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«Sweat» de Magnus von Horn tire le portrait d'une coach en bien-être physique piégée par une nouvelle forme de solitude: celle du partage permanent par écrans interposés. Tourné en Pologne, le deuxième opus d'un jeune cinéaste suédois que la dernière modernité n'empêche pas de faire du vrai cinéma.



On avait quitté les salles de cinéma sur une année tronquée et franchement pas terrible en termes de qualité; on les retrouve avec ce qui s'annonce cpmme une avalanche de découvertes mises en attente. Oubliez les grosse machines qui ne peuvent plus exister à moins de sortie mondiale simultanée et les ersatz sortis directement sur les plate-formes. Le vrai cinéma se situe entre les deux et a besoin du grand écran pour déployer toute sa magie. Comme dans ce «petit» film polono-suédois (porteur du label Cannes 2020) qui a tout pour marquer durablement: un mystère, un vrai regard et un sens esthétique aiguisé.

Le mystère se nomme Sylwia Zajac (Magdalena Kolesnik, une révélation) et nous est présentée comme une nouvelle sorte de grande prêtresse animant une séance de fitness dans le foyer d'un centre commercial. Avec sa beauté idéale de poupée blonde et une énergie à revendre, elle entraine son monde sur fond de musique techno avec une assurance qui en impose. Elle conclut par une grande déclaration d'amour générale et un selfie avant d'échapper à ses fans qui se pressent pour lui parler. Ce n'est qu'une fois retournée au vestiaire avec son partenaire Klaudiusz et lui avoir demandé de sortir pour qu'elle puisse se changer que Sylwia peut enfin décompresser. Une solitude et une invisibilité bienvenues? Pas si sûr.

Une reine des glaces

Déjà sur la route du retour à la maison, elle enregistre son prochain post à l'intention de ses quelque 600.000 followers. Mais lorsqu'elle rentre chez elle (beau plan de grue qui longe la façade de l'immeuble dont elle monte bien sûr l'escalier à pied), il n'y a que son petit chien Jackson pour l'accueillir. Et le soir au lit, qui appeler sauf maman et partager un match de tennis à distance? Bref, Sylwia, qui doit approcher la trentaine, est seule. Et elle en souffre, comme le prouve un autre post récent qui l'a vue l'avouer les larmes aux yeux, inquiétant ses sponsors. 

Pour un satiriste seulement préoccupé d'épingler l'époque et ses dérives, elle serait une cible facile. Pour un vrai cinéaste comme le jeune Suédois Magnus von Horn, répéré en 2015 par la Quinzaine des réalisateurs cannoise avec Le Lendemain / Efterskalv, c'est à la fois un objet d'étude passionnant et une question de morale, tout sauf simple. Sur les trois jours qu'il nous invite à la suivre, jusqu'à ses débuts dans une émission de télévision matinale, on la verra traverser une crise profonde, puis se relever en vraie battante. Quant à Varsovie, où tout a été tourné (il s'agit en apparence d'un pur film polonais), elle vaut ici pour toute métropole moderne, froide et impersonnelle, comme on en trouve à présent dans le monde entier.

L'événement qui fait vaciller un soir notre égérie, alors qu'elle est sortie promèner Jackson, est la découverte d'une voiture garée devant chez elle où elle aperçoit un gros pervers qui se masturbe. Le lendemain, le fan indésirable s'excuse pitoyablement dans un message. Mais l'affaire ne saurait s'arrêter là. Chez sa mère pour son anniversaire, Sylwia raconte l'anecdote à tous les invités, provoquant un certain malaise. Puis le soir, alors qu'elle sort en boîte et ramène enfin chez elle un Klaudiusz qui n'attendait que ça, la voiture est de nouveau là. S'ensuit l'inévitable: violence, panne du désir et culpabilité qui mène droit à l'hôpital. Enfin de quoi secouer cette nouvelle reine des glaces? L'émission du lendemain amènera la réponse.

L'amour en question

Ce scénario relativement minimal suffit pour un film formidable. Avec sa caméra, Magnus von Horn scrute son héroïne au plus près sans pour autant oublier de l'inscrire dans un contexte plus large. Les petits écrans font partie du sujet, mais jamais ils ne menacent de phagocyter le grand, dont les cadrages précis et la temporalité distendue s'imposent avec autorité. Quant à la techno, d'abord perçue comme un repoussoir, elle devient le style même d'une partitition originale d'une étonnante beauté. Sans doute ce style n'est-il plus d'une originalité telle qu'elle révèle un talent unique. Mais quand on pense à Krzysztof Kieslowski (le Décalogue) ou à Ruben Östlund (Snow therapy, The Square) en passant par la Nouvelle vague roumaine, c'est clairement qu'on n'est pas loin des meilleurs.

De la charge sexuelle à une terrible solitude affective en passant par une insidieuse aliénation, le spectre du donné à ressentir est large. Et il faut voir avec quelle maestria le cinéaste règle sa scène de famille, durant laquelle Sylwia cache mal son mépris teinté d'envie pour la nouvelle relation de sa mère («- Tu veux savoir comment nous nous sommes rencontrés? - Surtout pas!»). Le premier film du réalisateur suivait l'impossible réinsertion/pardon d'un adolescent qui s'était rendu coupable d'un crime. Cette fois, il semble parler d'une autre forme de prison, auto-imposée celle-là. Que cherche vraiment Sylwia en s'exposant comme elle le fait? Une forme d'amour sans contact physique ou spirituel, toujours trop gênant, sale ou dangereux? Le film ne donne pas vraiment la réponse, au risque de frustrer certains, mais l'idée d'une nouvelle chimère est bien transmise.

Seul l'avenir nous dira si Magnus von Horn est un vrai moraliste ou plutôt un performeur malin pour festivals. Mais ce film profond sans la moindre sueur apparente est déjà un sacré tour de force !


Sweat, de Magnus von Horn (Pologne-Suède, 2020), avec Magdalena Kolesnik, Julian Swiezewski, Aleksandra Konieczna, Tomasz Orpinski, Zbigniew Zamachowski, Dominika Biernat. 1h46

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