Culture / Original et copies: les sources de l’art et de la littérature
Bruno Liljefors - Katt på fågeljakt, 1883. Gotteborg Museum of Art
Socrate et sa bizarrerie, Proust et ses rats, Burroughs et ses chats, Henry James et son fameux motif dans le tapis, Giorgione et sa Tempête, Borges et son écriture raffinée, Kafka et le chien Karo, Joyce et son tropisme pour la scatophilie, ils sont tous présents dans «Rafistolages» de Jean-Claude Lebensztejn.
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Oui, de porter une attention soutenue à ce qui nous environne, car si le dessin, comme il l’écrit, déplie le visible, cela ne peut être que pour le pénétrer plus intensément.</p> <h3>Les débuts</h3> <p>Le dessin est une activité solitaire, peinture des jours de pluie, enfermé dans une pièce et l’infini plaisir de n’avoir à faire que ça, ok, d’accord, mais c’est avec sa main dans le bac à sable que Philippe Comar a commencé à dessiner, ou avec un doigt sur des meubles couverts de poussière, sur des vitres embuées, dans de la farine, de la pâte à tarte, en piétinant la neige, en courant dans le sable. Il a dessiné dans le noir avec la pointe de sa langue dans le creux de sa main. En crachant sur les murs, en envoyant gicler des gouttes à la brosse à dent, à la craie sur les trottoirs, au canif sur les arbres. Il a dessiné sur ses mains avec un stylo à bille et comme Léonard de Vinci, il a aimé contempler sans penser à rien les tâches fortuites sur les murs, les traces de moisissure. 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A l’école primaire, un jour, la maitresse le sermonne: il a couvert pendant des mois son bureau de centaines de petits dessins. Et pourquoi pas faire pipi sur les pupitres, s’exclame-t-elle. Toute la classe se gondole et en guise de punition, le petit Philippe est enfermé toute une longue et interminable journée dans les toilettes, et ceci sans manger ni boire et sans lumière. D’où que depuis ce jour-là, il associe l’acte d’uriner et le dessin. Et effectivement, tel Gargantua, du haut des tours de Notre-Dame, il adore dessiner ainsi sur le sable. Et encore aujourd’hui, quand il use de l’encre, il le vit comme quelque chose qui fuit de lui.</p> <p>Vers l’âge de douze ans, découvrant l’urinoir de Duchamp, il se met à collectionner des reproductions de peintures représentant un ou des pots de chambre car oui, entre le XVème et le XVIIIème siècle, l’urine est un thème fréquent dans la peinture de genre.</p> <p>L’auteur se souvient encore d’avoir dessiné à l’école maternelle une femme aux seins pendants se prolongeant par un pointillé évoquant du lait qui s’écoule. Honteux, il l’a déchiré et jeté, pour recommencer aussitôt. Les pointillé l’excitent. Et cela s’est confirmé lorsqu’il a étudié la géométrie descriptive dans laquelle les axes et les lignes de construction d’un solide sont représentés justement par des pointillés, notation tout autant symbolique qu’imagée. 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Et petit-à-petit, il se met à remplacer la Marianne sur les lettres et cartes postales par des fragments de corps nus de dame. Oblitéré par la Poste, le timbre devient œuvre.</p> <h3>S'auto créer par et pour le dessin</h3> <p>Ses parents n’ont pas une sensualité marquée, son père lui inflige des fessées pantalon baissé, sa mère répugne au contact physique avec ses enfants et lui, il dessine en cachette des femmes nues, dessins qu’il détruit ensuite. Il rêve aussi d’auto-fellation et de s’auto-dévorer lui-même et retrouve cela dans un personnage de Saul Steinberg, personnage s’auto-dessinant et dans certains dessins de Hans Bellmer, un corps s’auto-dessinant également; et finit par penser que le phantasme d’auto-engendrement est l’essence même de l’art.</p> <h3>Dessin d'enfant</h3> <p>Les dessins d’enfant permettent-ils de retracer les fondements d’une œuvre à venir? Rien n’est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d’un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d’enfant. Tout en tentant de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur, Philippe Comar n’est guère porté à leur attribuer plus d’attention qu’ils n’en méritent. </p> <p>Pourtant, le XXème siècle a préféré cette naïveté à tous les savoirs. Lui, à l’inverse, défend la maitrise du dessin en tant que plaisir originel secondant phantasme jouissance et hédonisme. Il n’angélise rien, goûte à tout, nous raconte ses émois les plus anciens, scatologie et signes fortement sexués. Oui, décidément, dessiner, c’est voir et voir mieux.</p> <h3>Epitaphe</h3> <p>Très tôt, il a été obnubilé par la représentation des rayons lumineux. Fasciné donc par tout ce qui trace, que ce soit droit ou courbe, une ligne dans l’air, sans écran, ni feuille de papier: étoile filante, sillage d’avion, etc. Les traités de balistique en sont pleins. Un trait est un signe, une abstraction, les rayons de soleil, la ligne d’horizon en sont aussi mais dans la nature rien n’est parfait et tout a une dimension charnelle. Aux lignes droites qu’il observe dans le ciel s’ajoutent les cercles concentriques entourant le caillou qu’il vient de jeter dans l’eau. Et la courbe que trace en l’air, écrit-il, le jet mictionnel et qui se retrouve chez les peintres Lorenzo Lotto, Jean Cousin, Titien, Rubens, Rembrandt, Guido Remi et tant d’autres encore. Et les coquillages, les vignes, les crosses de fougère. Mais de toutes les lignes, celles qui l’ont le plus fasciné sont les herbes. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. Ils y attendent. </p> <p>Le récit est non linéaire, avançant dans une gratuité et un arbitraire paradoxalement archi gratifiant. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée, dans une histoire avec un début et une fin, mais dans un espace où nous nous évadons et gambadons d’image en image, sautillant de page en page, passant vite là, nous attardant ici, flânant ailleurs et retournant en arrière là.</p> <p>La dialectique entre textes et images et le jeu entre les échelles des dessins sont subtils, tendus, perpétuellement inventifs et renouvelés. Il en nait une musique visuelle avec ses thèmes obsédants. 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Des métiers demandant un grand engagement physique comme maître-nageur, guide chasse et pêche, sauveteur, interprète en langue des signes, souffleur, voix off, choriste, professeur de yoga. Et du côté col blanc, nous avons un game designer, un ministre du culte, un greffier, un fiscaliste, un échevin, un architecte de jardin, un humoriste, un acarologue, un acousticien, un fiscaliste, un diamantaire, un médecin légiste, un dénicheur de talent et un très utile dermatologue, l’un possédant une webcam et un autre avouant que cela suffit à son bonheur.</p> <h3>Les objets, les animaux, les décors, la Mère</h3> <p>On l’appelle «La Mère» et elle est «La Grande Absence». Sa maison est envahie par des amas de livres détrempés et son jardin contient une piscine inachevée. Mais tout en étant l’Unique Divin Problème, elle n’a pas de problème. Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. C’est ce que lui a raté que le roman noir va réussir, avec des auteurs paradoxalement issus de la grande bourgeoisie: Boris Vian et José Giovanni; ou avec des auteurs qui n’ont fréquenté que l’école primaire, comme Léo Malet, Auguste Le Breton, George Simenon et Albert Simonin.</p> <h3>Dur à cuire</h3> <p>1943 est l’année de l’adaptation en France du <i>hardboiled</i> <i>made in USA</i> avec la naissance de Nestor Burma dans le <i>120, rue de la Gare </i>de Léo Mallet, récit tissé d’effets de réel, d’écriture à la première personne, de notations de détails sans fonction, d’enracinement dans tel ou tel quartier. Mallet décrit la cité Jeanne-d’Arc, ilot insalubre, ruisseau central, trottoirs inexistants, poubelles débordantes d’immondices jamais enlevées et assiégées par des chats, des chiens et des rats. Maisons étayées par de gros madriers goudronnés. Ça pue les latrines bouchées. Pas mal de vitres cassées remplacées par des morceaux de carton, des tuyaux de poêle pointant par diverses ouvertures, du linge étendu sur des barres d’appuis. On dirait une enquête de Zola, mais lui, Malet, a tout inventé et en ne s’inspirant non pas de Dashiell Hammett ou de <i>Scarface</i>, mais d’Arsène Lupin, Fantômas et Fu Manchu d’où est tiré le patronyme Burma; et en usant de nombreux emprunts à l’anglais: trench-coats, cop, docks, drugstore, building, policemen, barmaid ou knock-out.</p> <h3>La Série noire</h3> <p>En 1964, Sartre, dans son autobiographie, <i>Les Mots</i>, déclare qu’il lit plus volontiers un <i>Série</i> <i>noire</i> que Wittgenstein. Cette nouvelle collection a été lancée par Gallimard en 1945, pour publier des romans <i>hardboiled</i>. 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Auguste le Breton renouvelle ensuite l’exploit avec <i>Du rififi chez les hommes</i>.</p> <h3>Le roman noir à la française</h3> <p>La classe moyenne, tout en se consolidant dans les années 50 et 60, aura son Homère en la personne de Georges Simenon et ses 75 romans mettant en scène le commissaire <i>Maigret.</i> Cette épopée d’une société rurale et ouvrière mutant vers le tertiaire rencontrera un succès planétaire et, en nombre d’exemplaires vendus, sera en concurrence avec la Bible. Auscultant inlassablement le capitalisme moderne, le Liégeois captera ses heurts, ses changements, ses frictions et pour lui, comme pour le roman noir en général, le cinéma sera fondamental. Une adaptation d’un de ses livres avec Jean Gabin dans le rôle-titre, c’est la certitude d’atteindre des tirages phénoménaux.</p> <p>Pour le reste, Manchette le notera dans l’une de ses chronique, les truands du roman noir sont réac et ne cessent de se plaindre du temps qui passe. Leur contre-société est pour eux la seule communauté qui existe. Ils nomment leur milieu le Milieu et ils se nomment eux-mêmes les Hommes. Le reste de la société n’étant qu’un ramassis de pue-la-sueur soumis aux politiciens et craignant les flics.</p> <h3>Ultragauche, le néo-polar</h3> <p>Après Mai 68, le roman noir français reconvertit le genre en acte critique, en radiographie politique de la société et de ses institutions, en instrument d’intervention sociale. Le néo-polar intègre dans ses récits les banlieues, les grands ensembles, les HLM, et décrit de nouveaux espaces tels les caves, les terrains vagues, les cages d’escaliers. La violence sociale n’y est plus un écart mais la norme et toute révolte individuelle y est, par nature, vouée à échouer. Paranoïa et haine de soi y dominent.</p> <p>Jean-Patrick Manchette, invité à l'émission <i>Apostrophes</i> par Bernard Pivot, en utilisant le terme de néo-polar devant des millions de spectateurs, rend son usage universel. L’époque est aux positions tranchées mais c’est A.D.G., sympathisant du Front national, qui brosse avec tendresse des portraits de hippies contestataires, et Manchette qui endosse dans ses livres le point de vue des fascistes.</p> <p>Sur les seize auteurs pratiquant ce nouveau genre, dix ont un passé de militants de gauche, dans des organisations telles que les Jeunesses communistes, le PCF, la Gauche prolétarienne ou Lutte ouvrière, tous, nés après 1945, sont des <i>baby-boomers</i>, ayant fait des études supérieures, et ayant des bac +4, ou +5. Ils sont journalistes, scénaristes, traducteurs, éditeurs ou cinéastes. Manchette se définira d’ailleurs lui-même comme étant un indécrottable intello pas honteux de l’être.</p> <h3>La reconnaissance du genre</h3> <p>Pendant que la contre-culture se dote de ses propres outils de communication, journaux satiriques, BD, fanzines, l’éditeur Plon réagit et crée des collections qui rencontrent un succès phénoménal comme <i>SAS</i> de Gérard de Villiers, avec ses romans d’espionnage racistes et sexistes, homophobes et anticommunistes. 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Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. 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Pensez-vous qu’un homme qui connait sa valeur accorde à quiconque le droit de critiquer ne serait-ce que ses traits de caractère les plus insignifiants? Qui serait-il donc, celui qui aurait ce droit? En quoi serait-il meilleur? Oui, me critiquer derrière mon dos, il y a là beaucoup de place, c’est loisible à chacun. Mais si je l’apprends, il est alors à ma merci, livré à mes représailles.»</p> <h3>En Belgique dans les années 20</h3> <p>En 1922, le jeune Henri Michaux, complètement paumé, se cherche un parrain littéraire et en Belgique, ça ne court pas vraiment les rues. Il tombe sur Franz Hellens, de 20 ans son ainé, auteur d’un récit onirique, <i>Mélusine</i>, récit qu’il l’a ébloui. Loin de l’homme sans concession qu’il deviendra, à ce moment-là, Michaux manquant de tout, même de livres, aspire à des mondanités, a le souci de parvenir, de trouver une place et de réussir dans la milieu littéraire parisien. Et ça marche, Hellens le prend dans sa revue<i> Le Disque vert</i>. 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Frieda qui est divorcée et lingère dans une clinique psychiatrique lui sert aussi d’archiviste et de bibliothécaire car Walser n’a jamais possédé de bibliothèque ni conservé quoi que ce soit. Elle satisfait fidèlement ses nombreuses demandes de vivres – fromage, beurre, saucisson, thé. Leur relation épistolaire est entrecoupée de rencontres épisodiques. Walser effectue souvent à pied le trajet entre Bienne et l’asile de Bellelay. Il donne toujours du «vous» à sa «chère Madame Mermet» tout en embrassant l’ourlet de sa ravissante petite culotte et parfois, il joue avec l'idée de l'épouser: «J'aimerais être dès demain matin votre mari, serviable, sage en tout temps, économe, solide, fidèle, toujours, bien sûr», lui écrit-il.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1707986152_correspondancescouverture1046x1536.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="294" /></p> <h4>«L’amitié dans tous ses états. 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Un livre remarquablement fluide et dont l’auteur parcourt, mains dans les poches et en sifflotant, les quartiers chauds de nos inconscients, ces quartiers à entrées multiples dans lesquelles se confondent le centre immémorial et les périphéries vouées au retour du refoulé. Avec ses analyses si fraîches, fines et pénétrantes, son côté connaisseur, ses multiples ramifications et ses correspondances inattendues, il réenchante tout ce dont il parle.
L'auteur
Ancien élève d’André Chastel, le spécialiste français de la Renaissance italienne, grand curieux et historien d’art atypique, Jean-Claude Lebensztejn publie depuis 40 ans des ouvrages sur les normes du goût et des valeurs esthétiques, sur les à-côtés, les accessoires de l’art, tels que le cadre et le socle, ou les images transgressives, comme, par exemple, les représentations d'enfants et d'adultes en train d’uriner. Il a dirigé la thèse de Magali Le Mens, Modernité hermaphrodite: art, histoire, culture et écrit un commentaire profond, fin et érudit de 450 pages sur les 15 pages d’Alexander Cozens intitulées Nouvelle méthode pour secourir l’invention dans le dessin des compositions originales de paysage (1785), texte appelant les peintres et dessinateurs, à partir de simples taches d’encre jetées sur le papier, à ne plus imiter la nature mais à la réinventer.
William Burroughs et les chats
Le dernier journal intime de Burroughs se clôture sur l’énumération de ses chats morts, Fletch, Spooner, Ruski, Calico, ce dernier écrasée non loin de chez lui. A cette époque de la fin de sa vie, son traitement à la méthadone lui enlève son goût pour les jeunes garçons et de ce vide surgit son amour pour les animaux.
Son chat préféré, Fletch, avait 13 ans, était obèse, noir et cardiaque et quand il est mort, le chagrin ressenti par son maître a été intense et profond. Il le nourrissait compulsivement. Dans Entre Chats est racontée l’arrivée de ce Fletch. Non coupé, fourrure noire scintillante, des taches blanches sur le buste et sur le ventre, ronronne, se blottit contre lui, est exquis, délicat, tout éclat et charme, gloutonnerie, yeux verts, tête lisse, mince et sinuante.
Lui survivront la grosse Mutie et la rousse Ginger, le bleu russe, Ruski et leurs deux chatons, Calico et Wimpy. «Ma fréquentation des chats m'a sauvé d'une ignorance crasse et incurable. On dit que les chats sont les animaux les plus éloignés du modèle humain. Cela dépend du genre d'humain auquel vous vous référez, et bien entendu de quels chats. Je trouve parfois les chats incroyablement humains», écrit Burroughs.
A l’étonnement de son biographe, Burroughs devant ses chats quitte son habituel cynisme, pour s’émouvoir et même pleurer à chaudes larmes, les mêlant à l’évocation de ses proches disparus, Ruski, Spooner, Calico équivalents à Mère, Joan, sa femme, Brion son père, et Anthony, son fils. Ainsi donc, Wimpy pleure et gratte à la porte comme le faisait, 35 ans plus tôt, son défunt fils.
Oui, pour l’auteur du Festin nu, le chat est le médium de la grâce – désinvolture, élégance, délicatesse, beauté. Il n’offre pas ses services, il s’offre lui, et en échange, car c’est un être pratique, il exige le gite et le couvert.
La maison du beatnik est donc pleine de chats errants se reproduisant entre eux vu que le maitre rechigne à les faire opérer, pleine d’odeurs fortes, de rixes violentes, de chatons dont on ne sait que faire.
Les chats et moi, c’est à la vie et à la mort, disait-il, lui qui jeune, au Mexique, les avait si férocement sadisés. Rappelez-vous quand, en 1953, sous l’emprise du manque, ainsi qu’il le raconte dans Junky, son personnage torture un chat. Il colle son nez contre le sien, le chat tente de le griffer, il le frappe à la tête avec un livre, le chat lui pisse dessus et hurle, il continue à le frapper, les mains ensanglantées des coups de griffes. En sueur, se léchant les lèvres, il attrape une lourde cane. Joan Vollmer, sa femme, intervient, le chat s’échappe.
Quarante ans plus tard, dans Entre Chats, il revit la scène, comprend qu’il se faisait du mal à lui-même et qu’il ne le savait pas. Le chat était son double, son démon «formé de clair de lune blanc et brûlant». C’est l’histoire de sa vie. A Lima, un jeune garçon endormi sur son épaule lui semble un jeune chiot affectueux. A Tanger, Kiki, son petit ami, ronronne quand il le caresse. Il frappe un chat, il frappe un garçon, il les cherche ensuite, les trouve, s’excuse et à chaque fois, ils reviennent.
L'énigme
Le texte d’ouverture de Rafistolages fait état d’une énigme littéraire, «L’image dans le tapis» de Henry James, et d’une énigme picturale avec la toile La Tempête de Giorgione. A partir de là, l’auteur mène une enquête autant qu’une quête du vrai et du faux, de la vérité ou de la réalité. Tout en nous rappelant sporadiquement qu’il n’y a peut-être ni énigme, ni vérité, pas de clef, et que c’est sans doute cela même qui est le secret de tous les secrets. Comme disait Kafka, le secret est juste là devant nous, nous avons le nez collé dessus mais nous ne le voyons pas.
Côté motifs dans le tapis, Lebensztejn propose tout simplement la pédérastie car, dit-il, Henry James était fasciné par l’homosexualité clandestine et néanmoins si présente en tant que spectaculaire refoulé dans l’Angleterre victorienne. Oui, les chimères manquent de naturel et ce qui est arrivé, c’est que ce n’est pas arrivé. L’énigme étant soit devinette donc inutilement futile ou mystère et donc inutilement profonde, s’obséder dans la volonté de la percer à jour, c’est tomber en chute libre dans un piège sans fond.
La Tempête
La multitude d’interprétations, par exemple, de La Tempête de 1508, tableau manifeste de Giorgione est sidérante. Cette toile résiste magnifiquement à tous ses commentateurs. Vasari, par exemple, écrit n’y rien comprendre et n’avoir jamais trouvé personne qui la comprenne. Cette toile est considérée comme ayant été la première peinture de paysage et on en a donc donné une multitude d’interprétations: les quatre éléments, eau, terre, feu et air; guerre et charité; représentation d'Adam et Eve après la Chute; Vénus allaitant Cupidon avec ses larmes; un passage de l'Odyssée d'Homère, l'histoire d'Iasion et de Déméter, qui s'unissent pour donner naissance à Ploutos...
Bas-côtés et à-côtés
Dans Ulysse, Molly Bloom se lave le visage à l’urine – lotion antiride –, Stephen et Leopold pissent de concert des jets divers et la scène du bordel, univers ô combien burlesque se détache sur un fond de vie paisible. La norme et l’excès se renforçant l’un l’autre.
Marcel Jouhandeau, André Gide et Walter Benjamin racontent tous trois que pour arriver à la jouissance Proust observait des rats affamés s’entredévorant dans une cage.
Socrate l’atopos
Les dialogues de Platon le qualifient d’extravagant, étrange, déroutant, étonnant, excentrique. En grec: atopos. Inclassable, insituable, atopique. L’absence de lieu (topos) pour un grec ancien est donc bizarre. Absurdité, chose étrange, insensée, le comportement de Socrate dans le Banquet. Il arrive au milieu du souper. Moins en retard que d’habitude!
Il fait l’amant alors qu’il se met en position d’aimé. C’est un séducteur. Il ensorcelle pour produire un effet de raison. Avec lui, le réel et l’étrange cessent de s’opposer.
L’homme qui rencontre la mort
William Burroughs avait accumulé de multiples petits livres sur la mort. La question le passionnait. Et en 1997, à 83 ans, il raconte l’histoire de l’homme qui rencontre la mort. Le serviteur va au marché où il rencontre la mort qui le regarde avec horreur. Il rentre à toute vitesse chez son maître et lui demande la permission de fuir à Bagdad. Permission accordée. Le maitre va au marché et demande à la mort pourquoi elle était horrifiée. La mort lui répond qu’elle n’était pas horrifiée mais étonnée de rencontrer ici le serviteur vu qu’elle avait rendez-vous avec lui le soir-même à Bagdad.
On trouve ce conte persan au XIIIème siècle dans l’Orient médiéval, dans un dessin animé de Marjane Satrapi, un roman de Somerset Maugham, un scénario de G. G. Marquez, dans des poésies, un film, une pièce de théâtre, partout!
Burroughs l’a-t-il trouvé lui chez J.-L. Borges ou chez Jean Cocteau, chez qui il figure aussi?
Plagiat et détournement
Burroughs, élevé dans le culte de la propriété privée, a eu beaucoup de peine à accepter sa propension à détourner, comme le faisaient avant lui Guy Debord et Gil Wolman, les vrais inventeurs du cut-up, mais quand, sous l’influence de Brion Gysing, il l’a enfin admis, il l’a fait pleinement.
«Les écrivains travaillent avec des mots et des voix tout comme les peintres travaillent avec des couleurs; et d’où viennent ces mots et ces voix? De bien des sources: des conversations entendues et surprises, des films, et des émissions de radio, des journaux, des magazines, et oui, d’autres écrivains; une phrase vient à l’esprit d’un vieux western lu dans un magazine cheap il y a des années, pas moyen de savoir où et quand», écrivent Brion Gysing et Burroughs dans leur manifeste de 1977 intitulé, en français Les Voleurs, exposé esthétique revenant sur le cut-up, le collage, le pillage, le détournement, les déplacements. Tout appartient au voleur inspiré, écrivent-ils, musée, cinéma, musique, livres, monuments, le Louvre, tout. Vive le vol éhonté! Bosch, Michel-Ange, Renoir, Monet, Picasso, volez tout!
«Rafistolages (James, Burroughs, Kafka, Proust, Platon, Marivaux, Donne, Autophagie, Palmarès)», Jean-Claude Lebensztejn, Editions Macula, 184 pages.
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Oui, de porter une attention soutenue à ce qui nous environne, car si le dessin, comme il l’écrit, déplie le visible, cela ne peut être que pour le pénétrer plus intensément.</p> <h3>Les débuts</h3> <p>Le dessin est une activité solitaire, peinture des jours de pluie, enfermé dans une pièce et l’infini plaisir de n’avoir à faire que ça, ok, d’accord, mais c’est avec sa main dans le bac à sable que Philippe Comar a commencé à dessiner, ou avec un doigt sur des meubles couverts de poussière, sur des vitres embuées, dans de la farine, de la pâte à tarte, en piétinant la neige, en courant dans le sable. Il a dessiné dans le noir avec la pointe de sa langue dans le creux de sa main. En crachant sur les murs, en envoyant gicler des gouttes à la brosse à dent, à la craie sur les trottoirs, au canif sur les arbres. Il a dessiné sur ses mains avec un stylo à bille et comme Léonard de Vinci, il a aimé contempler sans penser à rien les tâches fortuites sur les murs, les traces de moisissure. 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A l’école primaire, un jour, la maitresse le sermonne: il a couvert pendant des mois son bureau de centaines de petits dessins. Et pourquoi pas faire pipi sur les pupitres, s’exclame-t-elle. Toute la classe se gondole et en guise de punition, le petit Philippe est enfermé toute une longue et interminable journée dans les toilettes, et ceci sans manger ni boire et sans lumière. D’où que depuis ce jour-là, il associe l’acte d’uriner et le dessin. Et effectivement, tel Gargantua, du haut des tours de Notre-Dame, il adore dessiner ainsi sur le sable. Et encore aujourd’hui, quand il use de l’encre, il le vit comme quelque chose qui fuit de lui.</p> <p>Vers l’âge de douze ans, découvrant l’urinoir de Duchamp, il se met à collectionner des reproductions de peintures représentant un ou des pots de chambre car oui, entre le XVème et le XVIIIème siècle, l’urine est un thème fréquent dans la peinture de genre.</p> <p>L’auteur se souvient encore d’avoir dessiné à l’école maternelle une femme aux seins pendants se prolongeant par un pointillé évoquant du lait qui s’écoule. Honteux, il l’a déchiré et jeté, pour recommencer aussitôt. Les pointillé l’excitent. Et cela s’est confirmé lorsqu’il a étudié la géométrie descriptive dans laquelle les axes et les lignes de construction d’un solide sont représentés justement par des pointillés, notation tout autant symbolique qu’imagée. 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Et petit-à-petit, il se met à remplacer la Marianne sur les lettres et cartes postales par des fragments de corps nus de dame. Oblitéré par la Poste, le timbre devient œuvre.</p> <h3>S'auto créer par et pour le dessin</h3> <p>Ses parents n’ont pas une sensualité marquée, son père lui inflige des fessées pantalon baissé, sa mère répugne au contact physique avec ses enfants et lui, il dessine en cachette des femmes nues, dessins qu’il détruit ensuite. Il rêve aussi d’auto-fellation et de s’auto-dévorer lui-même et retrouve cela dans un personnage de Saul Steinberg, personnage s’auto-dessinant et dans certains dessins de Hans Bellmer, un corps s’auto-dessinant également; et finit par penser que le phantasme d’auto-engendrement est l’essence même de l’art.</p> <h3>Dessin d'enfant</h3> <p>Les dessins d’enfant permettent-ils de retracer les fondements d’une œuvre à venir? Rien n’est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d’un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d’enfant. Tout en tentant de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur, Philippe Comar n’est guère porté à leur attribuer plus d’attention qu’ils n’en méritent. </p> <p>Pourtant, le XXème siècle a préféré cette naïveté à tous les savoirs. Lui, à l’inverse, défend la maitrise du dessin en tant que plaisir originel secondant phantasme jouissance et hédonisme. Il n’angélise rien, goûte à tout, nous raconte ses émois les plus anciens, scatologie et signes fortement sexués. Oui, décidément, dessiner, c’est voir et voir mieux.</p> <h3>Epitaphe</h3> <p>Très tôt, il a été obnubilé par la représentation des rayons lumineux. Fasciné donc par tout ce qui trace, que ce soit droit ou courbe, une ligne dans l’air, sans écran, ni feuille de papier: étoile filante, sillage d’avion, etc. Les traités de balistique en sont pleins. Un trait est un signe, une abstraction, les rayons de soleil, la ligne d’horizon en sont aussi mais dans la nature rien n’est parfait et tout a une dimension charnelle. Aux lignes droites qu’il observe dans le ciel s’ajoutent les cercles concentriques entourant le caillou qu’il vient de jeter dans l’eau. Et la courbe que trace en l’air, écrit-il, le jet mictionnel et qui se retrouve chez les peintres Lorenzo Lotto, Jean Cousin, Titien, Rubens, Rembrandt, Guido Remi et tant d’autres encore. Et les coquillages, les vignes, les crosses de fougère. Mais de toutes les lignes, celles qui l’ont le plus fasciné sont les herbes. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. Ils y attendent. </p> <p>Le récit est non linéaire, avançant dans une gratuité et un arbitraire paradoxalement archi gratifiant. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée, dans une histoire avec un début et une fin, mais dans un espace où nous nous évadons et gambadons d’image en image, sautillant de page en page, passant vite là, nous attardant ici, flânant ailleurs et retournant en arrière là.</p> <p>La dialectique entre textes et images et le jeu entre les échelles des dessins sont subtils, tendus, perpétuellement inventifs et renouvelés. Il en nait une musique visuelle avec ses thèmes obsédants. 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Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. C’est ce que lui a raté que le roman noir va réussir, avec des auteurs paradoxalement issus de la grande bourgeoisie: Boris Vian et José Giovanni; ou avec des auteurs qui n’ont fréquenté que l’école primaire, comme Léo Malet, Auguste Le Breton, George Simenon et Albert Simonin.</p> <h3>Dur à cuire</h3> <p>1943 est l’année de l’adaptation en France du <i>hardboiled</i> <i>made in USA</i> avec la naissance de Nestor Burma dans le <i>120, rue de la Gare </i>de Léo Mallet, récit tissé d’effets de réel, d’écriture à la première personne, de notations de détails sans fonction, d’enracinement dans tel ou tel quartier. Mallet décrit la cité Jeanne-d’Arc, ilot insalubre, ruisseau central, trottoirs inexistants, poubelles débordantes d’immondices jamais enlevées et assiégées par des chats, des chiens et des rats. Maisons étayées par de gros madriers goudronnés. Ça pue les latrines bouchées. Pas mal de vitres cassées remplacées par des morceaux de carton, des tuyaux de poêle pointant par diverses ouvertures, du linge étendu sur des barres d’appuis. On dirait une enquête de Zola, mais lui, Malet, a tout inventé et en ne s’inspirant non pas de Dashiell Hammett ou de <i>Scarface</i>, mais d’Arsène Lupin, Fantômas et Fu Manchu d’où est tiré le patronyme Burma; et en usant de nombreux emprunts à l’anglais: trench-coats, cop, docks, drugstore, building, policemen, barmaid ou knock-out.</p> <h3>La Série noire</h3> <p>En 1964, Sartre, dans son autobiographie, <i>Les Mots</i>, déclare qu’il lit plus volontiers un <i>Série</i> <i>noire</i> que Wittgenstein. Cette nouvelle collection a été lancée par Gallimard en 1945, pour publier des romans <i>hardboiled</i>. Peu de titres au début mais dès 1948 la collection entre dans l’ère fordiste des littératures de genre, standardisation et mode de fabrication contraints aussi bien dans la matérialité des volumes que dans l’identité des textes, avec imprimé sur les rabats de la jaquette. Donnés comme les traits principaux des ces ouvrages: l’immoralité, l’anticonformisme, l’action, la violence, la tension, l’humour et l’angoisse.</p> <p>En 1953, six titres français paraissent. Albert Simonin avec <i>Touchez pas au grisbi!</i> remporte un énorme succès, <i></i>100'000 exemplaires vendus. 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Leur contre-société est pour eux la seule communauté qui existe. Ils nomment leur milieu le Milieu et ils se nomment eux-mêmes les Hommes. Le reste de la société n’étant qu’un ramassis de pue-la-sueur soumis aux politiciens et craignant les flics.</p> <h3>Ultragauche, le néo-polar</h3> <p>Après Mai 68, le roman noir français reconvertit le genre en acte critique, en radiographie politique de la société et de ses institutions, en instrument d’intervention sociale. Le néo-polar intègre dans ses récits les banlieues, les grands ensembles, les HLM, et décrit de nouveaux espaces tels les caves, les terrains vagues, les cages d’escaliers. La violence sociale n’y est plus un écart mais la norme et toute révolte individuelle y est, par nature, vouée à échouer. Paranoïa et haine de soi y dominent.</p> <p>Jean-Patrick Manchette, invité à l'émission <i>Apostrophes</i> par Bernard Pivot, en utilisant le terme de néo-polar devant des millions de spectateurs, rend son usage universel. L’époque est aux positions tranchées mais c’est A.D.G., sympathisant du Front national, qui brosse avec tendresse des portraits de hippies contestataires, et Manchette qui endosse dans ses livres le point de vue des fascistes.</p> <p>Sur les seize auteurs pratiquant ce nouveau genre, dix ont un passé de militants de gauche, dans des organisations telles que les Jeunesses communistes, le PCF, la Gauche prolétarienne ou Lutte ouvrière, tous, nés après 1945, sont des <i>baby-boomers</i>, ayant fait des études supérieures, et ayant des bac +4, ou +5. Ils sont journalistes, scénaristes, traducteurs, éditeurs ou cinéastes. Manchette se définira d’ailleurs lui-même comme étant un indécrottable intello pas honteux de l’être.</p> <h3>La reconnaissance du genre</h3> <p>Pendant que la contre-culture se dote de ses propres outils de communication, journaux satiriques, BD, fanzines, l’éditeur Plon réagit et crée des collections qui rencontrent un succès phénoménal comme <i>SAS</i> de Gérard de Villiers, avec ses romans d’espionnage racistes et sexistes, homophobes et anticommunistes. 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Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. 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