Culture / Bon pour les oreilles
Pierre Boulez. DR
John Cage. DR
Olivier Messiaen. Une photographie de Michel Cornier, réalisée en 1947. DR
Henri Dutilleux. DR
György Ligeti. DR
Gian Carlo Menotti. DR
Luciano Berio. DR
Vient de paraître à Lausanne, à la Bibliothèque des Arts, un recueil d’interviews réalisés par Myriam Tétaz, l’ancienne chroniqueuse musicale du quotidien vaudois «24 heures» qui, au cours de sa longue carrière, a rencontré 21 musiciens des plus célèbres au plus discrets, tous nés entre 1908 et 1935 et donc principalement actifs dans la deuxième partie du XXe siècle.
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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. 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Des métiers demandant un grand engagement physique comme maître-nageur, guide chasse et pêche, sauveteur, interprète en langue des signes, souffleur, voix off, choriste, professeur de yoga. Et du côté col blanc, nous avons un game designer, un ministre du culte, un greffier, un fiscaliste, un échevin, un architecte de jardin, un humoriste, un acarologue, un acousticien, un fiscaliste, un diamantaire, un médecin légiste, un dénicheur de talent et un très utile dermatologue, l’un possédant une webcam et un autre avouant que cela suffit à son bonheur.</p> <h3>Les objets, les animaux, les décors, la Mère</h3> <p>On l’appelle «La Mère» et elle est «La Grande Absence». Sa maison est envahie par des amas de livres détrempés et son jardin contient une piscine inachevée. Mais tout en étant l’Unique Divin Problème, elle n’a pas de problème. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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Pas mal de vitres cassées remplacées par des morceaux de carton, des tuyaux de poêle pointant par diverses ouvertures, du linge étendu sur des barres d’appuis. On dirait une enquête de Zola, mais lui, Malet, a tout inventé et en ne s’inspirant non pas de Dashiell Hammett ou de <i>Scarface</i>, mais d’Arsène Lupin, Fantômas et Fu Manchu d’où est tiré le patronyme Burma; et en usant de nombreux emprunts à l’anglais: trench-coats, cop, docks, drugstore, building, policemen, barmaid ou knock-out.</p> <h3>La Série noire</h3> <p>En 1964, Sartre, dans son autobiographie, <i>Les Mots</i>, déclare qu’il lit plus volontiers un <i>Série</i> <i>noire</i> que Wittgenstein. Cette nouvelle collection a été lancée par Gallimard en 1945, pour publier des romans <i>hardboiled</i>. Peu de titres au début mais dès 1948 la collection entre dans l’ère fordiste des littératures de genre, standardisation et mode de fabrication contraints aussi bien dans la matérialité des volumes que dans l’identité des textes, avec imprimé sur les rabats de la jaquette. Donnés comme les traits principaux des ces ouvrages: l’immoralité, l’anticonformisme, l’action, la violence, la tension, l’humour et l’angoisse.</p> <p>En 1953, six titres français paraissent. Albert Simonin avec <i>Touchez pas au grisbi!</i> remporte un énorme succès, <i></i>100'000 exemplaires vendus. 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Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. La plus célèbre de toutes, Virginie Despentes, décrit des personnages qui n’ont rien de victimes soumises, ni de douceur féminine et retourne, avec brio, la violence contre les hommes dans des récits urbains, violents, crus et nihilistes.</p> <h3>Auteurs enquêteurs, profs, journalistes et policiers</h3> <p>Le polar du XXIème siècle marque l’avènement d’une prise de parole qui n’est ni le fruit d’un engagement ni le résultat d’une déception militante.</p> <p>Chercheurs, enseignants-chercheurs, journalistes, documentaristes, médecins, psychanalystes, avocats pénalistes, policiers, ils sont très nombreux à exercer ou avoir exercé des professions qui relèvent du paradigme indiciaire. Beaucoup d’auteurs travaillent dans l’audiovisuel, sont profs ou policiers – généralement des officiers. D’autres sont journalistes, donc précarisés ou en voie de l’être, et trouvent dans le polar une liberté dont ne disposent plus les médias d’information. 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En fin d’après-midi, dans le train, après avoir été travailler. Elle signe aussi <i>Always</i> <i>Rachel</i>. Elle le fera pendant les onze ans de leur correspondance, un échange de 900 lettres. Conscientes que celles-ci pourraient être rendues publiques, elles inventent un code, avec deux possibles, <i>Darling</i> et <i>Dearest</i>, les premières strictement intimes, les secondes pouvant être lues par la famille de Dorothy. </p> <p>Hannah Arendt et Mary McCarthy ont entretenu 26 années de correspondance entre 1949 et 1975. Là, la barre est très haute car ces deux déracinées cosmopolites sont géniales. Née en Allemagne en 1906, l'une était juive, réfugiée aux Etats-Unis en 1940 après avoir fui l'Europe sept ans plus tôt et vivait à New York une vie d'intellectuelle déracinée. L'autre était née à Seattle en 1912 dans une famille catholique et s'était installée à New York en 1936, bien décidée à y faire une carrière de critique et d'écrivain. Entre elles, on découvre un dialogue profond dans lequel la romancière s'ouvre aux problèmes de la pensée, tandis que la philosophe se montre passionnée de littérature. Elles partagent leurs enthousiasmes et s'avouent leurs angoisses, passant sans cesse du registre de l’intimité à celui du débat intellectuel, commentant les événements politiques et se protégeant mutuellement dans les controverses, comme celle suscitée par le livre d'Arendt sur Eichmann. </p> <p>Leur amitié s’intensifie au fur et à mesure. Elles s’écrivent des choses comme: Tu me manques, j’aspire à nos journées de dialogues. Je pense à toi avec une intimité et une tendresse nouvelle. Comment écrire à quelqu’un qui ne vous quitte jamais? Jusqu’à ces dix mots dans une lettre d’Arendt en 1974: «Tu ne peux pas raisonnablement douter de <i>moi</i>. Je t’aime.» </p> <h3>La meilleure amie de Pier Paolo Pasolini</h3> <p>Avec Silvana Mauri, ils ont échangé des centaines de lettres, lettres qui ont malheureusement disparu. 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Pensez-vous qu’un homme qui connait sa valeur accorde à quiconque le droit de critiquer ne serait-ce que ses traits de caractère les plus insignifiants? Qui serait-il donc, celui qui aurait ce droit? En quoi serait-il meilleur? Oui, me critiquer derrière mon dos, il y a là beaucoup de place, c’est loisible à chacun. Mais si je l’apprends, il est alors à ma merci, livré à mes représailles.»</p> <h3>En Belgique dans les années 20</h3> <p>En 1922, le jeune Henri Michaux, complètement paumé, se cherche un parrain littéraire et en Belgique, ça ne court pas vraiment les rues. Il tombe sur Franz Hellens, de 20 ans son ainé, auteur d’un récit onirique, <i>Mélusine</i>, récit qu’il l’a ébloui. Loin de l’homme sans concession qu’il deviendra, à ce moment-là, Michaux manquant de tout, même de livres, aspire à des mondanités, a le souci de parvenir, de trouver une place et de réussir dans la milieu littéraire parisien. Et ça marche, Hellens le prend dans sa revue<i> Le Disque vert</i>. 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Jaccottet, rongé par les soucis d’argent, ses tâches de traducteur et de critique littéraire, ses inhibitions devant le devoir d’écrire, s’exile à Paris puis à Grignan et même si tout les oppose, une amitié désintéressée et au long cours va se développer et se fortifier, entre l’austère Jaccottet et l’explosif globe-trotteur et contempteur des remonte-pentes.</p> <h3>En guise de conclusion, une merveille merveilleuse</h3> <p>Entre Robert Walser et Frieda Mermet, pendant vingt ans, de 1913 à 1923, s’échange une correspondance joueuse, ludique et facétieuse. Liberté de ton, ferveur, badinage, relation amoureuse à distance, orgueil, sincérité et rétention, tous les sortilèges de la prose walsérienne sont ici à l’œuvre. Quand ils font connaissance, il a 35 ans et elle, 36. Il revient de Berlin où il a passé sept ans à fréquenter les avant-gardes artistiques et a beaucoup publié. Walser vit maintenant chez sa sœur, institutrice puis, en 1920, déménage à Berne. Frieda qui est divorcée et lingère dans une clinique psychiatrique lui sert aussi d’archiviste et de bibliothécaire car Walser n’a jamais possédé de bibliothèque ni conservé quoi que ce soit. Elle satisfait fidèlement ses nombreuses demandes de vivres – fromage, beurre, saucisson, thé. Leur relation épistolaire est entrecoupée de rencontres épisodiques. Walser effectue souvent à pied le trajet entre Bienne et l’asile de Bellelay. Il donne toujours du «vous» à sa «chère Madame Mermet» tout en embrassant l’ourlet de sa ravissante petite culotte et parfois, il joue avec l'idée de l'épouser: «J'aimerais être dès demain matin votre mari, serviable, sage en tout temps, économe, solide, fidèle, toujours, bien sûr», lui écrit-il.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1707986152_correspondancescouverture1046x1536.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="294" /></p> <h4>«L’amitié dans tous ses états. 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Un parcours, la reconstitution d’un paysage avec ses hauts, ses bas, ses impressions sonores, visuelles, tactiles, ses zones de brouillard. La laiterie, les ponts de grange typiques de son «petit coin de terre vaudoise», le tas de fumier avec sa planche en bois qui permet à la brouette de passer dessus, la remorque à lisier, la fosse à purin, le convoyeur, tapis roulant, avec au centre du village, solide et massive, une grande fontaine de campagne à deux bassins.</p> <h3>Le sol</h3> <p>Cela commence par le sol parce que l’on passe beaucoup de temps au sol lorsqu’on est un petit enfant. On ne sait pas encore marcher, on se fatigue vite, on tombe, et la vue est plus courte. Il y a cette myopie enfantine, on regarde le proche, ce qu’on trouve sous la main, ce qu’on tâte, et puis à partir de ce point de vue, petit à petit la vue se développe et on voit l’environnement de manière un peu plus large mais toujours à partir d’un point très précis du sol. 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C’est très fluide et pour ce faire, il n’y a pas de chapitres. Son travail est triple: il parcourt mentalement sa propre mémoire par l’écriture: tous ses lieux, ses maisons, ses chemins, ses bois, ses champs. Ensuite après ce premier jet, il consulte un certain nombre de photographies, non seulement de son enfance mais aussi de la région à cette époque-là, et a quelques discussions avec des proches et des gens qui ont vécu là-bas, non pour vérifier tel ou tel détail mais pour faire sauter des verrous mémoriels, pour s’ouvrir à de nouvelles choses. </p> <h3>Le vocabulaire</h3> <p>L’un des enjeux du livre était d’arriver à une grande précision dans le vocabulaire, pour retrouver ces sensations d’enfant, ces finesses tactiles, olfactives, ces perceptions, ces émotions. 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La musique dite contemporaine, c’est élitiste, destiné à peu de gens et on ne sait pas où cela s’écoute, pensez-vous. Détrompez-vous! Ces temps là sont finis. Il suffit de taper sur You Tube le nom d’Arvo Pärt – il est le compositeur du genre le plus joué dans le monde actuellement – pour constater qu’il obtient facilement entre 2 et 3 millions de vues pour ses Te Deum et autres Stabat mater.
Et si les morceaux de l'excellent musicien bernois Klaus Huber totalisent rarement plus de 3 000 vues, György Ligeti en a plus de 600 000 pour son morceau destiné à 100 métronomes, et John Cage en a 740 726 pour Ocean of Sounds et 3 700 000 pour une version de 4’33'', les si fameuses minutes de silence.
Une odyssée de l’écoute: Ligeti & Stanley Kubrick
D’ailleurs, György Ligeti vous le connaissez tous car c’est son Lux Aeterna, ce chœur à 16 voix, qu’a choisit Stanley Kubrick pour donner une atmosphère si inquiétante au voyage vers le monolithe du Dr Floyd dans 2001, l’odyssée de l’espace. C’est aussi lui qui, dans sa magnifique adaptation en opéra de la pièce de théâtre de l’auteur belge Michel de Ghelderode, Le Grand Macabre, multiplie l’utilisation de sons inhabituels: klaxons, sonnettes, boîtes à musique, sirènes de bateau, harmonicas, pin-pon des pompiers et traite les voix de toutes les manières possibles, depuis le cri inarticulé jusqu’au chant le plus savant.
Messiaen
Le livre s’ouvre par un entretien avec celui qui fut au départ de bien des choses, le professeur de Boulez, Xenakis, Stockhausen et de tant d’autres: Olivier Messiaen, musicien de génie, entrant à 11 ans au Conservatoire de Paris, et en sortant avec un Premier prix de composition en 1930, à l’âge de 22 ans. Notre intervieweuse a eu la grande chance de le rencontrer deux fois.
«Sa musique ennoblit celui qui l’écoute», lui dit-elle, ce à quoi il lui répond «Ma musique, ce sont des psaumes, des poèmes terribles qui chantent, qui prient, qui hurlent, qui déclament, qui tonitruent, des poèmes fracassants.»
Les Italiens
Les deux musiciens qui me paraissent à moi les plus riches en musicalité dans cette génération, sont italiens tout deux, Luigi Nono, austère et exigeant, aussi intransigeant et violent que doux et fragile, communiste italien, solidaire de toutes les luttes de son époque, le plus avant-gardiste des musiciens en live electronic de son époque et Luciano Berio qui se veut à la musique, ce qu’est le flux de conscience de Joyce à la littérature, qui compose comme Picasso peignait, et qui, comme Godard au cinéma, pratique en musique un art très maitrisé du collage.
Le débat
Le débat fondamental de cette génération a eu lieu entre Pierre Boulez et John Cage et il concerne l’emploi du hasard. L'aléatoire est au centre de la musique de Cage car pour lui, il fallait libérer les sons, comme les individus. Pour Boulez, seul un travail très exigeant est à même de libérer à la fois le compositeur, l’auditeur et la musique elle-même. Le hasard par inadvertance de Cage repose sur l’adoption d’une philosophie teintée d’orientalisme qui masque, pense Boulez, une faiblesse fondamentale dans les techniques de composition. Cage embrasse tous les possibles et il est bien connu que qui trop embrasse mal étreint…
L’interview de Boulez
Boulez, cordial et pudique pour les uns, machiavélique et glacial pour les autres, face à Myriam Tétaz, est tout simplement extrêmement sympathique, ne cherchant nullement à l’impressionner et dénué de toute agressivité. Leur rencontre a lieu à Bâle, en 1984, et le lendemain, il y a la création mondiale de Répons, la plus séduisante de toutes ses œuvres et opus pour lequel il a travaillé avec une machine électronique, un processeur 4 X, des programmeurs, et cela le passionne, car il lutte pour que ce ne soit pas la machine qui domine l’homme mais l’homme qui domine la machine, et cela donne donc ce si génial Répons.
Les moins connus
Il y a bien sûr, des gens moins connus et ceux là aussi sont passionnants. Par exemple, ce Gian Carlo Menotti dont on n’entend plus jamais parler et qui était le compositeur d’opéra le plus joué dans les années 1950-60 ou le français Henri Dutilleux qui avait tant de peine à composer et qui a travaillé toute sa vie à la tête du service des illustrations musicales à l’ORTF.
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Myriam Tetaz-Gramegna, Au cœur de la création musicale, Bibliothèque des Arts, 2018.
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C’est aussi lui qui, dans sa magnifique adaptation en opéra de la pièce de théâtre de l’auteur belge Michel de Ghelderode, <em>Le Grand Macabre</em>, multiplie l’utilisation de sons inhabituels: klaxons, sonnettes, boîtes à musique, sirènes de bateau, harmonicas, pin-pon des pompiers et traite les voix de toutes les manières possibles, depuis le cri inarticulé jusqu’au chant le plus savant. </p><h3> Messiaen</h3><p>Le livre s’ouvre par un entretien avec celui qui fut au départ de bien des choses, le professeur de Boulez, Xenakis, Stockhausen et de tant d’autres: Olivier Messiaen, musicien de génie, entrant à 11 ans au Conservatoire de Paris, et en sortant avec un Premier prix de composition en 1930, à l’âge de 22 ans. Notre intervieweuse a eu la grande chance de le rencontrer deux fois. </p><p>«Sa musique ennoblit celui qui l’écoute», lui dit-elle, ce à quoi il lui répond «Ma musique, ce sont des psaumes, des poèmes terribles qui chantent, qui prient, qui hurlent, qui déclament, qui tonitruent, des poèmes fracassants.» </p><h3>Les Italiens </h3><p>Les deux musiciens qui me paraissent à moi les plus riches en musicalité dans cette génération, sont italiens tout deux, Luigi Nono, austère et exigeant, aussi intransigeant et violent que doux et fragile, communiste italien, solidaire de toutes les luttes de son époque, le plus avant-gardiste des musiciens en live electronic de son époque et Luciano Berio qui se veut à la musique, ce qu’est le flux de conscience de Joyce à la littérature, qui compose comme Picasso peignait, et qui, comme Godard au cinéma, pratique en musique un art très maitrisé du collage. </p><h3>Le débat </h3><p>Le débat fondamental de cette génération a eu lieu entre Pierre Boulez et John Cage et il concerne l’emploi du hasard. L'aléatoire est au centre de la musique de Cage car pour lui, il fallait libérer les sons, comme les individus. Pour Boulez, seul un travail très exigeant est à même de libérer à la fois le compositeur, l’auditeur et la musique elle-même. Le hasard par inadvertance de Cage repose sur l’adoption d’une philosophie teintée d’orientalisme qui masque, pense Boulez, une faiblesse fondamentale dans les techniques de composition. Cage embrasse tous les possibles et il est bien connu que qui trop embrasse mal étreint…<span style="color: inherit; font-family: "Domaine Disp"; font-size: 2.6rem;"><br></span></p><span style="color: inherit; font-family: "Domaine Disp"; font-size: 2.6rem;"><br></span><p><span style="color: inherit; font-family: "Domaine Disp"; font-size: 2.6rem;">L’interview de Boulez </span></p><p>Boulez, cordial et pudique pour les uns, machiavélique et glacial pour les autres, face à Myriam Tétaz, est tout simplement extrêmement sympathique, ne cherchant nullement à l’impressionner et dénué de toute agressivité. Leur rencontre a lieu à Bâle, en 1984, et le lendemain, il y a la création mondiale de <em>Répons</em>, la plus séduisante de toutes ses œuvres et opus pour lequel il a travaillé avec une machine électronique, un processeur 4 X, des programmeurs, et cela le passionne, car il lutte pour que ce ne soit pas la machine qui domine l’homme mais l’homme qui domine la machine, et cela donne donc ce si génial <em>Répons</em>. </p><h3>Les moins connus</h3><p>Il y a bien sûr, des gens moins connus et ceux là aussi sont passionnants. Par exemple, ce Gian Carlo Menotti dont on n’entend plus jamais parler et qui était le compositeur d’opéra le plus joué dans les années 1950-60 ou le français Henri Dutilleux qui avait tant de peine à composer et qui a travaillé toute sa vie à la tête du service des illustrations musicales à l’ORTF. </p><p>Bref, un livre à ne pas manquer par tous ceux qui aiment la musique contemporaine et par tous ceux qui aimeraient la découvrir… </p> <p><hr></p><h4><img class="img-responsive " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1528179205_tetaz_m_01.jpg">Myriam Tetaz-Gramegna, Au cœur de la création musicale, Bibliothèque des Arts, 2018. <br></h4><h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1528179166_img254.jpg"></h4><br>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'bon-pour-les-oreilles', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 756, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1074, 'homepage_order' => (int) 1283, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2107, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 3 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 4 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 5 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 6 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 3 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 4 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 5 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 6 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4818, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Dominique Goblet, un livre envoûtant et une exposition à Bâle', 'subtitle' => '«Le Jardin des Candidats» de Dominique Goblet et Kai Pfeiffer est un livre grand format où se croisent bande dessinée et art contemporain, céramiques, sculptures, ready-mades, aquarelles et strips narratifs, dans une totale liberté de ton. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. 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Des métiers demandant un grand engagement physique comme maître-nageur, guide chasse et pêche, sauveteur, interprète en langue des signes, souffleur, voix off, choriste, professeur de yoga. Et du côté col blanc, nous avons un game designer, un ministre du culte, un greffier, un fiscaliste, un échevin, un architecte de jardin, un humoriste, un acarologue, un acousticien, un fiscaliste, un diamantaire, un médecin légiste, un dénicheur de talent et un très utile dermatologue, l’un possédant une webcam et un autre avouant que cela suffit à son bonheur.</p> <h3>Les objets, les animaux, les décors, la Mère</h3> <p>On l’appelle «La Mère» et elle est «La Grande Absence». Sa maison est envahie par des amas de livres détrempés et son jardin contient une piscine inachevée. Mais tout en étant l’Unique Divin Problème, elle n’a pas de problème. Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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Pas mal de vitres cassées remplacées par des morceaux de carton, des tuyaux de poêle pointant par diverses ouvertures, du linge étendu sur des barres d’appuis. On dirait une enquête de Zola, mais lui, Malet, a tout inventé et en ne s’inspirant non pas de Dashiell Hammett ou de <i>Scarface</i>, mais d’Arsène Lupin, Fantômas et Fu Manchu d’où est tiré le patronyme Burma; et en usant de nombreux emprunts à l’anglais: trench-coats, cop, docks, drugstore, building, policemen, barmaid ou knock-out.</p> <h3>La Série noire</h3> <p>En 1964, Sartre, dans son autobiographie, <i>Les Mots</i>, déclare qu’il lit plus volontiers un <i>Série</i> <i>noire</i> que Wittgenstein. Cette nouvelle collection a été lancée par Gallimard en 1945, pour publier des romans <i>hardboiled</i>. Peu de titres au début mais dès 1948 la collection entre dans l’ère fordiste des littératures de genre, standardisation et mode de fabrication contraints aussi bien dans la matérialité des volumes que dans l’identité des textes, avec imprimé sur les rabats de la jaquette. Donnés comme les traits principaux des ces ouvrages: l’immoralité, l’anticonformisme, l’action, la violence, la tension, l’humour et l’angoisse.</p> <p>En 1953, six titres français paraissent. Albert Simonin avec <i>Touchez pas au grisbi!</i> remporte un énorme succès, <i></i>100'000 exemplaires vendus. 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Leur contre-société est pour eux la seule communauté qui existe. Ils nomment leur milieu le Milieu et ils se nomment eux-mêmes les Hommes. Le reste de la société n’étant qu’un ramassis de pue-la-sueur soumis aux politiciens et craignant les flics.</p> <h3>Ultragauche, le néo-polar</h3> <p>Après Mai 68, le roman noir français reconvertit le genre en acte critique, en radiographie politique de la société et de ses institutions, en instrument d’intervention sociale. Le néo-polar intègre dans ses récits les banlieues, les grands ensembles, les HLM, et décrit de nouveaux espaces tels les caves, les terrains vagues, les cages d’escaliers. La violence sociale n’y est plus un écart mais la norme et toute révolte individuelle y est, par nature, vouée à échouer. Paranoïa et haine de soi y dominent.</p> <p>Jean-Patrick Manchette, invité à l'émission <i>Apostrophes</i> par Bernard Pivot, en utilisant le terme de néo-polar devant des millions de spectateurs, rend son usage universel. L’époque est aux positions tranchées mais c’est A.D.G., sympathisant du Front national, qui brosse avec tendresse des portraits de hippies contestataires, et Manchette qui endosse dans ses livres le point de vue des fascistes.</p> <p>Sur les seize auteurs pratiquant ce nouveau genre, dix ont un passé de militants de gauche, dans des organisations telles que les Jeunesses communistes, le PCF, la Gauche prolétarienne ou Lutte ouvrière, tous, nés après 1945, sont des <i>baby-boomers</i>, ayant fait des études supérieures, et ayant des bac +4, ou +5. Ils sont journalistes, scénaristes, traducteurs, éditeurs ou cinéastes. Manchette se définira d’ailleurs lui-même comme étant un indécrottable intello pas honteux de l’être.</p> <h3>La reconnaissance du genre</h3> <p>Pendant que la contre-culture se dote de ses propres outils de communication, journaux satiriques, BD, fanzines, l’éditeur Plon réagit et crée des collections qui rencontrent un succès phénoménal comme <i>SAS</i> de Gérard de Villiers, avec ses romans d’espionnage racistes et sexistes, homophobes et anticommunistes. De même, la série Brigade spéciale associe toujours l’acte sexuel à des coups et de la torture, d’un racisme appuyé, elle use de termes comme «bougnoule», «négresse» et est riche en descriptions de traitements dégradants. </p> <p>Les années 1980 voient l’entrée en scène de l’amateur érudit et naissent des almanachs, des chroniques, des fanzines, des revues spécialisées vendues en kiosque, comme <i>Gang</i>, <i>Polar</i> ou <i>813</i>, un Festival du roman et du film policier, une exposition au Centre Pompidou, l’ouverture en 1983 de la Bilipo, Bibliothèque des littératures policières à Paris, des thèses sur le sujet sont soutenues et en 1994 paraissent 471 nouveaux titres, en 1995, 700, en 2001, 1'709. </p> <p>Lors du cinquantième anniversaire de la <i>Série noire</i>, Patrick Raynal en devient directeur. <i>Œdipe roi</i> de Sophocle y est publié, Jean-Claude Izzo et Maurice G. Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. La plus célèbre de toutes, Virginie Despentes, décrit des personnages qui n’ont rien de victimes soumises, ni de douceur féminine et retourne, avec brio, la violence contre les hommes dans des récits urbains, violents, crus et nihilistes.</p> <h3>Auteurs enquêteurs, profs, journalistes et policiers</h3> <p>Le polar du XXIème siècle marque l’avènement d’une prise de parole qui n’est ni le fruit d’un engagement ni le résultat d’une déception militante.</p> <p>Chercheurs, enseignants-chercheurs, journalistes, documentaristes, médecins, psychanalystes, avocats pénalistes, policiers, ils sont très nombreux à exercer ou avoir exercé des professions qui relèvent du paradigme indiciaire. Beaucoup d’auteurs travaillent dans l’audiovisuel, sont profs ou policiers – généralement des officiers. D’autres sont journalistes, donc précarisés ou en voie de l’être, et trouvent dans le polar une liberté dont ne disposent plus les médias d’information. Par le polar, ils peuvent raconter tout ce qu’ils ne peuvent plus dire par le journalisme. Ils utilisent dans l’écriture leur méthodologie d’investigation: collecte de données, recueil de témoignages, enquête de terrain, étude d’archives.</p> <p>Carlos Ginsburg dans <i>Signes, traces et pistes,</i> son article paru en 1980, article faisant lui-même référence à l’article <i>Attribution</i> d’Enrico Castelnuovo paru en 1968 dans l’Encyclopédie Universalis: en 1876, il y a beaucoup de fausses attributions dans les musées, G. Morelli postule que pour distinguer les originaux des copies, il ne faut pas se baser sur les caractères les plus apparents et, par conséquent, les plus faciles à imiter mais examiner les détails les plus négligeables: les lobes des oreilles, les ongles, la forme des doigts des mains et des pieds. Castelnuovo rapproche cette méthode à celle de Sherlock Holmes découvrant l’auteur d’un délit sur la base d’indices imperceptibles pour la plupart des gens.</p> <h3>Extension du domaine de la lutte</h3> <p>De nos jours, le roman noir affronte le post-moderne, les <i>fake news</i> et la post-vérité. Dans de nombreux romans, le dénouement est ouvert. Le texte se clôt sur un assaut, sur une poursuite, sur une disparition non expliquée, sur la recherche non aboutie d’un meurtrier. Il n’y a plus de point de vue surplombant, unifié, de narration organisatrice, il ne reste que dissensus et brouillard narratif. </p> <p>Bref, comme le disait le sociologue Luc Boltanski: que s’est-il passé pour qu’au début du XXème siècle surgisse cette littérature entièrement consacrée à l’énigme? L’émergence du roman policier ne coïncide-t-elle pas à la fois avec la construction de l’Etat-nation, la naissance de la sociologie et avec une nouvelle pathologie décrite par la psychiatrie, la paranoïa? Qu’ont-elles à voir entre elles? C’est simple. 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Ce sont ces déclinaisons qu’aborde «L’amitié dans tous ses états», ce livre aux horizons divers.', 'content' => '<p>Ils sont quatre-vingt paires d’amis ou d’amies, écrivain, poète, cinéaste, anthropologue, philosophe, historien d’art, musicien, biologiste, botaniste et quand on écrit, quand on dessine, qu’on peint, qu’on filme, qu’on cherche, qu’on compose, pouvoir échanger, partager, est fondamental. Quand on a le blues aussi. Ces lettres sont souvent liées à une production en cours. On veut être rassuré, approuvé ou même critiqué. Il y a des réponses qui déçoivent, fâchent, enchantent, stimulent, tant de possibles sont possibles! 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Pensez-vous qu’un homme qui connait sa valeur accorde à quiconque le droit de critiquer ne serait-ce que ses traits de caractère les plus insignifiants? Qui serait-il donc, celui qui aurait ce droit? En quoi serait-il meilleur? Oui, me critiquer derrière mon dos, il y a là beaucoup de place, c’est loisible à chacun. Mais si je l’apprends, il est alors à ma merci, livré à mes représailles.»</p> <h3>En Belgique dans les années 20</h3> <p>En 1922, le jeune Henri Michaux, complètement paumé, se cherche un parrain littéraire et en Belgique, ça ne court pas vraiment les rues. Il tombe sur Franz Hellens, de 20 ans son ainé, auteur d’un récit onirique, <i>Mélusine</i>, récit qu’il l’a ébloui. Loin de l’homme sans concession qu’il deviendra, à ce moment-là, Michaux manquant de tout, même de livres, aspire à des mondanités, a le souci de parvenir, de trouver une place et de réussir dans la milieu littéraire parisien. Et ça marche, Hellens le prend dans sa revue<i> Le Disque vert</i>. 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C’est très fluide et pour ce faire, il n’y a pas de chapitres. Son travail est triple: il parcourt mentalement sa propre mémoire par l’écriture: tous ses lieux, ses maisons, ses chemins, ses bois, ses champs. Ensuite après ce premier jet, il consulte un certain nombre de photographies, non seulement de son enfance mais aussi de la région à cette époque-là, et a quelques discussions avec des proches et des gens qui ont vécu là-bas, non pour vérifier tel ou tel détail mais pour faire sauter des verrous mémoriels, pour s’ouvrir à de nouvelles choses. </p> <h3>Le vocabulaire</h3> <p>L’un des enjeux du livre était d’arriver à une grande précision dans le vocabulaire, pour retrouver ces sensations d’enfant, ces finesses tactiles, olfactives, ces perceptions, ces émotions. 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Et dans les bois, surgit un ruisseau, des branches moussues, le bruit de l’écoulement, doux, calme, léger, persistant, les pissenlits, les marguerites, les pâquerettes, le bouton d’or – simplicité, le platane, le sureau, les peupliers sur la place centrale, le cyprès.</p> <h3>Le côté pop</h3> <p>Le chewing-gum, les Lego, les cigarettes filtres, les jeux électroniques avec leur écran à cristaux liquides, une maquette d’avion. L'auteur, enfant, reconnaît très bien les voitures, sait différencier très tôt une Mini Cooper d’une Alfa Roméo, et il est admiré par les adultes pour cela. Une petite poignée de dessinateurs, cinéastes ou groupes, Agnès Rosenstiehl, Yves Yersin, Etienne Delessert, Jörg Müller, les Forbans ou Téléphone, la télévision – où on la place dans la maison, dans quelle position on se met pour la regarder, son premier film: <i>La Grande Vadrouille</i>. </p> <h3>Les autres enfants</h3> <p>Chacun a son caractère. Chez Yves, les tracteurs, chez les Lenz, l’atelier de réparation de voitures, chez Stéphane, après avoir passé le rideau de lamelles plastiques jaune-verte-rose-brune-orange-turquoise, le tapis doux et la table basse.</p> <h3>Le bonheur</h3> <p>Partout où il y a un chemin à deux sillons, à l’orée d’une forêt, il est chez lui, dit-il. La question du paradis, du bonheur, n’est pas liée à des événements, à une exaltation. C’est un bonheur animiste qui est décrit en termes de lumières, de sons, de sensations, et qui n’a pas vocation à durer, qui ne s’appesantit pas. Un rai de lumière, ses millions de grains de poussière, apportant une vague idée cosmique. </p> <p>Ce bonheur est à l’échelle des choses et des événements, petit. Ce n’est pas le paradis perdu. 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Un jour, il dit à son petit frère de manger une feuille d’ortie, celui-ci le fait, il ne se passe rien mais l’auteur, ébranlé par cette obéissance aveugle, ne lui fera plus jamais de semblable sale coup.</p> <p>Il écrit aussi qu’au village, il y a peu de classes sociales, que les enfants sont sur une même ligne d’égalité, qu’il n’y a pas de différence entre fils de paysan et fils de notable local. </p> <h3>Le paradis d'avant la Chute</h3> <p>Ce qui importe, c’est de grandir, de bouger, de découvrir, d’aimer, bref de vivre. Oui, en un étonnant coup de maître, Alain Freudiger nous décrit tout simplement sa jouissance à être.</p> <p>Nous ne sommes pas sur le chemin de Damas, il n’y a pas de rédemption, il n’y a pas eu de Chute mais au contraire, conquête de la station verticale. Ce n’est pas l’enfance de tout un chacun. 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