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Culture / L'économie est trop importante pour la laisser aux économistes


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Des voix se sont élevées pour dire que les manifestations dans les universités de ces dernières semaines étaient déplacées, car dans nos hautes-écoles on ne devrait pas prendre position. Or cette idée est à la fois utopique et stérile. D’une part, les recherches universitaires sont forcément le fruit d’un positionnement, serait-ce celui d’une certaine neutralité. D’autre part, il est tout à fait souhaitable que les scientifiques portent un regard engagé sur le monde afin d’éclairer le débat politique, comme le fait par exemple l’exposition Cargo Cults Unlimited proposée actuellement par le Musée d’ethnographie de Neuchâtel (MEN).



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Wokisme et compagnie

Un parlementaire libéral a dit récemment ne plus répugner à parler de l’assaut de l’islamo-gauchisme sur les universités suisses. D’autres dénoncent l’avancée du wokisme, compris comme une sorte de pureté morale refusant les idées contraires. Il y a certes des pressions qui sont exercées par ci et par là sur les enseignants et les chercheurs dans certaines universités pour qu’ils se rangent «du bon côté». Cela menace la liberté académique, mais il ne faut pas forcer le trait. Quoi qu’il en soit, le wokisme est au mieux une attitude, au pire une idéologie, mais en tout cas pas une discipline universitaire. Les critiques feraient bien de s’intéresser aussi à des disciplines universitaires classiques, mais qui ne sont pourtant pas à la hauteur des attentes que nous pourrions tous avoir, comme par exemple les sciences économiques. Celles-ci se sont, notamment, montrées incapables de nous préserver des crises récurrentes, et délaissent des pans entiers de l’économie réelle. L’exposition présentée ces jours au MEN montre bien ces carences.

L’économie mondialisée comme système de croyances

Partant d’études de terrain, les ethnologues du MEN mènent depuis le début du XXème siècle une réflexion qui n’oppose pas une ethnologie «exotique» et une ethnologie du «proche». Elle permet de penser la diversité et la complexité des sociétés contemporaines. L’exposition actuelle propose un regard sur l’économie mondialisée bâti sur les collections du Musée, ainsi que sur des travaux de recherche originaux. 

Des objets témoignent du fait que l’histoire des relations économiques est accompagnée d’abus, de contraintes et de spoliations. La plaque dite du «guerrier portugais», forgée au XVIème siècle au Bénin (actuel Nigéria) témoigne du commerce triangulaire, de l’exploitation des ressources et de l’esclavage. C’est ce trafic qui a permis au neuchâtelois David de Pury et à sa ville natale de s’enrichir. Un paquet de cigarettes Kent, qui servait de monnaie parallèle en Roumanie dans les années 1980, fait réfléchir à la nature des taux de conversion et à comment «les rapports de pouvoir géopolitiques donnent des avantages économiques à certains Etats et mettent les autres dans une situation de subordination».

Le chercheur français Anthony Galluzzo, dans son livre Le mythe de l’entrepreneur – Défaire l’imaginaire de la Silicon Valley (Ed. La Découverte, 2023), avait déconstruit la narration qui représente les différents Elon Musk (Tesla), Jeff Bezos (Amazon), Bill Gates (Microsoft), Steve Jobs (Apple), ou précédemment Thomas Edison et Andrew Carnegie comme des héros. Le mythe voudrait que, partis de rien, ils aient réussi à changer le monde en franchissant de nombreux obstacles grâce à leur vision et persévérance. A contrario, dans une veine complotiste, ces mêmes entrepreneurs sont accusés par exemple d’avoir le pouvoir de déclencher des pandémies, et d’exercer un contrôle sans limite sur l’humanité. Ce seraient les descendants de créatures venues de l’espace pour envahir la Terre. D’ailleurs, pour les adeptes de telles croyances, comme le mythe des reptiliens, il faut comprendre le programme de Musk de coloniser la planète Mars comme traduisant sa volonté de … rentrer à la maison! On peut minimiser le rôle du mythe de l’entrepreneur, et rire des excès paranoïaques autour des supposés reptiliens, mais il ne sont pas sans rappeler l’imputation d’un pouvoir satanique aux Juifs à travers les siècles, et en tout cas ils doivent nous interroger. Le mythe sert-il à séduire les investisseurs et à rassurer les marchés? Les complotistes résistent-ils de manière irrationnelle à ce mythe? Représenter ces entrepreneurs comme des divinités douées d’une énorme capacité génératrice permet plutôt de simplifier le fonctionnement de la vie économique et de renforcer une hypothétique méritocratie.

S’inscrivant dans le sillon de telles considérations, le MEN propose de considérer les sciences économiques comme des religions séculaires, avec leurs rituels, et rites propitiateurs. En tant que système de croyances l’économie a besoin de héros, ayant un statut pratiquement surnaturel. Cette approche est indiquée dans le titre de l’exposition: les cargo cult sont des rituels propitiateurs nés en Mélanésie qui, partant de l’attribution à une faveur divine de l’abondance des biens apportés par les cargos des colonisateurs, cherchaient les faveurs des divinités en imitant certaines attitudes des occidentaux. C’est l’attribution due à l’ignorance des mécanismes de production des biens qui est visée avec le titre.

Des travaux originaux

Un travail de thèse mené au MEN dédié à la commune belge de Verviers porte à méditer sur les promesses non-tenues du capitalisme industriel. L’industrie textile fleurissait à Verviers entre le début du XIXème et le milieu du XXème siècle. Elle a depuis presque complètement disparu à cause des délocalisations liées au coût du travail. Une autre thèse s’intéresse au commerce d’ordinateurs de seconde main à Lagos, au Nigéria. Elle permet par exemple de comprendre comment à partir de réseaux commerciaux datant des années 1950 s’est créé le plus important marché d’ordinateurs d’Afrique. Ce marché n’avait pas été jugé viable par les grands groupes informatiques mondiaux. Il a été bâti sur les arrivages de «carcasses» d’ordinateurs décrétés hors d’usage en Occident, et sur les surplus des chaînes de production chinoises officielles qui fournissent les grands groupes.

D’autres nombreux thèmes sont abordés par l’exposition: l’éducation à l’épargne, le travail fantôme, les nouvelles formes de management des ressources humaines, le rôle de l’Etat dans les crises économiques, etc.

Trop critique?

Les théories économiques, et surtout leurs raccourcis utilisés dans la narration courante du fonctionnement des marchés sont mis à mal par l’exposition. Est-elle trop critique? Suit-elle la pente de quelques travaux du premier conservateur du Musée expulsé par le Conseil fédéral après sa publication en 1915 d’articles sur les échanges commerciaux de la Suisse avec l'Allemagne et les Alliés? Je ne le pense pas. Au contraire, l’exposition est une contribution bienvenue à la nécessaire réflexion sur la marche du monde. Présentée de manière claire, elle est un bel exemple de divulgation scientifique. De plus, elle ne manque pas d’humour lorsqu’elle met en regard les «grands faiseurs de pluie» de populations «primitives» avec les adeptes néolibéraux du concept de «ruissellement», ou lorsqu’elle met en scène les débats entre les tenants de différentes théories économiques par le biais d’un marché aux poissons. En tout cas on sort de ce parcours convaincu que «l’économie et ses enjeux sociaux ou politiques sont trop importants pour être laissés à une poignée d’économistes».


«Cargo Cults Unlimited», au Musée d'ethnographie de Neuchâtel, jusqu'au 31 décembre 2024.

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