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Actuel / Il y a de l’espoir en Russie, malgré tout

Bon pour la tête

31 décembre 2019

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Dans les médias occidentaux, les gros titres sur la Russie sont pour la plupart négatifs. Mais à y regarder de plus près, se dessine une autre image.




Article signé par Roman Berger et publié sur Infosperber, le 7 décembre 2019. Traduit par Marta Czarska.


Par exemple, Roman Junemann. Je rencontre le politicien, âgé d’à peine 24 ans, dans un café au centre de Moscou. Septembre passé, Junemann, un des 5 candidats indépendants au Parlement de la ville de Moscou, a été battu à peu de voix près. «Je suis encore jeune et persuadé de pouvoir changer la Russie à long terme». C'est ainsi que le jeune politicien explique pourquoi il veut quand même continuer. Après tout, Junemann, né en 1995, était encore un adolescent de 16 ans alors que des centaines de milliers de manifestants descendaient à l’hiver 2011-2012, dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg, pour réclamer une Russie libre.

«Des aires de jeux dans la cour»

Junemann vit au sud de Moscou, dans le quartier Tchertanovo, fort de 200 000 habitants. C'est là qu’il a appris que la population russe en avait assez des «idéologies, partis et missions». «Ce qui préoccupe vraiment les gens, ce sont les problèmes du quotidien, comme par exemple les aires de jeux dans la cour, ou les écoles publiques avec des enseignants mal payés». Il a été confronté à ces questions alors qu’il faisait du porte à porte durant sa campagne électorale. Pour la majorité des électeurs, la politique se fait dans les offices où les bureaucrates veulent vite se faire de l’argent. C'est aussi une des raisons pour lesquelles si peu de gens votent.

Polyglotte, Junemann travaille pour un grand cabinet de conseil international et gagne, selon les critères russes, plutôt un bon salaire. Ainsi, il a pu se passer de grands sponsors pour financer sa campagne électorale et découvrir à cette occasion ce qui préoccupe vraiment les habitants.

Attendre et regarder ailleurs n’est plus à l’ordre du jour

Ce qui est fascinant chez Roman Junemann, c'est son attitude charismatique, tournée vers le futur. Elle est le point commun de nombreux jeunes gens dans le monde: aux Etats-Unis, au Proche-Orient, au Chili ou à Hongkong. Ils ont perdu toute confiance envers leurs gouvernements respectifs, tiennent les dirigeants pour corrompus et autoritaires, et ils occupent la place publique, pacifiquement pour la plupart. Ils usent des technologies les plus modernes, qui rendent nombre de protestations possibles et les renforcent. Attendre et regarder ailleurs n’est plus à l’ordre du jour.

La politologue russe Tatjana Vorocheïkina est âgée d’environ deux générations de plus que Roman Junemann. Dans un entretien et une analyse1, elle essaie d’expliquer comment la Russie pourrait sortir de sa «dépendance à sa propre histoire». Selon elle, il n’y a «jamais eu en Russie d’État au sens occidental: un État qui sépare les intérêts publics et privés des décideurs».

Au contraire, l’État russe est fait depuis plus de 500 ans de «structures de pouvoir patrimonial» qui servent les intérêts privés, économiques et politiques de ceux qui le détiennent. Le pouvoir et la propriété ont été réduits en Russie. Pour les dirigeants, la politique est la source la plus sûre d'enrichissement personnel. Dès lors, les hommes en place ne voudraient pas céder une miette d’influence économique aux acteurs indépendants.

Les démocrates ont détruit la démocratie et l’économie de marché

Tatjana Vorocheïkina est politiquement proche des démocrates russes. Elle critique cependant ceux qui étaient au pouvoir dans les années 1990 autour du Président Boris Eltsine. Jadis, selon elle, il aurait été possible de créer une Russie démocratique, de briser le monopole de l’État et d’introduire l’économie de marché.

Mais Eltsine et son équipe ont manqué cette chance historique. Voici comment: en 1993, Eltsine donne l’ordre aux chars de tirer sur le bâtiment du Soviet suprême (le Parlement). Un an plus tard, les troupes russes marchent sur la Tchétchénie qui réclamait plus d’indépendance. Ces deux événements violents causent des milliers de morts et de blessés et affaiblissent énormément tant l’État que la société.

Autre événement décisif: en 1996, les oligarques financent la réélection d’Eltsine. Ceci en remerciement de la politique de privatisation organisée par l’État qui a permis à quelques oligarques ultra riches d’acquérir, en dessous de leur valeur, des parts lucratives des anciennes propriétés étatiques (métallurgie et secteur des matières premières). La majorité de la population russe voit cela à présent comme un vol. Ceci explique pourquoi les démocrates n'ont toujours aucune chance de gagner les élections aujourd’hui. En d’autres mots, la démocratie a été sapée dans les années 1990 par les dirigeants démocrates.

Avec l’entrée en fonction de Vladimir Poutine en 2000, les bases d'une contre-réforme étaient posées. Dans les faits, la Russie revenait à un modèle de gouvernement autoritaire où les décisions les plus importantes sont prises par un seul homme. Poutine décide même en personne de sa succession, car il n’existe pas de système de succession institutionnalisé.

La société civile russe devient plus forte

La société civile russe est encore faible, mais, surtout depuis «l’hiver des protestations» 2011/2012, elle se renforce. La société se bat pour des espaces verts, l’élimination des déchets, la protection de l’environnement ou le bien-être des enfants.

A Ekaterinbourg, des milliers de personnes ont protesté en mai 2019 contre la construction d'une nouvelle cathédrale. Non pas parce qu’ils étaient contre la construction d’une église pour la sainte patronne de la ville, mais parce qu’il n’y a pas assez d'espaces verts, surtout dans le centre de la grande ville d’un million et demi d’habitants. Après les protestations, le patriarche de Moscou a renoncé à la construction. L’État en revanche a été désarmé, car ces protestations n'avaient rien de politique.

Les ecclésiastiques orthodoxes protestent aussi

Des manifestations pour la libération de personnalités connues ont aussi eu grand effet. L’acteur de 23 ans Pavel Ustinov a été condamné à plusieurs années de réclusion après avoir été arrêté lors d'un rassemblement. Enseignants, médecins, acteurs et même des ecclésiastiques de la conservatrice Église orthodoxe russe ont exigé à l’automne dernier la libération d’Ustinov, ce qu’un tribunal de Moscou a autorisé en septembre. Il est arrivé la même chose au journaliste Ivan Golunov. 

Autre nouveauté, l’apparition d’organisations auxquelles les détenus peuvent s’adresser, ou des réseaux qui diffusent des informations sur les abus des autorités. La solidarité aussi se répand dans la société russe. Dans toute la Russie progressent des fondations comme par exemple «Offre la vie», qui soutient les enfants atteints du cancer et leurs parents. L’époux de Tatjana Vorocheïkina, qui était très malade il y a quelques années, devait se faire opérer en Allemagne. Il n’a fallu que quelques jours pour collecter la grosse somme nécessaire à l’opération.

Une transformation radicale du système est-elle possible?

Il y a depuis des décennies un soi-disant «contrat social» entre l’État et les citoyens. Le gouvernement assure la sécurité financière et sociale et attend en retour que les citoyens renoncent à leurs droits politiques de participation. Aujourd’hui, le Président Poutine n'est plus en mesure de remplir sa part du contrat. Depuis des années, les salaires réels baissent et il n’y a pas d’amélioration en vue. Le «contrat social» commence à disparaitre. En d’autres mots, la Russie n’a pas seulement besoin de croissance économique et de capitaux frais, mais d’une transformation totale du système.

C'est la conclusion d’une étude récemment conduite et publiée par l’institut de sondage indépendant Lewada à Moscou. Elle se fonde sur un sondage représentatif. 59% des sondés disent attendre des changements décisifs et à large échelle en Russie. En comparaison avec un sondage semblable conduit il y a 2 ans, ils sont presqu’une fois et demie plus nombreux à le penser. L’appel à un changement radical n’a cependant, selon l’étude de Lewada, plus rien à voir avec la liberté, la démocratie et le pluralisme. Les sondés parlaient d’exigences sociales comme des salaires plus hauts et des prix plus bas. Et presque 75% d'entre eux sont d'avis que l’État devrait intervenir activement dans l’économie2.

Alexeï Navalny, le politicien de l’opposition bien connu à l’Ouest, est persuadé qu’il faut tout d’abord combattre la corruption présente partout et très profondément ancrée. Mais pour Roman Junemann cela ne suffira pas. «Le combat de l’opposition contre la corruption n’arrive pas encore à remettre en question les causes et les structures qui ont en premier lieu rendu la corruption possible». En d'autres termes, le système pluriséculaire de la gouvernance russe, fondé sur «le pouvoir et la propriété», doit être bouleversé, depuis ses bases, par un fort mouvement démocratique. C’est cette transformation du système, qui prendra probablement des décennies, peut-être des générations, qu’exigent Roman Junemann et Tatjana Vorocheïkina.


1Tatjana Vorocheïkina, Autocratie et perestroïka 2.0. La sortie de la dépendance au sentier de la Russie, Osteuropa, Heft, 2019.

2Neue Zürcher Zeitung, 4. 12.2019


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«Violences domestiques: la loi qui divise la société russe» - Marie Céhère

«Moyen-Orient: toutes les cartes rebattues» - Jacques Pilet

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