Média indocile – nouvelle formule

Culture


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Salué par une presse unanime, «Une Famille» de Christine Angot est un premier film qui prouve surtout le nouveau statut d'intouchable de son auteure, quasiment sanctifiée par le mouvement #MeToo. Pourtant, c'est un «auto-documentaire» passionnant qui mérite qu'on s'y attarde avec un minimum de circonspection.



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D'abord, un terrible aveu, celui de n'avoir pas lu un seul livre de Christine Angot et de m'être contenté du brouhaha médiatique la concernant. C'est mal, je sais, mais c'est aussi la réalité du critique de cinéma, qui trouve trop peu le temps pour lire et ne se jette pas forcément sur la dernière auto-fiction en vogue. De loin, il m'est juste apparu qu'Angot avait ouvert les vannes à un moment où la dénonciation d'abus sexuels était tout sauf évidente – grâce lui en soit rendue. Et aussi que la question de son importance littéraire restait suspendue, forcément en retrait des polémiques. Puis le cinéma a commencé à s'intéresser à elle, Laëtitia Masson (non-)adaptant de manière originale Pourquoi (pas) le Brésil bien avant qu'une Claire Denis peu inspirée n'illustre ses scénarios Un Beau soleil intérieur et Avec amour et acharnement. Quant à l'adaptation d'Un amour impossible par Catherine Corsini, elle est hélas restée inédite sous nos cieux.

Tout cela pour dire que lorsque dame Angot décide de faire un film, ce n'est pas en oie blanche qu'elle débarque, mais entourée de grands professionnels, de ses producteurs (Alice Girard et Bertrand Faivre) à sa cheffe opératrice (Caroline Champetier). Et qu'il convient donc de prendre le résultat au sérieux, d'autant plus qu'elle est devenue une icône pour toute une nouvelle vague féminine. L'ennui, c'est qu'Une Famille est aussi la suite de sa vingtaine de productions littéraires et que forcément, si on a manqué les épisodes précédents, la perception s'en ressent. Est-ce la raison pour laquelle j'ai ressenti un fort tiraillement entre adhésion et réserves, bien loin du concert de louanges des collègues français?

Demander des comptes

Dans ce film, Christine Angot va en gros demander des comptes à ceux auxquels elle reproche de n'être pas intervenus lorsqu'elle a subi un inceste de la part de son père, entre 13 et 16 ans, alors qu'elle et lui venaient de faire connaissance (il avait quitté sa mère et Châteauroux avant sa naissance). Le déclencheur est un passage par Strasbourg, où vit l'épouse de son père décédé en 1999. Appliquant la méthode du pied dans la porte, Angot force l'entrée et confronte (avec caméra et perche son) une dame d'un certain âge. N'obtenant que de vagues excuses de cette digne bourgeoise germanique qui prétend n'avoir rien su de l'inceste qui a eu lieu sous ce même toit, elle repart à peine moins fâchée. Qui croire? La violence employée ne plaide pas forcément en faveur de celle qui réclame des excuses...

Suit heureusement toute une remise en contexte, avec narration en voix off et images d'archives familiales qui montrent l'enfant puis la belle jeune femme, épouse et mère, que Christine Angot a aussi été. Les mots choisis sonnent juste, les images habilement amenées touchent, sa jeunesse saccagée ne fait aucun doute derrière une apparence faussement tranquille. S'ensuivent d'autres rencontres, avec son ex-mari, sa mère et pour finir sa propre fille, qui justifient pleinement le titre d'Une famille. Drôle de famille, ou plutôt infiniment triste.

Posture victimaire problématique

Et puis, il y a aussi l'évocation du tribunal médiatique qu'Angot a subi depuis la publication de L'Inceste, en 1999. Pièce à conviction, cet extrait devenu célèbre qui la voit quitter le plateau de l'émission Tout le monde en parle alors que Thierry Ardisson insiste qu'ils «s'amusaient si bien». Là, on est totalement de son côté et on les bafferait tous volontiers. Mais n'est-ce pas la même Angot qui un peu plus tard, «bonne cliente» du petit écran malgré tout, alla jusqu'à en devenir une chroniqueuse zélée? Bref, il y a là une dimension de plaidoyer pro domo sélectif dont il convient de de pas être dupe.

La rencontre la plus révélatrice est celle, douce-amère, avec son ex-mari, qui fut lui-même victime d'un viol dans son enfance. Survient alors ce moment où elle lui reproche de ne pas être intervenu alors que, dans leur maison à Nice, elle «rechutait» avec son père à l'étage. Lui se défend en affirmant que c'était par respect pour sa personne, supposant qu'à ce moment de sa vie elle devait savoir ce qu'elle faisait. Ignoble lâcheté ou au contraire retenue admirable? Apparaît alors, aveuglante, l'infinie complexité de ces histoires d'emprise et de consentement, de désir et de honte, de demande d'amour et de responsabilité qui peut fluctuer avec le temps. Car à ce moment, qui est la victime, surtout si cette histoire a mené à l'éclatement de leur couple?

Toute à sa posture victimaire, Christine Angot ne peut envisager un regard extérieur différent du sien, admettre ne serait-ce qu'une hésitation. Lorsqu'elle fait intervenir son compagnon antillais, le musicien Charly Clovis, c'est pire encore: elle lui coupe simplement la parole par une coupe de montage. Apparemment, sa réponse était hors sujet ou alors ne lui a pas convenu... La seule question qui vaille vraiment, elle la pose en fin de compte à nous tous: «Comment un homme peut-il faire ça, se l'autoriser moralement?» Autrement dit, comment un homme peut-il abuser d'une enfant qui, de surcroît, est sa propre fille? En l'absence de l'intéressé, nous n'en aurons jamais la réponse. Dès lors, à moins d'aller la chercher dans d'autres histoires, l'écrivain-cinéaste autocentrée se condamne à tourner en rond.

Creuser son trou ou en sortir

«J'en ai marre de parler de ça, j'en ai marre que mon travail soit envahi par ça…» se lamente vers la fin Christine Angot, aujourd'hui 65 ans. Et encore une fois, ses accents sonnent parfaitement sincères. Mais la réalité, c'est qu'on peut aussi la soupçonner d'avoir creusé son propre trou, de se complaire dans ce malheur, surtout depuis qu'il est devenu la clé de son succès. Même la prise de connaissance du journal intime de sa mère, qui s'arrête le jour où celle-ci a décidé de passer à autre chose après trop de malentendus, ne saurait l'aider. Elle-même ne peut ou ne veut pas. Un peu de baume sur son cœur n'arrive que lorsque sa popre fille trouve enfin les mots qu'elle attendait: «Maman, je suis si désolée qu'il te soit arrivé ça.» Retrouvailles émouvantes sur fond de Méditerrannée apaisante.

A l'évidence, c'est aussi mis en scène que le final d'un autre remarquable documentaire actuellement sur nos écrans, Joan Baez – I Am a Noise, où l'on découvrait avec stupéfaction qu'elle aussi, apparemment... Sauf que la chanteuse américaine, militante généreuse de toutes les causes, l'avait occulté jusqu'au déni dans un contexte familial pour finir lui aussi saccagé. Ce sont là deux attitudes très différentes qui se répondent, dans deux films très contrôlés (même si Joan Baez n'est pas officiellement réalisatrice du sien). L'essentiel est de ne pas perdre de vue que même dans un documentaire, tout est affaire de construction d'une image et d'un récit qu'on veut transmettre et qui n'est pas forcément toute la réalité.


«Une Famille», documentaire de Christine Angot (France, 2024). 1h22

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Maryvon 19.04.2024 | 10h23

«Sans vouloir nier l'énorme souffrance que Madame Angot a enduré pendant de longues années, je peux vous dire que je n'irai pas voir son film. En effet, j'en ai plus qu'assez de ces personnes qui affichent constamment dans les médias leurs blessures intimes et qui nous prennent à témoin. Le plus souvent, ce sont des auteures, des comédiennes ou encore des journalistes et femmes engagées politiquement, donc des personnages connus. Le mouvement "Me Too" a permis à certaines et à certains anonymes de s'exprimer et c'est très bien ainsi. Hélas, trop souvent cela se transforme en tribunal médiatique avec toutes les dérives auxquelles nous assistons impuissants. Je citerais le titre du dernier livre de M. Pascal Bruckner : "Je souffre donc je suis" qui illustre à merveille le climat actuel. J'ajoute tout de même que je ne partage pas du tout la vision de ce dernier sur le conflit au Proche Orient mais ce n'est pas le sujet.»


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