Actuel / Rendez-vous en terre inconnue
Les deux opposants politiques ont accepté de se plier au jeu. © Joël Schweizer
Deux conseillers de ville biennois de bords opposés, l’écologiste Myriam Roth et l’UDC Luca Francesutto, se sont unis pour tenter de faire bannir les pailles en plastique des établissements publics de leur ville. Au-delà de cette alliance de circonstance, tous deux ont accepté de vider leurs sacs (à commissions) et comparer leurs habitudes d’achats. Le résultat interpelle…
À ma gauche: Myriam Roth, 23 ans, infirmière, en couple, sans enfants, conseillère de ville écologiste. Il y a deux ans, elle fut candidate (malheureuse) aux élections au Conseil municipal de Bienne (56'000 habitants), mais fut brillamment élue à sa première tentative au Parlement. Elle incarne très bien cette jeune génération d’écologistes suisses, politiquement ancrés très à gauche, pour qui la question climatique est devenue une véritable urgence. À ma droite: Luca Francesutto, 41 ans, fonctionnaire de police, marié, trois enfants, conseiller de ville UDC. Né ici, il reste cependant fier des origines italiennes de ses parents (son père avait des sympathies communistes). Il fait partie de ces Suisses de la seconde génération très exigeants avec les nouveaux venus. Il plaide davantage pour un modèle d’assimilation plutôt que pour une intégration «souple» appliquée dans la plupart des villes suisses à majorité rose-verte.
La carpe et le lapin
Tout les oppose, ou presque. Sauf une envie irrépressible de dialoguer et d’essayer de «trouver des solutions pragmatiques» pour atténuer, voire combattre, les effets du réchauffement climatique. Pour l’écologiste Myriam Roth, cette question est devenue centrale. Pour l’UDC Luca Francescutto, elle l’interpelle. Tous deux ont récemment surpris le petit landerneau local, jusque dans leurs partis respectifs, en déposant une motion pour interdire les pailles en plastique dans les établissements publics. «Certains UDC ont reproché cette démarche!», admet Luca Francescutto. «Je te rassure, chez moi aussi, il y a eu des reproches!», s’amuse Myriam Roth. Le mariage de la carpe et du lapin. La jeune végétarienne et le père de famille omnivore pourraient-ils donc s’entendre en matière d’habitudes d’achat, confronter leurs modes de consommation respectifs, les critiquer ou s’en inspirer? Nous leur avons proposé de jouer le jeu et de venir avec un sac à commissions «ordinaire» dans un bistrot de la place. Rendez-vous en terre inconnue...
À l’heure pile, Myriam Roth débarque avec un sac en tissu qu’elle extrait du panier de son vieux deux-roues acheté lors d’une récente Bourse aux vélos. «J’ai fait des achats pour environ 30 francs». Ce sac ressemble un peu à une poupée russe: il contient d’autres petits sacs en tissu contenant des achats effectués en différents endroits. «Je ne vais au supermarché presque que pour acheter du papier-toilette. Autrement, moi et mon compagnon faisons nos courses au marché et dans des épiceries bio.» Dans un premier sac, un petit chou frisé et un céleri odorant. Dans des boîtes en verre, des graines de couscous, d’autres céréales et de la verveine séchée. Sans oublier un rouleau de sacs à compost et une plaque de chocolat bio. Accompagné par sa fille cadette d’une dizaine d’années, Luca Francescutto saute sur l’aubaine pour la mettre dans l’embarras: «Mais il y a des composants venant d’Indonésie et du Sri Lanka!», s’amuse-t-il. «Il y a même un peu d’huile de palme!». «Je ne suis pas 100% vertueuse», reconnaît celle qui n’exclut pas de devenir bientôt végane, s’habille avec des habits de seconde main et applique ses convictions jusqu’à se priver de réfrigérateur d’octobre à mars, quand il fait assez froid pour conserver ses aliments en plein air. «Ça, je ne pourrais pas le faire», concède son interlocuteur UDC.
Au tour de Luca Francescutto de vider son sac (en plastique). «Le tout m’a coûté 50 francs pour une famille de 5 personnes.» Tous les produits ont été achetés dans une grande surface. «Nous n’allons jamais au marché. Cela ne fait pas partie de nos habitudes.» Pourquoi? «Parce que ce n’est pas la même clientèle. Il y a beaucoup de personnes de gauche ou d’écologistes en cet endroit. Je ne m’y sens pas très à l’aise.» Sans doute pas un hasard si, en période d’élections ou de votations, les partis de gauches sont les seuls à tenir des stands près du marché aux légumes et aux fleurs de Bienne, aux portes de la splendide vieille-ville. Tandis que les autres formations, dont l’UDC locale, en plein essor, préfèrent se rendre dans la zone commerciale et piétonne pour y distribuer des tracts.
«Nous ne remplissons en moyenne qu’un sac d’ordures de 17 litres par mois!»
Le sac de l’élu UDC, qui vient aussi d’accéder au Conseil de ville biennois en 2017, contient des pâtes, des viennoiseries industrielles «pour les quatre heures des enfants», des courgettes, un litre de lait – «je n’achète que du ‘lait de prairie’» –, une boîte de haricots en conserve, un paquet de chips, des barres chocolatées, du fromage râpé, des pommes suisses, de l’émincé de poulet et une boîte de thon.
Les deux élus-consommateurs se jaugent et ne peuvent s’empêcher d’échanger des sourires et des remarques. Ils soupèsent les produits déposés sur la table et dissèquent les étiquettes. «Bon point!», s’exclame Myriam Roth, en découvrant le contenu d’une conserve. «C’est du thon issu de la pêche durable.» Luca Francescutto se veut rassurant. «Je privilégie les produits suisses. Chaque année, j’achète un quart de bœuf et un quart de porc que je congèle. Pour le poulet, j’ai préféré acheter de la viande suisse plutôt qu’hongroise. Elle est plus chère, mais facile à tracer.» Mais Myriam Roth reste perplexe. «Ce qui me choque le plus, c’est la quantité d’emballage. Avec mon ami, nous ne remplissons en moyenne qu’un sac d’ordures de 17 litres par mois!», révèle-t-elle sous le regard perplexe de Luca Francescutto. «Je ne sais pas comment vous faites!», réagit-il. «Nous trions simplement les déchets et faisons en sorte de recycler tout ce qui peut l’être. Par exemple en cuisinant les épluchures des légumes pour en faire des potages», rétorque la jeune élue verte.
Solidaires, mais pas trop...
Myriam Roth défile lors de chaque manifestation contre le réchauffement climatique. Candidate aux prochaines élections au Conseil national, elle plaide pour l’instauration d’un «état d’urgence climatique.» Pour elle, ce combat passera forcément par un «changement de système et une décroissance». Le fonctionnaire de police UDC veille à ce que ces manifestations pacifiques se déroulent sans incident. Il tient «à ce que mes filles vivent au moins aussi bien que moi», mais fait très clairement partie des élus de ce parti qui s’interrogent de manière critique sur l’évolution alarmante de la planète. «Je pense vraiment que nous devons faire des efforts. Encore faut-il qu’ils soient socialement acceptables et ne pénalisent pas les familles de la classe moyenne.»
Au terme de cet échange, les deux élus partagent plusieurs constats. «Cette petite expérience de comparaison de nos habitudes d’achat m’a donné un peu d’espoir: je pense qu’entre gens de bonne volonté, il est possible de trouver des solutions communes et durables», veut croire Myriam Roth. «Il faut vraiment lutter contre ces tonnes d’emballage. C’est une priorité», ajoute Luca Francescutto. Tous deux estiment aussi qu’il serait enfin temps de taxer le kérosène, même si cela devait avoir des répercussions sur les produits importés. «Nous devons vraiment travailler ensemble pour le bien de tous», clament-ils d’une même voix. Mais au terme de cette petite rencontre, aucun des deux élus n’a songé échanger son sac contre celui de son interlocuteur...
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Il trouvait que ça claquait bien…</p> <p>Au pilori aussi tous les opéras et l’ensemble des symphonies de Richard Wagner. Comme cet antisémite notoire était idolâtré par des dignitaires du IIIe Reich, cela risquerait de faire de moi un «complice par contumace temporelle» d’un sympathisant nazi, moi qui ne me suis jamais remis d’avoir appris, enfant, la monstrueuse existence de la Shoah.</p> <p>Je ne devrai plus jamais tenter de me déhancher sur une chanson de Khaled. Il y a une dizaine d’années en effet, le «roi du raï» avait décidé de quitter la France car ce pays y autorise le mariage entre hommes. Il avait préféré s’exiler dans un autre qui les condamne.</p> <p>Plus jamais je ne fredonnerai les <em>Lacs du Conemara</em>, puisque par pure provocation, Michel Sardou et son génial parolier Pierre Delanoé (auteur notamment de très bienveillants tubes comme <em>Champs Elysées</em>, <em>Salma, ya salama</em>, ou <em>Fais comme l’oiseau</em>) avaient commis<em> Le temps des colonies</em>, un soir où ils avaient tellement picolé qu’ils étaient complètement noirs.</p> <p>Je bannirai tous mes CD de Johnny Cash et de Jerry Lee Lewis (il vit encore, youppie!). Ils étaient Blancs, venaient du sud des Etats-Unis et il n’est pas exclu que certains membres du KKK passaient leurs chansons dans les radio-cassettes de leurs bagnoles quand ils allaient se «faire un Noir».</p> <p>Plus mon armoire à disques se viderait, plus je risquerais de devenir parano. Quand Brassens, mon Brassens adoré, chantait <em>Gare au gorille</em>, ne faisait-il pas allusion à ma couleur de peau et à mon organe démesuré (même pas vrai!)? Et l’album blanc des Beatles? Pourquoi Ringo, Paul, John et George, tous de peau matte, ne l’avaient-ils pas baptisé <em>Album de toutes les couleurs du gentil monde dans lequel nous avons la chance de vivre entre frères et sœurs du même sang</em>? Et Mozart? Qui peut me prouver que lorsqu’il avait composé <em>L’enlèvement au sérail</em>, il n’était pas mû par des arrière-pensées islamophobes?</p> <p><em>Ad libitum. Ad nauseam</em> (c’est du latin).</p> <p>Croyant avoir expurgé mon armoire de tous les disques qui risqueraient de heurter mes identités multiples, je suis tombé sur un coffret comportant des raretés de la chanson française. Des perles. Dont celle-ci de Charles Trenet: <em>La biguine à Bango</em>.</p> <p>Je l’ai écoutée en boucle. Elle illustre à quel point il y a quelques décennies, les stéréotypes frappant les personnes «de couleur» étaient encore ancrés dans les têtes:</p> <p><em>Connaissez-vous la Martinique?</em> C<em>onnais-tu là-bas le Bango?</em> <em>Dès qu'il entend jolie musique</em> <em>Le voilà debout tout de go</em> <em>Pour danser avec demoiselle,</em> <em>Ah, c'est un galant damoiseau,</em> <em>Demoiselle, tu as des ailes,</em> <em>Quand tu fais Biguine à Bango…</em></p> <p>Aujourd’hui, le dernier couplet chanté sur une biguine entraînante serait non seulement interdit, mais carrément inconcevable. 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L’opposition de la puissante Association des chauffeurs de taxis craignant de voir le chiffre d’affaires de ses membres baisser durant la manifestation. Oppositions aussi et peut-être surtout de nombreux pisse-vinaigre rancuniers, les tristes «Neinsager», qui n’avaient pas oublié que, 15 ans plus tôt, le nom de Thomas Hisrchhorn avait été au cœur d’un des plus absurdes règlements de compte politiques.</p> <h3>Christoph Blocher</h3> <p>Dix décembre 2003. Christoph Blocher accède au Conseil fédéral. La Suisse est divisée en deux camps: les pro et les anti. Domicilié à Paris depuis 1984, Thomas Hirschhorn présente une exposition au Centre culturel suisse de la Ville Lumière. Dans une pièce de théâtre, il n’hésite pas à démonter le mythe de Guillaume Tell. Une actrice vomit dans une urne de scrutin et un acteur adopte la position d’un chien pour uriner sur une image qui semble représenter le nouveau conseiller fédéral. Tollé! Sacrilège! 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Cette formation est localement très active, multiplie les pétitions et les actions de rues, est très présente sur les réseaux sociaux et inonde les médias locaux de lettres de lecteurs. Du pain béni! Au point qu’en raison de l’hostilité grandissante, Thomas Horschhiron finit par plier. Sans pour autant rompre. Avec la bénédiction des autorités de majorité rose-verte, il accepte de repousser d’un an son projet d’Exposition suisse de sculpture. Mais il n’en démord pas: elle aura lieu sur la place de la Gare de Bienne et sera consacrée à Robert-Walser.</p> <h3><strong>Bâton de pélerin</strong></h3> <p>L’artiste au caractère bien trempé change alors de stratégie. Il loue un petit appartement en haut d’un immeuble surplombant la place de la gare et multiplie les réunions publiques pour expliquer son projet. Dans des bistrots ou à la bibliothèque municipale, dans d’autres lieux culturels ou même dans la rue, il s’explique, brandit son bâton de pèlerin, s’emporte, s’enthousiasme, se prend au jeu et finit par convaincre. Les chauffeurs de taxis retirent leur opposition et le préfet donne son feu vert. Mais le plus dur est à venir.</p> <h3><strong>Obtus et téméraire</strong></h3> <p>«C’est toujours difficile de concevoir une œuvre d’art dans l’espace public, où les conflits d’intérêts sont fréquents. Je me bats comme un chien pour chaque centimètre de terrain, sinon rien ne se passe. J’ai toujours été clair. Je ne suis pas extravagant mais obtus, téméraire et surtout dingue de Robert Walser. Je conçois dans sa ville natale un travail qui va marquer les esprits et entrer dans l’histoire de l’art», s’enflamme-t-il. Alors, depuis le début du mois d’avril, au risque de priver les automobilistes d’une vingtaine de places de parc dans cet endroit stratégique, lui et son équipe se sont activés. 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