"Plan 75" de Chie Hayakawa, Grand Prix du FIFF. © Eurozoom
Avec un nouveau record de fréquentation qui pulvérise les résultats pré-Covid, le Festival International du Film de Fribourg qui s'est clos samedi passé a de quoi pavoiser. Mais qu'en était-il des films présentés et de leur destin au-delà? Compte-rendu circonstancié.
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Depuis son hameau de Quincy (commune de Mieussy) niché derrière le Môle, une montagne bien connue des habitants du bout du Léman, il mène une carrière unique en son genre, qui prouve qu'on peut traiter du global à partir du local. En témoignent une vingtaine de titres, dont une dizaine de longs-métrages de <i>Ma Mondialisation</i> (2006), sur l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve toute proche, à deux films récents avec le député Insoumis François Ruffin <i>(J'veux du soleil!</i> et <i>Debout les femmes!).</i></p> <p>Après un premier détour par la fiction tenté avec l'aide de sa compagne Marion Richoux, <i>Reprise en main</i> (ancré dans cette même réalité ouvrière, avec Pierre Deladonchamps et Laetitia Dosch), le voici qui revient au sujet de son premier film, <i>Trois frères pour une vie</i> (1999), portrait de paysans de son village. 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Et pour la Suisse, tout finit par arriver. En fait, même en restant très local, j'aspire toujours à une forme d'universalité. Et les retours dans les débats qu'on a pu faire entre Bulle, La Chaux-de-Fonds ou Morges prouvent que la réalité des paysans d'ici n'est pas si différente.</p> <p><strong>Vous-même n'êtes pas d'une famille paysanne, mais ouvrière. Pourtant, vous revenez ici sur des gens que vous aviez déjà filmés à vos débuts?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: A l'époque, c'était juste la réalité que j'avais sous les yeux: j'ai grandi à 80 mètres de cette ferme! Depuis tout petit je suis monté sur le tracteur des frères Bertrand et je dois avoir passé des centaines d'heures avec eux. J'avais donc profité de cette proximité pour essayer de réaliser un film qui leur corresponde vraiment, qui soit attentif à leurs gestes et à leur façon de s'exprimer, en montrant que ce sont des gens qui ont su se projeter dans l'avenir. Pour la nouvelle génération, que j'ai connue comme bébés, le regard s'est un peu inversé, puisque là, c'est moi l'aîné.</p> <p><strong>Marion Richoux</strong>: De mon côté, je suis d'Annecy. J'ai fait des études de cinéma et j'ai travaillé à la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain. Je connaissais ce premier film de Gilles, <i>Trois frères pour une vie,</i> dont la frontalité m'avait frappée mais qui n'avait presque pas eu de visibilité. Je me disais que c'était dommage et quand, après <i>Reprise en main,</i> on a cherché quel serait le projet suivant, j'ai proposé d'y revenir. C'était l'occasion de parler de tout ce qui avait changé depuis.</p> <p><strong>GP</strong>: En fait, tout est parti de Suisse, parce que ce premier film autoproduit a été primé au Festival du film alpin des Diablerets et de ce fait, acheté pour une version raccourcie par la TSR. 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Mais c'était des gens étonnamment érudits et intéressés, capables de discuter d'autres sujets que juste leur travail! Le grand-père était un grand lecteur et il leur avait transmis ça. André, celui qui est encore en vie et qui tire un bilan plutôt amer de leur existence, sans femmes pour la partager, lit toujours le <i>Courrier International!</i> Ils ont aussi un peu regardé la TV, même si on ne la voit pas: elle était cachée dans un coin sous un tissu, dans cet intérieur d'une totale austérité.</p> <p><strong>MR</strong>: Il a bien fallu se focaliser sur la ferme, la question de sa survie économique et de sa transmission. Si la nouvelle génération est parvenue à prendre sa place dans le film, ce n'était pas du tout évident au début, face à des personnages tels que ces trois oncles! Au bout du compte, malgré les inévitables «oublis», ils se sont tous déclarés satisfaits de l'image qu'on donne du métier. 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Ici aussi, c'est un mini-distributeur occasionnel, Mont-Blanc, qui est venu à la rescousse, sortant d'abord le film en Suisse allemande le 18 janvier (flop à 4'600 d'entrées) tandis que presque tous les exploitants romands se défilaient. Même notre Cinémathèque se cache courageusement. Ne reste pour l'instant plus que le Ciné 17 de Genève, qui sort le film le 10 avril – qu'on se le dise.</p> <h3>C'est quoi, ce <i>Palace?</i></h3> <p>Car enfin, ce n'est «que» d'une œuvre qu'il sagit, pas d'anciennes affaires de mœurs sur lesquelles nous n'avons ni les moyens ni l'autorité pour juger! Et <i>The Palace,</i> malgré tous les bâtons mis dans ses roues, vaut largement le détour. Peut-être que seuls ceux qui se souviennent encore de <i>What? </i>(1972), la dernière franche comédie de Polanski, comprendront vraiment d'où sort ce film absurde et grotesque, cosmopolite en diable et peuplé de monstres tous plus ou moins escrocs. 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Ce règlement de comptes est donc avec l'ancien monde, celui du XXème siècle qu'a traversé Polanski, aujourd'hui âgé de 90 ans. Mais il concerne tout autant une certaine «belle» société huppée qu'il a aussi côtoyée. Et là, il y a peu de chances que quoi que ce soit ait changé depuis, les nouveaux riches valant bien les anciens.</p> <h3>Jeunesse qui s'enfuit, argent aux abris</h3> <p>Tout commence donc avec l'arrivée des convives pour un réveillon du millénaire qui s'annonce festif tandis que le personnel s'active pour leur accueil. Hansueli Kopf, l'impeccable directeur du palace (Oliver Masucci, un des principaux acteurs allemands actuels), sera particulièrement mis à contribution. Il est le clown blanc de l'affaire, qui se plie aux exigences les plus extravagantes de ses hôtes, arrangeant des services discrets par-ci et éteignant des incendies par-là avec l'aide de ses adjoints Tonino (Fortunato Cerlino) et Mrs. Frautschi (Beatrice Frey). Et parmi les habitués déjà installés, qui d'autre pour ouvrir le bal que... Sydne Rome, l'héroïne de <i>What?</i></p> <p>Las! Ex-beauté d'une fraîcheur exquise, cette juive américaine installée en Italie n'est plus que l'ombre d'elle-même après trop de passages sous les bistouris (à sa décharge, dans la vie réelle, c'est suite à un accident de voiture lors duquel un airbag lui explosa au visage). Vitrine de tous les autres «monstres» à venir, elle remercie un certain Dr. Lima (Joaquim de Almeida, star portugaise du cinéma international) pour les années de jeunesse qu'il lui aurait fait gagner. Très demandé, ce prince de la chirurgie esthétique ne se souvient pas des noms de ses innombrables patientes, plus préoccupé qu'il est par une épouse gagnée par Alzheimer. Claquemurée dans sa suite, une autre de ses clientes, une marquise française (Fanny Ardant), voue son affection à son petit chien Mr. Toby. Mais un souci d'écoulement lui fait bientôt reporter son intérêt sur Karol, un beau plombier polonais.</p> <p>Et ainsi vogue la comédie, de chambre en chambre et de nouvel arrivant en nouvelle crise. Il y a là l'octogéraire milliardaire américain Arthur William Dallas III (John Cleese, des Monty Python) et Magnolia, sa jeune épouse texane enveloppée (la non moins britannique Bronwyn James), surtout intéressée à hériter. Autre Américain quoique d'âge indéfinissable grâce à sa moumoute et son fond de teint orangé, Bill Crush (Mickey Rourke, ou ce qu'il en reste) est un escroc qui s'est invité sans réservation pour faire affaire avec Jacob Tell (Milan Peschel, autre excellent comédien allemand), un timide banquier suisse. Mais qui est donc ce Vaclav, surgi de quelque pays d'Europe centrale avec femme et enfants, qui se présente soudain comme son fils? A l'autre bout du spectre, voici un groupe de jeunes et bruyants oligarques russes avec leurs blondes escorts venus retrouver un ambassadeur corrompu avec des sacs remplis de billets à «blanchir». Trop volumineux pour être accueillis par le safe de l'hôtel, ils trouveront place dans l'abri anti-atomique...</p> <h3>La vanité des monstres</h3> <p>On peut trouver le trait gros, mais la caricature à la Daumier est précise et cruelle, de même que la mise en scène reste affûtée. Par moments, Polanski manque visiblement de moyens (l'envol depuis un balcon qui révèle enfin l'ensemble du bâtiment, réalisé en effets spéciaux) et ses blagues ne sont pas toujours du meilleur goût, comme celles concernant le signor Minetti, alias Bongo, ancienne star du porno bien membré (Luca Barbareschi, complice de longue date et principal producteur du film). Mais un pansement bien placé en souvenir de <i>Chinatown</i> a tôt fait de nous le rendre plus amusant. 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Clin d'œil au titre du film qu'Ettore Scola tira en 1972 de <i>La Panne</i> de Friedrich Dürrenmatt?</p> <p>Toujours est-il que c'est bien la satire jusqu'au-boutiste des dernières grandes comédies italiennes qui vient ici à l'esprit (bien plus que les récents <i>Youth</i> de Paolo Sorrentino ou <i>Sans filtre/Triangle of Sadness</i> de Ruben Östlund). C'est comme si Polanski avait choisi de rester un cinéaste du siècle passé, pour le meilleur et pour le pire. Quant à l'humour, il n'y a bien sûr rien de plus personnel. Par le passé, il est arrivé au cinéaste de toucher le grand public <i>(Cul-de-sac, Le Bal des vampires)</i> comme de rater sa cible <i>(What?, Pirates). </i>Pour notre part, nous nous sommes bien amusés. En tous cas, ne croyez pas ceux qui clament que Polanski serait soudain devenu gâteux et aurait perdu tout talent. Secondé par ses fidèles collaborateurs, le monteur Hervé de Luze (12ème film en commun), le chef opérateur Pawel Edelman (8ème) et le compositeur Alexandre Desplat (6ème), réunis depuis <i>The Ghost Writer</i> et ses ennuis helvétiques de 2009, cet éternel fugitif a réalisé le film qu'il voulait. Sans doute le dernier d'un esprit libre, qui aura estimé qu'il n'avait plus rien à perdre.</p> <hr /> <p>(<strong>Rédaction</strong>) <em>Nous apprenons que le producteur-délégué du film de Polanski, Jean-Louis Porchet, a été victime d’un grave accident de circulation le dimanche 24 mars, près de Rivaz. Il se trouve dans un état grave au CHUV, à Lausanne. Sa société, CAB-Productions, établie à Lausanne, connaît de sérieuses difficultés en raison du boycott dans quasiment toutes les salles suisses de cette œuvre tournée à Gstaad, avec un grand nombre de techniciens locaux. 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Il y a pourtant de quoi être inquiet devant un générique assez hideux qui se charge de nous rappeler à quel point ce morceau est populaire et a fait le tour du monde, resservi (toutes les 15 minutes, à ce qu'il paraît) à toutes les sauces. Pauvre Ravel, très contrarié que ce qu'il considérait comme un simple exercice de style éclipse toute son œuvre, au point de regretter l'avoir composé! Heureusement qu'une séquence pré-générique située dans une usine, avec Ravel qui tente vainement d'expliquer la musicalité de cet environnement sonore à sa commanditaire, la danseuse Ida Rubinstein, a déjà posé d'autres bases, qui font la part d'une certaine modernité.</p> <p>Evidemment, personne n'attend plus un film novateur de la part d'Anne Fontaine, 64 ans, cinéaste dont le principal mérite est d'avoir su se maintenir à un niveau honorable depuis trois décennies. 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C'est un bel homme de petite stature, élégant et discret, qui se consacre entièrement à la musique, au point qu'elle seule semble compter dans sa vie. Il a des amitiés féminines mais on ne lui connaît pas d'amours, et la principale à le taquiner à ce sujet n'est autre que Misia (Doria Tillier), la mécène et «reine» du tout-Paris d'alors. Eh oui, la même Misia Godebska (ou Edwards ou Sert, selon ses mariages) que l'on a pu voir tout récemment dans le <i>Bonnard</i> de Martin Provost, sous les traits d'Anouk Grinberg! Toujours est-il que même très disponible, Ravel sèche sérieusement sur cette nouvelle commande.</p> <p>Or, c'est justement de cette non-action que le film tire sa particularité et,<i> in fine,</i> sa réussite. A côté de dialogues toujours bien sentis, les tentatives répétées de se mettre au travail, la procrastination, les distractions et les souvenirs composent l'essentiel du scénario. 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Une semaine après que le FIFDH de Genève traversait une profonde crise qui s'est soldée par la démission de sa nouvelle responsable des programmes Irène Challand, le FIFF a fait preuve d'une santé insolente sous la houlette plus tranquille de son directeur Thierry Jobin, en place depuis douze éditions. L'an passé, l'envie de réfléchir sur le politiquement correct à travers une rétrospective de comédies avait provoqué quelques remous heureusement vite calmés. Cette année, rien de tel avec un programme ultra-consensuel de films sur la nourriture, sans doute co-responsable du nouveau record de fréquentation. Quoi de mieux que la bouffe pour rassembler?
Un volet nettement plus intéressant était consacré à la découverte d'une terra incognita, du moins cinématographiquement parlant: la Moldavie. En tant que membre du jury de la critique assigné à suivre la compétition, l'auteur de ces lignes n'a pu voir qu'un seul de ces films moldaves, mais sans doute le principal. Carbon, premier long-métrage du jeune Ion Bors, est en effet un film phénomène qui affole le box office de ce pays de 4,5 millions d'habitants et... trois salles de cinéma toutes situées dans sa capitale, Chisinau. Comme quoi tout est relatif. Par contre, la réussite de cette satire sur fond de guerre de sécession de la Transnistrie, en 1992, dans laquelle deux citoyens d'une bourgade moldave découvrent un mystérieux corps carbonisé, saute aux yeux. Avec une ironie tranquille qui rappelle les Contes de l'âge d'or roumains de Cristian Mungiu & co., voire la grande comédie à l'italienne des années 1960, le cinéaste y épingle les travers de son pays, toujours tenté par l'ordre russe, le populisme, la corruption et la démission morale.
Fatih Akin ambigü
Invité d'honneur, le Germano-Turc Fatih Akin a proposé une carte blanche éclectique (de Bruce Lee à Krzysztof Kieslowski en passant par le hip hop) et présenté son petit dernier, Rheingold. Un film bien parti pour devenir son plus grand succès à ce jour et qui relate, d'après une autobiographie, l'histoire d'un jeune réfugié kurde iranien devenu trafiquant de drogue puis, après quelques années de prison pour braquage de fourgonnette en uniforme de policier, une star/entrepreneur du rap allemand. Bref, c'est un peu le GoodFellas d'Akin, qui applique là son style toujours hyperefficace et inventif au milieu du crime. Mais malgré l'excuse d'une enfance gâchée dans les prisons irakiennes, la complaisance ne tarde pas à devenir gênante, qui érige involontairement ce Xatar, alias Giwar Hajadi, en modèle pour toute une nouvelle jeunesse. Plus soucieux de faire rimer l'or volé avec celui des Niebelungen, cohabiter Wagner et gangsta rap, intégrer l'Orient et l'Occident, le cinéaste ne voit apparemment pas le problème. Quant au distributeur Warner Bros, malgré 67'000 entrées outre-Sarine, il n'a pas prévu d'exploitation de ce côté-ci, faisant de ce film le 6ème inédit d'affilée de son auteur en Suisse romande.
A côté de ces deux exemples de cinéma «commercial», comment s'est défendu le cinéma d'auteur non-occidental, spécialité historique de ce festival? Diversement. Il y avait en effet plusieurs mondes d'écart entre le grand gagnant Plan 75 de la Japonaise Chie Hayakawa (trois prix, dont celui de la critique) et Winners de Hassan Nazer, un Iranien régugié en Ecosse qui signait là un hommage aux plus grand cinéastes de son pays. Comment un film aussi indigent, dont seul le pitch d'une chasse à un Oscar égaré retient un instant l'attention, a-t-il pu atterrir en compétition? Mystère. Autre déception, Untold Herstory de la Taïwanaise Zero Chou, grosse production rappelant l'existence de camps de rééducation anti-communistes sous Tchang Kaï-chek. Au-delà de la bizarrerie idéologique d'un tel projet dans le contexte politique actuel, l'académisme et la maladresse narrative ont tôt fait de couler l'entreprise.
Un cran au-dessus, Bratya (Darkhan Tulegenov, Kazakhstan), énième histoire d'orphelins en quête de leur père, Un varón (Fabian Hernández, Colombie), énième portrait d'un gamin de la rue guetté par la délinquence, et Numb (Amir Toodehroosta, Iran), énième observation d'enfants entre eux, méritaient leur sélection respectivement pour le dynamisme de la réalisation, le refus des clichés et une visée critique plus large. Le premier rattrapé par le pathos, le deuxième miné par un trop morne quotidien et le troisième souffrant d'un excès de finesse, ils ne laisseront toutefois guère de trace.
Quatre oubliés du palmarès
Bientôt distribué par Trigon-Film, Nezouh (Soudade Kaadan, Syrie) retient quant à lui l'attention par son regard décalé sur un pays en ruines, à travers le prisme d'une famille qui se refuse à quitter sa maison malgré les trous créés dans les murs par les bombardements. C'est la famille (père, mère et fille adolescente) à l'épreuve de la guerre, avec des échappées poétiques pour adoucir la pilule et une critique féministe pour se décaler – un peu trop pour finir. Mais il y a là un réel talent, qui n'attend qu'un retour de la paix pour pouvoir se déployer pleinement. Plus proche d'un «film Trigon» traditionnel aura paru Harvest Moon (Amarsaikhan Baljinnyam, Mongolie), avec son néo-citadin obligé de retourner dans la steppe pour l'enterrement de son père adoptif et qui s'y prend d'affection pour un autre semi-orphelin, un garçon placé chez ses grands-parents. Ici, on apprécie une certaine dignité formelle qui va avec le dénuement, y compris paysager, mais l'opposition entre traditions et modernité et l'apprivoisement progressif des deux protagonistes paraissent bien convenus.
Oubliés du palmarès, Harka (Lofty Nathan, Tunisie) et El castigo (Matías Bize, Chili) n'ont quant à eux en rien démérité. Portrait d'un jeune homme piégé dans une situation sans avenir, le premier restera ne serait-ce que pour la rage rentrée qui émane de son interprète (Adam Bessa) et sa dernière image incandescente, d'une ironie amère. C'est l'habituel récit maghrébin d'une jeunesse tentée par la fuite en Europe, mais l'histoire d'Ali, rappelé à ses responsabilités familiales à la mort d'un père endetté et enfoncé par une corruption omniprésente est prenante. A l'arrivée, certainement l'un des films tunisiens qui montre le mieux la réalité profonde de son pays. Quant au 9ème opus du cinéaste chilien, il se distingue par l'exploit d'un plan-séquence unique, aboutissement logique pour ce tenant d'un certain minimalisme (En la Cama et La Memoria del Agua furent distribués ici). La gradation de cette histoire d'un couple qui a perdu son petit garçon en forêt est parfaite, débouchant sur un terrible aveu de «maternité indigne» lancé par la toujours étonnante Antonia Zegers.
Et les lauréats sont...
Distingué par le public et le jury œcuménique, Abang Adik (Jin Ong, Malaisie), représente cette rareté: un film lancé au FIFF et dont le festival peut vraiment s'enorgueillir de la découverte. Ici, un autre pays à peu près inconnu pour son cinéma (si l'on exclut I Want to Sleep Alone de Tsai Ming-liang) est révélé à travers le sort qu'il réserve à ses réfugiés clandestins. Le meurtre accidentel d'une assistante sociale précipite la fin de la cohabitation entre deux faux frères, l'un sourd-muet et l'autre irresponsable mais qui se rachètera suite à la fausse auto-dénonciation du premier. La mise en scène est d'une souplesse épatante, le jeu du garçon handicapé d'un naturel formidable, en particulier dans une scène de confession déchirante. Ne manque au fond qu'un projet plus ambitieux que ce scénario sacrificiel un peu facile.
Prix spécial du jury (et mention du Jury des jeunes), World War III (Houman Seyyedi, Iran) épate quant à lui d'emblée par sa verve narrative et l'audace de son sujet. Simple ouvrier errant depuis qu'il a perdu les siens dans un tremblement de terre, Shakib se retrouve par hasard engagé comme gardien sur le tournage d'un film douteux sur les camps de concentration de la Seconde guerre mondiale. Ni une ni deux, le voici promu figurant en costume rayé puis même bombardé dans le rôle d'Hitler! Dormant dans les décors, il y cache bientôt une prostituée sourde-muette (c'est la mode) qui fuit son souteneur. Mais celle-ci disparaît dans un incendie. Désespéré, Shakib a-t-il été manipulé? Malin, le sénario s'inscrit en droite ligne des fameux dilemmes moraux d'Asghar Farhadi, avec un soupçon de comédie en plus. Au final pourtant, la condamnation sans appel du cinéma comme une affaire de dictateurs au petit pied, alors même que le réel semble s'être complètement évaporé, laisse dubitatif quant à sa sincérité.
Un Grand Prix incontesté
Nettement plus rigoureux, Plan 75 de Chie Hayakawa se présente comme une sorte de «société-fiction» doucement dystopique qui imagine une solution au vieillissement de la population japonaise: un plan gouvernemental d'encouragement au suicide assisté à partir de 75 ans. Un prologue qui rappelle une tuerie réelle commise dans un EMS au motif que les vieux coûteraient trop cher à la société donne déjà froid dans le dos. Là-dessus, la cinéaste suit en alternance trois protagonistes: une vieille dame seule de 78 ans qui doit encore travailler pour subvenir à ses besoins mais se voit licenciée, un jeune employé du Plan qui se trouve confronté à la candidature de son vieil oncle, et une Philippine qui travaille dans un centre funéraire avant de trouver un nouveau job mieux rémunéré. Bien sûr, les trois récits convergent vers une même «clinique de départ»...
Sans autres effets qu'une image très contrastée, la cinéaste décrit avec précision cette logique froidement utilitariste acceptée par tous. Mais d'un autre côté, son regard plein d'empathie s'y oppose, de sorte que le film crée une véritable tension. C'est un peu comme si une situation digne d'un film d'anticipation hollywoodien des années 1970 (Soleil vert, L'Age de cristal, Morts suspectes) avait été passée au filtre du style humaniste de Hirokazu Kore-eda.
Bien sûr, ce premier long-métrage d'une cinéaste de 45 ans est quasiment «occidental» dans sa problématique, nous le rendant aisément accessible. Mais c'est avant tout sa finesse et sa maturité qui ont convaincu le jury officiel, celui de la critique et celui des jeunes. Un petit distributeur (First Hand Films) ne s'y est pas trompé, repérant déjà ce film à Cannes, ce qui lui vaudra une sortie début mai. Joie! Car à quoi bon tous ces «films de festival» qui, primés ou non, ne sortent plus de ce circuit fermé? Comme tant d'autres, le FIFF surfe depuis longtemps déjà sur cette aberration. Mais il ne peut que se réjouir quand son lauréat, par exception, y échappe.
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Mais malgré l'excuse d'une enfance gâchée dans les prisons irakiennes, la complaisance ne tarde pas à devenir gênante, qui érige involontairement ce Xatar, alias Giwar Hajadi, en modèle pour toute une nouvelle jeunesse. Plus soucieux de faire rimer l'or volé avec celui des Niebelungen, cohabiter Wagner et gangsta rap, intégrer l'Orient et l'Occident, le cinéaste ne voit apparemment pas le problème. Quant au distributeur Warner Bros, malgré 67'000 entrées outre-Sarine, il n'a pas prévu d'exploitation de ce côté-ci, faisant de ce film le 6ème inédit d'affilée de son auteur en Suisse romande.</p> <p>A côté de ces deux exemples de cinéma «commercial», comment s'est défendu le cinéma d'auteur non-occidental, spécialité historique de ce festival? Diversement. 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Au-delà de la bizarrerie idéologique d'un tel projet dans le contexte politique actuel, l'académisme et la maladresse narrative ont tôt fait de couler l'entreprise.</p> <p>Un cran au-dessus, <i>Bratya</i> (Darkhan Tulegenov, Kazakhstan), énième histoire d'orphelins en quête de leur père, <i>Un varón</i> (Fabian Hernández, Colombie), énième portrait d'un gamin de la rue guetté par la délinquence, et <i>Numb</i> (Amir Toodehroosta, Iran), énième observation d'enfants entre eux, méritaient leur sélection respectivement pour le dynamisme de la réalisation, le refus des clichés et une visée critique plus large. Le premier rattrapé par le pathos, le deuxième miné par un trop morne quotidien et le troisième souffrant d'un excès de finesse, ils ne laisseront toutefois guère de trace.</p> <h3>Quatre oubliés du palmarès</h3> <p>Bientôt distribué par Trigon-Film, <i>Nezouh</i> (Soudade Kaadan, Syrie) retient quant à lui l'attention par son regard décalé sur un pays en ruines, à travers le prisme d'une famille qui se refuse à quitter sa maison malgré les trous créés dans les murs par les bombardements. C'est la famille (père, mère et fille adolescente) à l'épreuve de la guerre, avec des échappées poétiques pour adoucir la pilule et une critique féministe pour se décaler – un peu trop pour finir. Mais il y a là un réel talent, qui n'attend qu'un retour de la paix pour pouvoir se déployer pleinement. 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Depuis son hameau de Quincy (commune de Mieussy) niché derrière le Môle, une montagne bien connue des habitants du bout du Léman, il mène une carrière unique en son genre, qui prouve qu'on peut traiter du global à partir du local. En témoignent une vingtaine de titres, dont une dizaine de longs-métrages de <i>Ma Mondialisation</i> (2006), sur l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve toute proche, à deux films récents avec le député Insoumis François Ruffin <i>(J'veux du soleil!</i> et <i>Debout les femmes!).</i></p> <p>Après un premier détour par la fiction tenté avec l'aide de sa compagne Marion Richoux, <i>Reprise en main</i> (ancré dans cette même réalité ouvrière, avec Pierre Deladonchamps et Laetitia Dosch), le voici qui revient au sujet de son premier film, <i>Trois frères pour une vie</i> (1999), portrait de paysans de son village. 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Alors que de nombreux paysans clament qu'ils veulent moins de règles, surtout environnementales, ici, ce sont bien les règles contraignantes édictées par l'AOC qui les protègent!</p> <p><strong>MR</strong>: C'est un film où il y a beaucoup de thèmes sous-jacents, en particulier du fait que tout est appréhendé sur le temps long. Le montage non-chronologique, qui fait des retours dans le passé, permet de se rendre compte de tout ce qui a évolué. Cadré sous le même angle, le paysage n'a peut-être pas changé, mais on voit la ferme se moderniser, le travail se mécaniser, les gens prendre de l'âge et la vie passer...</p> <p><strong>Tout documentaire est forcément sélectif. Ici, on se demande ce que ces paysans font à part travailler du matin au soir. Il n'y a donc pas de place pour d'autres passions?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: Les trois frères n'ont pas vraiment connu de loisirs, encore moins pris de vacances. Et l'heure de la retraite arrivée, ils n'en manifestent pas le désir. Mais c'était des gens étonnamment érudits et intéressés, capables de discuter d'autres sujets que juste leur travail! Le grand-père était un grand lecteur et il leur avait transmis ça. André, celui qui est encore en vie et qui tire un bilan plutôt amer de leur existence, sans femmes pour la partager, lit toujours le <i>Courrier International!</i> Ils ont aussi un peu regardé la TV, même si on ne la voit pas: elle était cachée dans un coin sous un tissu, dans cet intérieur d'une totale austérité.</p> <p><strong>MR</strong>: Il a bien fallu se focaliser sur la ferme, la question de sa survie économique et de sa transmission. Si la nouvelle génération est parvenue à prendre sa place dans le film, ce n'était pas du tout évident au début, face à des personnages tels que ces trois oncles! Au bout du compte, malgré les inévitables «oublis», ils se sont tous déclarés satisfaits de l'image qu'on donne du métier. 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Et aussi que la question de son importance littéraire restait suspendue, forcément en retrait des polémiques. Puis le cinéma a commencé à s'intéresser à elle, Laëtitia Masson (non-)adaptant de manière originale <i>Pourquoi (pas) le Brésil</i> bien avant qu'une Claire Denis peu inspirée n'illustre ses scénarios <i>Un Beau soleil intérieur</i> et <i>Avec amour et acharnement.</i> Quant à l'adaptation d'<i>Un amour impossible</i> par Catherine Corsini, elle est hélas restée inédite sous nos cieux.</p> <p>Tout cela pour dire que lorsque dame Angot décide de faire un film, ce n'est pas en oie blanche qu'elle débarque, mais entourée de grands professionnels, de ses producteurs (Alice Girard et Bertrand Faivre) à sa cheffe opératrice (Caroline Champetier). Et qu'il convient donc de prendre le résultat au sérieux, d'autant plus qu'elle est devenue une icône pour toute une nouvelle vague féminine. 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Bref, il y a là une dimension de plaidoyer <em>pro</em> <em>domo</em> sélectif dont il convient de de pas être dupe.</p> <p>La rencontre la plus révélatrice est celle, douce-amère, avec son ex-mari, qui fut lui-même victime d'un viol dans son enfance. Survient alors ce moment où elle lui reproche de ne pas être intervenu alors que, dans leur maison à Nice, elle «rechutait» avec son père à l'étage. Lui se défend en affirmant que c'était par respect pour sa personne, supposant qu'à ce moment de sa vie elle devait savoir ce qu'elle faisait. Ignoble lâcheté ou au contraire retenue admirable? Apparaît alors, aveuglante, l'infinie complexité de ces histoires d'emprise et de consentement, de désir et de honte, de demande d'amour et de responsabilité qui peut fluctuer avec le temps. 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Ici aussi, c'est un mini-distributeur occasionnel, Mont-Blanc, qui est venu à la rescousse, sortant d'abord le film en Suisse allemande le 18 janvier (flop à 4'600 d'entrées) tandis que presque tous les exploitants romands se défilaient. Même notre Cinémathèque se cache courageusement. Ne reste pour l'instant plus que le Ciné 17 de Genève, qui sort le film le 10 avril – qu'on se le dise.</p> <h3>C'est quoi, ce <i>Palace?</i></h3> <p>Car enfin, ce n'est «que» d'une œuvre qu'il sagit, pas d'anciennes affaires de mœurs sur lesquelles nous n'avons ni les moyens ni l'autorité pour juger! Et <i>The Palace,</i> malgré tous les bâtons mis dans ses roues, vaut largement le détour. Peut-être que seuls ceux qui se souviennent encore de <i>What? </i>(1972), la dernière franche comédie de Polanski, comprendront vraiment d'où sort ce film absurde et grotesque, cosmopolite en diable et peuplé de monstres tous plus ou moins escrocs. 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Ce règlement de comptes est donc avec l'ancien monde, celui du XXème siècle qu'a traversé Polanski, aujourd'hui âgé de 90 ans. Mais il concerne tout autant une certaine «belle» société huppée qu'il a aussi côtoyée. Et là, il y a peu de chances que quoi que ce soit ait changé depuis, les nouveaux riches valant bien les anciens.</p> <h3>Jeunesse qui s'enfuit, argent aux abris</h3> <p>Tout commence donc avec l'arrivée des convives pour un réveillon du millénaire qui s'annonce festif tandis que le personnel s'active pour leur accueil. Hansueli Kopf, l'impeccable directeur du palace (Oliver Masucci, un des principaux acteurs allemands actuels), sera particulièrement mis à contribution. Il est le clown blanc de l'affaire, qui se plie aux exigences les plus extravagantes de ses hôtes, arrangeant des services discrets par-ci et éteignant des incendies par-là avec l'aide de ses adjoints Tonino (Fortunato Cerlino) et Mrs. Frautschi (Beatrice Frey). Et parmi les habitués déjà installés, qui d'autre pour ouvrir le bal que... Sydne Rome, l'héroïne de <i>What?</i></p> <p>Las! Ex-beauté d'une fraîcheur exquise, cette juive américaine installée en Italie n'est plus que l'ombre d'elle-même après trop de passages sous les bistouris (à sa décharge, dans la vie réelle, c'est suite à un accident de voiture lors duquel un airbag lui explosa au visage). Vitrine de tous les autres «monstres» à venir, elle remercie un certain Dr. Lima (Joaquim de Almeida, star portugaise du cinéma international) pour les années de jeunesse qu'il lui aurait fait gagner. Très demandé, ce prince de la chirurgie esthétique ne se souvient pas des noms de ses innombrables patientes, plus préoccupé qu'il est par une épouse gagnée par Alzheimer. Claquemurée dans sa suite, une autre de ses clientes, une marquise française (Fanny Ardant), voue son affection à son petit chien Mr. Toby. Mais un souci d'écoulement lui fait bientôt reporter son intérêt sur Karol, un beau plombier polonais.</p> <p>Et ainsi vogue la comédie, de chambre en chambre et de nouvel arrivant en nouvelle crise. Il y a là l'octogéraire milliardaire américain Arthur William Dallas III (John Cleese, des Monty Python) et Magnolia, sa jeune épouse texane enveloppée (la non moins britannique Bronwyn James), surtout intéressée à hériter. Autre Américain quoique d'âge indéfinissable grâce à sa moumoute et son fond de teint orangé, Bill Crush (Mickey Rourke, ou ce qu'il en reste) est un escroc qui s'est invité sans réservation pour faire affaire avec Jacob Tell (Milan Peschel, autre excellent comédien allemand), un timide banquier suisse. Mais qui est donc ce Vaclav, surgi de quelque pays d'Europe centrale avec femme et enfants, qui se présente soudain comme son fils? 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Clin d'œil au titre du film qu'Ettore Scola tira en 1972 de <i>La Panne</i> de Friedrich Dürrenmatt?</p> <p>Toujours est-il que c'est bien la satire jusqu'au-boutiste des dernières grandes comédies italiennes qui vient ici à l'esprit (bien plus que les récents <i>Youth</i> de Paolo Sorrentino ou <i>Sans filtre/Triangle of Sadness</i> de Ruben Östlund). C'est comme si Polanski avait choisi de rester un cinéaste du siècle passé, pour le meilleur et pour le pire. Quant à l'humour, il n'y a bien sûr rien de plus personnel. Par le passé, il est arrivé au cinéaste de toucher le grand public <i>(Cul-de-sac, Le Bal des vampires)</i> comme de rater sa cible <i>(What?, Pirates). </i>Pour notre part, nous nous sommes bien amusés. En tous cas, ne croyez pas ceux qui clament que Polanski serait soudain devenu gâteux et aurait perdu tout talent. 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Mais même si elle ne saurait clamer que son Maurice Ravel, c'est elle, ce 19ème opus a déjà l'immense mérite de résister aussi bien à cet académisme formel qui guette tout «film d'époque» qu'au diktat féministe actuel. Toujours produite par son mari Philippe Carcassonne (ça aide), l'auteure de <i>Coco avant Chanel</i> (2009) y approche son grand homme avec une délicatesse rare, qui respecte autant sa musique que les zones d'ombre du personnage. Au point que son film devrait au minimum intriguer ceux qui n'aurait pas été profondément émus!</p> <h3>Cinq femmes autour de Ravel</h3> <p>Après une scène qui voit le jeune Ravel incapable de remporter un Prix de Rome convoité (il s'y reprit à cinq fois), <i>Bolero</i> débute vraiment une vingtaine d'années plus tard, lorsque, compositeur reconnu, il reçoit la commande d'un ballet de la fantasque Ida (Jeanne Balibar, au sommet de sa préciosité). C'est un bel homme de petite stature, élégant et discret, qui se consacre entièrement à la musique, au point qu'elle seule semble compter dans sa vie. Il a des amitiés féminines mais on ne lui connaît pas d'amours, et la principale à le taquiner à ce sujet n'est autre que Misia (Doria Tillier), la mécène et «reine» du tout-Paris d'alors. Eh oui, la même Misia Godebska (ou Edwards ou Sert, selon ses mariages) que l'on a pu voir tout récemment dans le <i>Bonnard</i> de Martin Provost, sous les traits d'Anouk Grinberg! Toujours est-il que même très disponible, Ravel sèche sérieusement sur cette nouvelle commande.</p> <p>Or, c'est justement de cette non-action que le film tire sa particularité et,<i> in fine,</i> sa réussite. A côté de dialogues toujours bien sentis, les tentatives répétées de se mettre au travail, la procrastination, les distractions et les souvenirs composent l'essentiel du scénario. Et c'est tout à fait prenant, du fait de ce double mystère: d'où vient donc l'inspiration de l'artiste, d'autant plus s'il n'est apparemment pas mû par le désir? Il en résulte un portrait singulièrement complexe, qui suggère plutôt qu'il n'affirme. «Détail» qui compte, on entend aussi d'autres compositions de Ravel avant d'en arriver au <i>Bolero,</i> sans oublier quantité de sons auxquels il semble avoir été particulièrement attentif. Et on voit le compositeur entouré de femmes – et même fréquenter le bordel à sa manière, mais sans rien de conclusif – comme dans le classique <i>Cinq femmes autour d'Utamaro,</i> biopic du fameux peintre japonais par Kenji Mizoguchi (1946).</p> <p>Oh, il y aura bien la suggestion d'une sublimation érotique, voire sentimentale, à travers une histoire de gants oubliés par Misia. Mais aussi d'une musique réputée trop froide, lors de confrontations avec la fidèle interprète-amie Marguerite Long (Emmanuelle Devos) et le critique Pierre Lalo (campé par le pianiste Alexandre Tharaud!). D'une nostalgie d'enfance tenace, via des flash-backs auprès d'une mère aimante (Anne Alvaro). D'une insistante piste espagnole, avec l'idée première d'orchestrer la suite <i>Iberia </i>d'Isaac Albéniz puis une source plus populaire révélée par son aide de maison (Sophie Guillemin). D'une pression économique enfin, qui, alliée au délai qui se rapproche inexorablement, pousse Ravel à une solution «de facilité» qui s'avèrera radicalement moderne (le <i>Bolero</i>, source de la musique répétitive et des boucles électro d'aujourd'hui?). 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Et là encore, Anne Fontaine s'en sort très bien dans l'évocation ramassée (c'est l'un des grands défis de mise en scène du genre) d'une confusion mentale croissante ainsi que de la popularité paradoxale de ce «tube» qui était aussi le comble d'une musique dite savante.</p> <p>Acquise depuis toujours à une forme classiquement commerciale, la cinéaste trahit ses limites dans le manque de regard sur les différents espaces traversés. Egalement par certains mouvements de caméra de pur remplissage, là où un détail-idée ou une attention plus marquée aux personnages (les femmes sont réduites à une seule note) auraient pu encore enrichir son film. Mais sa manière de conclure stylisée ne manque pas de panache, qui prouve la durabilité et la malléabilité du <i>Bolero</i> à travers une nouvelle interprétation dansée par François Alu. Après le déjà remarquable <i>Police</i> (2020, avec Virginie Efira et Omar Sy), Anne Fontaine vient de signer là un film qui comptera assurément parmi ses meilleurs. 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1 Commentaire
@Clear 31.03.2023 | 10h17
«Quel bouquet de films, merci des descriptions, le seul vu en DVD est Plan 75 et vraiment cette culture japonaise est fascinante, l’actrice principale à 78 ans qui cherche un emploi , les personnes âgées au Japon ont visiblement une souplesse et vitalité toute autre que part chez nous :))»