Chronique / Monsieur Ramadan,
Mohamed Hamdaoui
Journaliste, député au Grand Conseil bernois
© Bon pour la tête / Johanna Castellanos
Je ne vous appellerai pas «mon frère», puisque mes seuls véritables frangins se prénomment en réalité Brahim, Mouloud, Idriss, Khalifa et Ahmadou. Eux aussi sont le fruit de l’union charnelle de mes parents. Eux aussi sont musulmans. Mais au fond, je m’en fiche complètement. Ils seraient juifs, catholiques, protestants ou mécréants, je les aimerais pareillement.
Tout comme mes sœurs, d’ailleurs. Elles se prénomment Aïcha, Fatima, Zohra, Khadija, Halima et Khaoua.
Pourquoi d’ailleurs cette appellation: «Frères musulmans»?
Pourquoi pas «Frères et sœurs de confession musulmane»? Ça aurait plus de sens. En tout cas, ça sonnerait un peu mieux.
Ou carrément: «Etres humains»?
«Frère» et «musulman».
L’association de ces deux mots m’a toujours semblé étrange, pour ne pas dire suspecte. La fraternité se limiterait-elle donc à notre présumée foi, à notre manière singulière de vénérer un Dieu pour moi inexistant?
Mais je m’accorde le droit de me tromper. Moi.
Monsieur Tariq.
Dans les années 90, encore inconnu des médias et donc davantage libre de vos faits et gestes, tandis que des assassins égorgeaient des humains et faisaient exploser des bombes dans les marchés d’Alger ou de Blida et commençaient à étendre leurs métastases dans certaines banlieues, mais aussi, j’y reviendrai, dans les cerveaux de certains intellectuels se réclamant de gauche, vous nous envoyiez des cassettes audio nous invitant, en «bons frères», à «résister» contre le pouvoir en place.
De quel droit? Etiez-vous Algérien? Aviez-vous été charnellement ou intimement blessé par tous ces drames qui ont fait de nous des adversaires résolus de ceux qui voudraient nous imposer leurs pratiques d’un autre temps?
A l’époque déjà, vous instrumentalisiez la religion pour faire passer vos messages politiques, mélange à l’origine de tant de drames depuis au moins deux millénaires.
A l’époque déjà, vous avanciez masqué.
Alors que nous pleurions nos morts, je me souviens des colères froides de mon oncle hélas trop tôt défunt, musulman érudit qui ne s’interdisait pas certains plaisirs terrestres, comme celui d’accompagner le gigot dominical d’un bon verre de vin, quand il nous faisait entendre vos préchis-préchas.
Ils étaient pour lui «indignes» d’un musulman digne de ce nom.
Car dans vos enregistrements, vous laissiez clairement entendre que l’Occident était la cause de tous ces drames et de nos larmes. A vous entendre, il aurait donc fallu combattre ce maudit Occident qui nous avait pourtant accueilli, vos parents persécutés et moi, gamin handicapé. Ce maudit Occident qui allait vous accorder notoriété et fortune vous permettant de séjourner dans de belles suites d’hôtel à Lyon pour y passer semble-t-il du «bon temps».
Vous avez davantage de moyens que moi. Les rares fois où je peux me rendre dans l’ancienne capitale des Gaules, je me contente de ma modeste fortune pour y manger un jésus, un délicieux saucisson.
Vivement le temps où l’on pourra goûter un petit mohamed sans risquer sa peau…
A l’époque, nous ne nous doutions pas de la tournure atroce des événements, sinon nous aurions précieusement conservé ces documents sonores pour les présenter le jour prochain où un tribunal se prononcera enfin sur votre personne au lieu de les effacer pour y enregistrer des disques de Cheb Hasni, cette idole de toute une jeunesse, assassiné en pleine rue alors qu’il n’avait pas encore 26 ans.
Un tribunal humain, bien sûr. Car seule la Justice humaine a grâce à mes yeux.
A chacun sa foi. A tout le monde notre loi.
A cette époque aussi, certains intellectuels réputés, plutôt «de gauche», s’étaient laissés séduire par votre discours soudainement plus policé. Ils avaient trouvé en vous un inespéré allié du glorifié «Tiers Monde» pour étayer leur aversion suspecte des Etats-Unis, leur compréhensible hostilité à l’encontre d’Israël, leur légitime combat contre le capitalisme ou leur noble œcuménisme.
Jean Ziegler, Edwy Plenel. Edgar Morin et même Jacques Neyrinck vous faisaient les yeux doux.
Je continue malgré tout de les lire. Avec plus ou moins de (dé)plaisir.
Quel bonheur pour les médias francophones de pouvoir enfin inviter sur leurs plateaux un musulman capable de s’exprimer dans une langue épurée. Rien à voir avec ces footballeurs et ces rappeurs si faciles à caricaturer.
Vous voilà propulsé sur le devant de la scène politique et médiatique, (auto)proclamé porte-parole de cette nouvelle génération de musulmans «qui a beaucoup souffert mais ne veut plus souffrir».
Les «followers» sont progressivement devenus votre troupeau.
Pour «rire», ils avaient Dieudonné. Pour «réfléchir», ils auront désormais Tariq.
Mais le vernis finit toujours par craquer.
Lors d’un célèbre débat cathodique, vous aviez presque réussi à rendre Sarkozy sympathique quand vous aviez eu le toupet de simplement réclamer un «moratoire» sur les lapidations au lieu de reconnaître l’universalité de la dignité humaine.
Vous ne cessez d’encourager les musulmans (pourquoi nous et pas le reste de la population?) à s’engager politiquement. Allez-vous un jour montrer l’exemple et vous présenter au suffrage universel, puisque ce droit vous a été accordé? Ou avez-vous peur que le peuple ne vous éconduise?
Vous ne cessez de dénoncer l’«islamophobie» grandissante en Europe et en Suisse. Avez-vous seulement conscience de largement y contribuer par vos propos et vos postures?
Depuis quelques jours, des femmes vous accusent de la pire des infamies: des agressions sexuelles d’une cruauté abjecte.
Comme tant d’autres mecs prétendant disposer de certains pouvoirs, vous auriez obligé des femmes à pratiquer des actes réprouvés par la loi.
Oui. La loi.
Pas par la seule foi ou l’individuelle morale. Mais par ces petits textes législatifs supposés être le trait d’union entre l’ensemble des humains.
Ce fameux «respect» que vous appelez sempiternellement de vos vœux.
La loi qui, article 10 de la Constitution fédérale, insiste pour rappeler que «la torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants sont interdits».
Heureusement pour vous. La Justice humaine est bien faite. Elle est bien plus pertinente que la prétendue justice divine.
La Justice humaine vous accorde le droit légitime de vous défendre.
Elle vous donne le droit d’être défendu par des hommes (ou pourquoi pas par des femmes) séduits par vos carnets d’adresses et de chèque.
Souvenez-vous cependant que parfois cette Justice humaine est d’une suave ironie et que certains avaient été punis pour des délits qui leur semblaient anodins. Al Capone n’était-il pas par exemple tombé pour fraude fiscale, alors qu’il était en réalité un monstrueux assassin?
Parfois, la Justice a plus de c… que certains hommes.
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Il trouvait que ça claquait bien…</p> <p>Au pilori aussi tous les opéras et l’ensemble des symphonies de Richard Wagner. Comme cet antisémite notoire était idolâtré par des dignitaires du IIIe Reich, cela risquerait de faire de moi un «complice par contumace temporelle» d’un sympathisant nazi, moi qui ne me suis jamais remis d’avoir appris, enfant, la monstrueuse existence de la Shoah.</p> <p>Je ne devrai plus jamais tenter de me déhancher sur une chanson de Khaled. Il y a une dizaine d’années en effet, le «roi du raï» avait décidé de quitter la France car ce pays y autorise le mariage entre hommes. Il avait préféré s’exiler dans un autre qui les condamne.</p> <p>Plus jamais je ne fredonnerai les <em>Lacs du Conemara</em>, puisque par pure provocation, Michel Sardou et son génial parolier Pierre Delanoé (auteur notamment de très bienveillants tubes comme <em>Champs Elysées</em>, <em>Salma, ya salama</em>, ou <em>Fais comme l’oiseau</em>) avaient commis<em> Le temps des colonies</em>, un soir où ils avaient tellement picolé qu’ils étaient complètement noirs.</p> <p>Je bannirai tous mes CD de Johnny Cash et de Jerry Lee Lewis (il vit encore, youppie!). Ils étaient Blancs, venaient du sud des Etats-Unis et il n’est pas exclu que certains membres du KKK passaient leurs chansons dans les radio-cassettes de leurs bagnoles quand ils allaient se «faire un Noir».</p> <p>Plus mon armoire à disques se viderait, plus je risquerais de devenir parano. Quand Brassens, mon Brassens adoré, chantait <em>Gare au gorille</em>, ne faisait-il pas allusion à ma couleur de peau et à mon organe démesuré (même pas vrai!)? Et l’album blanc des Beatles? Pourquoi Ringo, Paul, John et George, tous de peau matte, ne l’avaient-ils pas baptisé <em>Album de toutes les couleurs du gentil monde dans lequel nous avons la chance de vivre entre frères et sœurs du même sang</em>? Et Mozart? Qui peut me prouver que lorsqu’il avait composé <em>L’enlèvement au sérail</em>, il n’était pas mû par des arrière-pensées islamophobes?</p> <p><em>Ad libitum. Ad nauseam</em> (c’est du latin).</p> <p>Croyant avoir expurgé mon armoire de tous les disques qui risqueraient de heurter mes identités multiples, je suis tombé sur un coffret comportant des raretés de la chanson française. Des perles. Dont celle-ci de Charles Trenet: <em>La biguine à Bango</em>.</p> <p>Je l’ai écoutée en boucle. Elle illustre à quel point il y a quelques décennies, les stéréotypes frappant les personnes «de couleur» étaient encore ancrés dans les têtes:</p> <p><em>Connaissez-vous la Martinique?</em> C<em>onnais-tu là-bas le Bango?</em> <em>Dès qu'il entend jolie musique</em> <em>Le voilà debout tout de go</em> <em>Pour danser avec demoiselle,</em> <em>Ah, c'est un galant damoiseau,</em> <em>Demoiselle, tu as des ailes,</em> <em>Quand tu fais Biguine à Bango…</em></p> <p>Aujourd’hui, le dernier couplet chanté sur une biguine entraînante serait non seulement interdit, mais carrément inconcevable. 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Un quart de siècle que je refusais de fondre publiquement.</p> <p>Un mec, ça ne chiale pas. Je ne suis pas une gonzesse. </p> <p>J’étais simplement un con. Comme tant d’autres. Comme trop d’autres.</p> <p>Une éternité à intérioriser l’insupportable. A écrire mes souffrances sur des mouchoirs en papier. A les noyer dans des boissons interdites. A dire «tout va bien.»</p> <p>Deuil impossible. Deuil inutile.</p> <p>Jusqu’à ce qu’un soir. Dans ma ville adorée de Bienne. Dans cette salle de cinéma où j’allais, adolescent, regarder tant de films. Où j’étais Alain Souchon, tenant Isabelle Adjani dans ses bras. Où j’espérais que Joss Beaumont ne se ramasse pas une balle dans le dos à la fin du «Professionnel». 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A l’entendre, on imagine à quel point elle rêve de traverser elle aussi la mer, quitte à devenir simple pionne dans un lycée de Montreuil.</p> <p>Il y a ces femmes qui dansent, mâtent les mecs de leur âge et rêvent de défilés de mode, s’interrogent sur leur sexualité et font des doigts d’honneur aux types en djellaba qui leur crachent à la gueule parce qu’elles ne portent pas le voile.</p> <p>Des affiches, de plus en plus d’affiches, les avaient pourtant mises en garde.</p> <p>Nulle n’était censée ignorer la pseudo loi divine. </p> <p>Il y a ces rues sublimes d’Alger, ces échoppes et ces petits bars où l’on a envie de s’arrêter pour oublier un instant le tumulte de la modernité.</p> <p>Cette nuit où l’héroïne et son tourtereau s’enlacent pudiquement. Il rêve de Canada, elle veut se battre. Ici.</p> <p>T’en souviens-tu?</p> <p>Cette nuit-là, alors que la mer nous ouvrait les bras, pourquoi n’avais-je pas réussi à te convaincre de partager mon exil? 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L’opposition de la puissante Association des chauffeurs de taxis craignant de voir le chiffre d’affaires de ses membres baisser durant la manifestation. Oppositions aussi et peut-être surtout de nombreux pisse-vinaigre rancuniers, les tristes «Neinsager», qui n’avaient pas oublié que, 15 ans plus tôt, le nom de Thomas Hisrchhorn avait été au cœur d’un des plus absurdes règlements de compte politiques.</p> <h3>Christoph Blocher</h3> <p>Dix décembre 2003. Christoph Blocher accède au Conseil fédéral. La Suisse est divisée en deux camps: les pro et les anti. Domicilié à Paris depuis 1984, Thomas Hirschhorn présente une exposition au Centre culturel suisse de la Ville Lumière. Dans une pièce de théâtre, il n’hésite pas à démonter le mythe de Guillaume Tell. Une actrice vomit dans une urne de scrutin et un acteur adopte la position d’un chien pour uriner sur une image qui semble représenter le nouveau conseiller fédéral. Tollé! Sacrilège! 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Cette formation est localement très active, multiplie les pétitions et les actions de rues, est très présente sur les réseaux sociaux et inonde les médias locaux de lettres de lecteurs. Du pain béni! Au point qu’en raison de l’hostilité grandissante, Thomas Horschhiron finit par plier. Sans pour autant rompre. Avec la bénédiction des autorités de majorité rose-verte, il accepte de repousser d’un an son projet d’Exposition suisse de sculpture. Mais il n’en démord pas: elle aura lieu sur la place de la Gare de Bienne et sera consacrée à Robert-Walser.</p> <h3><strong>Bâton de pélerin</strong></h3> <p>L’artiste au caractère bien trempé change alors de stratégie. Il loue un petit appartement en haut d’un immeuble surplombant la place de la gare et multiplie les réunions publiques pour expliquer son projet. Dans des bistrots ou à la bibliothèque municipale, dans d’autres lieux culturels ou même dans la rue, il s’explique, brandit son bâton de pèlerin, s’emporte, s’enthousiasme, se prend au jeu et finit par convaincre. Les chauffeurs de taxis retirent leur opposition et le préfet donne son feu vert. Mais le plus dur est à venir.</p> <h3><strong>Obtus et téméraire</strong></h3> <p>«C’est toujours difficile de concevoir une œuvre d’art dans l’espace public, où les conflits d’intérêts sont fréquents. Je me bats comme un chien pour chaque centimètre de terrain, sinon rien ne se passe. J’ai toujours été clair. Je ne suis pas extravagant mais obtus, téméraire et surtout dingue de Robert Walser. Je conçois dans sa ville natale un travail qui va marquer les esprits et entrer dans l’histoire de l’art», s’enflamme-t-il. Alors, depuis le début du mois d’avril, au risque de priver les automobilistes d’une vingtaine de places de parc dans cet endroit stratégique, lui et son équipe se sont activés. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Gaspo 03.02.2018 | 17h04
«On ne saurait mieux dire. Merci pour la clarté du propos, qui mêle intelligement la force et l'humilité.
Thierry»
@Marges 07.02.2018 | 23h23
«évidemment aujourd'hui une justice va peut-être frapper sans double langage, un citoyen suisse, Tariq Ramadan »
@JeanPaul80 09.02.2018 | 00h25
«Excusez-moi, mais je ne comprends pas que l'on ait accordé la nationalité suisse aux Ramadan Brothers, alors qu'à Nyon on ose la refuser à une charmante dame portuguaise sous prétexte qu'elle n'arrive pas à nommer les 3 Waldstätten.
J'ai beaucoup d'amis musulmans, ayant séjourné à plusieurs reprises dans les pays du Maghreb et je n'en connais aucun d'aussi fanatique que Tarik Ramadan ou Nicolas Blancho ou encore comme ces ignobles imams qui crachent leur fiel pseudo-religieux, venimeux, dégoulinant et visqueux, sur le pays qui les a accueillis.
À mon avis, la religion bouffe tout le cerveau de ceux qui se la jouent intégristes, ennemis des infidèles, auxquels je suis très fier d'appartenir. »
@Her Bex 05.11.2018 | 05h08
«Excellent article. Perso, je me souviendrai toujours du moment où TR a affublé, à tort, Charlie Hebdo du label "islamophobe". Il a contribué dans l'imaginaire populaire à faire croire que Charlie visait particulièrement le culte musulman (il suffit de lister les unes pour voir que cela est faux). TR a une responsabilité certaines dans l'horreur qui est arrivée à Charlie»