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Actuel / Les grandes universités américaines privilégient les étudiants les plus riches


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La Cour Suprême des Etats Unis a décrété fin juin dernier que la discrimination positive basée sur la couleur de la peau, pratiquée dans les universités, est contraire à la Constitution. Beaucoup pensent que ceci permettra un recrutement plus juste. Une étude parue fin juillet démontre cependant que les enfants des familles les plus aisées du pays ont largement plus de chances d'entrer dans les grandes universités privées. Ce qui contribue de manière déterminante au maintien des plus riches à des postes clé, perpétuant ainsi leurs privilèges à travers les générations.



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Les économistes Chetty, Deming et Friedman des universités Harvard et Brown viennent de publier une étude approfondie sur les pratiques de recrutement dans les universités américaines. Dans leur travail, les auteurs croisent les données concernant 2,4 millions d’étudiants admis pendant les années 2010-2015 dans des universités américaines privées ou publiques très sélectives. Ils ont analysé des informations provenant des déclarations d’impôt fédérales, les résultats des tests d’admission, ainsi que les comptes-rendus des commissions de sélection. Ils ont ainsi mis en évidence l’impact des pratiques de sélection des universités privées les plus prestigieuses, membres de l’«Ivy-Plus» (Harvard, Princeton, Yale, Columbia, Brown, Cornell, Dartmouth, UPenn, Stanford, MIT, Duke, Chicago). Ces douze universités sont parmi les meilleures au monde. Elles accueillent moins de 0,5% des étudiants du système universitaire américain, mais elles ont par exemple formé plus de 10% des CEO qui paraissent dans le classement Fortune 500, un quart des membres du Sénat américain, ainsi que trois-quarts des juges de la Cour Suprême des cinquante dernières années. Contrairement à des universités publiques renommées comme l’Université de Californie à Berkeley, les universités Ivy-Plus privilégient fortement les enfants des familles les plus aisées.

Les résultats de l'étude

Pour comprendre les résultats de l’étude il faut se souvenir que, contrairement à ce qui se passe en Suisse, aux Etats-Unis il ne suffit pas d’avoir complété les études secondaires pour pouvoir s’inscrire dans l’université de son choix. L’admission se fait suite à un processus de sélection, qui se base sur les résultats obtenus à des tests standardisés. Tous les ans plus d’un million et demi de jeunes passent un examen pour obtenir une évaluation ACT, et un nombre équivalent passe le test SAT. Les résultats de ces tests, plus la moyenne des notes obtenues pendant les études secondaires (GPA score) décrivent leur qualité académique.

L’étude montre qu’à qualité académique équivalente les enfants du 1% des familles les plus riches ont deux fois plus de chances d’entrer dans les universités «Ivy-Plus» que les enfants des familles de la classe moyenne. Pour figurer parmi les 1% les plus riches, une famille doit avoir plus de 611’000 dollars de revenus par an. La classe moyenne est composée de familles avec des revenus annuels entre 83'000 et 116'000 dollars. Les enfants des familles les plus riches ont – dans le système éducatif américain – plus de facilité à obtenir de bons résultats scolaires et plus de chance de réussir les tests, mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit dans l’étude en question. En plus de ces avantages initiaux, le processus de sélection renforce la discrimination basée sur la richesse.

Trois pratiques de sélection

Il serait faux de penser que le universités Ivy-Plus privilégient tout simplement les étudiants les plus riches directement sur la base des revenus de leurs familles. Ce sont en fait trois pratiques de sélection fondées sur d’autres principes qui portent à la discrimination mise en évidence.

Les universités américaines, et surtout les universités privées, accordent une grande importance à leurs anciens et anciennes élèves, qui sont souvent aussi parmi leurs soutiens financiers les plus généreux. L’idée de base que la relation entre une institution et ses diplômés ne s’interrompe pas après la fin des études est appréciable. Cela contribue à faire lien. Les diplômées et diplômés aident par exemple à faire connaître les formations de leurs universités auprès des éventuels futurs étudiants, et leurs soutiens financiers servent souvent à financer des bourses pour des jeunes qui n’auraient pas les moyens de payer les coûts de scolarité exorbitants demandés. Il est donc assez naturel que beaucoup d’universités donnent une préférence aux enfants d’anciens élèves ou de donnateurs. Cette pratique s’appelle «legacy admission». Elle explique 46% des avantages dont bénéficient les 1% les plus riches.

Une autre pratique est celle qui consiste à privilégier les étudiants et étudiantes qui pourraient renforcer les équipes sportives des universités. Vu la popularité de sports comme le basketball ou le football américain, on a du mal à s’imaginer que des enfants de riches puissent tirer un avantage systématique du recrutement d’athlètes dans les équipes universitaires. De plus, les universités Ivy-Plus ne sont pas celles avec les équipes les plus fortes dans ces sports populaires. Le mystère se dissipe lorsqu’on prend en compte des sports comme l’escrime, le tennis, ou la rame. La priorité accordée au recrutement d’athlètes d’élite explique 24% des avantages dont bénéficient les enfants des plus riches.

La troisième pratique déterminante est celle d’accorder une importance aux qualités non-académiques. C’est à ce niveau que l’environnement fourni par les écoles secondaires fréquentées par les jeunes des familles les plus aisées joue un rôle. Ces écoles proposent davantage d’activités extra-scolaires, offrent un encadrement plus serré, et s’occupent d’accompagner leurs élèves dans le passage vers l’enseignement supérieur, par exemple en rédigeant des lettres de présentation personnalisées. Ce vernis non-académique dont bénéficient les dossiers du 1% les plus riches explique 30% de leur avantage sur les étudiantes et les étudiants avec un bas revenu.

Comment diminuer les inégalités

Plusieurs universités américaines avaient abandonné la discrimination positive avant qu’elle ne soit condamnée par la Cour Suprême, tout en mettant en place des dispositifs qui corrigent les inégalités liées à l’origine socioéconomique. Certaines ont par exemple établi des contacts plus étroits avec les établissements d’enseignement secondaire afin de faciliter l’accès aux enfants méritants de familles défavorisées.

Chetty et ses coauteurs ont aussi étudié comment les universités Ivy-Plus pourraient corriger le biais au recrutement favorable aux plus riches. Ils montrent que dans le cas invraisemblable où ces universités abandonneraient les trois pratiques décrites précédemment, chaque université accueillerait environ 144 étudiantes et étudiants de plus issus de familles qui gagnent moins de 240'000 dollars par an. Toutes choses égales par ailleurs, cette augmentation serait équivalente à la diminution due à la suppression de la politique de discrimination positive désormais interdite. Vu la difficulté à supprimer les pratiques incriminées, les auteurs de l’étude proposent une politique d’admission alternative basée sur la prise en compte statistique de la situation socioéconomique des étudiants et des étudiantes ayant une très bonne performance académique. Ils démontrent qu’une telle politique porterait à une diversité socioéconomique comparable à celle obtenue en supprimant les trois pratiques qui actuellement accentuent les inégalités. Les universités Ivy-Plus pourraient donc concrètement contribuer à diversifier les origines socioéconomiques des leaders dans la société américaine. 

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