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Culture

Culture / L'Israélien tiraillé qui divise

Norbert Creutz

10 avril 2019

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Resté sans distributeur en Suisse, «Synonymes» de Nadav Lapid, récent Ours d'Or au Festival de Berlin, sera finalement visible dans une poignée de salles indépendantes en importation directe. S'il faut s'en réjouir, le film lui-même, inconfortable et incohérent, n'est pas de nature à faire l'unanimité.



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C'est le film dont le tout-Paris glose depuis quelques semaines, encensé par les Cahiers du cinéma et le dernier carré de la critique (Le Monde, Libération, Les Inrockuptibles, Télérama)... à quelques exceptions près que nous sommes au regret de devoir rejoindre. Pourquoi à regret? D'abord parce que les deux premiers longs-métrages de Nadav Lapid, Le Policier (Ha-shoter, 2011) et L'Institutrice (Haganenet, 2014) nous avaient impressionné, annonçant un cinéaste aussi original que doué. Ensuite parce que ce troisième opus qui a coiffé au poteau l'admirable Grâce à Dieu de François Ozon à la dernière Berlinale se devait d'être un chef-d'oeuvre. Au lieu de quoi on a découvert un film certes très personnel, mais plus poseur que vraiment radical, plus confus que complexe, plus vaseux que profond. Bref, un de ces objets arty chic et choc dont seule une certaine intelligentsia peut se gargariser.

Synonymes dresse le (l'auto-?) portrait d'un jeune aspirant artiste israélien très remonté contre son pays, qui débarque en France bien déterminé à en faire sa patrie d'adoption. Sauf que ce n'est pas si simple, qu'à la galère de la survie s'ajoute une langue qui se refuse à lui et que la personnalité de Yoav ne cadre pas si aisément avec son nouvel environnement. En principe, Nadav Lapid sait de quoi il parle: il l'a vécu une quinzaine d'années plus tôt, choisissant pour finir de rentrer au pays. En bon cinéaste-poète, au récit linéaire de sa propre expérience, il préfère un film déconstruit où s'entrechoquent librement impressions et inventions, scènes réalistes et plus symboliques, pour mieux dire son trouble identitaire d'alors.

Portrait de l'artiste en jeune francophile

Jusque-là, rien à redire. Sauf que cela se gâte très rapidement, avec un point de bascule immédiatement identifiable. La séquence d'ouverture, qui voit Yoav débarquer à Paris dans un grand appartement vide et s'y retrouver nu comme un ver après une douche, ses vêtements (en)volés, est superbe: rarement avait-on aussi bien signifié le sentiment de vulnérabilité du nouvel arrivant dans un lieu étranger. Par contre, dès qu'un jeune couple de voisins français le découvre dans sa baignoire, un problème s'insinue, qui ne fera ensuite que s'accentuer: que ce soit délibérément ou par réelle incapacité, jamais le cinéaste n'investit vraiment le regard d'autrui sur son personnage, préférant rester entre lui et lui (son acteur, son alter ego).

C'est ainsi qu'on se retrouve à coller à un personnage de plus en plus antipathique, qui écorche la langue de Molière pour ne plus avoir à prononcer un mot d'hébreu (alors qu'il en garde l'accent très désagréable), vit plus ou moins aux crochets de ses nouveaux amis et ne sait trop que faire de son corps athlétique et désirable. Ses élans ont beau se vouloir généreux (fuir un Etat injuste et sur-militarisé, s'intégrer dans un pays admiré pour sa culture et sa démocratie), ses efforts désordonnés deviennent douteux. Sans explication, il se retrouve un moment engagé à la sécurité de l'ambassade israélienne, un autre à vendre son corps à un photographe pornographe. Reconnaissant, il «fait don» de ses expériences au jeune écrivain en mal d'inspiration qui l'a recueilli, puis... les reprend. Et quand il finit par réciter La Marseillaise durant un cours d'instruction civique, c'est avec une telle hargne qu'il en fait ressortir toute l'horreur belliqueuse.

Voulu, bien vu? Bien sûr, un cinéaste digne de ce nom se doit d'éviter tout manichéisme. Et pointer des contradictions chez son protagoniste est tout à son honneur. Mais de là à larguer le spectateur à force d'agressivité et d'effets d'annonce laissés sans suite (les ambitions littéraires, les bagarres entre juifs et néonazis, le mariage intéressé), il y a un pas que seule une certaine maladresse peut expliquer. C'est d'autant plus frustrant que quelques scènes éparses, comme l'assaut de virilité drôlatique de deux compatriotes dans un bureau ou la fuite de Yoav devant la visite embarrassante de son père (Nadav Lapid a co-signé le scénario avec le sien et sa mère devait monter le film avant de disparaître prématurément), restent très fortes.

Le désir en question

La question du corps, c'est-à-dire du regard posé sur lui et du désir suscité ou non, apparaît centrale. Le film cite discrètement Bertolucci, Le Dernier tango à Paris et Innocents / The Dreamers? Certes, sauf qu'ici le jeune couple de gentils bourgeois qui pourraient tout aussi bien être frère et sœur reste inconsistant. Devant l'incapacité du film à investir tout autre point de vue, on se perd vite en conjectures devant ce regard de cinéaste – officiellement (re)marié – qui véhicule surtout un trouble homoérotique. Lorsque Yoav fait craquer sa voisine violoncelliste, où est le désir? Ni chez la fille, ni sur le corps féminin tandis que l'acte amoureux est discrètement ellipsé. Souvent à poil, filmé sous toutes les coutures, l'acteur Tom Mercier va jusqu'à se prêter à une scène humiliante mise en abyme avec... doigté. Conclusion, tout cela reste terriblement autocentré.

Face à cette découverte (il s'agit de son premier film) débordante, les autres se trouvent tôt réduits à un état ectoplasmique de purs fétiches cinéphiles: un acteur aperçu chez Arnaud Desplechin (Quentin Dolmaire, Trois souvenirs de ma jeunesse), une actrice venue de chez Philippe Garrel (Louise Chevillotte, L'Amant d'un jour), sans oublier cette silhouette empruntées à Alain Guiraudie (Christophe Paou, alias L'Inconnu du lac, pour incarner le photographe pas net). De quoi poser vos références, peut-être, mais pas encore de quoi faire automatiquement circuler du désir!

C'est ainsi que Synonymes reste au final un film aussi velléitaire que son protagoniste, un pur objet théorique sans réel attrait ni intérêt. Déclaration d'amour vache à la France ou crachat contre Israël – qui ne risque pas de l'atteindre? A moins que ce ne soit juste une campagne d'autopromotion (du style «regardez, je suis devenu un auteur international») singulièrement réussie. Synonyme: m'as-tu-vu.

Synonymes, de Nadav Lapid (France - Israël - Allemagne 2019), avec Tom Mercier, Quentin Dolmaire, Louise Chevillotte, Uria Hayik, Olivier Loustau, Yehuda Almagor. 2h03


La bande annonce de Synonymes:

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@BASTIEN 26.06.2019 | 16h52

«L'un des plus grands films toutes catégories confondues depuis au moins 10 ans!»


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