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Vos lettres / Les raisons du blocage de l’investiture du Président de la Generalitat et du travail du parlement catalan


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Le parlement catalan est paralysé depuis les dernières votations du 21 décembre 2017, remportées à nouveau par les indépendantistes ayant obtenu la majorité absolue. Comment l’expliquer?



Tout d’abord, il convient de revenir sur l’intervention du gouvernement espagnol de M. Rajoy suite au référendum du 1er octobre 2017 puis à la déclaration d’indépendance du 27 octobre 2017. Le parlement ainsi que le gouvernement catalan avaient été dissous par la mise en application de l’article 155 de la constitution espagnole, leurs ministres inculpés et, pour certains, détenus en prison préventive. Le Président de la Generalitat est quant à lui en exil en Belgique avec quatre de ses ministres. Les électeurs indépendantistes ont voté, lors des nouvelles élections imposées par l’application de l’article 155, en faveur essentiellement de trois partis représentant la gauche modérée (Esquerra Republicana de Catalunya), le centre-droit (Junts per Catalunya) et l’extrême gauche (Candidatura d’Unitat Popular). Il est à noter que l’ex-dirigeante de la CUP a choisi également l’exil et séjourne actuellement à Genève. En tête de liste du principal parti de centre-droite (Junts per Cat), figurent notamment Carles Puigdemont (le Président en exil) et Jordi Sanchez ex-président de l’ANC en prison préventive (Assemblea Nacional Catalana, mouvement hors parti de mobilisation civile non-violente). Pour la gauche républicaine modérée (ERC), Oriol Junqueras (ex vice-président) se trouve toujours en prison préventive, Marta Rovira, présidente du parti, et Raül Romeva, ex-ministre des affaires extérieures, ont été inculpés.

Cela ne surprendra personne que les électeurs aient choisi de voter pour les dirigeants qui ont conduit le processus menant à l’indépendance, d’autant plus qu’ils ont subi eux-même les actes de brutale violence perpétrés contre eux lors du référendum. Il est incontestable que la répression s’exerce en Catalogne contre tous ceux qui ont préparé le référendum, celui-ci ayant été maintes fois balayé par le gouvernement de M. Rajoy: «Nous n’entrons pas en matière, l’Espagne doit rester une et indivisible, comme le déclare notre constitution», argument qui élude d’ailleurs tout autre conflit sur d’autres sujets de grande importance tels que les finances (la possibilité de percevoir ses propres impôts par exemple) l’éducation, la culture, la santé, le social, les lois souvent progressistes votées par le parlement catalan. Ainsi, le manque de dialogue et la non volonté du gouvernement Rajoy, les multiples découpages du statut d’autonomie ont précipité l’éloignement entre l’Espagne et la Catalogne, à tel point que penser revenir à la situation antérieure au référendum est devenue impossible pour les Catalans.

Soit inculpés, soit emprisonnés, soit exilés

Il est important de rappeler que le Tribunal Constitutionnel a toujours joué un rôle d’appui de la politique centraliste du gouvernement espagnol et qu’un nombre non négligeable de lois votées par le parlement catalan ont été annulées parce que, selon les Juges, elles dépassaient les compétences de l’autonomie catalane (deux exemples et pas des moindres: l’égalité entre hommes et femmes, et la loi sur la pauvreté énergétique). Si bien que depuis de nombreuses années, la justice assume un rôle politique coercitif, car le gouvernement central a souvent transmis au tribunal constitutionnel ce qu’il ne pouvait gérer politiquement. De nombreux juges et associations d’avocats ont contesté la partialité des tribunaux, également pour les cas nombreux de corruption qui gangrènent l’Espagne. Mais dans ce pays rien ne change et l’on peut se questionner sur la valeur du travail du congrès espagnol s’il ne peut interroger démocratiquement les fondements de sa constitution et surtout la séparation des pouvoirs. Les politiciens actuellement au pouvoir en Espagne clament tous à l’unisson: «En Espagne il y a séparation des pouvoirs, la justice fonctionne, et il n’y a pas de prisonniers politiques puisque ce sont des délinquants qui n’ont pas respecté nos lois». Et cela en dépit  du fait que les politiciens catalans incriminés ont tenté de défendre leurs idées politiques et que la situation les a menés vers le déploiement d’un processus unilatéral d’indépendance, justement parce qu’il n’y avait rien à négocier avec l’Etat espagnol.

La Catalogne se trouve donc dans une situation où les têtes de liste des partis votés majoritairement sont soit inculpés, soit emprisonnés, soit exilés. On revient alors au droit et à la justice qui va devoir trancher pour savoir si M. Puigdemont peut se présenter au parlement pour son investiture alors qu’il est inculpé de rébellion, de sédition et de malversations en matière de fonds publics après avoir organisé un référendum et proclamé l’indépendance. M. Rajoy et son gouvernement déclarent que c’est impossible. Or on en arrive à des positions paradoxales et incohérentes de la part de la justice parce qu’elle est prise dans un engrenage du type: il a le droit d’être élu, mais s’il revient en Catalogne, il sera arrêté avant de pouvoir se présenter au parlement. Que fait alors le Président Puigdemont? Il renonce à son investiture et propose, en accord avec son parti Junts per Cat (unis pour la Catalogne) la candidature de M. Jordi Sanchez, ancien président du mouvement non violent pour l’indépendance (ANC), emprisonné depuis quatre mois à Madrid. A nouveau réponse négative de M. Rajoy et de sa vice-Présidente Mme Soraya Saenz de Santa Maria. Alors les regards se tournent à nouveau vers la justice, plus exactement vers le Juge du Tribunal Suprême M. Llarena à qui est dévolue la tâche de trancher et de répondre à la demande de M. Jordi Sanchez de mise en liberté afin d’assister à son investiture de Président de l’exécutif catalan, au parlement de Barcelone. Le Juge, comme on pouvait s’y attendre, s’y oppose, et justifie sa décision en des termes éminemment politiques: «Les éléments configurant les risques que l’accusé persévère dans la concrétisation de ses objectifs ne sont pas dilués», «il est intolérable que l’on puisse accomplir une sécession par des voies qui rompent le vivre ensemble (convivencia)». Le risque de récidive subsiste donc pour le juge, qui ajoute que le prévenu «ne renonce pas à son intention de rendre effective une république sécessionniste». La décision du juge a bien entendu été célébrée par le gouvernement espagnol, qui par la voie de son porte-parole M. Iñigo Mendez de Vigo, a déclaré qu’une personne en prison préventive n’est pas en situation d’exercer ses fonctions de Président de la Catalogne et ajoute de façon provocante à l’attention des partis indépendantistes: «il doivent chercher ce qu’ils ont à trouver». Il s’agit pourtant ici d’une violation des droits de représentation politique d’un député élu démocratiquement au cours des élections du 21 décembre 2017, qui, de plus, n’a pas été jugé. Conformément à ses positions, le gouvernement espagnol fait fi de la déclaration d’Amnesty International à propos de Jordi Sanchez, laquelle organisation a jugé excessive et disproportionnée la prolongation de sa détention préventive. L’ONG la considère comme une atteinte à la liberté d’expression et au droit de réunion pacifique. De même, le gouvernement ne tient aucunement compte de la plainte déposée par le Président Puigdemont auprès de l’ONU pour violation de la déclaration des droits de l’homme et de la convention internationale pour les droits civils et politiques.

Répression et tutelle de l’Etat

Le travail du parlement de Catalogne ainsi que l’investiture du Président demeurent bloqués, car M. Torrent, président du parlement, a décidé de porter l’affaire au Tribunal des droits de l’Homme de Strasbourg et de reporter la séance dans l’attente qu’il se prononce. Durant cette période, les trois partis indépendantistes représentant la gauche et le centre-droit peinent à s’accorder sur le candidat qui puisse le mieux représenter la majorité indépendantiste, notamment sur la pertinence à présenter Jordi Sanchez comme président. La répression et la tutelle de l’Etat espagnol engendrent un débat entre ces partis. Ils s’accusent de ne pas respecter la volonté populaire manifestée lors du référendum qui est de poursuivre sur la voie de l’instauration d’une république ou d’un retour à l’autonomie qui est considéré comme un échec.

J’apprends également que Clara Ponsati, ex-ministre de l’éducation et exilée à Bruxelles, a choisi temporairement de quitter ses fonctions et de reprendre son poste de professeur d’économie à l’université de Saint Andrews en Ecosse. Cette décision peut participer à une internationalisation de la crise catalane et permettre ainsi de poser un jalon en vue d’une médiation internationale, tant espérée par les indépendantistes. L’Union européenne, semble quant à elle se montrer toujours très tolérante vis-à-vis des manquements démocratiques de l’Espagne, au grand dam de leurs valeurs.

François Gilabert


Merci à La Méduse qui nous a signalé cette opinion!

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@JeanPaul80 19.03.2018 | 11h49

«Certaines villes de Catalogne souhaitent créer une république qui réunirait Barcelone et Tarragona et qui s'appellerait Tabarnia et qui souhaiterait rester espagnole. Em constatant la fuite d'une bonne partie de l'économie, je ne crois pas que la Catalogne indépendante soit vraiment viable, d'autant plus qu'elle peut bénéficier d'une autonomie élargie. Aussi longtemps que l'on oblige les enfants à ne parler que le catalan, sans accepter l'ouverture à la langue officielle de l'Espagne, on fait preuve d'un esprit bien fermé. »


@stef 25.03.2018 | 17h11

«@JeanPaul80
A l’inverse, je trouve l’extrême rigueur du gouvernement espagnol, avec un dialogue... inexistant... et aucun compromis, très dangereux pour la démocratie espagnole. Les relants de Franco ne sont pas loin...»


@SylT 28.03.2018 | 18h15

«En réponse @JeanPaul80: les enfants de toutes les écoles en Catalogne suivent entre 3 et 5 heures d'espagnol par semaine selon leur âge. Les cours sont donnés en catalan. Donc personne n'oblige quiconque à ne parler que le catalan. Il aussi exigé que des personnes voulant travailler comme fonctionnaires sachent parler catalan. Normal, non?
Imaginez la situation avec la Suisse: des parents Suisse allemands habitant Lausanne, exigeraient que tous les cours de l'école publique soient donnés à leurs enfants en allemand et pas en français... qu'en penseriez-vous ?»


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