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Dans son livre qui vient de paraître «Baudrillard et le monstre (l’architecture)», Jean-Louis Violeau examine, à travers le cas de Jean Baudrillard, les fécondes interactions qui se sont tissées entre la philosophie, la sociologie et l'architecture contemporaine. Baudrillard ne s'est jamais défini comme un penseur ou un théoricien de l'architecture, néanmoins son intérêt s'est très tôt porté sur l'objet architectural et il a développé, dans la foulée du philosophe Henri Lefebvre, un vif intérêt pour l’urbanisme en général comme élément de la critique de la vie quotidienne.



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Baudrillard montre une nette préférence en architecture pour ce qu’il a nommé les «monstres urbains» ou les «super-objets». «L’architecture ne construit plus, dans sa forme ambitieuse, que des monstres – en ce qu’ils ne témoignent pas de l’intégrité d’une ville, mais de sa désintégration, non de son organicité, mais de sa désorganisation», écrit-il. 

Monstres qui peuvent être le pompidolien Beaubourg ou les grands projets mitterrandiens, la Villette, l’Opéra Bastille, ou l’extraterrestre Bibliothèque Nationale de France, ou encore les tours jumelles du World Trade Center, le projet Biosphère II, le Guggenheim-logo de Bilbao et certaines architectures exemplaires de son ami Jean Nouvel. Architectures qui résistent à l’interprétation et semblent mener leur vie propre, comme détachées de leurs concepteurs, symptômes de crise molle et de désordre mou, hologrammes stupéfiant les touristes car monstres ils sont, et monstres il faut les laisser.

Sa décennie situationniste

Dans le n°1 de la revue Utopie, en mai 1967, Henri Lefebvre, dont Baudrillard est l’assistant, relève que la plaie du monde moderne est l’ennui. A la ville éternelle, Lefebvre oppose des villes éphémères et oppose aux centres inamovibles des centralités mouvantes. Baudrillard, quant à lui, postule que l’éphémère est sans doute la vérité de l’habitat du futur, que tout ce qui se consomme s’oppose à l’habiter qui est fondation et investissement. Et dans Utopie 2/3, en 1969, il affirme que la contestation est un bien de consommation comme un autre et que la répression moderne, devenue parfaite, se fait à présent au nom du jeu. Notre société s’appuie autant sur la consommation que sur sa dénonciation et la contestation artistique n’est plus qu’une modalité de la consommation. Nous n’avons plus de prise sur le réel parce que celui-ci n’existe plus.

Le freudo-marxisme sonne la fin du désir et de la révolution. Ne reste plus qu’une catastrophe virtuelle qui sans cesse et sans trêve nous menace.

L'architecture

Oui. Il n’y a plus de projet, le lieu du pouvoir est vide, ne restent que des objets et ceux-ci nous racontent des histoires, jouent le spectacle de la chose, le simulent et agencent des espaces dans un monde d’infinies galeries marchandes virtuelles. Alors qu’il s’est démonétisé partout ailleurs, l’auteur, en architecture, est devenu starchitecte et dans les concours actuels, chacun va dans le sens de la mode du moment. Le talent, de nos jours, est défini, dans tous les domaines, start-up, sport, cuisine (Masterchef), chant (The Voice), architecture, par la compétition. 

Le commerce formate les espaces de flux, aussi bien le Louvre avec la Pyramide de Ieoh Ming Pei que toutes les gares parisiennes. Sous la présidence de François Hollande, un projet pour Notre-Dame propose de transformer les pavés du parvis de cette cathédrale chère à Victor Hugo en la toiture transparente d’un vaste centre commercial permettant à ses 13 millions de visiteurs annuels d’acquérir divers produits dérivés.

L'architecture post-moderne

L’architecture moderne s’est inspirée de l’industrie, la post-moderne marque sa connivence avec l’esthétique pop, les sciences humaines, la communication et le structuralisme.

Une nouvelle condition intellectuelle caractérisée par l'abandon des grands récits de la modernité et marquée par le passage, un peu partout dans le monde occidental, des «masses», ces sujets uniformes, aux «multitudes», subjectivités fragmentées et agrégées suivant des formes variables. En écho à ce phénomène social, se dessine une nouvelle logique architecturale, qui prend acte de l’épuisement définitif de la notion de standard. Transparence, absence de profondeur, espaces inextricables mais sans mystère, tout communique sans que jamais deux regards ne se croisent. Derrière ses façades de verre, l’architecture est aveugle car quand tout est donné à voir, il n’y a plus rien à voir. L’un des modèles en est Las Vegas, ville du désert, entourée de boîtes de bière rouillées, n’exposant que des façades spectaculaires, ayant relégué toutes les fonctions, machineries et maintenances à la face obscure, au dos de ses palais-hangars et de ses canards! Ce qui, en Europe est dans l’esprit, là-bas est dans les choses, l’ordinaire y est extraordinaire, et ces choses, stations-services, parking, appartements ou immeubles quelconques, sont comme douées d’une infinie indulgence envers leur propre banalité.

Disneyland

Pour Baudrillard, Disneyland est le nouveau Versailles et la plus somptueuse des fêtes du vide, une copie dont l’original s’est perdu, une simulation aveuglante, qui produit un simulacre qui se trouve au-delà du faux. La Californie est le seul lieu du monde où le simulacre est d’origine, et où la mobilité l’emporte sur la monumentalité patrimoniale et figée.

Beaubourg

Le centre Pompidou de Richard Rogers et Renzo Piano est chimère spatiale et simulacre, point de vue panoramique sur une ville carte postale et, si le président Giscard ne s’y était pas opposé, la façade en aurait été un écran géant. Cet édifice léger, lumineux et transparent temple de la consommation culturelle, avec son look de raffinerie de pétrole, offre une négation des plus réussies de la fonction de sacralisation inhérente à toute entreprise muséologique, et échappe avec brio à tous les stigmates de la préfabrication.

Twin Towers

Alors que Baudrillard attendait un tremblement de terre en Californie, c’est sur la côte est, à Manhattan, le 11 septembre 2001 que finit la grève des événements qu’il avait diagnostiquée une décennie plus tôt.

Pour lui, l’effondrement des Twin Towers, cœur de la finance internationale, préfigure l’aboutissement dramatique de cette forme d’architecture et du système qu’elles incarnent. Quelque chose se produit là sans jamais avoir été possible. Cette réversion de la toute-puissance du spectacle, cet écroulement du symbole de son arrogance, comme tout événement venant rompre le fil d’un quotidien mortifère, suscite une irrépressible jubilation inconsciente. 

Jean Nouvel

La pensée de Baudrillard sert à m’inquiéter, dit Jean Nouvel, car les choses ne se développant jamais comme elles étaient prévues, l’architecte doit se faire du tracas. Pour lui, qui s’exprime plus en sociologue qu’en architecte, l’avenir de l’architecture n’est plus architectural mais littéraire. Le bâti doit parler, raconter, se focaliser sur les liens qu’il entretient avec le social. Comme Baudrillard, sociologue qui ne croit plus à ce social, Nouvel est un architecte qui ne croit plus en l’architecture. Il en résultera la publication d’un livre d’échanges entre eux, en 2000, intitulé Les Objets singuliers. Architecture et philosophie.

Jean Baudrillard

Ayant rompu avec le marxisme à la quarantaine, romantique théoricien pop et télégénique séducteur nonchalant, producteur d’aphorismes à la G. C. Lichtenberg, s’amusant à contredire systématiquement le sens commun et à retourner les expressions toutes faites, post dadaïste s’en remettant au hasard, adepte du paradoxe et de la pensée fragmentaire, traqueur d’impostures et remarquablement dénué de tout ressentiment, Baudrillard se veut avant tout et essentiellement lucide. 

Aux yeux de ce germaniste de formation, au tournant du siècle passé, nous avons assisté à la fin de la modernité et au début de l’ère de la simulation et du devenir-image de toute chose. La base démocratique s’est effritée, le corps électoral épuisé, d’où le pouvoir, dans un état d’urgence permanent, se retrouve contraint de passer toujours plus en force. Or, par sa situation transversale, au carrefour de l’esthétique et du scientifique, du politique et de l’artistique, de l’économique et du sociologique, l’architecture offre la possibilité d’une analyse de la synthèse de ces influences contradictoires. 

Grâce à sa pratique constante d’une écriture disruptive, Baudrillard semble être le seul parmi les célébrités de son temps, les Lyotard, Deleuze, Derrida et autres Foucault, dont les textes soient restés d’actualité. Le seul à avoir pressenti que tous les quidams, enfermés dans une hyper réalité et incapables de distinguer le vrai de l’imaginaire, pris dans un flux incessant d’informations et de représentations fausses, perdraient toute singularité, et subiraient une hypertrophie de l’information et de la communication qui dévorerait le sens.

Oui. Les médias sont la matrice des choses, ce ne sont plus des intermédiaires, ce sont eux qui donnent ou qui retirent le sens: le médium est là avant l'évènement, dans une forme d’anticipation. Virus informatique, biologique, sociologique, il ne peut rien en lui-même sinon se répliquer. Emprunter des voies détournées et même muter s’il le faut. Pour circuler, il doit envahir d’autres cellules.

Pour Baudrillard, la société contemporaine résistait par l’hyper conformisme, par le silence et par l’indifférence. Mélancolique et désenchanté de la modernité, jonglant avec des concepts tels que simulacre, simulation, séduction, réversibilité et dématérialisation, prophète criant sur des places publiques désertes, il sonnait le glas tout en pressentant qu’allait advenir le temps de toutes les sombres régressions qui nous menacent si brutalement aujourd’hui.


«Baudrillard et le monstre (l’architecture)», Jean-Louis Violeau, Editions Parenthèses, 144 pages.

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