Culture / «Les pires amis», ce faux roman plombé par la réalité
Vladimir Poutine et le patriarche Kyrill lors des célébrations de Pâques à la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou, en 2016. © kremlin.ru - source officielle
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C’est à peu près le temps qu’il vous faut, précise Salman Rushdie, pour dire le Notre Père ou réciter un sonnet de Shakespeare. Et l’écrivain en sait quelque chose et y a même perdu un œil, vu que c’est exactement 27 secondes qu’a duré l’attaque sauvage qu’il a subie le 12 novembre 2022 à 10h45 du matin sur la scène de l’amphithéâtre de Chautauqua, 27 secondes qui auraient dû lui être fatales après la quinzaine de coups de couteau qui lui lacérèrent le visage, le torse et les membres, jusqu’au moment où son agresseur fut maîtrisé et menotté par un policier passant par là en l’absence, par ailleurs, de tout dispositif de sécurité. </p> <p>27 secondes chronométrées: la scène a donc été filmée par tel ou telle des plus de mille spectateurs présents pour entendre la conférence de l’auteur des <i>Versets sataniques</i> – entre vingt autres livres –, censé parler des villes-refuges pouvant accueillir, aux States, des écrivains menacés dans leur propre pays, initiative à laquelle Rushdie avait participé entre autres nombreuses activités solidaires, et voilà que le refuge présumé était devenu le piège tendu par un forcené de 24 ans qui avouerait plus tard qu’il n’avait jamais lu que deux ou trois pages des écrits de ce mécréant et vu deux ou trois vidéos sur Youtube consacrées au même «hypocrite», comme il qualifierait Salman Rushdie, décidément pas «une bonne personne», donc à supprimer au nom du Dieu superbon…</p> <h3>L'extravagante fiction du réel</h3> <p>Entre les 27 secondes qu’a duré l’exécution ratée et les trente-trois ans de tribulations vécues par Salman Rushdie depuis sa condamnation à mort, en février 1989, par le Grand Inquisiteur chiite Rouhollah Moussavi Khomeini, un abîme fantastique s’est creusé à la barbe posthume de l’ayatollah défunt (il est mort en juin 1989), dans lequel un écrivain aux fictions extravagantes s’est vu rattrapé par «la réalité». </p> <p>Aux dernières nouvelles, une récompense de deux millions de dollars reste offerte à celui qui, enfin, fera la peau à l’infâme mécréant – mais cet âne d’A. (pseudo vengeur du Libanais Hadi Matar dans <i>Le couteau</i>) n’en verra pas la couleur, alors même qu’il passe pour un héros aux yeux des islamistes radicaux. Au demeurant, son procès a été ajourné au motif que sa défense exigeait d’accéder au livre paru, alors même que l’homme au couteau continue de plaider non coupable et n’a pas émis le moindre signe de repentir envers sa victime «hélas» survivante…</p> <p>D’ailleurs le terme de «victime» se discute aux yeux de certains, et <i>Le couteau</i> illustre, dans un mélange de juste colère et de jubilation sarcastique, quel révélateur de la bassesse humaine aura été «l’affaire Rushdie», où nombre de politiciens – de Jimmy Carter à Boris Johnson, et de chers confrères en littérature, ou de journalistes mal intentionnés, n’ont cessé de pointer la caractère «illisible» de ses livres et son opportunisme, son besoin d’être remarqué, sa frivolité de viveur après son installation aux Etats-Unis, bref l’exagération monstrueusement coûteuse qu’aura représenté sa protection alors qu’il était supposé ne plus rien risquer – à cela près que les services secrets britanniques ont quand même déjoué six complots visant à le liquider!</p> <p>Ce que ses détracteurs «éclairés» n’avaient pas vu, guère plus en somme que ses ennemis aveuglés par le fanatisme religieux, c’est la prodigieuse capacité d’amour que recèle l’œuvre littéraire de Salman Rushdie, déployant, en sa foison baroque, les multiples aspects de la vie, et les ressources de bonté et de beauté de celle-ci qui s’opposent aux penchants mortifères de l’humaine engeance.</p> <p>Comme nous tous, et comme le Candide de Voltaire, le cher Salman, Indien de naissance, métèque de sa Majesté après avoir fui les colères alcooliques de son paternel, et désormais citoyen américain, n’aspire à rien d’autre qu’à la paix et à la liberté, au bonheur consistant à «cultiver son jardin» au milieu des siens, à parler avec ses amis (nous tous) des livres qu’il lit et à en ajouter puisque tel est son plus vif plaisir. </p> <p>Cela étant, dans une version moderne du <em>Quichotte</em> de Cervantès, l’auteur des <i>Versets sataniques</i> n’en a pas moins continué de se battre contre «l’infâme» (encore ce Voltaire!) qui prétend détenir la seule vérité, et prône la mise à mort de tout mécréant. Or l’Artiste, chez lui, a toujours précédé le polémiste et, souvent, brouillé les cartes. </p> <p>Et voici qu’on le poignarde, comme on a bastonné Voltaire. Et voilà qu’il s’en sort par miracle et que d’aucuns invoquent une protection céleste. Alors lui, intraitable, d’opposer au couteau un livre au titre impliquant le double usage de l’instrument – couteau à pain des familles, couteau suisse des picnics sympas, couteau à cran d’arrêt du voyou, poignard mortel – comme le mot peut détruire ou sauver… </p> <p>«<em>Pendant un demi-siècle</em>, écrit Rushdie à propos de la supposée «force supérieure» qui l’aurait protégé, <em>moi qui croyais en la science et la raison, qui n’avais pas de temps à consacrer aux dieux et aux déesses, j’avais écrit des livres dans lesquels les lois de la science étaient souvent subverties, dont les personnages étaient télépathes, se transformaient en bêtes meurtrières quand venait la nuit ou bien tombaient d’un avion d’une altitude de près de dix mille mètres, survivaient et se voyaient pousser des cornes, des livres dans lesquels un homme vieillissait deux fois plus vite que la normale, où un autre homme se mettait à flotter un centimètre et demi au-dessus de la surface de la terre, où une femme vivait jusqu’à l’âge de deux cent quarante-sept ans. Qu’avais-je donc fabriqué pendant cinquante ans? Je voulais dire: je pense que l’art est un rêve éveillé. (…) Je ne crois pas aux miracles mais ma survie est miraculeuse. Bon, d’accord, qu’il en soit ainsi. La réalité décrite dans mes livres, oh appelez-la réalisme magique si vous voulez, est devenue la véritable réalité dans laquelle je vis</em>». Et comme c’est vrai pour <i>Le couteau</i>!</p> <h3>Bienvenue au club des poignardés</h3> <p>Ce qu’on apprend en lisant ce «livre de la vie» tenant à la fois d’exorcisme et de réponse (fermement) pacifique aux violents, c’est qu’avant Salman Rushdie, deux grands écrivains au moins ont subi le couteau et y ont survécu: à savoir le Nobel de littérature égyptien Naguib Mahfouz, coupable d’avoir défendu… un certain Rushdie (!) dans un ouvrage où une centaine d’écrivains et d’intellectuels musulmans avaient pris son parti contre le terrorisme religieux, et poignardé en pleine rue du Caire à l’âge de 82 ans, en octobre 1994; et Samuel Beckett, le 7 janvier 1938, qui subit le même sort après avoir refusé de donner de l’argent à un voyou le menaçant dans une rue de Paris – ledit agresseur se prénommant Prudent. Or Beckett tint, au procès de celui-ci, à faire face à son agresseur et à lui demander la raison de son agression, Prudent lui répondant, le nez baissé, qu’il ne savait pas, et qu’il s’en excusait...</p> <p>Or cette confrontation, que Rushdie appelle «le moment Beckett», et qu’Eliza son épouse lui déconseille vivement, le romancier l’imagine de toutes pièces dans un chapitre majeur du <i>Couteau</i> où il dialogue avec «le A» dont l’essentiel de l’argumentation tient en un mot qui plairait à Michel Houellebecq: soumission. Soumission à Dieu, soumission à l’unique vérité proclamée et ressassée par l’imam Youtubi. Soumission et mort à l’insoumis!</p> <h3>L'amour plus fort (si, si) que la mort</h3> <p>Si son meurtrier raté lui lance qu’il est haï par deux milliards de personnes, Salman Rushdie lui répond qu’il a toujours cru, pour sa part, en la force de l’amour, et c’est la force principale du <i>Couteau,</i> sœurs et frères: c’est l’amour.</p> <p>L’amour d’une femme, d’abord, merveilleuse de présence angoissée. Laquelle Eliza est accueillie par la famille de Salman, en 2017, avec ce mot plein de tendresse: «enfin!». L’amour de ses fils chéris, de sa sœur et des enfants de celle-ci. L’amour de ses amis, à commencer par son agent, dit le Chacal, Andrew Wylie qui l’a défendu mieux que personne à l’époque de sa condamnation à mort. L’amour-amitié de ses amis écrivains, dans un biotope où règnent souvent jalousie et défiance. Et c’est Martin Amis en train de mourir du cancer, et qui lui adresse un message si fraternel. C’est Philip Roth et son propre crabe. C’est Ian Mc Ewan. Ce sont les innombrables messages qui font suite à l’attentat, où Biden et Macron, mais aussi Boris Johnson faisant amende honorable, y vont de leurs hommages à coté de tant d'anonymes émouvants. </p> <p>L’amour qui lui vient, dit-il, lui l’athée, de l’Evangile autant que de sa culture indo-musulmane. L’amour de la littérature. L’amour de son corps qui a décidé, avec lui voire malgré lui, de vivre. Sait-on assez quelle merveille est un corps?</p> <p>Tout cela qui fait ressentir, par contraste, la solitude de son agresseur soumis à la haine des imams vociférant sur Youtube. Mais Salman ne va pas jusqu’à absoudre le malheureux. La seule chose qu’on puisse souhaiter à celui-ci, c’est de lire <i>Le Couteau</i> dans sa triste prison et, comme Prudent à Beckett, d’implorer le pardon de son frère humain…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1726143163_lecouteau.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="293" /></p> <h4>«Le couteau», Salman Rushdie, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Editions Gallimard, collection «Du monde entier», 268 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1726143260_9782330139421.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="331" /></p> <h4>«Quichotte», Salman Rushdie, traduit de l'anglais par Gérard Meudal, Editions Actes Sud, 432 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'le-combat-de-salman-rushdie-un-quichotte-voltairien', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 41, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5119, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Jacques Perrin, en grand tastevin, conjugue saveurs et savoirs', 'subtitle' => 'Dans un livre à valeur implicite de récit de vie et de parcours initiatique, intitulé «L’Archipel du goût» et opposant le chant du monde et des bonnes choses de la vie au poids du monde que symbolise le seul nom du Goulag, l’expert dégustateur, en écrivain tout imprégné de perceptions sensorielles et les traduisant dans une langue cristalline et fruitée à souhait, invite au voyage les sempiternels assoiffé(e)s que nous sommes – et pas que de vin.', 'subtitle_edition' => 'Dans un livre à valeur implicite de récit de vie et de parcours initiatique, intitulé «L’Archipel du goût» et opposant le chant du monde et des bonnes choses de la vie au poids du monde que symbolise le seul nom du Goulag, l’expert dégustateur, en écrivain tout imprégné de perceptions sensorielles et les traduisant dans une langue cristalline et fruitée à souhait, invite au voyage les sempiternels assoiffé(e)s que nous sommes – et pas que de vin.', 'content' => '<p>«Comme le monde est beau, et quel être parfait que notre semblable humain», s’exclame le titanesque Alexandre Soljenitsyne dans une forêt moscovite où l’accompagne, en 1999, le cinéaste Alexandre Sokourov. Cela proclamé après le cancer, après le goulag, après l’abjecte humiliation de l’exil, après le retour en Russie avec sa lumineuse épouse et ses magnifiques garçons. 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A ce propos, Jacques Perrin ne s’embarrasse pas de guillemets pour qualifier les moments de «lévitation» ponctuant sa quête du sublime gustatif, non sans pointer les ombres éventuelles du tableau, de spéculations douteuses en malversations avérées.</p> <h3>Racines valaisannes, avant l'envol</h3> <p>Des rives lémaniques au Valais de Jacques Perrin, il n’y a que le Rhône à remonter, et son «Valais de bois», pour reprendre une expression de Maurice Chappaz, est immédiatement et solidement présent en écho à son enfance, ancrée dans «un pays rude et enflammé» aux «passions silencieuses», où il ressent «l’acre, pulvérulent parfum des cascades», un «pays de sourciers» dont le souffle qui l’anime lui fait ressentir l’ivresse avant le vin.</p> <p>A l’opposé de ceux qui ont le «vin petit» et n’aspirent qu’aux «tuées» du samedi soir, le jeune Jacques, à l’école (notamment) d’un oncle impérial et de son nonno piémontais, va découvrir la vérité vécue de la cuisine familiale et le respect de ce nectar qui «nomadise dans l’espace et le temps», dit <i>solera alpine </i>ou vin des glaciers, et ce n’est qu’un premier début. </p> <p>Dès lors, l’apprentissage n’en finira plus. D’abord à Genève, ville d’écrivains et de penseurs, à l’Université où il choisit la philosophie («aucun avenir, hormis celui de futur chômeur!»), et bientôt «sur le terrain» de Bourgogne, amorce à la vingtaine d’un voyage le conduisant du vin au verbe via les vignes et les caves, les gens et la «sainte» dégustation aux déclinaisons verbales parfois saturées à faire sourire mais qui a, aussi, sa poésie.</p> <p>Ainsi d’une incomparable Romanée Saint-Vivant 1928 décrite par l’octogénaire Jules Chauvet au nez forcément exceptionnel: «Ce cru… arôme strict de rose épicée, celle de Damas… puis violette, réglisse et truffe dans la continuité… le tout associé au cuir. La courbe en bouche, d’un dessin très pur, marque un relief vigoureux. Il est à son apogée et sa présence semble éternelle. Tout grand vin est comme une embarcation qui vous ferait voyager». Et plus loin au souvenir de Chauvet revenant à Perrin: «On ressent alors que tout grand vin est le sillage d’un infini»…</p> <p>De quoi vous fiche des complexes, ce midi, devant votre Humagne de la Coop à 13 francs 50…</p> <h3>De la chute à la résilience</h3> <p>Avant le chant du monde, Jacques Perrin a connu et vécu le poids du monde, fracassé en mille morceaux (plus précisément 26 fractures) après une chute dans les aiguilles de Chamonix dont il a décrit les séquelles dans ses <i>Dits du gisant</i> où il mêlait, déjà, réalités physiques et propos philosophiques, évocations gustatives variées (du vin déjà bien présent aux musiques de ses jeunes années rock). Surtout, son penchant à filtrer le réel dans les arcanes poétiques traduisait son aspiration à «changer la vie», selon la formule du chenapan à semelles de vent outrageusement adonné à toutes les saveurs et à tous les savoirs que figurait Arthur Rimbaud.</p> <p>Or c’est bel et bien la passion poético-philosophique du tastevin Perrin (que le premier ouvrier de France ès sommellerie et arts de la table, maître Antoine Pétrus, situe au top des dégustateurs actuels dans sa préface à l’ouvrage, célébrant sa sagesse et sa mesure «doublée de l’intelligence du verbe») qui fait de <i>L’Archipel du goût</i> le poème épique d’une traversée riche en découvertes et en rencontres surprenantes, dont le dernier chapitre est en lui-même un poème et, symboliquement, le sommet d’une résilience, en pleine face nord de l’Eiger où l’énergumène sort de son sac un Château Margaux 1900 qu’il partage avec son compagnon de cordée.</p> <p>Jacques Perrin, en matière de vin et de poésie, notamment, n’est pas un jobard snob frotté de lettres – un chapitre de son livre est consacré à la «puissance du faux» et à ses séquelles sordides – et chacune et chacun le vérifieront au fil de pages à savourer lentement comme un grand cru, avec cette «leçon» finale: «Le partage de ce vin dans l’Eigerwand constitue un moment unique de mon existence. 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Pas vraiment. Parfois érotomane dans ses écrits (le sexe d’Eve le fascine), il ne pousse pas la passion jusqu’au mysticisme délirant d’une Catherine de Sienne, pas plus qu’il ne donne dans l’athéisme froid. Moins athée militant qu’un Pierre Gripari, dont je lui rappelle la grinçante et non moins sagace <i>Histoire du méchant Dieu</i>, Lambert, fils de cathos qui lui fichaient la paix en la matière, Lambert le super-érudit poète (prof de philo en lycée pendant des décennies), Lambert dont Montaigne est le copilote, me fait plutôt penser à ce mécréant chrétien que figurait un Théodore Monod, grand marcheur du désert et aussi grand lecteur que le Dieu de Schlechter, qui récitait tous les matins les Béatitudes sans souscrire pour autant à la divinité du rabbi Iéshouah dit le Nazaréen.</p> <p>En son journal intime, Dieu convient qu’il n’a pas toujours été un très bon écrivain – le reproche fondé qu’on lui a fait sur la rédaction négligente de la Genèse –, mais on voit que l’écriture le branche, comme les Ecritures ont scotché professionnellement mille doctes commentateurs d’avant et après les conciles où l’on a peaufiné les concepts du Père et du Fils et de la sainte colombe, et plus récemment les chenapans de la contre-exégèse du genre Voltaire et Nietzsche, Gripari et Lambert lui-même, entre tant d’autres mécréants bel et bien issus, voire attachés, au christianisme historique ou familial.</p> <p>A retenir enfin, après le lamento initial de Dieu fulminant contre son sort éternel, sa conclusion portant sur l’incroyable prétention du genre humain, femelles et mâles cisgenres à l’avenant – mais les queer et les trans ne font guère mieux – à croire que Dieu s’occupe d’eux personnellement alors qu’Il a tant à faire «ailleurs». </p> <h3>Et pourtant l'Univers tourne</h3> <p>Le Dieu de Lambert l’agnostique, à cet égard, comme celui de Spinoza ou du physicien rebelle Freeman Dyson, à la fin de <i>La Vie dans l’univers,</i> en appelle à une révélation plus universelle que celle dont se réclament les tribus anciennes et les paroisses plus récentes: «Dans l’ensemble ça tourne, note-t-il ainsi dans son journal célestement intime, les orbites fonctionnent, il y a une réelle harmonie que même les anciens stoïciens ont reconnue et célébrée, c’est grandiose, et d’après ce que j’observe depuis un certain temps, ils sont en train d’explorer tout cela, depuis quelques décennies ils hubblisent mes constellations, voyant de plus en plus les choses comme je les vois, c’est vraiment grandiose, je dirais presque divinement grandiose, les images qu’ils captent dans un espace incommensurable et dans un abîme temporel indescriptible, sont estomaquantes, et pourtant beaucoup d’entre eux continuent à s’obstiner, paranoïaquement, et chacun pour soi dans sa propre folie de sa propre grandeur (mais qui est d’une petitesse si petite qu’elle n’est pas perceptible), bref, ils s’obstinent à croire (croire!) que j’ai le temps et le loisir d’être attentif à chacun d’eux, écouter & exaucer leurs prières, acquiescer à leurs fantasmes de résurrection et d’immortalité, alors que j’ai, excusez du peu, tout l’Univers sur les bras»…</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1723724884_fragmentsdujournalintimededieu2.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="300" /></h4> <h4>«Fragments du journal intime de Dieu», Lambert Schlechter, Editions L’Herbe qui tremble, 82 pages.</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1723724995_unknown4.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="302" /></h4> <h4>«Le Murmure du monde (40 ans d’écriture)», Lambert Schlechter, Editions Phi, 650 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1723725065_41z3ymaar3l._ac_uf10001000_ql80_.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="289" /></p> <h4>«L'Histoire du méchant Dieu», Pierre Gripari, Editions de L’Age d’Homme, 1988, 138 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1723725146_71hs8gn0w0l._ac_uf10001000_ql80_.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="289" /></p> <h4>«La Vie dans l’univers. 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L’on y découvre en effet – et le phénomène est entré dans les mœurs anglaises bien avant les modes actuelles –, le goût de la marche et des longs détours par sentiers et routes «historiques», non seulement sur terre mais de par les mers et même à travers les airs même si l’oiseau ne laisse guère de traces aussi visibles que sur la neige ou le sable… </p> <p>La Nature, dans la plus vaste acception du terme incluant l’espace et le temps, est retrouvée ici et parcourue comme un texte immense et merveilleux, mais aussi un palimpseste. En exergue du premier chapitre de <i>Par les chemins</i> (titre faisant référence au Rimbaud à «semelles de vent», soit dit en passant), un fragment de texte de Ralph Waldo Emerson, maître à penser de Thoreau le «philosophe dans les bois», mais aussi d’Annie Dillard, fixe immédiatement les contours et les occurrences d’une démarche amorcée par la marche: «Toutes les choses sont occupées à écrire leur histoire (…) Pas un pied ne foule la neige, ou ne parcourt le sol, qu’il n’imprime, en caractères plus ou moins durables, une carte de sa marche. (…) La terre n’est que memoranda et signatures; et chaque objet est tout couvert d’allusions qui parlent aux intelligents. 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Une histoire des routes et de ceux qui les ont empruntées», Robert Macfarlane, traduit de l’anglais par Patrick Hersant, Editions Les Arènes, 517 pages.</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1722511600_kometa3fabriquerloubli665f0a8de709f350497946.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="270" /></h4> <h4>«Fabriquer l’oubli», <em>Kometa</em> numéro 3, printemps 2024.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'tous-les-chemins-menent-a-l-homme-et-bien-plus-si-affinites', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 68, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 11589, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Easter_service_in_the_Cathedral_of_Christ_the_Saviour_in_Moscow,_Russia,_2016-05-01_(09).jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 251031, 'md5' => 'd1c2101852ae7a7d20d71efe8296b6d5', 'width' => (int) 1280, 'height' => (int) 790, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Vladimir Poutine et le patriarche Kyrill lors des célébrations de Pâques à la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou, en 2016. © kremlin.ru - source officielle', 'author' => '', 'copyright' => '', 'path' => '1727355552_easter_service_in_the_cathedral_of_christ_the_saviour_in_moscow_russia_20160501_09.jpg', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 7529, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Bon je vais le lire, sinon ce serait vous faire injure.', 'post_id' => (int) 5167, 'user_id' => (int) 12218, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 7541, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Commentateur attitré de LCI, Sergei comme tout bon journaliste sait profiter de l'évènement. 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Or celle-ci imprègne la fiction de Serguëi Jirnov, vrai nom d’un ancien espion du KGB, dont les protagonistes semblant sortis d’un polar ultranoir ou d’une série gore (sur Netflix on lirait comme autant de mises en garde: violence, sexe, drogue, corruption, pédocriminalité, pratiques sataniques, etc.) portent eux aussi de vrais noms, à savoir Vladimir Poutine, Serge Toutounoff alias l’archevêque Savva, Vladimir Goundiaïev alias Kyrill patriarche de toutes les Russies, entre autres personnages peut-être «inventés» mais correspondant à des «types» et à des trajectoires que pourraient recouper de multiples reportages.
En version soft, le politologue italo-suisse Giuliano da Empoli nous avait déjà introduit dans l’entourage du «tsar» Poutine, avec son Mage du Kremlin plébiscité par le public et couronné par l’Académie française. Avec Les pires amis, donnant pour le moins dans le hard, voire les bas-fonds du darknet, le succès à venir reste plus douteux, et l’on espère juste que Sergueï Jirnov échappe au sort d’un Salman Rushdie ou d’une Anna Politkovskaïa assassinée par les sbires de Poutine…
C’est d'ailleurs pour couper aux rigueurs de la justice que l’auteur des Pires amis, très documenté, a joué sur l’ambiguïté de la fiction, grossissant souvent le trait ou passant carrément à la conjecture romanesque, avec un dénouement sensationnel mais «improbable», comme on dit aujourd’hui. Et le grave est qu’on s’y laisse prendre. Mais le pire est à venir…
Sur les traces de Dumas
Le grave, c’est que, non sans culot, avec le sourire jovial d’un farceur qui a joué un bon tour, Sergueï Jirnov affirme, dans un entretien accessible sur Youtube, qu’il s’est amusé en composant Les pires amis. Et de préciser, les yeux au ciel, qu’Alexandre Dumas a été son copilote. Dumas, non mais des fois! L’auteur chéri de nos dix ans: Les Trois Mousquetaires et Le comte de Monte Cristo, vous visez le quasi blasphème. Eh bien non: Jirnov est sincère et conséquent. Même qu’à douze ans, il savait les mousquetaires par cœur, en russe. Avant d’apprendre le français en le relisant en V.O..
Et le pire annoncé, c’est qu’il y a bel et bien quelque chose de Dumas chez cet agent double et non moins clairement trouble: un espace romanesque concret et palpable, comme si on y était. Le vent glacial du nord qui y souffle illico. La Russie des steppes au ciel pourri d’énormes hélicos. Des silhouettes lugubres qui sortent de la nuit. Et ce type en rouge autour duquel se pressent des «opérateurs». Tout de suite la menace. Et le prénom du boss lâché dans la foulée: Vladimir, puis son nom et deux autres non moins connus que le sien, donc allons-y pour Poutine, président court de taille (1,62m) mais long d’ambition vindicative, Choïgou son ministre de la Défense imbu de mysticisme païen, et Patrouchev le secrétaire du Conseil de sécurité. Fameux trio de septuagénaires bientôt à torse poil devant un feu entretenu par des chamans, et l’on n’en est qu’à la page 30.
Ensuite de quoi le sang va couler. Il y aura de la louve noire et un premier cadavre au menu. Mais, comme chez Dumas, un héros plutôt sympa – quoique formé à la dure dans les rangs de Wagner – se sera pointé en pointillé, et du même côté «romance» du roman il y aura bientôt une femme, prénommée Anastassia mais Française comme les Dumas père et fils, au cœur grand comme ça; enfin pour faire bon poids contraire un vrai méchant, tout de noir vêtu et avec des mains d’intello forcément suspectes, Français de naissance lui aussi quoique Russe d’origine, pas moins torve que le Cardinal des Trois mousquetaires, et que chacune et chacun retrouvera là encore sur Youtube sous le nom de l’archevêque Savva.
Bref tout le bazar d’un roman dont nous raffolions entre dix et douze ans, sauf qu’on laissera ici toute espérance comme à l’entrée des Enfers de la Commedia de Dante, lequel ne s’est pas gêné non plus quand il s’agissait d’épingler nommément ses damnés royaux ou papaux…
Ne disons pas de mal de la Russie
En Russe naturellement perfide (on les connaît, allez!), Sergueï Jirnov a le front de préciser, par manière d’avertissement dédouanant ses Pires amis, que «toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fait d’une pure coïncidence», ce qui tombe bien au moment où, sur fond de guerre en Ukraine, d’aucuns rêvent d’en finir avec la Russie et ses Russes naturellement meilleurs ennemis de la civilisation.
Dans la guerre pourrie de clichés qu’a toujours attisés la propagande de tous les bords, la confusion est telle que les uns verront, dans le «roman» de Sergueï Jirnov, le fait d’un agent d’influence à la solde de l’Occident, ne visant qu’à salir les Russes et la sainte Russie, tandis que d’autres y trouveront au contraire une défense de la «vraie Russie» contre ceux qui la dénigrent du dehors ou la déshonorent du dedans.
Question alors: dans cette mêlée confuse, que trouvons-nous de vraisemblable ou de recevable sous le masque de la fiction? Question qui se posera à chaque avancée de la narration, à démêler en vérifiant, à tout coup, ce qui ne relève pas de la coïncidence fortuite… Entre cent autres interrogations que, lectrices et lecteurs plus ou moins candides, informé(e)s ou désinformé(e)s, nous nous poserons, voici donc: quoi de vrai dans l’épisode «mystique» sanglant du premier sacrifice chamanique? Quoi de vrai dans la supposée détestation des femmes et la liaison homosexuelle de Poutine avec le violoniste et homme d’affaires Serguei Roldouguine dont nous savions qu’il a planqué les millions de son ami dans nos chères banques? Quoi de vrai dans le réseau de pédocriminels béni par les hautes sphères de l’Eglise orthodoxe alors même que celle-ci taxe l'Occident d'immoralité? Quoi de vrai dans l’immense réseau d’espionnage contrôlé par la plus haute hiérarchie de la même cléricature, et les magouilles financières qui ont fait des pontes ecclésiastiques les semblables des oligarques milliardaires? Quoi de vrai dans le chantage exercé par le patriarche de Moscou sur le Président qu’il tiendrait «par les couilles»? Quoi de vrai dans la présumée dérive «islamiste» de Poutine cristallisant l’opposition des ultranationalistes et des plus hautes autorités ecclésiastiques?
Vertus et limites d'un roman-vérité
Qu’aurait dit mon ami Anton Pavlovitch Tchekhov, obstinément étranger à toute idéologie politique et religieuse, en lisant Les pires amis? Lui qui en savait tant de l'humaine engeance, en médecin soutien de famille dès son plus jeune âge, observateur lucide de la Russie d’en bas, infatigable homme de bonne volonté multipliant les aides concrètes de toute sorte, témoin de la misère et des injustices, plaidant pour les bagnards de Sakhaline alors que la tuberculose le rongeait – qu’aurait-il pensé du «roman» de Sergueï Jirnov?
J’y pensais en constatant, pour ma part, le peu d’émotion réelle que suscite l’ouvrage, faute d’incarnation et de développement en profondeur des psychologies, limitées à celles d’un feuilleton bien ficelé. Alors que le moindre des récits d’un Tchekhov nous prend au cœur ou aux tripes, appliquant avant la lettre la devise de Simenon, «comprendre, ne pas juger», Les pires amis, ne cessant certes d’attiser notre curiosité, reste conventionnel, voire superficiel, dans son approche des drames humains méritant notre compassion, qu’il s’agisse notamment du jeune Nikita ou de la malheureuse Anastassia.
Faire alors comme si, suivant l’avertissement de l’auteur, ce livre n’avait aucun lien avec la réalité et ne visait qu’à amuser? Le conclure serait l’insulter, et ce serait aussi faux que de l’encenser les yeux fermés.
«Les pires amis», Sergueï Jirnov, Editions Istya & co/Slatkine, 350 pages.
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Et le prénom du boss lâché dans la foulée: Vladimir, puis son nom et deux autres non moins connus que le sien, donc allons-y pour Poutine, président court de taille (1,62m) mais long d’ambition vindicative, Choïgou son ministre de la Défense imbu de mysticisme païen, et Patrouchev le secrétaire du Conseil de sécurité. Fameux trio de septuagénaires bientôt à torse poil devant un feu entretenu par des chamans, et l’on n’en est qu’à la page 30.</p> <p>Ensuite de quoi le sang va couler. Il y aura de la louve noire et un premier cadavre au menu. 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Et comme c’est vrai pour <i>Le couteau</i>!</p> <h3>Bienvenue au club des poignardés</h3> <p>Ce qu’on apprend en lisant ce «livre de la vie» tenant à la fois d’exorcisme et de réponse (fermement) pacifique aux violents, c’est qu’avant Salman Rushdie, deux grands écrivains au moins ont subi le couteau et y ont survécu: à savoir le Nobel de littérature égyptien Naguib Mahfouz, coupable d’avoir défendu… un certain Rushdie (!) dans un ouvrage où une centaine d’écrivains et d’intellectuels musulmans avaient pris son parti contre le terrorisme religieux, et poignardé en pleine rue du Caire à l’âge de 82 ans, en octobre 1994; et Samuel Beckett, le 7 janvier 1938, qui subit le même sort après avoir refusé de donner de l’argent à un voyou le menaçant dans une rue de Paris – ledit agresseur se prénommant Prudent. Or Beckett tint, au procès de celui-ci, à faire face à son agresseur et à lui demander la raison de son agression, Prudent lui répondant, le nez baissé, qu’il ne savait pas, et qu’il s’en excusait...</p> <p>Or cette confrontation, que Rushdie appelle «le moment Beckett», et qu’Eliza son épouse lui déconseille vivement, le romancier l’imagine de toutes pièces dans un chapitre majeur du <i>Couteau</i> où il dialogue avec «le A» dont l’essentiel de l’argumentation tient en un mot qui plairait à Michel Houellebecq: soumission. Soumission à Dieu, soumission à l’unique vérité proclamée et ressassée par l’imam Youtubi. Soumission et mort à l’insoumis!</p> <h3>L'amour plus fort (si, si) que la mort</h3> <p>Si son meurtrier raté lui lance qu’il est haï par deux milliards de personnes, Salman Rushdie lui répond qu’il a toujours cru, pour sa part, en la force de l’amour, et c’est la force principale du <i>Couteau,</i> sœurs et frères: c’est l’amour.</p> <p>L’amour d’une femme, d’abord, merveilleuse de présence angoissée. Laquelle Eliza est accueillie par la famille de Salman, en 2017, avec ce mot plein de tendresse: «enfin!». L’amour de ses fils chéris, de sa sœur et des enfants de celle-ci. L’amour de ses amis, à commencer par son agent, dit le Chacal, Andrew Wylie qui l’a défendu mieux que personne à l’époque de sa condamnation à mort. L’amour-amitié de ses amis écrivains, dans un biotope où règnent souvent jalousie et défiance. Et c’est Martin Amis en train de mourir du cancer, et qui lui adresse un message si fraternel. C’est Philip Roth et son propre crabe. C’est Ian Mc Ewan. Ce sont les innombrables messages qui font suite à l’attentat, où Biden et Macron, mais aussi Boris Johnson faisant amende honorable, y vont de leurs hommages à coté de tant d'anonymes émouvants. </p> <p>L’amour qui lui vient, dit-il, lui l’athée, de l’Evangile autant que de sa culture indo-musulmane. L’amour de la littérature. L’amour de son corps qui a décidé, avec lui voire malgré lui, de vivre. Sait-on assez quelle merveille est un corps?</p> <p>Tout cela qui fait ressentir, par contraste, la solitude de son agresseur soumis à la haine des imams vociférant sur Youtube. Mais Salman ne va pas jusqu’à absoudre le malheureux. La seule chose qu’on puisse souhaiter à celui-ci, c’est de lire <i>Le Couteau</i> dans sa triste prison et, comme Prudent à Beckett, d’implorer le pardon de son frère humain…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1726143163_lecouteau.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="293" /></p> <h4>«Le couteau», Salman Rushdie, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Editions Gallimard, collection «Du monde entier», 268 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1726143260_9782330139421.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="331" /></p> <h4>«Quichotte», Salman Rushdie, traduit de l'anglais par Gérard Meudal, Editions Actes Sud, 432 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'le-combat-de-salman-rushdie-un-quichotte-voltairien', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 41, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5119, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Jacques Perrin, en grand tastevin, conjugue saveurs et savoirs', 'subtitle' => 'Dans un livre à valeur implicite de récit de vie et de parcours initiatique, intitulé «L’Archipel du goût» et opposant le chant du monde et des bonnes choses de la vie au poids du monde que symbolise le seul nom du Goulag, l’expert dégustateur, en écrivain tout imprégné de perceptions sensorielles et les traduisant dans une langue cristalline et fruitée à souhait, invite au voyage les sempiternels assoiffé(e)s que nous sommes – et pas que de vin.', 'subtitle_edition' => 'Dans un livre à valeur implicite de récit de vie et de parcours initiatique, intitulé «L’Archipel du goût» et opposant le chant du monde et des bonnes choses de la vie au poids du monde que symbolise le seul nom du Goulag, l’expert dégustateur, en écrivain tout imprégné de perceptions sensorielles et les traduisant dans une langue cristalline et fruitée à souhait, invite au voyage les sempiternels assoiffé(e)s que nous sommes – et pas que de vin.', 'content' => '<p>«Comme le monde est beau, et quel être parfait que notre semblable humain», s’exclame le titanesque Alexandre Soljenitsyne dans une forêt moscovite où l’accompagne, en 1999, le cinéaste Alexandre Sokourov. Cela proclamé après le cancer, après le goulag, après l’abjecte humiliation de l’exil, après le retour en Russie avec sa lumineuse épouse et ses magnifiques garçons. Et comment, malgré la disproportion de la comparaison, ne pas penser à cette parole de reconnaissance «malgré tout» au moment d’entamer la lecture de <i>L’Archipel du goût</i> de Jacques Perrin, avec sa célébration du vin et de ceux qui le font, opposant à sa façon le chant du monde au poids du monde au moment même où une guerre fratricide se déchaîne aux confins de la terre natale du Dante russe – c’est le maître slaviste Georges Nivat qui a osé le rapprochement?</p> <p>Or, tant qu’à invoquer deux grandes figures de la littérature du XXème siècle, c’est le Ramuz des vignes que j’aimerais aussi associer à la lecture de <i>L’Archipel du goût</i>, et plus précisément à un passage de <i>Raison d’être</i>, datant de 1914, où notre poète évoque le rivage béni, au pied du vignoble de Lavaux travaillé dès le Moyen Age par les moines.</p> <p>J’y pense en me rappelant ce soir d’il y a quelques années où je descendais le chemin de la Dame qui serpente le long d’une falaise surplombant le vignoble de Lavaux cher à Ramuz; le contre-jour du couchant donnait aux vignes un vert accru presque dramatique, et d’autant plus que tout le coteau avait été saccagé par la grêle et que la récolte en serait altérée cette année-là; les montagnes de Savoie viraient au mauve puis à l’indigo tandis que le Léman, parsemé de fines voiles, semblait figé dans sa laque bleutée, et je repensais à cette phrase de Ramuz, qui trouvait là sa résonance immédiate puisque je distinguais, au Levant, le clocher de Rivaz et, de l’autre côté, la pointe de Cully déjà plongée dans l’ombre.</p> <p>Et voici la phrase fameuse: «Mais qu’il existe une fois, grâce à nous, un livre, un chapitre, une simple phrase, qui n’aient pu être écrits qu’ici, parce que copiés dans une inflexion sur telle courbe de colline ou scandés dans leur rythme par le retour du lac sur les galets d’un beau rivage, quelque part entre Cully et Saint Saphorin – que ce peu de chose voie le jour, et nous nous sentirons absous.» </p> <p>Ceci pour rappeler immédiatement le lien profond que Jacques Perrin établit entre sa quête du goût, amorcée dès sa jeunesse – comme Nicolas Bouvier partant à vingt ans sur la route de l’Orient, lui-même s’en alla en Bourgogne et en Côte d’or grappiller ses premières impressions de navigateur raffiné, consignant illico ce qu’il observait dans ses cahiers de Moleskine.</p> <p>Or c’est sur ceux-ci que l’on trouvera aujourd’hui, dans l’éparpillement apparent des notes de <i>L’Archipel du goût,</i> la preuve que le «rivage» inspirateur de Ramuz n’a rien d’exclusif propre à flatter les chauvins vaudois, mais se module de multiples façons dans les paysages de Bourgogne, les Langhe du Piémont, les hauteurs de l’Aude cathare ou des régions du Mont Athos, jusque sur l’Ararat mythique – au gré de l’exploration spatio-temporelle d’un Ulysse nourri de philosophie incarnée (Aristote déjà pensait que toute connaissance passe par le corps, et Pline l’Ancien aurait fondé la notion de «cru») naviguant d’«îles» plantées de vignes en caves où il retrouve les artisans et autres fins dégustateurs dont il partage la passion et les «extases». A ce propos, Jacques Perrin ne s’embarrasse pas de guillemets pour qualifier les moments de «lévitation» ponctuant sa quête du sublime gustatif, non sans pointer les ombres éventuelles du tableau, de spéculations douteuses en malversations avérées.</p> <h3>Racines valaisannes, avant l'envol</h3> <p>Des rives lémaniques au Valais de Jacques Perrin, il n’y a que le Rhône à remonter, et son «Valais de bois», pour reprendre une expression de Maurice Chappaz, est immédiatement et solidement présent en écho à son enfance, ancrée dans «un pays rude et enflammé» aux «passions silencieuses», où il ressent «l’acre, pulvérulent parfum des cascades», un «pays de sourciers» dont le souffle qui l’anime lui fait ressentir l’ivresse avant le vin.</p> <p>A l’opposé de ceux qui ont le «vin petit» et n’aspirent qu’aux «tuées» du samedi soir, le jeune Jacques, à l’école (notamment) d’un oncle impérial et de son nonno piémontais, va découvrir la vérité vécue de la cuisine familiale et le respect de ce nectar qui «nomadise dans l’espace et le temps», dit <i>solera alpine </i>ou vin des glaciers, et ce n’est qu’un premier début. </p> <p>Dès lors, l’apprentissage n’en finira plus. D’abord à Genève, ville d’écrivains et de penseurs, à l’Université où il choisit la philosophie («aucun avenir, hormis celui de futur chômeur!»), et bientôt «sur le terrain» de Bourgogne, amorce à la vingtaine d’un voyage le conduisant du vin au verbe via les vignes et les caves, les gens et la «sainte» dégustation aux déclinaisons verbales parfois saturées à faire sourire mais qui a, aussi, sa poésie.</p> <p>Ainsi d’une incomparable Romanée Saint-Vivant 1928 décrite par l’octogénaire Jules Chauvet au nez forcément exceptionnel: «Ce cru… arôme strict de rose épicée, celle de Damas… puis violette, réglisse et truffe dans la continuité… le tout associé au cuir. La courbe en bouche, d’un dessin très pur, marque un relief vigoureux. Il est à son apogée et sa présence semble éternelle. Tout grand vin est comme une embarcation qui vous ferait voyager». Et plus loin au souvenir de Chauvet revenant à Perrin: «On ressent alors que tout grand vin est le sillage d’un infini»…</p> <p>De quoi vous fiche des complexes, ce midi, devant votre Humagne de la Coop à 13 francs 50…</p> <h3>De la chute à la résilience</h3> <p>Avant le chant du monde, Jacques Perrin a connu et vécu le poids du monde, fracassé en mille morceaux (plus précisément 26 fractures) après une chute dans les aiguilles de Chamonix dont il a décrit les séquelles dans ses <i>Dits du gisant</i> où il mêlait, déjà, réalités physiques et propos philosophiques, évocations gustatives variées (du vin déjà bien présent aux musiques de ses jeunes années rock). Surtout, son penchant à filtrer le réel dans les arcanes poétiques traduisait son aspiration à «changer la vie», selon la formule du chenapan à semelles de vent outrageusement adonné à toutes les saveurs et à tous les savoirs que figurait Arthur Rimbaud.</p> <p>Or c’est bel et bien la passion poético-philosophique du tastevin Perrin (que le premier ouvrier de France ès sommellerie et arts de la table, maître Antoine Pétrus, situe au top des dégustateurs actuels dans sa préface à l’ouvrage, célébrant sa sagesse et sa mesure «doublée de l’intelligence du verbe») qui fait de <i>L’Archipel du goût</i> le poème épique d’une traversée riche en découvertes et en rencontres surprenantes, dont le dernier chapitre est en lui-même un poème et, symboliquement, le sommet d’une résilience, en pleine face nord de l’Eiger où l’énergumène sort de son sac un Château Margaux 1900 qu’il partage avec son compagnon de cordée.</p> <p>Jacques Perrin, en matière de vin et de poésie, notamment, n’est pas un jobard snob frotté de lettres – un chapitre de son livre est consacré à la «puissance du faux» et à ses séquelles sordides – et chacune et chacun le vérifieront au fil de pages à savourer lentement comme un grand cru, avec cette «leçon» finale: «Le partage de ce vin dans l’Eigerwand constitue un moment unique de mon existence. 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Il a pourtant un cœur, découvre-t-on à propos de la vieille Oksana et au fil des pages de son journal intime constitué de fragments sans suite chronologique (le temps n’existe pas pour Lui), où il s’indigne par exemple de ce qu’en Son Nom un pape ait commémoré la découverte de l’Amérique sous l’égide de l’Eglise catholique et apostolique et se soit félicité «de cette mainmise cinglante & sanglante», citant les mots de Jean Paul II «qui monta sur un podium surélevé entouré d’une croix et de gigantesques haut-parleurs pour déclarer à propos de moi: "L’évangélisation a permis à Dieu de faire alliance avec l’Amérique latine: il connaissait ces peuples de toute éternité mais grâce aux missionnaires, Il les a incorporés à son projet de rédemption…" De quoi je me mêle? Je ne savais rien de rien de ces peuples, je n’avais jamais regardé vers là, occupé ailleurs, et je n’ai jamais eu de projet à leur propos, ni de rédemption, et encore moins de liquidation»… </p> <p>Dieu serait-il tiers-mondiste? Pas vraiment: il est «occupé ailleurs», et si l’on parle de «théodicée» à propos de ses attributs de bonté et de toute-puissance face au mal, comme s’y emploie Augustin «sincèrement bouleversé par la dramatique question de la souffrance des enfants», Lui-même baisse le nez en évoquant le massacre de son peuple par les Aryens nordiques en convenant: «Je n’ai pas bougé le petit doigt; je n’ai pas trouvé ça drôle, ni même divertissant, mais ça ne m’a pas fait sortir de ma léthargie. Je ne sais pas pourquoi»… Et dans la foulée cette conclusion peu triomphante: «La théodicée, après Auschwitz, a eu ici ou là des velléités de redémarrage, mais sans résultats vraiment probants. Même les Jésuites n’ont pas été foutus de raisonner de manière minimalement persuasive. 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Avec le terrifiant incendie qui a ravagé sa bibliothèque une nuit de 2015, en lequel il pourrait incriminer «le feu de Dieu», et d’autres avanies sans doute ponctuant sa déjà longue vie (il est né, enfant de la guerre, en décembre 1941), Lambert aurait des raisons de maudire le présumé Créateur, voire de s’aigrir, mais non: le côté soleilleux de la vie le remplit de reconnaissance, avec deux solides filles qui le suivent-surveillent à portée de portables au cours de ses incessantes virées, et un grand lascar à dégaine de Latino colombien que lui et sa femme ont adopté, tout petit, cinq ans avant la mort de celle-ci – cadeaux!</p> <p>Débarquant l’autre jour en Lavaux du sommet du Righi, où il venait de séjourner dans une pension perchée à cinquante francs la nuit (on note), après une escale dans les non moins divines (décidément!) collines de Toscane, l’ami Lambert m’a révélé sous le gingko, à l’amorce de quatre jours de conversations, qu’après les grandes bottes de Dieu il allait enfiler les savates de Jésus et voir où ça le conduirait…</p> <p>Lambert Schlechter est-il, pour autant, un obsédé de la religion, comme un certain Augustin (c’est Dieu sous sa plume qui le rappelle) était un obsédé du sexe mâle érigé en flamberge de culpabilité? Pas vraiment. Parfois érotomane dans ses écrits (le sexe d’Eve le fascine), il ne pousse pas la passion jusqu’au mysticisme délirant d’une Catherine de Sienne, pas plus qu’il ne donne dans l’athéisme froid. Moins athée militant qu’un Pierre Gripari, dont je lui rappelle la grinçante et non moins sagace <i>Histoire du méchant Dieu</i>, Lambert, fils de cathos qui lui fichaient la paix en la matière, Lambert le super-érudit poète (prof de philo en lycée pendant des décennies), Lambert dont Montaigne est le copilote, me fait plutôt penser à ce mécréant chrétien que figurait un Théodore Monod, grand marcheur du désert et aussi grand lecteur que le Dieu de Schlechter, qui récitait tous les matins les Béatitudes sans souscrire pour autant à la divinité du rabbi Iéshouah dit le Nazaréen.</p> <p>En son journal intime, Dieu convient qu’il n’a pas toujours été un très bon écrivain – le reproche fondé qu’on lui a fait sur la rédaction négligente de la Genèse –, mais on voit que l’écriture le branche, comme les Ecritures ont scotché professionnellement mille doctes commentateurs d’avant et après les conciles où l’on a peaufiné les concepts du Père et du Fils et de la sainte colombe, et plus récemment les chenapans de la contre-exégèse du genre Voltaire et Nietzsche, Gripari et Lambert lui-même, entre tant d’autres mécréants bel et bien issus, voire attachés, au christianisme historique ou familial.</p> <p>A retenir enfin, après le lamento initial de Dieu fulminant contre son sort éternel, sa conclusion portant sur l’incroyable prétention du genre humain, femelles et mâles cisgenres à l’avenant – mais les queer et les trans ne font guère mieux – à croire que Dieu s’occupe d’eux personnellement alors qu’Il a tant à faire «ailleurs». </p> <h3>Et pourtant l'Univers tourne</h3> <p>Le Dieu de Lambert l’agnostique, à cet égard, comme celui de Spinoza ou du physicien rebelle Freeman Dyson, à la fin de <i>La Vie dans l’univers,</i> en appelle à une révélation plus universelle que celle dont se réclament les tribus anciennes et les paroisses plus récentes: «Dans l’ensemble ça tourne, note-t-il ainsi dans son journal célestement intime, les orbites fonctionnent, il y a une réelle harmonie que même les anciens stoïciens ont reconnue et célébrée, c’est grandiose, et d’après ce que j’observe depuis un certain temps, ils sont en train d’explorer tout cela, depuis quelques décennies ils hubblisent mes constellations, voyant de plus en plus les choses comme je les vois, c’est vraiment grandiose, je dirais presque divinement grandiose, les images qu’ils captent dans un espace incommensurable et dans un abîme temporel indescriptible, sont estomaquantes, et pourtant beaucoup d’entre eux continuent à s’obstiner, paranoïaquement, et chacun pour soi dans sa propre folie de sa propre grandeur (mais qui est d’une petitesse si petite qu’elle n’est pas perceptible), bref, ils s’obstinent à croire (croire!) que j’ai le temps et le loisir d’être attentif à chacun d’eux, écouter & exaucer leurs prières, acquiescer à leurs fantasmes de résurrection et d’immortalité, alors que j’ai, excusez du peu, tout l’Univers sur les bras»…</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1723724884_fragmentsdujournalintimededieu2.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="300" /></h4> <h4>«Fragments du journal intime de Dieu», Lambert Schlechter, Editions L’Herbe qui tremble, 82 pages.</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1723724995_unknown4.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="302" /></h4> <h4>«Le Murmure du monde (40 ans d’écriture)», Lambert Schlechter, Editions Phi, 650 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1723725065_41z3ymaar3l._ac_uf10001000_ql80_.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="289" /></p> <h4>«L'Histoire du méchant Dieu», Pierre Gripari, Editions de L’Age d’Homme, 1988, 138 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1723725146_71hs8gn0w0l._ac_uf10001000_ql80_.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="289" /></p> <h4>«La Vie dans l’univers. 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L’on y découvre en effet – et le phénomène est entré dans les mœurs anglaises bien avant les modes actuelles –, le goût de la marche et des longs détours par sentiers et routes «historiques», non seulement sur terre mais de par les mers et même à travers les airs même si l’oiseau ne laisse guère de traces aussi visibles que sur la neige ou le sable… </p> <p>La Nature, dans la plus vaste acception du terme incluant l’espace et le temps, est retrouvée ici et parcourue comme un texte immense et merveilleux, mais aussi un palimpseste. En exergue du premier chapitre de <i>Par les chemins</i> (titre faisant référence au Rimbaud à «semelles de vent», soit dit en passant), un fragment de texte de Ralph Waldo Emerson, maître à penser de Thoreau le «philosophe dans les bois», mais aussi d’Annie Dillard, fixe immédiatement les contours et les occurrences d’une démarche amorcée par la marche: «Toutes les choses sont occupées à écrire leur histoire (…) Pas un pied ne foule la neige, ou ne parcourt le sol, qu’il n’imprime, en caractères plus ou moins durables, une carte de sa marche. (…) La terre n’est que memoranda et signatures; et chaque objet est tout couvert d’allusions qui parlent aux intelligents. 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Une histoire des routes et de ceux qui les ont empruntées», Robert Macfarlane, traduit de l’anglais par Patrick Hersant, Editions Les Arènes, 517 pages.</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1722511600_kometa3fabriquerloubli665f0a8de709f350497946.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="270" /></h4> <h4>«Fabriquer l’oubli», <em>Kometa</em> numéro 3, printemps 2024.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'tous-les-chemins-menent-a-l-homme-et-bien-plus-si-affinites', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 68, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 11589, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Easter_service_in_the_Cathedral_of_Christ_the_Saviour_in_Moscow,_Russia,_2016-05-01_(09).jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 251031, 'md5' => 'd1c2101852ae7a7d20d71efe8296b6d5', 'width' => (int) 1280, 'height' => (int) 790, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Vladimir Poutine et le patriarche Kyrill lors des célébrations de Pâques à la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou, en 2016. © kremlin.ru - source officielle', 'author' => '', 'copyright' => '', 'path' => '1727355552_easter_service_in_the_cathedral_of_christ_the_saviour_in_moscow_russia_20160501_09.jpg', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 7529, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Bon je vais le lire, sinon ce serait vous faire injure.', 'post_id' => (int) 5167, 'user_id' => (int) 12218, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 7541, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Commentateur attitré de LCI, Sergei comme tout bon journaliste sait profiter de l'évènement. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Apitoyou 27.09.2024 | 07h44
«Bon je vais le lire, sinon ce serait vous faire injure.»
@Latombe 30.09.2024 | 17h43
«Commentateur attitré de LCI, Sergei comme tout bon journaliste sait profiter de l'évènement. De là à susciter l'émotion ils y a un pas, que dis-je des milliers de pas, avant de devenir un écrivain de la taille de Tchékhov. Pour l'instant il lui manque l'authenticité que confère le fait de côtoyer les individus qu'il fait jouer dans son roman. Au fond il surjoue ce que les journalistes occidentaux attribuent au régime de Poutine, sans en révéler l'essence.
On reste donc dans la fable, sana danger pour le pouvoir en place, ce qui assure à Journov de rester en vie..., ce qui n'est déjà pas si mal!»