle, qui a construit de toutes pièces l’image d’une élite de gauche qui gouvernerait le monde, s’auto-définit comme un mouvement de résistants contre le politiquement correct. Son nouveau côté paléolibertarien est une synthèse entre les anciens principes libertariens et les éternelles idées conservatrices. L’objectif de l’abolition de l’Etat demeure mais va désormais de pair avec le renforcement des institutions sociales, telles que la famille, les Eglises et les entreprises. Pour eux la question n’est plus de croire en Dieu ou pas mais de défendre la culture occidentale. L’Etat providence étant comparable à un vol organisé et l’éthique égalitaire une aberration morale, les valeurs judéo-chrétiennes sont le minimum nécessaire pour assurer un ordre libre et civilisé.
Greenwashing
La Toile a vu également émerger l’écofascisme avec comme caractéristiques les plus fréquentes le véganisme, le nationalisme blanc, l’anti culturalisme, l’inusable antisémitisme et souvent un intérêt passionné pour la mythologie nordique ainsi que la diffusion de mèmes tels que: «Planter des arbres; sauver les océans; expulser les réfugiés.»
En janvier 2020, en Autriche, le conservateur Sebastian Kurz s’allie aux Verts. «Nous avons réuni le meilleur des deux mondes, déclare-t-il. Il est possible de protéger à la fois l’environnement et les frontières.» L’Allemagne nazie ne fut-elle pas le premier pays à interdire la vivisection des animaux à des fins d’expérimentation scientifique? Hitler, végétarien, ne prônait-il pas une énergie hydroélectrique respectueuse de l’environnement et la production de gaz à partir de déchets et ne déclarait-il pas que l’eau, le vent et les vagues étaient les sources d’énergie de l’avenir?
Pinkwashing
En 2014, Florian Philippot, chef en second du Front National, se promenant dans les rues de Vienne avec son petit ami, fait la Une du magazine people Closer. En Allemagne, l’une des dirigeantes de l’AfD, parti populiste de droite, Alice Weidel, est une lesbienne déclarée. Pim Fortuyn, assassiné en 2002, précurseur batave des droites reliftées, était homosexuel. En Autriche, Geert Wilders, l’homme qui voulait désislamiser son pays, est mort dans un accident de voiture en quittant un bar gay.
Mais le plus fort de tout cela se passe à Tel Aviv. Qui aurait pu imaginer qu’Israël pourrait un jour abriter des oasis gays? Soutenu par des fonds publics abondants et visant à renforcer l’image de démocratie, de progrès et de modernité que l’Etat hébreux cherche à projeter face à l’arriération supposée de ses voisins arabes, la marche des fiertés de Tel Aviv, nouvelle capitale mondiale du tourisme gay, est un mégaévènement qui rassemble des centaines de milliers de personnes alors qu’en réalité, il n’y a pas de mariage civil en Israël et que dans la vaste sphère religieuse, le mariage gay est totalement rejeté et l’homophobie, la norme.
En France
L’auteur nous apprend, et c’est un vrai scoop pour nous, que le terme Woke, importé en France au cours du quatrième trimestre 2021, n’est utilisé nulle part ailleurs, à l’exception des Etats-Unis bien sûr. Oui, ces deux pays, étant en concurrence pour ce qui est de l’universalité éthique, se le disputent âprement. C’est à qui sera le mieux bien-pensant, le plus droit-de-l’être-humain!
Renaud Camus, l’auteur du concept de grand remplacement est français. Ce concept, plus la dénonciation des boomers soixante-huitards, avec leur dérision à la Charlie Hebdo, leur déconstruction à la Derrida et leur destruction nihiliste de toutes les valeurs qui ont, selon lui, condamné la France de l’après 68, ont permis à Eric Zemmour de faire le buzz lors de la dernière campagne présidentielle locale.
Et ce concept aussi est disputé. Tucker Carlson, présentateurs de Fox News, l’a cité, paraît-il, plus de quatre cents fois en un an.
Voilà. En guise de conclusion, disons qu’avant les élections présidentielles de 2027, si elle veut éviter que son pays ne suive l’exemple de l’Italie, il ne reste que cinq ans à la gauche française pour inventer et proposer une formule capable de barrer le chemin à la challenger gay friendly et éleveuse de chats de race, Marine Le Pen.
«La rébellion est-elle passée à droite?», Pablo Stefanoni, Editions La Découverte, 318 pages.
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Son moteur n’était pas l’idéologie mais la psychologie. <i></i>Aucun autre politicien de l’histoire américaine n’a jamais été aussi habile à exploiter les ressentiments refoulés et à les commercialiser sous une marque personnelle.</p> <p>Ses électeurs ont dit non à la combinaison mortifère d’austérité, de libre-échange, de dette prédatrice et de travail précaire sous-payé, toutes choses qui caractérisent le capitalisme contemporain, son néolibéralisme progressiste, y compris cette alliance entre les courants dominants des nouveaux mouvements sociaux genre féminisme, antiracisme, multiculturalisme et droits LGBTQ et d’autre part, le secteur privé des services et de la production symbolique haut de gamme style Wall Street, Silicon Valley et Hollywood.</p> <h3>Désormais, la droite est punk et la gauche puritaine</h3> <p>Pablo Stefanoni nous présente donc le portrait d’une droite décomplexée au look renouvelé et décoiffant, une droite punk, qui dénonce l’élite bien-pensante et démoniaque qui ne cesse de malmener l’homme blanc en le forçant à uriner assis, en proscrivant les boissons gazeuses, les cigarettes, les barbecues, en interdisant à quiconque de s'inquiéter de l’immigration ou en traitant d’homophobe qui est contre le mariage pour tous ou contre la PMA, en discriminant les amateurs d’armes à feu, ceux qui refusent un régime à base de quinoa, en se moquant de la Bible mais jamais du Coran, en qualifiant d’appropriation culturelle tout et n’importe quoi, genre les costumes d’Indiens des enfants. </p> <p>La force du message de cette nouvelle droite réside dans sa capacité à lier nationalisme et populisme, la nation contre l’«Autre» et le peuple contre les élites.</p> <h3>Lost: Les Disparus</h3> <p>D’après notre auteur, aux Etats-Unis, le wokisme, et ses cinquante nuances de susceptibilité se nourrit de l’espoir d’une rédemption du pécheur. Outre ce côté <i>born again</i>, il s’agit aussi d’îlots progressistes sis dans des campus et jouissant d’une caisse de résonance médiatique sans aucune commune mesure avec leur poids réel dans la société. C’est lors de la révolution conservatrice de Ronald Reagan qu’une bonne partie de la gauche états-unienne s’est repliée dans les universités mais c’est bien après qu’elle a déplacé son engagement en faveur de la classe ouvrière vers celle des minorités et qu’elle a remplacé la mémoire des luttes par la mémoire des victimes. <i>Socialisme ou barbarie</i>, le slogan de Rosa Luxemburg, n’est plus d’actualité. La gauche défend maintenant la barbarie d’aujourd’hui contre la barbarie de demain, le capitalisme tel qu’il est contre celui qu’il risque de devenir. </p> <p>Bref, le présent étant devenu inaccessible et le futur étant de plus en plus perçu comme une menace, la gauche se retrouve sur la défensive, retranchée dans le politiquement correct et ralliée à l’Etat providence, et elle n’est absolument plus capable d’aucun projet crédible de transformation du monde.</p> <h3>Les libertariens et l’extrême droite</h3> <p>Enormément de gens disent détester les politiques. L’abolition du politique était l’un des buts du marxisme. Elon Musk, le nouveau patron de Twitter, est libertarien. C’est tout dire. La période allant de 1968 à l’investiture de Reagan en 1983 fut l’âge d’or des libertariens aux Etats-Unis. Dans sa version classique, c’est une aspiration à éliminer l’emprise de l’Etat, le droit à consommer des drogues et à s’adonner à tous les rapports sexuels consentis.</p> <p>Pour eux, la manière dont la crise de 1929 a été résolue a marqué un tournant négatif dont la société n’est sortie qu’avec cette révolution conservatrice. Les néo-cons parlaient de la fin de l’histoire. Ronald Reagan et Margaret Thatcher considéraient qu’ils avaient gagné la guerre froide.</p> <p>A l’inverse, la droite actuelle, qui a construit de toutes pièces l’image d’une élite de gauche qui gouvernerait le monde, s’auto-définit comme un mouvement de résistants contre le politiquement correct. Son nouveau côté paléolibertarien est une synthèse entre les anciens principes libertariens et les éternelles idées conservatrices. L’objectif de l’abolition de l’Etat demeure mais va désormais de pair avec le renforcement des institutions sociales, telles que la famille, les Eglises et les entreprises. Pour eux la question n’est plus de croire en Dieu ou pas mais de défendre la culture occidentale. L’Etat providence étant comparable à un vol organisé et l’éthique égalitaire une aberration morale, les valeurs judéo-chrétiennes sont le minimum nécessaire pour assurer un ordre libre et civilisé.</p> <h3>Greenwashing</h3> <p>La Toile a vu également émerger l’écofascisme avec comme caractéristiques les plus fréquentes le véganisme, le nationalisme blanc, l’anti culturalisme, l’inusable antisémitisme et souvent un intérêt passionné pour la mythologie nordique ainsi que la diffusion de <i>mèmes</i> tels que: «Planter des arbres; sauver les océans; expulser les réfugiés.»</p> <p>En janvier 2020, en Autriche, le conservateur Sebastian Kurz s’allie aux Verts. «Nous avons réuni le meilleur des deux mondes, déclare-t-il. Il est possible de protéger à la fois l’environnement et les frontières.» L’Allemagne nazie ne fut-elle pas le premier pays à interdire la vivisection des animaux à des fins d’expérimentation scientifique? Hitler, végétarien, ne prônait-il pas une énergie hydroélectrique respectueuse de l’environnement et la production de gaz à partir de déchets et ne déclarait-il pas que l’eau, le vent et les vagues étaient les sources d’énergie de l’avenir?</p> <h3>Pinkwashing</h3> <p>En 2014, Florian Philippot, chef en second du Front National, se promenant dans les rues de Vienne avec son petit ami, fait la Une du magazine <i>people</i> <i>Closer</i>. En Allemagne, l’une des dirigeantes de l’AfD, parti populiste de droite, Alice Weidel, est une lesbienne déclarée. Pim Fortuyn, assassiné en 2002, précurseur batave des droites reliftées, était homosexuel. En Autriche, Geert Wilders, l’homme qui voulait désislamiser son pays, est mort dans un accident de voiture en quittant un bar gay. </p> <p>Mais le plus fort de tout cela se passe à Tel Aviv. Qui aurait pu imaginer qu’Israël pourrait un jour abriter des oasis gays? Soutenu par des fonds publics abondants et visant à renforcer l’image de démocratie, de progrès et de modernité que l’Etat hébreux cherche à projeter face à l’arriération supposée de ses voisins arabes, la marche des fiertés de Tel Aviv, nouvelle capitale mondiale du tourisme gay, est un mégaévènement qui rassemble des centaines de milliers de personnes alors qu’en réalité, il n’y a pas de mariage civil en Israël et que dans la vaste sphère religieuse, le mariage gay est totalement rejeté et l’homophobie, la norme.</p> <h3>En France</h3> <p>L’auteur nous apprend, et c’est un vrai scoop pour nous, que le terme <i>Woke</i>, importé en France au cours du quatrième trimestre 2021, n’est utilisé nulle part ailleurs, à l’exception des Etats-Unis bien sûr. Oui, ces deux pays, étant en concurrence pour ce qui est de l’universalité éthique, se le disputent âprement. 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Il a revendiqué ce point de vue dès le début de sa très longue carrière. Appartenant donc à un genre souverain et indépendant, ses dessins proposent une très grande variété d’approches et de couleurs, dans des palettes de tons différenciés, et dégagent souvent une impression de grande vitalité, de plaisir, de sensualité, l’impression d’une perception subjective plutôt qu’objective. L’expression est émotion immédiate et dans ses productions, il ne cherche jamais à rendre la réalité mais bien plutôt le fourmillement des sensations qui le traversent, quand, concentré, il s’exerce à capter l’expression d’un visage, un geste, un paysage, un mouvement. Ses nus, devenus très vite non conventionnels, accordent une attention particulière aux chevelures et aux mains. Auguste Rodin, Ferdinand Hodler, Gustav Klimt, Aubrey Beardsley sont ceux qu’il espère dépasser. 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En 1909, il expose des nus qui plaisent beaucoup et sont très rapidement vendus. Dans les années 1910, il réalise des dessins très travaillés, entre autres pour la revue <i>Sturm</i>. Traits secs et nerveux, densification des lignes, portraits expressionnistes d’hommes et de femmes, suites d’illustrations, passage à la lithographie, il expérimente à tout va. En 1911, il donne des cours dans une école privée et en 1912 et 1913, enseigne le nu au sein d’une institution qu’il a lui-même créée. 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Adolf Loos, en 1913, organise au Kunsthaus de Zurich une présentation d’une douzaine de ceux-ci, présentation ressentie par la plupart des indigènes helvètes comme un conte d’épouvante.</p> <p>Mais, événement entre tous historique, voici que Dada débarque et que la comédie de Kokoschka, <i>Le sphinx et l’homme de paille, </i>est jouée le 14 avril 1917 au Cabaret Voltaire à Zurich. Marcel Janco en signe les masques que portent les comédiens et la mise en scène, Tristan Tzara joue le rôle du perroquet, Emmy Hennings celui de l’infidèle Anima, Friedrich Glauser, la mort et Hugo Ball, Firdusi, l’époux trompé. Dans <i>La fuite hors du temps</i>, qu’il écrit et publie dix ans plus tard, Ball nous raconte le chaos qui règne ce soir-là sur la scène: «Malgré le prix d’entrée élevé, la Galerie était trop petite pour contenir tous les visiteurs. Dans une pièce du fond, Tzara était responsable de l’éclair et du tonnerre et, comme un perroquet, il devait répéter "Anima, douce Anima!". Mais il confondait les entrées et les sorties, faisait éclater l’orage aux mauvais moments et donnait, à tout prendre, l’impression que c’étaient des effets spéciaux, une confusion calculée des arrière-plans. Finalement, lorsque Monsieur Firdusi était censé tomber, tout s’est embrouillé dans une pagaille de fils électriques et de lampes. Pendant quelques minutes, ce fut la nuit noire et la confusion totale; après quoi la Galerie a retrouvé son aspect habituel.» </p> <p>La Seconde Guerre mondiale passée, la Suisse offrant à Kokoschka des perspectives de commandes de portraits et une clientèle prospère, en 1951, il décide de se faire construire une petite villa sur les bords du lac Léman: «Ce n’est pas par fierté de propriétaire, mais simplement le désir de pouvoir souffler de temps en temps quelque part au cœur de l’Europe dans un lieu politiquement paisible», écrit-il à sa sœur.</p> <p>En 1953, il s’établit définitivement non loin du Château de Chillon, à Villeneuve. 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Bref, c’est son destin, il l’a accepté et il dessine et redessine sans trêve ni repos.</p> <p>Pendant septante ans, à coups de traits outrés et fracturés, de visions oniriques, il alterne des représentations d’insectes, de nus, de scènes bibliques ou mythologiques et des paysages aux perspectives bizarres, Kokoschka préférant une vue bifocale à la perspective cavalière, vue embrassant l’étendue du paysage, des représentations de fleurs, d’animaux. Dans le paysage, ce qui l’intéresse, ce n’est pas l’idylle, mais la nature à l’état sauvage, indomptée. 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Oui, de porter une attention soutenue à ce qui nous environne, car si le dessin, comme il l’écrit, déplie le visible, cela ne peut être que pour le pénétrer plus intensément.</p> <h3>Les débuts</h3> <p>Le dessin est une activité solitaire, peinture des jours de pluie, enfermé dans une pièce et l’infini plaisir de n’avoir à faire que ça, ok, d’accord, mais c’est avec sa main dans le bac à sable que Philippe Comar a commencé à dessiner, ou avec un doigt sur des meubles couverts de poussière, sur des vitres embuées, dans de la farine, de la pâte à tarte, en piétinant la neige, en courant dans le sable. Il a dessiné dans le noir avec la pointe de sa langue dans le creux de sa main. En crachant sur les murs, en envoyant gicler des gouttes à la brosse à dent, à la craie sur les trottoirs, au canif sur les arbres. Il a dessiné sur ses mains avec un stylo à bille et comme Léonard de Vinci, il a aimé contempler sans penser à rien les tâches fortuites sur les murs, les traces de moisissure. Il a eu une période labyrinthes, dédales, passerelles, escaliers dérobés, tout un monde à la Piranèse. Il s’est essayé à l’anamorphose, aux dessins étirés, gonflés, dilatés. Pour lui, le dessin n’est jamais au service de quelque chose d’autre. Il est une fin en soi, un moment de grâce durant lequel on peut enfin s’abandonner à un afflux de sensations. Bien sûr, croyant observer, on ne fait qu’effleurer ce qu’on voit et c’est en cela que l’acte de dessiner est plus important que le dessin fini. Comme l’écrivait en 1971 le célèbre historien d’art John Berger, il s’agit de voir le voir. Et même en dessinant d’après nature, de trouver non pas ce que l’on voit mais ce que l’on sent.</p> <h3>Les fluides</h3> <p>Ces <i>Premiers traits</i>, indiqués dans le titre de ce nouvel opus, sont ceux que tracent, depuis l’enfance, tous les fluides qui s’écoulent du corps: salive, lait, larmes, urine. A l’école primaire, un jour, la maitresse le sermonne: il a couvert pendant des mois son bureau de centaines de petits dessins. Et pourquoi pas faire pipi sur les pupitres, s’exclame-t-elle. Toute la classe se gondole et en guise de punition, le petit Philippe est enfermé toute une longue et interminable journée dans les toilettes, et ceci sans manger ni boire et sans lumière. D’où que depuis ce jour-là, il associe l’acte d’uriner et le dessin. Et effectivement, tel Gargantua, du haut des tours de Notre-Dame, il adore dessiner ainsi sur le sable. 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Répétons-le: pour lui, il ne s’agit pas d’imiter mais de traduire un ressenti.</p> <h3>Le trait, la tache</h3> <p>Lorsqu’il a sept ans, sensible à l’application qu’il met à copier des tableaux, ceux du Greco par exemple, ses parents l’inscrivent dans une Académie dite «du Jeudi». Les enfants y peignent debout et n’y apprennent rien mais pratiquent assidument la chose. Et notre jeune futur artiste y prend plaisir à tracer des lignes parallèles et à s’y s’entraîner à tracer des lignes régulières, à main levée ou à la règle. C’est une technique qu’il connaît par les illustrations exécutées au burin figurant dans ses livres de classe. Dans son ouvrage, après une vibrante apologie de la gomme, il enchaîne avec celle d’une roulotte de bohémiens, de leur osier tressé pour les paniers, et de la petite bohémienne, pieds nus et cheveux sales pour laquelle il ressent une forte attirance physique. Sujet à sa première érection spontanée, il apprend ce jour-là que le sale et le sexuel ont affaire ensemble et que la découverte de l’outil peut précéder la connaissance de sa fonction. D’un côté, le trait aigu qui cerne. De l’autre, la tâche qui bave. Deux bornes: idéalisme et réalisme. Rodin, dans ses dessins érotiques, associe d’ailleurs ces deux démarches.</p> <h3>Le dessin: une habitude</h3> <p>Notre artiste, cent pour cent sédentaire, habitant depuis cinquante ans la même maison, homme d’habitudes, retrouve ce trait de caractère dans l’acte même de dessiner: le désir de retenir à tout prix, de saisir ce qui fuit. Très tôt sensible au pouvoir du dessin et des mots, la frontière entre les deux n’étant pas aussi nette qu’il y paraît, pour lui les mots ne sont pas que des signes arbitraires. Leur graphie suggère des figures. Ne parle-on pas en typographie de corps de la lettre, de jambage et d’empattement.</p> <h3>Palimpsestes, copies et détournements</h3> <p>En 1961, un sigle <i>OAS</i> ayant été transformé dans son quartier en <i>ONASSIS</i>, nom de l’amant de la Callas et de l’époux de Jacqueline Kennedy, il découvre l’art du détournement. On peut donc masquer le mot originel sans le rayer ou le biffer. Dès lors, il s’applique à faire disparaître ses propres dessins obscènes sous des dessins anodins. Ces palimpsestes sont suivis du détournement de photos de magazines sur lesquelles il modifie le sens d’une image sans que la retouche y soit visible. Il devient aussi, très tôt, faussaire. A dix, onze ans, il réalise déjà de faux tickets d’autobus et de faux timbres-poste, chaque ticket lui demandant plusieurs heures de travail. Une bonne copie doit être plus allusive que descriptive, pas trop précise pour ne pas se faire remarquer. Et petit-à-petit, il se met à remplacer la Marianne sur les lettres et cartes postales par des fragments de corps nus de dame. Oblitéré par la Poste, le timbre devient œuvre.</p> <h3>S'auto créer par et pour le dessin</h3> <p>Ses parents n’ont pas une sensualité marquée, son père lui inflige des fessées pantalon baissé, sa mère répugne au contact physique avec ses enfants et lui, il dessine en cachette des femmes nues, dessins qu’il détruit ensuite. Il rêve aussi d’auto-fellation et de s’auto-dévorer lui-même et retrouve cela dans un personnage de Saul Steinberg, personnage s’auto-dessinant et dans certains dessins de Hans Bellmer, un corps s’auto-dessinant également; et finit par penser que le phantasme d’auto-engendrement est l’essence même de l’art.</p> <h3>Dessin d'enfant</h3> <p>Les dessins d’enfant permettent-ils de retracer les fondements d’une œuvre à venir? Rien n’est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d’un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d’enfant. Tout en tentant de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur, Philippe Comar n’est guère porté à leur attribuer plus d’attention qu’ils n’en méritent. </p> <p>Pourtant, le XXème siècle a préféré cette naïveté à tous les savoirs. Lui, à l’inverse, défend la maitrise du dessin en tant que plaisir originel secondant phantasme jouissance et hédonisme. Il n’angélise rien, goûte à tout, nous raconte ses émois les plus anciens, scatologie et signes fortement sexués. Oui, décidément, dessiner, c’est voir et voir mieux.</p> <h3>Epitaphe</h3> <p>Très tôt, il a été obnubilé par la représentation des rayons lumineux. Fasciné donc par tout ce qui trace, que ce soit droit ou courbe, une ligne dans l’air, sans écran, ni feuille de papier: étoile filante, sillage d’avion, etc. Les traités de balistique en sont pleins. Un trait est un signe, une abstraction, les rayons de soleil, la ligne d’horizon en sont aussi mais dans la nature rien n’est parfait et tout a une dimension charnelle. Aux lignes droites qu’il observe dans le ciel s’ajoutent les cercles concentriques entourant le caillou qu’il vient de jeter dans l’eau. Et la courbe que trace en l’air, écrit-il, le jet mictionnel et qui se retrouve chez les peintres Lorenzo Lotto, Jean Cousin, Titien, Rubens, Rembrandt, Guido Remi et tant d’autres encore. Et les coquillages, les vignes, les crosses de fougère. Mais de toutes les lignes, celles qui l’ont le plus fasciné sont les herbes. Toutes les sortes d’herbes qui existent, le gazon dru, le chiendent, les hautes graminées et la <i>Grande touffe d’herbes </i>de Dürer lui paraît être le plus beau dessin jamais exécuté. Une douzaine d’espèces d’herbacés y sont représentées. A l’âge adulte, de la pousse native jusqu’à la pourriture, il a lui aussi tenté de relever le défi et exécuté plusieurs séries de cet inépuisable sujet. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. 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Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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Pas mal de vitres cassées remplacées par des morceaux de carton, des tuyaux de poêle pointant par diverses ouvertures, du linge étendu sur des barres d’appuis. On dirait une enquête de Zola, mais lui, Malet, a tout inventé et en ne s’inspirant non pas de Dashiell Hammett ou de <i>Scarface</i>, mais d’Arsène Lupin, Fantômas et Fu Manchu d’où est tiré le patronyme Burma; et en usant de nombreux emprunts à l’anglais: trench-coats, cop, docks, drugstore, building, policemen, barmaid ou knock-out.</p> <h3>La Série noire</h3> <p>En 1964, Sartre, dans son autobiographie, <i>Les Mots</i>, déclare qu’il lit plus volontiers un <i>Série</i> <i>noire</i> que Wittgenstein. Cette nouvelle collection a été lancée par Gallimard en 1945, pour publier des romans <i>hardboiled</i>. Peu de titres au début mais dès 1948 la collection entre dans l’ère fordiste des littératures de genre, standardisation et mode de fabrication contraints aussi bien dans la matérialité des volumes que dans l’identité des textes, avec imprimé sur les rabats de la jaquette. Donnés comme les traits principaux des ces ouvrages: l’immoralité, l’anticonformisme, l’action, la violence, la tension, l’humour et l’angoisse.</p> <p>En 1953, six titres français paraissent. Albert Simonin avec <i>Touchez pas au grisbi!</i> remporte un énorme succès, <i></i>100'000 exemplaires vendus. 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Leur contre-société est pour eux la seule communauté qui existe. Ils nomment leur milieu le Milieu et ils se nomment eux-mêmes les Hommes. Le reste de la société n’étant qu’un ramassis de pue-la-sueur soumis aux politiciens et craignant les flics.</p> <h3>Ultragauche, le néo-polar</h3> <p>Après Mai 68, le roman noir français reconvertit le genre en acte critique, en radiographie politique de la société et de ses institutions, en instrument d’intervention sociale. Le néo-polar intègre dans ses récits les banlieues, les grands ensembles, les HLM, et décrit de nouveaux espaces tels les caves, les terrains vagues, les cages d’escaliers. La violence sociale n’y est plus un écart mais la norme et toute révolte individuelle y est, par nature, vouée à échouer. Paranoïa et haine de soi y dominent.</p> <p>Jean-Patrick Manchette, invité à l'émission <i>Apostrophes</i> par Bernard Pivot, en utilisant le terme de néo-polar devant des millions de spectateurs, rend son usage universel. 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De même, la série Brigade spéciale associe toujours l’acte sexuel à des coups et de la torture, d’un racisme appuyé, elle use de termes comme «bougnoule», «négresse» et est riche en descriptions de traitements dégradants. </p> <p>Les années 1980 voient l’entrée en scène de l’amateur érudit et naissent des almanachs, des chroniques, des fanzines, des revues spécialisées vendues en kiosque, comme <i>Gang</i>, <i>Polar</i> ou <i>813</i>, un Festival du roman et du film policier, une exposition au Centre Pompidou, l’ouverture en 1983 de la Bilipo, Bibliothèque des littératures policières à Paris, des thèses sur le sujet sont soutenues et en 1994 paraissent 471 nouveaux titres, en 1995, 700, en 2001, 1'709. </p> <p>Lors du cinquantième anniversaire de la <i>Série noire</i>, Patrick Raynal en devient directeur. <i>Œdipe roi</i> de Sophocle y est publié, Jean-Claude Izzo et Maurice G. Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. La plus célèbre de toutes, Virginie Despentes, décrit des personnages qui n’ont rien de victimes soumises, ni de douceur féminine et retourne, avec brio, la violence contre les hommes dans des récits urbains, violents, crus et nihilistes.</p> <h3>Auteurs enquêteurs, profs, journalistes et policiers</h3> <p>Le polar du XXIème siècle marque l’avènement d’une prise de parole qui n’est ni le fruit d’un engagement ni le résultat d’une déception militante.</p> <p>Chercheurs, enseignants-chercheurs, journalistes, documentaristes, médecins, psychanalystes, avocats pénalistes, policiers, ils sont très nombreux à exercer ou avoir exercé des professions qui relèvent du paradigme indiciaire. Beaucoup d’auteurs travaillent dans l’audiovisuel, sont profs ou policiers – généralement des officiers. D’autres sont journalistes, donc précarisés ou en voie de l’être, et trouvent dans le polar une liberté dont ne disposent plus les médias d’information. Par le polar, ils peuvent raconter tout ce qu’ils ne peuvent plus dire par le journalisme. Ils utilisent dans l’écriture leur méthodologie d’investigation: collecte de données, recueil de témoignages, enquête de terrain, étude d’archives.</p> <p>Carlos Ginsburg dans <i>Signes, traces et pistes,</i> son article paru en 1980, article faisant lui-même référence à l’article <i>Attribution</i> d’Enrico Castelnuovo paru en 1968 dans l’Encyclopédie Universalis: en 1876, il y a beaucoup de fausses attributions dans les musées, G. Morelli postule que pour distinguer les originaux des copies, il ne faut pas se baser sur les caractères les plus apparents et, par conséquent, les plus faciles à imiter mais examiner les détails les plus négligeables: les lobes des oreilles, les ongles, la forme des doigts des mains et des pieds. Castelnuovo rapproche cette méthode à celle de Sherlock Holmes découvrant l’auteur d’un délit sur la base d’indices imperceptibles pour la plupart des gens.</p> <h3>Extension du domaine de la lutte</h3> <p>De nos jours, le roman noir affronte le post-moderne, les <i>fake news</i> et la post-vérité. Dans de nombreux romans, le dénouement est ouvert. Le texte se clôt sur un assaut, sur une poursuite, sur une disparition non expliquée, sur la recherche non aboutie d’un meurtrier. Il n’y a plus de point de vue surplombant, unifié, de narration organisatrice, il ne reste que dissensus et brouillard narratif. </p> <p>Bref, comme le disait le sociologue Luc Boltanski: que s’est-il passé pour qu’au début du XXème siècle surgisse cette littérature entièrement consacrée à l’énigme? L’émergence du roman policier ne coïncide-t-elle pas à la fois avec la construction de l’Etat-nation, la naissance de la sociologie et avec une nouvelle pathologie décrite par la psychiatrie, la paranoïa? Qu’ont-elles à voir entre elles? C’est simple. Elles utilisent toute l’enquête comme outil principal.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709203606_9782130841982_1_75.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="318" /></p> <h4>«Le roman noir: une histoire française», Natacha Levet, Presses Universitaires de France, 416 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'le-roman-noir-en-france-incarnations-diverses', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 48, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2107, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 9670, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => '5310385.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 433319, 'md5' => '1f44a573828d3d4e9c342f2b7c7d99b5', 'width' => (int) 1600, 'height' => (int) 1067, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Joaquin Phoenix dans "Joker" de Todd Philips.', 'author' => '', 'copyright' => '© 2019 Warner Bros. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Apitoyou 04.11.2022 | 10h11
«Pour mieux situer votre article , il faut lire aussi « La religion woke de J-F Braunstein ». Les dés politiques sont pratiquement tous lancés. Mais ils roulent toujours et le résultat , espérons qu’il sera le moins pire , concernera mes petits-enfants, pour lesquels je me fais vraiment du souci.»