Culture / «Il y a quelque chose de revendicatif dans ma Bécassine!»
Bruno Podalydès: «Quand on porte une BD à l'écran, il faut la prolonger, pas seulement chercher à en traduire les images comme on suivrait un storyboard.» © PRAESENS FILM
Bruno Podalydès réhabilite la première véritable héroïne de la bande dessinée dans un film d'autant plus délicieux qu'il parait d'une totale inactualité. De ce personnage souvent considéré comme dépassé il a tiré une étonnante comédie familiale dont le charme le dispute à la finesse.
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Sans doute pas du meilleur cru et plus vraiment dans l'esprit du temps, mais très drôle et personnel tout de même. A vérifier dès le 10 avril, à Genève seulement.', 'subtitle_edition' => 'Film maudit depuis sa présentation à la dernière Mostra de Venise, «The Palace» de Roman Polanski est une comédie satirique sauvage située dans un grand hôtel au tournant de l'an 2000. Sans doute pas du meilleur cru et plus vraiment dans l'esprit du temps, mais très drôle et personnel tout de même. A vérifier dès le 10 avril, à Genève seulement.', 'content' => '<p>On peut être totalement acquis au mouvement #MeToo et adorer le cinéma de Roman Polanski, respecter le point de vue d'Adèle Haenel et penser néanmoins que <i>J'accuse</i> est un chef-d'œuvre dont l'auteur méritait son César de meilleur réalisateur en 2020. C'est en tout cas fort de cette conviction qu'on est allé voir <i>The Palace</i> et qu'on l'a beaucoup apprécié, contrairement à la meute qui lui est tombée dessus en septembre dernier à Venise. Non, il ne s'agit pas d'un grand film et pourtant, il y a là une liberté de ton, une capacité à mêler burlesque raffiné et mauvais goût le plus trash, à concilier un cynisme apparemment total et un regard moral, qui fait le plus grand bien. Est-ce trop demander aujourd'hui qu'un peu de respect pour cet artiste majeur en fin de carrière et, surtout, le droit de vérifier par soi-même plutôt que de subir de nouveaux censeurs auto-institués</p> <p>Car on en est là. Depuis cette présentation désastreuse hors compétition à la dernière Mostra, précédée d'appels au boycott, plus personne ne semble vouloir de ce film. Déjà son tournage à Gstaad, avec un montage financier acrobatique suite au désistement de nombreuses vedettes, fut tout sauf simple. Malgré l'aura du cinéaste palmé et oscarisé de <i>The Pianist</i> et de son co-scénariste Jerzy Skolimowski <i>(EO),</i> le projet était devenu comme pestiféré déjà avant le premier clap. Et à présent que toute chance de succès commercial a disparu, c'est la débandade.</p> <p>Certes, <i>The Palace </i>est encore sorti plus ou moins normalement dans une poignée de pays (Italie, Pologne, Russie, Hongrie, Suède et Allemagne). Mais dans le monde anglo-saxon, personne n'ose s'en approcher, surtout après son assassinat en règle par les donneurs de ton <i>Variety, The Hollywood Reporter</i> et <i>Screen.</i> En France, après six mois de tergiversations, seule une petite compagnie spécialisée dans la réédition de classiques américains, Swashbuckler Films, a fini par assumer le risque d'une distribution, en espérant que suffisamment de salles suivront d'ici la date annoncée du 15 mai. Et en Suisse, autre pays co-producteur derrière l'Italie et la Pologne? Ici aussi, c'est un mini-distributeur occasionnel, Mont-Blanc, qui est venu à la rescousse, sortant d'abord le film en Suisse allemande le 18 janvier (flop à 4'600 d'entrées) tandis que presque tous les exploitants romands se défilaient. Même notre Cinémathèque se cache courageusement. Ne reste pour l'instant plus que le Ciné 17 de Genève, qui sort le film le 10 avril – qu'on se le dise.</p> <h3>C'est quoi, ce <i>Palace?</i></h3> <p>Car enfin, ce n'est «que» d'une œuvre qu'il sagit, pas d'anciennes affaires de mœurs sur lesquelles nous n'avons ni les moyens ni l'autorité pour juger! Et <i>The Palace,</i> malgré tous les bâtons mis dans ses roues, vaut largement le détour. Peut-être que seuls ceux qui se souviennent encore de <i>What? </i>(1972), la dernière franche comédie de Polanski, comprendront vraiment d'où sort ce film absurde et grotesque, cosmopolite en diable et peuplé de monstres tous plus ou moins escrocs. Après une villa isolée au bord la Méditerranée, c'est dans un grand hôtel de l'Oberland bernois – à Gstaad, où il possède un chalet et passa une année en résidence surveillée sous la menace d'une extradition aux Etats-Unis – que notre auteur a situé sa nouvelle farce. Et à la place de son vieux complice Gérard Brach, décédé en 2006, c'est cette fois son ami de jeunesse Skolimowski qui, avec son épouse Ewa Piaskowska, co-signe le scénario. Soixante ans après leur mémorable collaboration du <i>Couteau dans l'eau,</i> un bel exemple de fidélité.</p> <p>Pays hôte, la Suisse n'en sort pas grandie, et on peut dès lors comprendre que la Confédération n'ait pas lâché le moindre centime au courageux co-producteur CAB Films. Mais elle n'est de loin pas la seule à en prendre pour son grade dans ce qui s'apparente à un grand jeu de massacre géopolitique. Seul épargné, ce «reste du monde», pays du Golfe, Chine, Inde ou Brésil, qui n'a atteint le statut puissance mondiale qu'après l'an 2000. Ce règlement de comptes est donc avec l'ancien monde, celui du XXème siècle qu'a traversé Polanski, aujourd'hui âgé de 90 ans. Mais il concerne tout autant une certaine «belle» société huppée qu'il a aussi côtoyée. Et là, il y a peu de chances que quoi que ce soit ait changé depuis, les nouveaux riches valant bien les anciens.</p> <h3>Jeunesse qui s'enfuit, argent aux abris</h3> <p>Tout commence donc avec l'arrivée des convives pour un réveillon du millénaire qui s'annonce festif tandis que le personnel s'active pour leur accueil. Hansueli Kopf, l'impeccable directeur du palace (Oliver Masucci, un des principaux acteurs allemands actuels), sera particulièrement mis à contribution. Il est le clown blanc de l'affaire, qui se plie aux exigences les plus extravagantes de ses hôtes, arrangeant des services discrets par-ci et éteignant des incendies par-là avec l'aide de ses adjoints Tonino (Fortunato Cerlino) et Mrs. Frautschi (Beatrice Frey). Et parmi les habitués déjà installés, qui d'autre pour ouvrir le bal que... Sydne Rome, l'héroïne de <i>What?</i></p> <p>Las! Ex-beauté d'une fraîcheur exquise, cette juive américaine installée en Italie n'est plus que l'ombre d'elle-même après trop de passages sous les bistouris (à sa décharge, dans la vie réelle, c'est suite à un accident de voiture lors duquel un airbag lui explosa au visage). Vitrine de tous les autres «monstres» à venir, elle remercie un certain Dr. Lima (Joaquim de Almeida, star portugaise du cinéma international) pour les années de jeunesse qu'il lui aurait fait gagner. Très demandé, ce prince de la chirurgie esthétique ne se souvient pas des noms de ses innombrables patientes, plus préoccupé qu'il est par une épouse gagnée par Alzheimer. Claquemurée dans sa suite, une autre de ses clientes, une marquise française (Fanny Ardant), voue son affection à son petit chien Mr. Toby. Mais un souci d'écoulement lui fait bientôt reporter son intérêt sur Karol, un beau plombier polonais.</p> <p>Et ainsi vogue la comédie, de chambre en chambre et de nouvel arrivant en nouvelle crise. Il y a là l'octogéraire milliardaire américain Arthur William Dallas III (John Cleese, des Monty Python) et Magnolia, sa jeune épouse texane enveloppée (la non moins britannique Bronwyn James), surtout intéressée à hériter. Autre Américain quoique d'âge indéfinissable grâce à sa moumoute et son fond de teint orangé, Bill Crush (Mickey Rourke, ou ce qu'il en reste) est un escroc qui s'est invité sans réservation pour faire affaire avec Jacob Tell (Milan Peschel, autre excellent comédien allemand), un timide banquier suisse. Mais qui est donc ce Vaclav, surgi de quelque pays d'Europe centrale avec femme et enfants, qui se présente soudain comme son fils? A l'autre bout du spectre, voici un groupe de jeunes et bruyants oligarques russes avec leurs blondes escorts venus retrouver un ambassadeur corrompu avec des sacs remplis de billets à «blanchir». Trop volumineux pour être accueillis par le safe de l'hôtel, ils trouveront place dans l'abri anti-atomique...</p> <h3>La vanité des monstres</h3> <p>On peut trouver le trait gros, mais la caricature à la Daumier est précise et cruelle, de même que la mise en scène reste affûtée. Par moments, Polanski manque visiblement de moyens (l'envol depuis un balcon qui révèle enfin l'ensemble du bâtiment, réalisé en effets spéciaux) et ses blagues ne sont pas toujours du meilleur goût, comme celles concernant le signor Minetti, alias Bongo, ancienne star du porno bien membré (Luca Barbareschi, complice de longue date et principal producteur du film). Mais un pansement bien placé en souvenir de <i>Chinatown</i> a tôt fait de nous le rendre plus amusant. En fait, tous se valent dans cette grande course à l'argent, contre le temps qui file et qui finira tout de même par les rattraper.</p> <p>Mr. Crush veut convaincre Tell de parier avec lui sur le «bug» informatique prédit pour l'an 2000. A la télévision, en direct, un Boris Eltsine épuisé passe la main à un jeune successeur prometteur, un certain Vladimir Poutine, lequel assure un peu plus tard à tous la protection d'un Etat de droit. Un pingouin offert par le vieux milliardaire à sa petit-fille – pardon, sa jeune épouse – s'échappe dans les couloirs de l'hôtel, pauvre petit intrus dans ce monde de fous. Pour finir, il y aura des morts, mais on ne dévoilera pas ici lesquelles. Par contre, il n'y pas de mal à révéler que, de manière parfaitement réaliste, les riches resteront riches et la Suisse saura en profiter. Quant à Tell, il sortira de là tout ébaudi, déclarant avoir vécu là «la plus belle soirée de sa vie». Clin d'œil au titre du film qu'Ettore Scola tira en 1972 de <i>La Panne</i> de Friedrich Dürrenmatt?</p> <p>Toujours est-il que c'est bien la satire jusqu'au-boutiste des dernières grandes comédies italiennes qui vient ici à l'esprit (bien plus que les récents <i>Youth</i> de Paolo Sorrentino ou <i>Sans filtre/Triangle of Sadness</i> de Ruben Östlund). C'est comme si Polanski avait choisi de rester un cinéaste du siècle passé, pour le meilleur et pour le pire. Quant à l'humour, il n'y a bien sûr rien de plus personnel. Par le passé, il est arrivé au cinéaste de toucher le grand public <i>(Cul-de-sac, Le Bal des vampires)</i> comme de rater sa cible <i>(What?, Pirates). </i>Pour notre part, nous nous sommes bien amusés. En tous cas, ne croyez pas ceux qui clament que Polanski serait soudain devenu gâteux et aurait perdu tout talent. Secondé par ses fidèles collaborateurs, le monteur Hervé de Luze (12ème film en commun), le chef opérateur Pawel Edelman (8ème) et le compositeur Alexandre Desplat (6ème), réunis depuis <i>The Ghost Writer</i> et ses ennuis helvétiques de 2009, cet éternel fugitif a réalisé le film qu'il voulait. Sans doute le dernier d'un esprit libre, qui aura estimé qu'il n'avait plus rien à perdre.</p> <hr /> <p>(<strong>Rédaction</strong>) <em>Nous apprenons que le producteur-délégué du film de Polanski, Jean-Louis Porchet, a été victime d’un grave accident de circulation le dimanche 24 mars, près de Rivaz. Il se trouve dans un état grave au CHUV, à Lausanne. Sa société, CAB-Productions, établie à Lausanne, connaît de sérieuses difficultés en raison du boycott dans quasiment toutes les salles suisses de cette œuvre tournée à Gstaad, avec un grand nombre de techniciens locaux. 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Il y a pourtant de quoi être inquiet devant un générique assez hideux qui se charge de nous rappeler à quel point ce morceau est populaire et a fait le tour du monde, resservi (toutes les 15 minutes, à ce qu'il paraît) à toutes les sauces. Pauvre Ravel, très contrarié que ce qu'il considérait comme un simple exercice de style éclipse toute son œuvre, au point de regretter l'avoir composé! Heureusement qu'une séquence pré-générique située dans une usine, avec Ravel qui tente vainement d'expliquer la musicalité de cet environnement sonore à sa commanditaire, la danseuse Ida Rubinstein, a déjà posé d'autres bases, qui font la part d'une certaine modernité.</p> <p>Evidemment, personne n'attend plus un film novateur de la part d'Anne Fontaine, 64 ans, cinéaste dont le principal mérite est d'avoir su se maintenir à un niveau honorable depuis trois décennies. Mais même si elle ne saurait clamer que son Maurice Ravel, c'est elle, ce 19ème opus a déjà l'immense mérite de résister aussi bien à cet académisme formel qui guette tout «film d'époque» qu'au diktat féministe actuel. Toujours produite par son mari Philippe Carcassonne (ça aide), l'auteure de <i>Coco avant Chanel</i> (2009) y approche son grand homme avec une délicatesse rare, qui respecte autant sa musique que les zones d'ombre du personnage. Au point que son film devrait au minimum intriguer ceux qui n'aurait pas été profondément émus!</p> <h3>Cinq femmes autour de Ravel</h3> <p>Après une scène qui voit le jeune Ravel incapable de remporter un Prix de Rome convoité (il s'y reprit à cinq fois), <i>Bolero</i> débute vraiment une vingtaine d'années plus tard, lorsque, compositeur reconnu, il reçoit la commande d'un ballet de la fantasque Ida (Jeanne Balibar, au sommet de sa préciosité). 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Mais aussi d'une musique réputée trop froide, lors de confrontations avec la fidèle interprète-amie Marguerite Long (Emmanuelle Devos) et le critique Pierre Lalo (campé par le pianiste Alexandre Tharaud!). D'une nostalgie d'enfance tenace, via des flash-backs auprès d'une mère aimante (Anne Alvaro). D'une insistante piste espagnole, avec l'idée première d'orchestrer la suite <i>Iberia </i>d'Isaac Albéniz puis une source plus populaire révélée par son aide de maison (Sophie Guillemin). D'une pression économique enfin, qui, alliée au délai qui se rapproche inexorablement, pousse Ravel à une solution «de facilité» qui s'avèrera radicalement moderne (le <i>Bolero</i>, source de la musique répétitive et des boucles électro d'aujourd'hui?). 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Cinéaste inégal mais qui n'a jamais «soldé», toujours là trente ans après ses débuts <i>(Bar des rails,</i> 1991) et devenu également acteur aves un certain succès, Cédric Kahn a mis à profit la pause imposée par le Covid pour imaginer le sien. A travers le prisme d'un «making of», ces documentaires de tournage à fins promotionnelles souvent confiés à de jeunes débutants, il a ainsi imaginé une comédie qui tente de faire la part de l'idéal artistique et du pragmatismne. Et pour peu qu'on s'intéresse au 7e art (mais sinon, pourquoi lire ces lignes), c'est aussi bidonnant qu'éclairant!</p> <p>Cédric Kahn aurait-il été inspiré par la mésaventure de Terry Giliam, dont la première tentative de tourner son <i>Don Quichotte</i> se solda par un documentaire du désastre composé à partir de son «making of» <i>(Lost in La Mancha</i> de Keith Fulton et Louis Pepe, 2002)? Toujours est-il qu'il semble vouloir exorciser ses pires angoisses à travers cette histoire de tournage d'un film socialement engagé basé sur des faits réel – une affaire d'ouvriers s'opposant à la fermeture de leur usine – qui part à vau-l'eau. Simon (Denis Podalydès) a beau être un réalisateur aguerri, soutenu par son producteur de longue date Marquez (Xavier Beauvois) et protégé par sa directrice de production Viviane (Emmanuelle Bercot), dès le premier jour de tournage, tout va de travers. Y aura-t-il vraiment un film à l'arrivée? Et bien le brulôt politique que Simon avait imaginé?</p> <h3>L'usine en folie</h3> <p>Tout se joue sur un lieu unique d'usine désaffectée dans une morne banlieue française, que le cinéma a investi tel un cirque en tournée. Lors d'une réunion d'urgence demandée par les co-producteurs, il transpire que Marquez leur avait soumis un scénario modifié, avec un <em>happy end</em>, alors que pour Simon il n'en a jamais été question! Et c'est parti à la recherche de nouveaux financiers tandis que le tournage se poursuit de manière précaire. Il y a aussi le problème Alain (Jonathan Cohen), la star aussi indispensable qu'insupportable: même totalement investi, il ne peut s'empêcher de ramener la couverture à lui alors même que ce film se tourne au milieu de ceux à qui le malheur est arrivé. Enfin, il y a Joseph (Stefan Crepon), un figurant local que Simon recrute au pied levé pour réaliser ce fameux «making of». C'est ce jeune fou de cinéma bientôt amoureux de l'actrice principale Nadia (Souheila Yacoub) qui deviendra le cœur battant du récit.</p> <p>Marquez a tôt fait de disparaître, promettant par téléphone des pistes de financement de plus en plus improbables. De son côté, Viviane est forcée de revoir le planning et de négocier avec les différents corps de métier pour rogner sur le budget. Alain, qui squatte sans vergogne chez le syndicaliste qu'il est censé interpréter, porte de plus en plus sur les nerfs de sa partenaire Nadia, dont la situation sentimentale est plutôt compliquée. Quant à Simon, qui vit séparé de sa femme Alice (Valérie Donzelli) et de ses enfants sans parvenir à vraiment l'admettre, il sombre de plus en plus dans la déprime en voyant s'éloigner le film qu'il avait rêvé. Seul le jeune Joseph, pourtant obligé de jongler avec son travail de pizzaiolo au restaurant tenu par sa sœur, semble bien déterminé à ne pas lâcher la chance de sa vie!</p> <h3>Conflits en abyme</h3> <p>En fait, Cédric Kahn présente tellement de situations parallèles problématiques (pourtant encore bien moins nombreuses que dans la réalité) qu'un film abouti pourrait presque paraître tenir du miracle. C'était déjà plus ou moins la leçon de <i>La Nuit américaine</i> de François Truffaut, si juste sur les multiples réalités d'un tournage qu'on se fichait bien du «film dans le film», clairement ringard. Ici, l'ambition de Simon de faire œuvre utile à la manière d'un Stéphane Brizé <i>(En guerre,</i> avec Vincent Lindon) en rajoute une couche. Pour autant, la mise en abyme ne se veut pas aussi clairement politique, artistique et morale que celles de Nanni Moretti dans ses récents <i>Mia Madre</i> et <i>Vers un avenir radieux. </i>Sans doute juste le plus réaliste possible.</p> <p>C'est en tous cas avec une dextérité extraordinaire que l'auteur imbrique les différents niveaux de son récit. Le format change entre le film dans le film (large), le tournage (moyen) et son «making of» (réduit), de sorte à ce qu'on sache toujours où l'on se situe; les acteurs sont tous d'un précision bluffante, en particulier un Jonathan Cohen déchaîné; et jamais le rythme de la comédie n'est perdu, même dans des scènes ostensiblement dramatiques. Le vertige atteint son comble lorsque les techniciens à cran (ils ne sont plus payés) menacent eux aussi de tout arrêter ou quand Joseph se retrouve perdu dans le jeu de miroirs que lui offre l'insaisissable Nadia.</p> <h3>Du cynisme bien tempéré</h3> <p>Où s'arrête le cinéma et où commence la vraie vie? Un film peut-il seulement prétendre approcher celle-ci, voire la dépasser et permettre d'en tirer des leçons? Ou bien tout n'est-il que vanité et compromis? Pour finir, chacun apparait pétri de contradictions, seule la gestionnaire Viviane jouant vraiment franc-jeu. 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Vous revenez ces jours avec le «reboot» d'une «franchise», comme disent les Américains. Auriez-vous retourné votre veste?
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Un autre défi était de trouver une comédienne qui puisse incarner un personnage aussi typé...
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Justement, on devine une certaine jubilation à distribuer toute votre troupe sans oublier quelques invités comme Karin Viard...
J'ai la chance de pouvoir compter sur ces comédiens fidèles qui savent donner de la profondeur à ce genre de personnages en deux dimensions. Avec eux, je sais que le tournage va être un plaisir. Même mon frère, qui est très demandé et occupé, a réussi à se libérer. Du coup, j'ai fini par m'attribuer le rôle de l'artiste escroc Rastaquoueros, alors que je n'y avais pas du tout pensé à l'écriture. C'est un personnage que j'ai quasiment inventé, sauf son nom – qui pourrait d'ailleurs bien avoir inspiré le Rastapopoulos d'Hergé!
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Selon l'idée qu'il «faut montrer de l'argent pour attirer de l'argent»...
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Malgré tout, on vous sent peut-être plus attaché à cette France d'autrefois qu'à celle d'aujourd'hui. Je me trompe?
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Ce film serait-il donc une sorte d'acte de résistance poétique face une France moderne, numérisée et super-performante, appelée de ses voeux par Emmaneul Macron ?
Peut-être. Mais je ne suis pas contre toute forme de progrès, quand même ! J'espère que le récit est clair à ce sujet. Aujourd'hui, on commence heureusement à se méfier de prétendus progrès qui n'amènent que plus de consommation et de déchets. Mais à travers l'émerveillement de Bécassine, j'ai aussi voulu rappeler le luxe que c'est déjà d'avoir accès à l'eau courante ou à l'électricité. Et puis dans ma pratique, je profite sans vergogne de tous les progrès techniques. Du tournage à la projection en passant par l'étalonnage, je salue tout ce que le numérique a apporté en termes de meilleure maîtrise de l'image.
Mais vous avez quand même engagé un vétéran, Patrick Blossier, comme directeur de la photo...
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Et pour finir, pourquoi le point d'exclamation dans le titre?
Pour affirmer malgré tout quelque chose de revendicatif. Je ne voulais pas d'une Bécassine profil bas. Ma Bécassine n'a plus rien à voir avec la gourde du film affligeant de 1940, jouée par la pauvre Paulette Dubost juste après La Régle du jeu de Renoir! Il y a une vraie sagesse dans Bécassine, que j'espère avoir fait réapparaître, et ce jusque dans la version romancée du film que j'ai rédigée à l'intention des enfants.
Bécassine! de Bruno Podalydès (France, 2018), avec Emeline Bayart, Maya Compagnie, Karin Viard, Denis Podalydès, Bruno Podalydès, Michel Vuillermoz, Josiane Balasko, Jean-Noël Brouté, Isabelle Candelier, Philippe Uchan, Vimala Pons. 1h42
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J'ai donc accepté à condition de pouvoir reprendre à zéro. Je me suis replongé dans les albums puis j'ai tout refermé et j'ai écrit mon propre scénario en une semaine à partir de mes souvenirs. J'ai respecté la bonté et la gentillesse foncière du personnage tout en cherchant ce qui pourrait bien faire le sel de son petit univers pour des yeux d'aujourd'hui.</p><p><strong>Bécassine a-t-elle fait partie de votre propre enfance?</strong></p><p>Pas vraiment. Comme pour beaucoup, c'était une image familière et j'ai forcément feuilleté un jour oiu l'autre un album qui traînait, mais rien de plus. Il n'y avait pas d'affect lià à ce personnage et c'est sans doute ce qui m'a permis de me lancer dans cette adaptation avec un certain recul. Quand on porte une BD à l'écran, il faut la prolonger, pas seulement chercher à en traduire les images comme on suivrait un storyboard. Comme Bécassine n'est pas encore une vraie BD, avec des cases et des phylactères, je me suis senti très libre pour imaginer mes plans de cinéma. Si j'essayais d'adapter Tintin par contre, je serais tétanisé parce que condamné à beaucoup plus de fidélité.</p><p><strong>La dimension controversée du personnage, en particulier en Bretagne où l'on y lit un mépris très parisien, ne vous aura pas échappé, j'imagine ?</strong></p><p>Non, bien sûr. Mais je me dis que cela restera toujours une lecture minoritaire. Bécassine vaut mieux que ette instrumentalisation par un militantisme régional. Par contre, je ne pouvais pas ignorer non plus la réalité que les Bretons d'alors étaient très pauvres et, comme Bécassine, devaient par conséquent souvent partir chercher du travail à Paris.</p><p><strong>Dans la bande dessinée, sa patronne, la marquise de Grand-Air, habitait justement Paris. Pourquoi avoir préféré situer toute l'action autour d'un château de province?</strong></p><p>J'ai prévu plusieurs réponses pour ça... La première est pragmatique: comme je n'avais pas le budget pour tourner une reconstitution d'époque crédible à Paris, j'ai préféré renoncer d'emblée et laisser partir le scénario dans une autre direction. C'est un peu l'idée de mon film précédent, Comme un avion, dont le protagoniste poursuit un rêve mais doit l'abandonner en chemin, acceptant de dériver et de divaguer. Bécassine préfére donc s'arrêter en chemin et servir de nounou à la petite Loulotte plutôt que de suivre son mirage de Tour Eiffel. Deuxième réponse: je suis toujours tenté par le théâtre, par l'unité de lieu, un peu comme un territoire refuge. Enfin, cela me permettait aussi de contourner ce vieux contentieux entre les Bretons et Paris: j'ai effacé les deux et je suis allé tourner en Normandie pour éviter les ennuis!</p><p><strong>Un autre défi était de trouver une comédienne qui puisse incarner un personnage aussi typé...</strong></p><p>Oui et non. Plus jeune, Yolande Moreau aurait sûrement fait une formidable Bécassine. En réalité, je n'ai pas choisi Emeline Bayart, elle s'est tout de suite imposée à moi! Elle avait tenu des petits rôles dans deux de mes films et j'ai donc écrit tout le scénario en pensant déjà à elle. Et la production a suivi, à condition de bien l'entourer.</p><p><strong>Justement, on devine une certaine jubilation à distribuer toute votre troupe sans oublier quelques invités comme Karin Viard...</strong></p><p>J'ai la chance de pouvoir compter sur ces comédiens fidèles qui savent donner de la profondeur à ce genre de personnages en deux dimensions. Avec eux, je sais que le tournage va être un plaisir. Même mon frère, qui est très demandé et occupé, a réussi à se libérer. Du coup, j'ai fini par m'attribuer le rôle de l'artiste escroc Rastaquoueros, alors que je n'y avais pas du tout pensé à l'écriture. C'est un personnage que j'ai quasiment inventé, sauf son nom – qui pourrait d'ailleurs bien avoir inspiré le Rastapopoulos d'Hergé!</p><p><strong>On dit parfois de Bécassine qu'elle est une ancêtre de la «ligne claire». Un style qui vous est cher?</strong></p><p>Effectivement, Pinchon, de même que Benjamin Rabier, le créateur de Gédéon le canard, sont des précurseurs de la ligne claire. Mais même si j'aprécie beaucoup ce genre, je ne saurai affirmer que cela se voit dans ma mise en scène. A mon avis, c'est quelque chose qui ne se transpose pas vraiment au cinéma. Celui qui s'en est peut-être le plus rapproché, c'est sans doute Robert Bresson! Des dessins de Pinchon, j'ai plutôt retenu des décors, des costumes, des couleurs, voire la gestuelle légèrement stylisée des comédiens.</p><p><strong>L'humour reste bon enfant, mais le film n'est plus aussi naïf ou innocent que la BD: vous suggérez des fredaines, des rapports de classe et l'épreuve du temps qui passe, sans oublier des mises en abyme...</strong></p><p>C'était un choix très conscient. Ce qui manque le plus dans l'univers de Bécassine, c'est un peu d'adversité et de complexité. C'est pourquoi que je tenais à ce que Bécassine ait ce trauma d'enfance, lorsqu'elle reste devant les grilles du château sous l'orage. Vous en retrouvez un écho lors de cette fête illusoire que les paysans sont obligés d'admirer de loin, derrière les grilles.</p><p><strong>Selon l'idée qu'il «faut montrer de l'argent pour attirer de l'argent»...</strong></p><p>Exactement! Une régle d'or de l'escroquerie que j'ai empruntée au Stavisky d'Alain Resnais.</p><p><strong>Malgré tout, on vous sent peut-être plus attaché à cette France d'autrefois qu'à celle d'aujourd'hui. Je me trompe?</strong></p><p>Vous savez, toute l'image de l'équilibre ville-campagne véhiculée à travers les médias est fausse. Au fond, énormément de choses ne changent pas. C'est juste que le monde actuel préfère le cynisme, comme pour mieux nous préparer aux désillusions à venir. Mais pour finir, je trouve qu'il y a trop d'images qui nous maltraitent, d'images négatives de nous-mêmes. On trouve Bécassine désuète ? Je pense au contraire qu'elle peut nous tendre une autre sorte de miroir, que personnellement je préfère. Sa générosité naturelle nous renvoie à notre instinct de solidarité. Face aux pauvres migrants de l'Aquarius, je suis sûr qu'elle n'aurait pas hésité un instant, loin de tous ces calculs politiques, de tous ces effets de communication honteux.</p><p><strong>Ce film serait-il donc une sorte d'acte de résistance poétique face une France moderne, numérisée et super-performante, appelée de ses voeux par Emmaneul Macron ?</strong></p><p>Peut-être. Mais je ne suis pas contre toute forme de progrès, quand même ! J'espère que le récit est clair à ce sujet. Aujourd'hui, on commence heureusement à se méfier de prétendus progrès qui n'amènent que plus de consommation et de déchets. Mais à travers l'émerveillement de Bécassine, j'ai aussi voulu rappeler le luxe que c'est déjà d'avoir accès à l'eau courante ou à l'électricité. Et puis dans ma pratique, je profite sans vergogne de tous les progrès techniques. Du tournage à la projection en passant par l'étalonnage, je salue tout ce que le numérique a apporté en termes de meilleure maîtrise de l'image.</p><p><strong>Mais vous avez quand même engagé un vétéran, Patrick Blossier, comme directeur de la photo... </strong></p><p>Bonne remarque! La raison en est que malgré tout, ce qui compte le plus, c'est la science de la lumière, un certain rapport humain, sensuel, je dirais même gourmet, à l'image. Une approche que l'on peut aussi trouver chez certains jeunes mais que j'étais sûr d'avoir en engageant Patrick.</p><p><strong>Et pour finir, pourquoi le point d'exclamation dans le titre?</strong></p><p>Pour affirmer malgré tout quelque chose de revendicatif. Je ne voulais pas d'une Bécassine profil bas. Ma Bécassine n'a plus rien à voir avec la gourde du film affligeant de 1940, jouée par la pauvre Paulette Dubost juste après <em>La Régle du jeu</em> de Renoir! Il y a une vraie sagesse dans Bécassine, que j'espère avoir fait réapparaître, et ce jusque dans la version romancée du film que j'ai rédigée à l'intention des enfants.</p><p></p><hr><p></p><h4><em>Bécassine!</em> de Bruno Podalydès (France, 2018), avec Emeline Bayart, Maya Compagnie, Karin Viard, Denis Podalydès, Bruno Podalydès, Michel Vuillermoz, Josiane Balasko, Jean-Noël Brouté, Isabelle Candelier, Philippe Uchan, Vimala Pons. 1h42</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'il-y-a-quelque-chose-de-revendicatif-dans-ma-becassine', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 749, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1098, 'homepage_order' => (int) 1317, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2414, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4839, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Jeu de massacre à Gstaad', 'subtitle' => 'Film maudit depuis sa présentation à la dernière Mostra de Venise, «The Palace» de Roman Polanski est une comédie satirique sauvage située dans un grand hôtel au tournant de l'an 2000. 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C'est en tout cas fort de cette conviction qu'on est allé voir <i>The Palace</i> et qu'on l'a beaucoup apprécié, contrairement à la meute qui lui est tombée dessus en septembre dernier à Venise. Non, il ne s'agit pas d'un grand film et pourtant, il y a là une liberté de ton, une capacité à mêler burlesque raffiné et mauvais goût le plus trash, à concilier un cynisme apparemment total et un regard moral, qui fait le plus grand bien. Est-ce trop demander aujourd'hui qu'un peu de respect pour cet artiste majeur en fin de carrière et, surtout, le droit de vérifier par soi-même plutôt que de subir de nouveaux censeurs auto-institués</p> <p>Car on en est là. Depuis cette présentation désastreuse hors compétition à la dernière Mostra, précédée d'appels au boycott, plus personne ne semble vouloir de ce film. Déjà son tournage à Gstaad, avec un montage financier acrobatique suite au désistement de nombreuses vedettes, fut tout sauf simple. Malgré l'aura du cinéaste palmé et oscarisé de <i>The Pianist</i> et de son co-scénariste Jerzy Skolimowski <i>(EO),</i> le projet était devenu comme pestiféré déjà avant le premier clap. Et à présent que toute chance de succès commercial a disparu, c'est la débandade.</p> <p>Certes, <i>The Palace </i>est encore sorti plus ou moins normalement dans une poignée de pays (Italie, Pologne, Russie, Hongrie, Suède et Allemagne). Mais dans le monde anglo-saxon, personne n'ose s'en approcher, surtout après son assassinat en règle par les donneurs de ton <i>Variety, The Hollywood Reporter</i> et <i>Screen.</i> En France, après six mois de tergiversations, seule une petite compagnie spécialisée dans la réédition de classiques américains, Swashbuckler Films, a fini par assumer le risque d'une distribution, en espérant que suffisamment de salles suivront d'ici la date annoncée du 15 mai. Et en Suisse, autre pays co-producteur derrière l'Italie et la Pologne? Ici aussi, c'est un mini-distributeur occasionnel, Mont-Blanc, qui est venu à la rescousse, sortant d'abord le film en Suisse allemande le 18 janvier (flop à 4'600 d'entrées) tandis que presque tous les exploitants romands se défilaient. Même notre Cinémathèque se cache courageusement. Ne reste pour l'instant plus que le Ciné 17 de Genève, qui sort le film le 10 avril – qu'on se le dise.</p> <h3>C'est quoi, ce <i>Palace?</i></h3> <p>Car enfin, ce n'est «que» d'une œuvre qu'il sagit, pas d'anciennes affaires de mœurs sur lesquelles nous n'avons ni les moyens ni l'autorité pour juger! Et <i>The Palace,</i> malgré tous les bâtons mis dans ses roues, vaut largement le détour. Peut-être que seuls ceux qui se souviennent encore de <i>What? </i>(1972), la dernière franche comédie de Polanski, comprendront vraiment d'où sort ce film absurde et grotesque, cosmopolite en diable et peuplé de monstres tous plus ou moins escrocs. Après une villa isolée au bord la Méditerranée, c'est dans un grand hôtel de l'Oberland bernois – à Gstaad, où il possède un chalet et passa une année en résidence surveillée sous la menace d'une extradition aux Etats-Unis – que notre auteur a situé sa nouvelle farce. Et à la place de son vieux complice Gérard Brach, décédé en 2006, c'est cette fois son ami de jeunesse Skolimowski qui, avec son épouse Ewa Piaskowska, co-signe le scénario. Soixante ans après leur mémorable collaboration du <i>Couteau dans l'eau,</i> un bel exemple de fidélité.</p> <p>Pays hôte, la Suisse n'en sort pas grandie, et on peut dès lors comprendre que la Confédération n'ait pas lâché le moindre centime au courageux co-producteur CAB Films. Mais elle n'est de loin pas la seule à en prendre pour son grade dans ce qui s'apparente à un grand jeu de massacre géopolitique. Seul épargné, ce «reste du monde», pays du Golfe, Chine, Inde ou Brésil, qui n'a atteint le statut puissance mondiale qu'après l'an 2000. Ce règlement de comptes est donc avec l'ancien monde, celui du XXème siècle qu'a traversé Polanski, aujourd'hui âgé de 90 ans. Mais il concerne tout autant une certaine «belle» société huppée qu'il a aussi côtoyée. Et là, il y a peu de chances que quoi que ce soit ait changé depuis, les nouveaux riches valant bien les anciens.</p> <h3>Jeunesse qui s'enfuit, argent aux abris</h3> <p>Tout commence donc avec l'arrivée des convives pour un réveillon du millénaire qui s'annonce festif tandis que le personnel s'active pour leur accueil. Hansueli Kopf, l'impeccable directeur du palace (Oliver Masucci, un des principaux acteurs allemands actuels), sera particulièrement mis à contribution. Il est le clown blanc de l'affaire, qui se plie aux exigences les plus extravagantes de ses hôtes, arrangeant des services discrets par-ci et éteignant des incendies par-là avec l'aide de ses adjoints Tonino (Fortunato Cerlino) et Mrs. Frautschi (Beatrice Frey). Et parmi les habitués déjà installés, qui d'autre pour ouvrir le bal que... Sydne Rome, l'héroïne de <i>What?</i></p> <p>Las! Ex-beauté d'une fraîcheur exquise, cette juive américaine installée en Italie n'est plus que l'ombre d'elle-même après trop de passages sous les bistouris (à sa décharge, dans la vie réelle, c'est suite à un accident de voiture lors duquel un airbag lui explosa au visage). Vitrine de tous les autres «monstres» à venir, elle remercie un certain Dr. Lima (Joaquim de Almeida, star portugaise du cinéma international) pour les années de jeunesse qu'il lui aurait fait gagner. Très demandé, ce prince de la chirurgie esthétique ne se souvient pas des noms de ses innombrables patientes, plus préoccupé qu'il est par une épouse gagnée par Alzheimer. Claquemurée dans sa suite, une autre de ses clientes, une marquise française (Fanny Ardant), voue son affection à son petit chien Mr. Toby. Mais un souci d'écoulement lui fait bientôt reporter son intérêt sur Karol, un beau plombier polonais.</p> <p>Et ainsi vogue la comédie, de chambre en chambre et de nouvel arrivant en nouvelle crise. Il y a là l'octogéraire milliardaire américain Arthur William Dallas III (John Cleese, des Monty Python) et Magnolia, sa jeune épouse texane enveloppée (la non moins britannique Bronwyn James), surtout intéressée à hériter. Autre Américain quoique d'âge indéfinissable grâce à sa moumoute et son fond de teint orangé, Bill Crush (Mickey Rourke, ou ce qu'il en reste) est un escroc qui s'est invité sans réservation pour faire affaire avec Jacob Tell (Milan Peschel, autre excellent comédien allemand), un timide banquier suisse. Mais qui est donc ce Vaclav, surgi de quelque pays d'Europe centrale avec femme et enfants, qui se présente soudain comme son fils? A l'autre bout du spectre, voici un groupe de jeunes et bruyants oligarques russes avec leurs blondes escorts venus retrouver un ambassadeur corrompu avec des sacs remplis de billets à «blanchir». Trop volumineux pour être accueillis par le safe de l'hôtel, ils trouveront place dans l'abri anti-atomique...</p> <h3>La vanité des monstres</h3> <p>On peut trouver le trait gros, mais la caricature à la Daumier est précise et cruelle, de même que la mise en scène reste affûtée. Par moments, Polanski manque visiblement de moyens (l'envol depuis un balcon qui révèle enfin l'ensemble du bâtiment, réalisé en effets spéciaux) et ses blagues ne sont pas toujours du meilleur goût, comme celles concernant le signor Minetti, alias Bongo, ancienne star du porno bien membré (Luca Barbareschi, complice de longue date et principal producteur du film). Mais un pansement bien placé en souvenir de <i>Chinatown</i> a tôt fait de nous le rendre plus amusant. En fait, tous se valent dans cette grande course à l'argent, contre le temps qui file et qui finira tout de même par les rattraper.</p> <p>Mr. Crush veut convaincre Tell de parier avec lui sur le «bug» informatique prédit pour l'an 2000. A la télévision, en direct, un Boris Eltsine épuisé passe la main à un jeune successeur prometteur, un certain Vladimir Poutine, lequel assure un peu plus tard à tous la protection d'un Etat de droit. Un pingouin offert par le vieux milliardaire à sa petit-fille – pardon, sa jeune épouse – s'échappe dans les couloirs de l'hôtel, pauvre petit intrus dans ce monde de fous. Pour finir, il y aura des morts, mais on ne dévoilera pas ici lesquelles. Par contre, il n'y pas de mal à révéler que, de manière parfaitement réaliste, les riches resteront riches et la Suisse saura en profiter. Quant à Tell, il sortira de là tout ébaudi, déclarant avoir vécu là «la plus belle soirée de sa vie». Clin d'œil au titre du film qu'Ettore Scola tira en 1972 de <i>La Panne</i> de Friedrich Dürrenmatt?</p> <p>Toujours est-il que c'est bien la satire jusqu'au-boutiste des dernières grandes comédies italiennes qui vient ici à l'esprit (bien plus que les récents <i>Youth</i> de Paolo Sorrentino ou <i>Sans filtre/Triangle of Sadness</i> de Ruben Östlund). C'est comme si Polanski avait choisi de rester un cinéaste du siècle passé, pour le meilleur et pour le pire. Quant à l'humour, il n'y a bien sûr rien de plus personnel. Par le passé, il est arrivé au cinéaste de toucher le grand public <i>(Cul-de-sac, Le Bal des vampires)</i> comme de rater sa cible <i>(What?, Pirates). </i>Pour notre part, nous nous sommes bien amusés. En tous cas, ne croyez pas ceux qui clament que Polanski serait soudain devenu gâteux et aurait perdu tout talent. Secondé par ses fidèles collaborateurs, le monteur Hervé de Luze (12ème film en commun), le chef opérateur Pawel Edelman (8ème) et le compositeur Alexandre Desplat (6ème), réunis depuis <i>The Ghost Writer</i> et ses ennuis helvétiques de 2009, cet éternel fugitif a réalisé le film qu'il voulait. Sans doute le dernier d'un esprit libre, qui aura estimé qu'il n'avait plus rien à perdre.</p> <hr /> <p>(<strong>Rédaction</strong>) <em>Nous apprenons que le producteur-délégué du film de Polanski, Jean-Louis Porchet, a été victime d’un grave accident de circulation le dimanche 24 mars, près de Rivaz. Il se trouve dans un état grave au CHUV, à Lausanne. Sa société, CAB-Productions, établie à Lausanne, connaît de sérieuses difficultés en raison du boycott dans quasiment toutes les salles suisses de cette œuvre tournée à Gstaad, avec un grand nombre de techniciens locaux. Ce qui d’ailleurs, outre la notoriété du réalisateur, n’a pas suffi à convaincre la RTS, Cinéforom et l’Office fédéral de la Culture de soutenir le projet. 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Il y a pourtant de quoi être inquiet devant un générique assez hideux qui se charge de nous rappeler à quel point ce morceau est populaire et a fait le tour du monde, resservi (toutes les 15 minutes, à ce qu'il paraît) à toutes les sauces. Pauvre Ravel, très contrarié que ce qu'il considérait comme un simple exercice de style éclipse toute son œuvre, au point de regretter l'avoir composé! Heureusement qu'une séquence pré-générique située dans une usine, avec Ravel qui tente vainement d'expliquer la musicalité de cet environnement sonore à sa commanditaire, la danseuse Ida Rubinstein, a déjà posé d'autres bases, qui font la part d'une certaine modernité.</p> <p>Evidemment, personne n'attend plus un film novateur de la part d'Anne Fontaine, 64 ans, cinéaste dont le principal mérite est d'avoir su se maintenir à un niveau honorable depuis trois décennies. Mais même si elle ne saurait clamer que son Maurice Ravel, c'est elle, ce 19ème opus a déjà l'immense mérite de résister aussi bien à cet académisme formel qui guette tout «film d'époque» qu'au diktat féministe actuel. Toujours produite par son mari Philippe Carcassonne (ça aide), l'auteure de <i>Coco avant Chanel</i> (2009) y approche son grand homme avec une délicatesse rare, qui respecte autant sa musique que les zones d'ombre du personnage. Au point que son film devrait au minimum intriguer ceux qui n'aurait pas été profondément émus!</p> <h3>Cinq femmes autour de Ravel</h3> <p>Après une scène qui voit le jeune Ravel incapable de remporter un Prix de Rome convoité (il s'y reprit à cinq fois), <i>Bolero</i> débute vraiment une vingtaine d'années plus tard, lorsque, compositeur reconnu, il reçoit la commande d'un ballet de la fantasque Ida (Jeanne Balibar, au sommet de sa préciosité). C'est un bel homme de petite stature, élégant et discret, qui se consacre entièrement à la musique, au point qu'elle seule semble compter dans sa vie. Il a des amitiés féminines mais on ne lui connaît pas d'amours, et la principale à le taquiner à ce sujet n'est autre que Misia (Doria Tillier), la mécène et «reine» du tout-Paris d'alors. Eh oui, la même Misia Godebska (ou Edwards ou Sert, selon ses mariages) que l'on a pu voir tout récemment dans le <i>Bonnard</i> de Martin Provost, sous les traits d'Anouk Grinberg! Toujours est-il que même très disponible, Ravel sèche sérieusement sur cette nouvelle commande.</p> <p>Or, c'est justement de cette non-action que le film tire sa particularité et,<i> in fine,</i> sa réussite. A côté de dialogues toujours bien sentis, les tentatives répétées de se mettre au travail, la procrastination, les distractions et les souvenirs composent l'essentiel du scénario. Et c'est tout à fait prenant, du fait de ce double mystère: d'où vient donc l'inspiration de l'artiste, d'autant plus s'il n'est apparemment pas mû par le désir? Il en résulte un portrait singulièrement complexe, qui suggère plutôt qu'il n'affirme. «Détail» qui compte, on entend aussi d'autres compositions de Ravel avant d'en arriver au <i>Bolero,</i> sans oublier quantité de sons auxquels il semble avoir été particulièrement attentif. Et on voit le compositeur entouré de femmes – et même fréquenter le bordel à sa manière, mais sans rien de conclusif – comme dans le classique <i>Cinq femmes autour d'Utamaro,</i> biopic du fameux peintre japonais par Kenji Mizoguchi (1946).</p> <p>Oh, il y aura bien la suggestion d'une sublimation érotique, voire sentimentale, à travers une histoire de gants oubliés par Misia. Mais aussi d'une musique réputée trop froide, lors de confrontations avec la fidèle interprète-amie Marguerite Long (Emmanuelle Devos) et le critique Pierre Lalo (campé par le pianiste Alexandre Tharaud!). D'une nostalgie d'enfance tenace, via des flash-backs auprès d'une mère aimante (Anne Alvaro). D'une insistante piste espagnole, avec l'idée première d'orchestrer la suite <i>Iberia </i>d'Isaac Albéniz puis une source plus populaire révélée par son aide de maison (Sophie Guillemin). D'une pression économique enfin, qui, alliée au délai qui se rapproche inexorablement, pousse Ravel à une solution «de facilité» qui s'avèrera radicalement moderne (le <i>Bolero</i>, source de la musique répétitive et des boucles électro d'aujourd'hui?). 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Paps 19.06.2018 | 07h33
«Je viens de jeter plusieurs albums de Bécassine et regrette du coup de n'avoir pas pris le temps de les relire avant. Patsy»