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Actuel / Toutes les cartes rebattues

Jacques Pilet

28 octobre 2019

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Rien n’est plus comme avant. La décision de Donald Trump de se retirer de Syrie, de lâcher les alliés kurdes, est un acte de plus – il y en eut tant d’autres – qui marginalise Américains et Européens au Moyen-Orient. C’est la Russie qui maintenant tente de tirer les ficelles, avec son protégé syrien, la Turquie et l’Iran pas loin. L’Europe? Hors jeu, malgré une soudaine et étonnante initiative allemande.



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On peut ne pas suivre au jour le jour les événements qui se précipitent et essayer néanmoins de comprendre le bouleversement géostratégique en cours. Compatir avec les Kurdes isolés et martyrisés ne suffit pas.

Le pacha Erdogan a donc deux projets. Créer une zone tampon qui isolerait les forces kurdes en Syrie, les empêchant d’aider le PKK dans son pays, une obsession. Et élargir cet espace pour y envoyer jusqu’à 3 millions de réfugiés sur sol turc. Les Etats-Unis et les Européens laissent faire, protestant juste pour la forme. L’idée soudain lancée par Annegret Kramp-Karrenbauer, Ministre de la défense allemande, d’envoyer des troupes (jusqu’à 40 000 hommes!) pour apaiser le nord de la Syrie n’a aucune chance d’aboutir. Faute de soutien en Allemagne, faute de préparation diplomatique, faute d’avoir informé les alliés européens. Ce sont donc les Russes qui agissent sur le terrain et tentent de trouver une issue négociée. Ils approuvent une zone de sécurité à la frontière turque mais pas davantage, car ils souhaitent que l’Etat syrien contrôle à nouveau la plus grande partie possible de son territoire. Poutine a un atout: il a su établir des liens avec tous les acteurs en présence. Et ses troupes sont présentes sur place: elles patrouillent déjà avec les Turcs ou avec les Syriens pour maintenir le calme dans le nord de la Syrie. Avec un certain succès, semble-t-il.

Les Européens sont mal placés pour s’en désoler. Pendant des années, ils ont soutenu, la France en tête, les mouvances islamistes qui s’en prenaient au régime syrien. Finalement en vain. Ils ont leur part dans le chaos. Au nom de la démocratie… dont ils ne se soucient guère dans d’autres Etats qui leur sont chers. De plus il y a le poids de l’Histoire, personne n’oublie dans la région qu’ils l’ont dominée, Britanniques et Français se partageant les zones d’influences en Syrie, au Liban, en Irak. En fait, depuis le début de la tragédie syrienne, ils n’ont jamais joué les bonnes cartes. La roue du temps long a tourné. 

Les Etats-Unis? Depuis le début, ils ne s’aventurent qu’avec réticence dans ce conflit aux nombreuses facettes. Et là, ils partent. Le choc est considérable dans tout le Moyen-Orient. Même Israël est secoué par ce lâchage, convaincu désormais qu’il doit affronter l’avenir seul… ou avec d’autres et très hypothétiques alliés. Quant aux Etats du Golfe, ils voient, non moins stupéfaits, le rapport de forces se transformer. L’Arabie saoudite en a eu un avant-goût avec l’absence de réaction américaine devant leurs revers: des protégés de l’Iran qui détruisaient un centre de production pétrolière, qui écrasaient une colonne de blindés à la frontière du Yemen… A Ryad, comme à Dubai et Abou Dabi, les princes se disent qu’ils pourraient se retrouver bien seuls en cas d’affrontement ouvert avec l’Iran. Le ton change. Des contacts conciliants sont pris dans l’ombre. Signe de la nouvelle donne: ces pays qui ont tout fait pour abattre Assad se préparent maintenant à réouvrir leurs ambassades à Damas. 

Victime collatérale de l'offensive d'Erdogan: l'OTAN. La Turquie en est un membre-clé. Les Etats-Unis y ont une base avec des ogives nucléaires. Or voilà qu'elle achète des armes à la Russie et se déchaîne contre les gouvernements européens. Cette alliance n'en a plus que le nom.

On peut vouer la Russie de Poutine aux gémonies. Force est de constater qu’elle est plutôt un facteur de stabilité du côté de la Syrie. Quant aux malheureux Kurdes, ils devront, bon gré mal gré, trouver un arrangement avec le pouvoir de Damas qui y a aussi intérêt. Leur rêve de créer un Etat sur ce sol-là est terminé. Les conditions ne sont pas réunies pour la création d’un Kurdistan à l’exemple de celui qui a vu le jour en Irak. 

Que les Occidentaux regardent enfin la réalité en face. Le monde est multipolaire. Leur désir d’influencer ou de dominer la planète est de plus en plus contrarié. Puissent-ils trouver d’autres voies pour défendre leurs convictions et leurs intérêts. Leurs atouts? Ils en ont encore plusieurs. Les Européens ont un potentiel économique et culturel de poids. La preuve, c’est chez eux que tant de réfugiés rêvent de s’établir, pas dans les pays arabes, africains ou asiatiques, pas en Russie non plus. Quant aux Etats-Unis, ils restent la première puissance militaire. Mais s’ils en servent à aussi mauvais escient que dans les dernières décennies, elle ne les servira guère. 

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@koine 08.11.2019 | 00h03

«Jacques Pillet, toujours aussi lucide et réaliste ...chapeau Monsieur !»


@stef 23.12.2019 | 22h00

«J’adore vos articles géostratégiques, M. Pilet »


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