Pierfrancesco Favino dans le rôle du mafieux repenti Tommaso Buscetta. © AD VITAM
Dans «Le traître», sorti en salles mercredi dernier, Marco Bellocchio retrace un moment-clé de l'histoire italienne, les «maxi-procès» anti-mafia des années 1980-90, à travers la figure du repenti Tommaso Buscetta. Un film d'une ambition et d'une clairvoyance exceptionnelles, injustement ignoré par le jury cannois.
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Dans un genre sur lequel la critique a peu de prise tant le sujet tend à primer, il faut pourtant bien reconnaître que la méthode, la sensibilité, l'art narratif et la profondeur intellectuelle du l'auteur(e) peuvent faire la différence. Et il n'en fallait pas moins pour s'attaquer à un sujet tel que Leni Riefenstahl, déjà documenté une bonne vingtaine de fois pour la télévision, notamment dans un mémorable <i>Leni Riefenstahl - Le Pouvoir des images</i> (Ray Müller, 1993). Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. 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Aujourd'hui, ne reste plus guère de Leni Riefenstahl que sa réputation de cinéaste officielle du IIIe Reich, qui paya pour tous les autres par une mise à l'écart définitive (même Veit Harlan, l'auteur du tristement fameux <i>Juif Süss,</i> le très problématique Karl Ritter ou encore Alfred Weidenmann, chantre des Jeunesses hitlériennes<i>,</i> retouvèrent le chemin des plateaux dans les années 1950, tandis que Hans Seinhoff, le plus nazi d'entre tous, mourut opportunément en 1945).</p> <h3>Une irrésistibe ascension</h3> <p>Le travail remarquable de Veiel rend justice à la femme et à l'artiste tout en se concentrant sur les questions du degré de son implication et de sa responsabilité. Ensuite, il met en lumière toute une seconde partie de son existence passée à se justifier et réécrire sa légende. Où il apparaît que pour Leni Riefenstahl, la seule vraie catastrophe fut en définitive la guerre. Ne reconnaît-elle pas lors d'une interview que sa vie aurait mieux fait de s'arrêter en 1939? Jusque-là, tout ne fut en effet que mouvement ascentionnel – peu importe apparemment au service de quoi.</p> <p>Au début était une grande fille sportive, traitée comme un garçon par son père autoritaire et réceptacle de toutes les ambitions frustrées de sa mère. D'abord danseuse, c'est suite à un accident qu'elle se retrouve plutôt actrice, choisie à 23 ans pour être la vedette d'un film de montagne d'Arnold Fanck. Les six films tournés coup sur coup avec le brave Dr. Fanck, très basiques à part <i>L'Enfer blanc du Piz Palu</i> (co-signé par G.W. Pabst), ne sont aujourd'hui plus que d'un intérêt anecdotique. Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. 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C'est ainsi qu'elle fut impliquée aux côtés de l'architecte Albert Speer dès la préparation du fameux Congrès de Nuremberg puis des Jeux Olympiques de Berlin – où elle dit n'avoir jamais voulu que saisir la beauté, son unique souci. Et à en revoir des extraits, il faut bien avouer que le résultat fut grandiose, cinématographiquement parlant.</p> <h3>Une simple suiveuse?</h3> <p>Mais par la suite, tout s'est effectivement gâté pour Leni Riefenstahl. Embrigadée pour immortaliser l'invasion de la Pologne, elle emploie des prisonniers comme figurants avant de jeter l'éponge. Ses soutiens s'étiolent pour <i>Tiefland,</i> qui doit marquer son retour à la fiction et à ses chères montagnes. La guerre interfère avec le tournage et, à 40 ans, elle paraît trop âgée pour tenir le rôle principal. Elle utilise aussi des jeunes tziganes recrutés dans des camps, enfants qu'elle prétendra avoir revus plus tard alors qu'ils furent pour la plupart assassinés à Auschwitz. Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple <i>Mitläuferin</i> (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de <i>Tiefland</i> – un flop.</p> <p>Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. Par contre, il y a tout un art de s'aveugler, qu'elle pratiqua très activement, jusqu'à devenir par là-même la porte-parle de toute une BRD (l'Allemagne de l'Ouest d'alors) qui aurait préféré ne jamais avoir à se confronter à son passé.</p> <p>Divorcée en 1947, sans revenus et réfugiée auprès de sa vieille mère, Leni Riefenstahl se refait une santé économique dès le début des années 1960 en devenant photographe. Une expédition au sud du Soudan, d'où elle rapporte des photos du peuple Nuba, sont particulièrement remarquées. Sponsorisée, elle y retournera maintes fois, albums et expositions à la clé. En 1967, c'est surtout la rencontre avec Horst Kettner, un étrange jeune homme de 40 ans son cadet qui devient son assistant et son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. C'est ensemble qu'ils s'attellent à la lourde tâche de sa réhabilitation, fondée sur un formidable travail d'archivage et l'écriture de ses <i>Mémoires</i>, publiés en 1987.</p> <h3>De la défense au réarmement</h3> <p>Il faut la voir alors, septuagénaire puis octogénaire, toujours dans une forme étonnante pour son âge, dans leur grande maison bavaroise avec jardin; courant le cachet sur les plateaux TV, défendant mordicus sa version contre des journalistes tous mal intentionnés; retrouvant son vieil ami Albert Speer sorti de prison et discutant avec lui de leurs honoraires; ou encore dirigeant avec une autorité retrouvée et très colonialiste ses chers Nubas dans des images filmées restées inédites. C'est sûr, cette femme se sera renforcée dans l'adversité, éloignant toute possibilité de remise en question.</p> <p>Impeccable dans son travail de montage toujours dialectique, Andres Veiel se garde bien de porter un jugement. Mais le film rend bien perceptible un ego parfaitement proportionnel à son ambition artistique. Et en définitive, c'est bien de la place de l'artiste dans la société, du sens de son travail et de sa responsabilité humaine qu'il est question. C'est ainsi que l'idéal esthétique de Riefenstahl devient suspect en lui-même. A la question «Auriez-vous filmé de la sorte des athlètes handicapés?», la dame répond du tac au tac par un «Jamais de la vie!» scandalisé. Et si on ne saura jamais le degré de son antisémitisme, on peut là aussi soupçonner une certaine compatibilité avec le national-socialisme, elle qui s'employa très vite à effacer la participation décisive du fameux théoricien juif hongrois Béla Balász à <i>La Lumière bleue..</i>.</p> <p>Le réalisateur conclut sur des extraits parlants de deux émissions. 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Entre école, centres autogérés, collectifs de production et RSI (Radio-télévision Suisse Italophone), le désir de cinéma n'est venu que peu à peu, toujours sous le signe du politique. De <i>Volo in ombra</i> (2012) à <i>Non ho l'età</i> (2017, sur l'immigration italienne) et <i>La scomparsa di Bruno Bréguet,</i> les moyens ont grandi en fonction des sujets. Plutôt qu'une sophistication filmique ou une carrière, ce réalisateur cherche du sens en se frottant à l'histoire récente. Un parcours et une démarche qui l'ont logiquement fait atterrir, pour co-produire son dernier film, chez les Zurichois de Dschoint Ventschr (Samir, Werner Schweizer & co), une maison de production née de la contre-culture. 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Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. Il a donc été élevé à Muralto, à côté de Locarno, avec ses trois frères et sœurs. La famille parlait déjà plusieurs langues et c'est ainsi qu'il a pu devenir très tôt un «citoyen du monde» sachant l'italien, le français, l'allemand et l'anglais. Plus tard, en prison, il a encore appris l'arabe.</p> <p><strong>Et comment s'est-il engagé, puis radicalisé?</strong></p> <p>D'après toutes les descriptions, c'était un garçon très réservé et secret, qui lisait beaucoup. Les fameuses fiches fédérales contiennent le détail de sa bibliothèque. Au lycée déjà, à la fin des années 1960, il a fait des présentations sur l'énergie atomique et sur la cause palestinienne. Il a commencé à fréquenter certains groupes de gauche, toujours en retrait. Et puis un jour, il s'est rendu à Genève pour prendre contact avec la Ligue arabe, dans l'idée de se rendre utile aux Palestiniens. Après son arrestation en Israël, sa radicalisation est vraiment venue de ses longues années de prison – et encore, il n'en aura purgé que la moitié! Puis il s'est installé à Berlin avec sa première compagne, au bénéfice d'une bourse fédérale d'études universitaires... C'est à ce moment qu'il est entré en contact avec le terroriste Carlos, à l'époque le terroriste le plus recherché au monde.</p> <p><strong>A-t-on facilement accès aux archives le concernant, en tant que chercheur?</strong></p> <p>A Berne, aux Archives fédérales, ça s'est fait en plusieurs étapes. J'ai pu consulter presque tous les dossiers contre signature d'une promesse de non-divulgation. En plus du détail de sa surveillance, on y trouve même les photocopies de tous les documents est-allemands de la Stasi le concernant. Puis je suis retourné avec une demande plus précise d'utilisation de certains documents, en expliquant mon projet et son intérêt public. Ce qui n'a pas posé de problèmes. En fait, je pense que les derniers dossiers encore gardés secrets sont ceux liés à sa disparition.</p> <p><strong>Et pour essayer de retracer son parcours international?</strong></p> <p>Là, je me suis contenté d'archives de presse ou filmiques, comme l'INA. L'essentiel de son activité est alors souterraine et donc difficile à cerner. En Grèce, où il s'est insallé avec une deuxième compagne anglaise, je n'ai retrouvé que le lieu où il habitait – un village où tout le monde l'appréciait sans savoir vraiment qui il était. Mais j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur les recherches d'Adrian Hänni, qui apparaît dans le film et qui a eu accès à des archives des services secrets américains déclassifiées. C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Nous pouvons juste espérer améliorer des choses à petite échelle.</p> <p><strong>Et concernant Bréguet lui-même et sa dérive dans l'action violente?</strong></p> <p>Clairement, Bréguet n'a rien d'un modèle à suivre. Son histoire est tragique, jusqu'au mystère de sa disparition. S'il est facile d'avoir de la sympathie pour le jeune idéaliste qu'il était au début, son image se brouille fatalement par la suite. Les autres protagonistes du film, eux, sont restés dans le cadre d'une lutte collective et non-violente. Même Giorgio Bellini, qui a participé à l'attentat contre le pavillon d'information de la centrale de Kaiseraugst en 1979, est finalement resté sur cette ligne. Bréguet et le groupuscule autour de Carlos se sont vus comme une élite révolutionnaire et ce qu'ils ont fait est l'exact contraire des grandes manifestations ou des petites actions pacifiques auxquelles nous autres avons pu participer. Au-delà du destin de Bréguet, c'est ce contraste que le film cherche à évoquer, laissant à chacun de juger par lui-même.</p> <p><strong>La fabrication de ce film et son parcours à ce jour vous ont-ils satisfait?</strong></p> <p>La co-production avec Dschoint Ventschr a été un grand soutien. C'est ma monteuse Kathrin Plüss – qui pense s'arrêter sur ce film, quarante ans après <i>Der Grüne Berge</i> de Fredi M. Murer – qui nous a mis en contact. Karin Koch a œuvré comme productrice, mais des cinéastes aussi chevronnés que Samir ou Sabine Gisiger ont aussi apporté leurs conseils artistiques. Et pour la sortie, je ne vais pas me plaindre. Le film a été bien accueilli à Soleure et Locarno et a remporté un prix au festival du documentaire de Milan Visioni dal Mondo avant de connaître un beau succès au Tessin, où il est resté sept semaines à l'affiche. 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Avec le coming out d'Ellen Page, le petite actrice canadienne adoptée par Hollywood dans les années 2000 <i>(Hard Candy, Juno, Bliss, X-Men, Inception, Free Love,</i> etc.), on passe un nouveau cap. Disparue des radars depuis le catastrophique <i>Flatliners</i> de 2017, la/le voici qui ressurgit comme Elliot Page, au terme d'une transition déjà largement rendue publique par la publication de mémoires intitulées <i>Pageboy.</i> Et le film choisi pour entériner cette transition est... un drame de la transidentité. Bref, un geste hautement politique.</p> <p>Désormais, un site comme I'Internet Movie Data Base (imbd.com) ne s'autorise même plus à offrir de renvoi à partir du nom d'Ellen Page! Par contre, le film en question, <i>Close to You</i> de Dominic Savage, un ciné-téléaste britannique de 60 ans, a bien peu de chances de rester dans les mémoires. 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Lorsque surviennent coup sur coup deux événements inouïs, un retournement interne suivi d'un coup de théâtre externe, cette interrogation devient encore plus claire. Voulons-nous le chaos ou un semblant d'ordre, sommes-nous pour l'irresponsabilité ou pour un rappel aux actes commis?</p> <p>Les déçus affirment qu'il ne se passe quasiment rien dans ce film, qu'il n'est même pas cohérent avec son projet initial de «récit des origines». Pour ce qui est de l'action, on dira au contraire: quelle belle idée que ces personnages ramenés à une dimension réaliste, tellement plus intéressante que ces exploits répétitifs à base d'effets spéciaux. Après les images choc de la prise d'assaut du Capitole en 2021, ce retour de sobriété introspective était la meilleure chose à faire. Quant à l'étincelle qui nait dans les yeux de Joaquin Phoenix et de Lady Gaga, portée à des sommets imaginaires typiques d'une «folie à deux», elle suffit largement en termes de spectacle.</p> <p>Mais ce qui advient ensuite de leur histoire d'amour n'est pas moins captivant, ce film allant en effet jusqu'à dire la méprise, la part de malentendu dans toute histoire d'amour. Lee aime le Joker, son déguisement et son acte insensé, et non Arthur. Et de son côté, Arthur pense avoir trouvé en Lee son âme sœur, ce que cette fille de «bonne famille» mythomane n'est pas vraiment. L'un comme l'autre s'imaginent en vedettes d'un grand spectacle («<em>That's Entertainment</em>»)? C'est le comble de l'illusion romantique, qui va les voir retomber de haut. Et Todd Phillips d'enfoncer le clou jusqu'à un déchirant «<em>If you Go Away</em>», alias «Ne me quitte pas» de Brel revu par Rod McKuen, chanté au téléphone. 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De la mafia des débuts, organisation qui se voulait au service du peuple, à l'hydre meurtrière d'aujourd'hui, qui extorque, corromp, kidnappe, drogue et assassine à tout va, il y a une longue dérive que le cinéma italien n'a cessé d'explorer, de Au nom de la loi (Pietro Germi, 1949) à Les Ames noires (Francesco Munzi, 2014), bientôt suivi par la télévision (les séries Les Origines de la mafia et La Pieuvre). Dernier des géants du cinéma italien, Marco Bellocchio se devait d'affronter un jour ce fait social et historique majeur de son pays. A 79 ans, c'est enfin chose faite avec Il traditore, à la fois récit d'un moment clé de la lutte anti-mafia et portrait d'un homme, Tommaso Buscetta, principal «repenti» à l'origine - avec les juge Giovanni Falcone - des maxi-procès qui mirent à genoux la mafia sicilienne.
Qu'on le veuille ou non, notre mémoire est déjà encombrée de tant d'histoires et d'images de mafia, aussi bien américaines (Coppola, Scorsese, Cimino) qu'italiennes (Rosi, Damiani, Ferrara, Giordana, Sorrentino, etc.), que la question de comment apporter quelque chose de neuf s'impose d'elle-même. Moins connu pour des films politiquement «engagés» que pour sa puissance d'introspection, l'auteur de Buongiorno, notte choisit à bon escient une voie médiane: la chronique historique, filtrée à travers l'exploration de ce qui anime un homme dont le comportement est resté passablement mystérieux. L'interprétation exceptionnelle de Pierfrancesco Favino (Romanzo criminale, ACAB, Suburra, etc.) fait le reste, achevant de hisser ce film au tout premier rang du genre.
Le «boss de deux mondes»
Le Traître débute en 1980 sur une photo «de famille» prise à l'occasion d'une trêve entre les clans de Palerme et de Corleone, rivaux sur le florissant marché de l'héroïne. Flashes et noms imprimés à l'écran nous présentent les protagonistes du drame à venir tandis que Buscetta prépare discrètement son départ. Tout juste sorti de prison et peu confiant quant aux promesses de paix, il file refaire sa vie à Rio sous une nouvelle identité. Déjà passé par là, il y présidera aux affaires de Cosa Nostra (le nom que s'est donné la mafia sicilienne) en Amérique latine, d'où son surnom de «boss des deux mondes». C'est alors que le rival corleonais Salvatore «Totò» Riina décide de faire le ménage. Parmi les victimes de l'impitoyable guerre des clans qu'il déclenche se trouvrent bientôt de proches amis et parents de Buscetta.
Pour finir, la justice rattrape Buscetta à Rio, où la dictature militaire n'y va pas de main morte pour le faire avouer avant de l'extrader vers l'Italie. Selon Bellocchio, son «retournement» aurait eu lieu durant le vol du retour puis lors de ses rencontres avec le juge d'instruction Giovanni Falcone (Fausto Russo Alesi). Considérant avoir déjà tout perdu, Buscetta sera donc ce «repenti» auquel on a promis impunité et protection pour briser l'omertà (la loi du silence) mafieuse. Il sera ce «traître» qui expliquera le fonctionnement de l'organisation, donnera les noms et dénoncera les crimes au mépris de son serment d'«homme d'honneur». Une chose inimaginable jusqu'alors, mais un exemple bientôt suivi par d'autres, plus ou moins sincères, qui brouilleront encore plus les frontières de la légalité et de la moralité.
Théâtre public, vérité privée
Débute alors le deuxième acte, consacré aux dits «maxi-procès» de centaines de mafieux qui s'étalèrent de 1986 à 1992, mettant fin à une quasi impunité (pour services anti-communistes) accordée par le pouvoir de la Démocratie chrétienne. Jusque-là, Bellocchio a servi sa chronique de la manière la plus économique et frappante qui soit. Les scènes de famille et de crime se succèdent avec un élan presque juvénile, quoique sans aucune complaisance. Puis le cinéaste calme le jeu pour le face-à-face déterminant entre Buscetta et Falcone et plonge plus avant dans l'esprit du repenti. La concentration spatiale des procès vient confirmer l'impression d'un maître à l'oeuvre, jamais meilleur que dans les tensions naissant d'une situation de confinement.
Pour cerner son personnage quinquagénaire, «simple soldat» de la mafia qui n'avouera jamais avoir trempé dans le trafic de drogue mais aussi homme à femmes marié 3 fois, père de 8 enfants, Bellocchio commence par une scène de paternité (mais aussi de déni et d'abandon) caractéristique: découvrant son fils Benedetto drogué sur une plage qui proclame que «Dieu est amour», il lui flanque une taloche et le ramène sans ménagement à sa belle-mère! Plus tard, il lui prête deux cauchemars (aux accords d'un Nicola Piovani enfin retrouvé) qui viennent définitivement lézarder l'assurance de ce macho et «hommes d'affaires» apparemment sans complexes. Sans oublier un flash-back déterminant concernant son premier fait d'armes d'«homme d'honneur». Pas question d'en faire un héros! Pour Bellocchio, il s'agit en effet d'exposer une drôle d'affaire de morale(s): celle du dit «traître» contre celle de criminels bien pires que lui. Mais aussi celle d'un Etat que le réveil de la justice aida enfin à relever la tête - pour un moment du moins.
Falcone contre Andreotti
Confronté successivement à son ancien ami Francesco «Pippo» Calò (Fabrizio Ferracane), devenu le grand argentier de la mafia à Rome, puis à Totò Riina (Nicola Cali), arrêté après une longue cavale, Buscetta fait tout voler en éclats par sa froide détermination. Pour lui, ce sont eux les véritables traîtres, qui ont dévoyé les idéaux de Cosa Nostra. Une conviction qui ne fera que se renforcer durant son exil aux Etats-Unis, au point qu'il finira par pleurer la mort du juge Falcone, le «seul à l'avoir vraiment compris».
Tout l'art de Bellocchio consiste à figurer cette évolution sans oublier d'en souligner les contradictions. Car pour lui, le seul «juste» de l'affaire reste à l'évidence Falcone. Un homme d'exception, prêt à mourir pour son rêve: mettre fin à ce système qui gangrène son pays. Chez Buscetta, la part de l'intérêt personnel, du désir de vengeance et surtout du mensonge reste trop floue, exposée en contrepoint par le personnage de Totuccio Contorno (Luigi Lo Cascio, inénarrable en dialecte palermitan), sorte de double nettement plus sanguin et basique. Pour finir, Buscetta implose lorsqu'il décide de s'attaquer à l'ancien Président du conseil des ministres Giulio Andreotti, aussi intouchable qu'il fut «inoxydable».
A l'arrivée, aucune contorsion auto-justificatrice ne pourra sauver le traître d'une paranoïa et d'une nolstalgie grandissantes, encore moins du poids de sa culpabilité. C'est à la fois à une leçon d'humanité, d'histoire et de cinéma que nous convie Marco Bellocchio en deux heures et demi saisissantes. Pas une seconde de trop, pas un moment d'esbroufe, pas une scène dépouvue de sens qui ne soit absolument nécessaire. Ce qu'on en retient? A chacun sa morale, peut-être, mais toutes ne se valent pas.
Le Traître (Il traditore), de Marco Bellocchio (Italie – Brésil – France – Allemagne 2019), avec Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido, Luigi Lo Cascio, Fabrizio Ferracane, Fausto Russo Alesi, Nicola Cali, Bruno Cariello, Pier Giorgio Bellocchio. 2h25
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Dans un genre sur lequel la critique a peu de prise tant le sujet tend à primer, il faut pourtant bien reconnaître que la méthode, la sensibilité, l'art narratif et la profondeur intellectuelle du l'auteur(e) peuvent faire la différence. Et il n'en fallait pas moins pour s'attaquer à un sujet tel que Leni Riefenstahl, déjà documenté une bonne vingtaine de fois pour la télévision, notamment dans un mémorable <i>Leni Riefenstahl - Le Pouvoir des images</i> (Ray Müller, 1993). Trois décennies plus tard, avec cette fois un accès illimité aux archives personnelles de la dame, décédée en 2003 à l'âge de 101 ans, Andres Veiel n'a pas tremblé. 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Ne reconnaît-elle pas lors d'une interview que sa vie aurait mieux fait de s'arrêter en 1939? Jusque-là, tout ne fut en effet que mouvement ascentionnel – peu importe apparemment au service de quoi.</p> <p>Au début était une grande fille sportive, traitée comme un garçon par son père autoritaire et réceptacle de toutes les ambitions frustrées de sa mère. D'abord danseuse, c'est suite à un accident qu'elle se retrouve plutôt actrice, choisie à 23 ans pour être la vedette d'un film de montagne d'Arnold Fanck. Les six films tournés coup sur coup avec le brave Dr. Fanck, très basiques à part <i>L'Enfer blanc du Piz Palu</i> (co-signé par G.W. Pabst), ne sont aujourd'hui plus que d'un intérêt anecdotique. Par contre, les photos «glamour» de studio montrent à quel point Riefenstahl, skieuse et alpiniste émérite aussi bien que comédienne, fut érigée au rang de star avant d'obtenir la chance de réaliser son propre film. Coup d'essai, coup de maître: à la fois idéaliste, féministe et mystique, <i>La Lumière bleue</i> (1932) la propulse à 30 ans cinéaste à part entière.</p> <p>C'est à ce moment qu'un collaborateur, le scénariste juif Carl Mayer, l'avertit que ce film risque bien de faire d'elle l'égérie des nazis, alors aux portes du pouvoir. En vain, puisqu'elle se jettera littéralement dans leurs bras, demandant peu après à rencontrer personnellement Adolf Hitler. Lourdement courtisée (jusqu'à une tentative de viol) par le ministre de la propagande Josef Goebbels, elle ne se donna apparemment ni à l'un ni à l'autre, finissant par épouser plutôt l'officier Hans-Peter Jacob. Mais alors même qu'elle ne jurait que par la fiction, elle se lança avec enthousiasme dans la confection de documentaires à la gloire du régime, séduite par les budgets illimités mis à sa disposition. C'est ainsi qu'elle fut impliquée aux côtés de l'architecte Albert Speer dès la préparation du fameux Congrès de Nuremberg puis des Jeux Olympiques de Berlin – où elle dit n'avoir jamais voulu que saisir la beauté, son unique souci. Et à en revoir des extraits, il faut bien avouer que le résultat fut grandiose, cinématographiquement parlant.</p> <h3>Une simple suiveuse?</h3> <p>Mais par la suite, tout s'est effectivement gâté pour Leni Riefenstahl. Embrigadée pour immortaliser l'invasion de la Pologne, elle emploie des prisonniers comme figurants avant de jeter l'éponge. Ses soutiens s'étiolent pour <i>Tiefland,</i> qui doit marquer son retour à la fiction et à ses chères montagnes. La guerre interfère avec le tournage et, à 40 ans, elle paraît trop âgée pour tenir le rôle principal. Elle utilise aussi des jeunes tziganes recrutés dans des camps, enfants qu'elle prétendra avoir revus plus tard alors qu'ils furent pour la plupart assassinés à Auschwitz. Arrêtée dès la fin de la guerre, elle sera néanmoins déclarée simple <i>Mitläuferin</i> (ceux qui suivirent juste le mouvement). Autrement dit, officiellement innocentée, même si l'industrie lui fermera désormais ses portes, si ce n'est pour la sortie très retardée de <i>Tiefland</i> – un flop.</p> <p>Passé ce survol, qui regorge de documents prouvant sans le moindre doute possible qu'elle trempa jusqu'au cou dans le bain nazi, le film la montre reprendre du poil de la bête dans diverses émissions télévisées à partir des années 1970. S'il y a des choses qu'elle ne saurait nier, elle plaide sa naïveté politique, argue qu'elle n'était en fait que dans une quête artistique. Et bien sûr qu'elle n'a rien su de la «solution finale» – ce qui est fort possible, vu sa relative disgrâce qui l'éloigna du premier cercle décisionnel. Par contre, il y a tout un art de s'aveugler, qu'elle pratiqua très activement, jusqu'à devenir par là-même la porte-parle de toute une BRD (l'Allemagne de l'Ouest d'alors) qui aurait préféré ne jamais avoir à se confronter à son passé.</p> <p>Divorcée en 1947, sans revenus et réfugiée auprès de sa vieille mère, Leni Riefenstahl se refait une santé économique dès le début des années 1960 en devenant photographe. Une expédition au sud du Soudan, d'où elle rapporte des photos du peuple Nuba, sont particulièrement remarquées. Sponsorisée, elle y retournera maintes fois, albums et expositions à la clé. En 1967, c'est surtout la rencontre avec Horst Kettner, un étrange jeune homme de 40 ans son cadet qui devient son assistant et son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. 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Entre école, centres autogérés, collectifs de production et RSI (Radio-télévision Suisse Italophone), le désir de cinéma n'est venu que peu à peu, toujours sous le signe du politique. De <i>Volo in ombra</i> (2012) à <i>Non ho l'età</i> (2017, sur l'immigration italienne) et <i>La scomparsa di Bruno Bréguet,</i> les moyens ont grandi en fonction des sujets. Plutôt qu'une sophistication filmique ou une carrière, ce réalisateur cherche du sens en se frottant à l'histoire récente. Un parcours et une démarche qui l'ont logiquement fait atterrir, pour co-produire son dernier film, chez les Zurichois de Dschoint Ventschr (Samir, Werner Schweizer & co), une maison de production née de la contre-culture. 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Edité en 1980 par une petite maison d'édition disparue depuis et devenu quasiment introuvable, il a été réédité en 2015 en Italie et je me suis rendu à une soirée de présentation à la Casa del Popolo de Bellinzone. J'ai été très remué par cette découverte, stupéfait de ne jamais avoir entendu parler avant de ce Bréguet, si proche puisqu'il était aussi allé au lycée à Lugano mais surtout de par sa jeunesse militante. Je suis pourtant quelqu'un qui s'informe beaucoup! Il m'est donc apparu que son histoire méritait d'être approfondie et pourrait intéresser un plus large public.</p> <p><strong>Dans le film, vous citez assez peu ce livre...</strong></p> <p>Il y a des citations au début, pour évoquer ses années de prison en Israël, de 1970 à 1977. Mais ce livre ne chronique justement que cette expérience-là. Sept terribles années qui l'ont radicalisé, alors qu'au départ, il était juste ce jeune gars de 19 ans touché par le sort des Palestiniens et qui s'est dit un jour qu'il ne pouvait pas rester là sans rien faire. C'est un livre plein de rage, extrêmement dur.</p> <p><strong>Comment avez-vous retrouvé la trace de vos témoins, ces personnes qui ont connu Béguet? Et pourquoi pas de membres de la famille?</strong></p> <p>Pour la famille j'ai essayé. J'ai écrit à ses deux compagnes, les mères de ses deux enfants, mais elles ne m'ont pas répondu. Même son frère Ernesto, qui s'était tellement engagé pour lui jusqu'en 1995, n'a pas souhaité participer. Cela remue apparemment trop de souvenirs douloureux et ils ont préféré tourner la page, ce que je respecte. Pour les amis par contre, ce n'était pas bien difficile. Le Tessin n'est pas grand et tout le monde se connaît plus ou moins. De fil en aiguille, en partant du petit milieu alternatif de gauche, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'avaient côtoyé. J'en ai retenu cinq parmi les plus pertinents, qui étaient d'accord de participer. En fait, l'un d'eux, Gianluigi Galli a été mon professeur de sociologie, et sans avoir idée, je participais déjà à un projet d'agriculture communautaire aux côtés de Claudia Ribi (par ailleurs mère de la cinéaste vaudoise Lila Ribi, ndlr)! C'est dire la proximité mais aussi la difficulté de la transmission.</p> <p><strong>Le nom de Bréguet est plutôt romand et suscite en lui-même quelques interrogations...</strong></p> <p>Cela n'est pas dans le film, mais j'ai fait quelques recherches. En fait, la famille paternelle est originaire de Coffrane, dans la Val-de-Ruz neuchâtelois, mais on n'y trouve plus de traces. Un aïeul est déjà parti s'installer en Suisse alémanique, avant que le père de Bruno ne vienne s'installer au Tessin. 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Après son arrestation en Israël, sa radicalisation est vraiment venue de ses longues années de prison – et encore, il n'en aura purgé que la moitié! Puis il s'est installé à Berlin avec sa première compagne, au bénéfice d'une bourse fédérale d'études universitaires... C'est à ce moment qu'il est entré en contact avec le terroriste Carlos, à l'époque le terroriste le plus recherché au monde.</p> <p><strong>A-t-on facilement accès aux archives le concernant, en tant que chercheur?</strong></p> <p>A Berne, aux Archives fédérales, ça s'est fait en plusieurs étapes. J'ai pu consulter presque tous les dossiers contre signature d'une promesse de non-divulgation. En plus du détail de sa surveillance, on y trouve même les photocopies de tous les documents est-allemands de la Stasi le concernant. Puis je suis retourné avec une demande plus précise d'utilisation de certains documents, en expliquant mon projet et son intérêt public. Ce qui n'a pas posé de problèmes. En fait, je pense que les derniers dossiers encore gardés secrets sont ceux liés à sa disparition.</p> <p><strong>Et pour essayer de retracer son parcours international?</strong></p> <p>Là, je me suis contenté d'archives de presse ou filmiques, comme l'INA. L'essentiel de son activité est alors souterraine et donc difficile à cerner. En Grèce, où il s'est insallé avec une deuxième compagne anglaise, je n'ai retrouvé que le lieu où il habitait – un village où tout le monde l'appréciait sans savoir vraiment qui il était. Mais j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur les recherches d'Adrian Hänni, qui apparaît dans le film et qui a eu accès à des archives des services secrets américains déclassifiées. C'est lui qui a révélé ce dernier chapitre inattendu du parcours de Bréguet dans son récent livre <i>Terroriste et agent de la CIA - l’incroyable histoire du Suisse Bruno Bréguet</i> (2023): désillusionné et «retourné» par la CIA, ou seulement en apparence?</p> <p><strong>Que retenez-vous essentiellement de toute cette histoire?</strong></p> <p>J'ai surtout compris que les engagements de ma génération, marquée par les manifestations anti-G8 de Gênes en 2001, l'altermondialisme, le combat écologiste ou la revendication d'espaces culturels alternatifs, n'ont rien de nouveau. Tout est lié, d'abord à travers des gens qui peuvent transmettre leur expérience, mais aussi par les concepts dont on hérite. J'ai également pu mesurer à quel point le contexte a changé. La génération de Bréguet était animée par l'idée qu'on pouvait encore changer le monde par la révolution, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. 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Avec le coming out d'Ellen Page, le petite actrice canadienne adoptée par Hollywood dans les années 2000 <i>(Hard Candy, Juno, Bliss, X-Men, Inception, Free Love,</i> etc.), on passe un nouveau cap. Disparue des radars depuis le catastrophique <i>Flatliners</i> de 2017, la/le voici qui ressurgit comme Elliot Page, au terme d'une transition déjà largement rendue publique par la publication de mémoires intitulées <i>Pageboy.</i> Et le film choisi pour entériner cette transition est... un drame de la transidentité. Bref, un geste hautement politique.</p> <p>Désormais, un site comme I'Internet Movie Data Base (imbd.com) ne s'autorise même plus à offrir de renvoi à partir du nom d'Ellen Page! Par contre, le film en question, <i>Close to You</i> de Dominic Savage, un ciné-téléaste britannique de 60 ans, a bien peu de chances de rester dans les mémoires. Au contraire du pamphlet bien senti de Preciado ou du film grand public et spectaculaire d'Audiard, ceci n'est en effet qu'un petit drame intimiste de plus. Plus grave, aussi maladroit et problématique qu'il est sincère et par moments émouvant. Bref, à part les festivals de la communauté LGBTQI+, personne ne s'est rué dessus depuis sa première à Toronto en 2023, la Suisse faisant partie des rares pays à l'avoir pris en distribution.</p> <h3>Tout le poids du monde</h3> <p>Suggérée par Page lui-même, l'histoire est simple. Son personnage, Sam, n'est pas retourné chez lui depuis sa transition. Après quatre ans passés à Toronto, il entreprend donc ce voyage redouté de retour à Cobourg – bourgade située à 100km à l'Est sur le lac Ontario – pour l'anniversaire de son père. Par chance, il rencontre dans le train Katherine, une amie proche du temps du lycée. Mais celle-ci, trop troublée, préfère couper court une fois arrivés. 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