Culture / Vevey Images, images de Vevey
© J.-C.P.
Au café «Le Bout-du-Monde», il ne reste plus qu'un croque-monsieur à la carte. Va pour le croque jambon-fromage-oignon, et une bière blonde. Une dame visiblement solitaire cherche à entamer la conversation. «Vous êtes architecte? Médecin?» Rien de tout cela, madame: retraité. «Oui, mais avant?» J'hésite à décliner mon état d'ex-journaliste, car ça ne rate jamais: le regard de l'interlocuteur s'anime, il pressent de l'inattendu, de l'extraordinaire, comme si quelque fabuleux secret allait jaillir de cette révélation. Cette étincelle dans les yeux m'accable d'avance.
Aucun secret d'Etat madame, je vous assure. Et elle-même? «Photographe». Je lui demande si elle a déjà vu les expositions de Vevey Images. «Une, en passant», dit-elle d'un geste vague, ne se souvenant pas laquelle. Cette photographe-là, «indépendante», précise-t-elle, n'a plus le feu sacré. Elle me dit son âge: 80 ans. «Le monde va éclater», pronostique-t-elle tandis que je m'apprête à quitter le café, tout en me demandant si elle peut manger le cornichon laissé dans la coupelle du croque-monsieur. Peut-être a-t-elle faim, devrais-je lui offrir un repas, ou est-ce simple gourmandise? Sa prédiction à la Nostradamus m'a pris de court, je lui réponds (à propos de la fin du monde) que je n'en sais rien.
Photographie de Daido Moriyama sur la façade de l'hôtel des Trois-Couronnes
Prophète, en aucun cas, mais mordu de photographie, oui. Mordu façon vieille école, qui fait hausser les épaules des spécialistes, mordu comme d'autres reconstituent des batailles célèbres avec des soldats de plomb ou perfectionnent des maquettes de trains électriques. Toujours en train de refaire plus ou moins le même genre de photos depuis qu'adolescent, j'ai tripoté mon premier Kodak Retina Reflex. Certes, en variant quelque peu les approches, en améliorant ma technique au fil des ans mais, en un mot comme en cent: papi-photographe.
Ce qui est une des raisons pour lesquelles j'aime venir à Vevey Images. On y est bousculé dans ses habitudes, le foisonnement d'idées me fait sentir bien peu de chose – et même un peu couillon avec mon propre appareil photographique en bandoulière qui pèse soudain toue le poids d'un accessoire démodé. Mais néanmoins agréablement stimulé – que ce soit via l'agacement suscité par certaines démarches trop conceptuelles, ou l'enthousiasme généré par des expositions originales.
L'avion gonflable d'Aleksandra Mir dans la salle del Castillo
D'une manière générale, je n'ai pas besoin de nombreux stimuli pour sortir mon appareil et cadrer une scène, un paysage, un effet de lumière. La Fontaine le notait il y a longtemps: «j'étais là, telle chose m'advint». Et pour autant que je n'aie pas trop mal travaillé, «vous y croirez vous-même».
Vevey Images déclenche néanmoins une excitation supplémentaire, paradoxale. D'un côté, ce qu'on y voit de meilleur nous renvoie à notre condition d'amateur plan-plan qui se demande «à quoi bon?»; de l'autre, la manifestation engage à écarquiller les yeux, un peu plus que d'habitude, et à garder une trace de cet état, là tout de suite, sur les quais qu'arrosent les premières averses automnales. Et vive le ciel menaçant car oui, il y a urgence à goûter l'instant, quelle que soit l'apocalypse qui nous attend!
En plus, Vevey Images est gratuit, habilement mis en scène dans les musées, en plein air ou d'improbables endroits comme une ancienne serrurerie ou un sous-sol aménagé comme un abri anti-atomique (des années 50, il serait non-réglementaire aujourd'hui…).
Sur ce, parlons de l'édition 2024 (jusqu'au 29 septembre). De ce qui précède, le lecteur aura déjà deviné que ma nature me porte plutôt vers les séries dont l'aspect humain est documenté de manière qui parle à mon cœur. Pour ne pas charger le bateau, je recommande quatre expositions, par ordre de préférence décroissant:
1. Debsuddha (No 10 sur le plan officiel) au musée Jenish, prix du Livre Images Vevey 2023-24. Ce photographe de 35 ans basé à Kolkota (Calcutta) a deux tantes, Gayatri and Swati Goswami, qui depuis leur enfance ont subi l'ostracisme réservé aux personnes albinos. Aujourd'hui âgées, elles se sont réfugiées dans la musique et un maison vieille de presque deux siècles dont elles ne sortent guère que la nuit. Leur neveu, complice de leur solitude, restitue leur univers dans des tonalités crépusculaires, à travers des portraits magnifiques.
2. Alessandra Sanguinetti (No 43, dépendance du Château de l'Aile, Grand-Place). Photographe reconnue (elle est chez Magnum), elle suit depuis 1999 la vie de deux cousines, Guillermina Aranciaga et Belinda Stutz, dans une ferme en Argentine, partageant leurs jeux, drôles ou morbides, leurs moments de joie et de tristesse, leurs mises en scène. Images magnifiques là aussi, parfaitement cadrées, pleines de pudeur et troublantes en même temps.
3. Gauri Gill (No 16, quai Perdonnet). Dans le Maharashtra, la photographe a rencontré les artistes d’un village connu pour sa fabrication de masques créés pour des festivals indigènes rejouant des récits mythologiques. En 2015, elle a commandé la confection de nouvelles pièces montrant des êtres humains, animaux ou objets usuels. Gill photographie les villageois improvisant des scénarios ancrés dans la réalité contemporaine de l’Inde.
Le profil sévère de Vincent Perdonnet et une enseigne "Guillaume Tell" au Musée historique de Vevey
4. Sasha Kurmaz (No 26, musée Jenisch), grand prix Images Vevey 2023-24. Aux antipodes des reportages élaborés décrits ci-dessus, l'artiste ukrainien tient, dans l'urgence et la précarité, une chronique de la guerre que subit son pays depuis plus de deux ans. Collage de photos d'amateurs, de dessins, bouts de papier, textes rédigés pendant les alertes, «ce projet extrêmement personnel documente l’expérience vécue par l’artiste depuis février 2022 et contribue à l’enrichissement des archives collectives sur le conflit en cours», a estimé – avec raison – le jury. Quelques phrases griffonnées, que j'ai relevées au passage: «Qui n'a pas vécu la peur au ventre ne peut savoir ce que cela représente»; «le pacifisme est la mauvaise réponse à la guerre en Ukraine»; «en Occident, le mot nationalisme est mal vu; c'est le contraire à l'Est, car il signifie la résistance à la Russie»; «dans la société ukrainienne, le mot "héros" devient de plus en plus courant. Pourtant, il faut garder à l'esprit la vérité pénible que très souvent, l'héroïsme est la conséquence des erreurs d'autres personnes».
A voir également, au Musée historique de Vevey, le film fascinant de Kaya et Blank (No 24) suivant le lent et lourd ballet des derricks pompant le pétrole jusqu'au cœur de la ville de Los Angeles (peut-être la dame du Bout-du-Monde a-t-elle raison après tout, the end is near!). Un autre film, grinçant, mérite le détour: celui de l'ex-mannequin Marianna Rothen recréant (avec de vrais mannequins en celluloïd et une malheureuse débutante en chair et en os) l'envers de l'univers de la mode et de la publicité.
J'ai été moins convaincu par les projets grand format largement médiatisés. Accrocher sur la façade du centre administratif Nestlé la reproduction (2'000 mètres carrés!) d'un vapeur du Léman naviguant sur un lac et sous un ciel qui se confondent dans un gris laiteux est peut-être un exploit technique, cela ne lui confère pas plus de sens, d'autant plus que la lumière, très souvent défavorable, n'arrange pas les affaires. Il en va de même pour l'image géante du glacier d'Aletsch réalisée par le célèbre Andreas Gurski (l'homme-qui-a-vendu-la-photo-la-plus-chère-du-monde), symbolisant le réchauffement climatique sur la façade BCV face à la gare. Je me souviens de l'ancien caissier-projectionniste du Bellevaux à Lausanne, écologiste avant que cela devienne à la mode, qui affichait à l'entrée du cinéma, dans les années 1980, des images «avant-après» montrant la fonte des glaciers. Près d'un demi-siècle plus tard, c'est un cliché.
Les livres et le smartphone: des écolières passent sous la photographie géante de la George Peabody Library à Baltimore réalisée par Candida Höfer
Que dire de l'avion gonflable géant (rigolo, certes) d'Aleksandra Mir (No 35) sous les stucs del Castillo? Ou d'Olivier Frank Chanarin (église Sainte-Claire No 7) qui, d'un bon travail de portraits analogiques sur la Grande-Bretagne post-Brexit, n'a gardé que des épreuves-test, encadrées et confiées à une machine sophistiquée qui les accroche et décroche selon un algorithme aléatoire? La belle prise de tête que voilà pour en arriver à oublier les images! Peut-être était-ce le but, mais alors pourquoi les avoir faites d'abord
Inévitablement, plusieurs expositions jouent avec l'intelligence artificielle, que ce soit pour créer de fausses photos-souvenir de famille ou trafiquer des portraits. Ces démarches «interpellantes» m'ont toujours paru relever de l'escroquerie intellectuelle. Au-delà d'un haussement de sourcils entendu, d'un soupçon d'interrogation vite effacé, en quoi font-elles avancer le réflexion sur l'image et son utilisation? Baudelaire, Benjamin, Bataille, Baudrillard, Günter Anders et bien d'autres ont écrit des textes – oui, des textes – agitant plus efficacement nos neurones sur ces sujets, et cela il y a des décennies, voire bientôt deux siècles.
Vincent Jendly détient le record de la plus grande photographie sur la façade du centre administratif Nestlé
Pour la bonne bouche, j'ai conservé ce petit morceau d'anthologie à propos de Sarah Carp (No 5): «Durant le confinement de 2020, elle photographie quotidiennement ses deux filles. Après le succès de cette série, elle décide d’en publier un livre. Mais leur père s’y oppose, invoquant la protection du droit à l’image des enfants. Carp revisite alors ses clichés en masquant les visages. Face à un nouveau refus de son ex-mari, elle fait rejouer les scènes quotidiennes à deux enfants modèles, du même âge que ses filles. La photographe intègre numériquement une trame d’impression sur les visages, troublant l’identité des sujets. A travers un jeu de distance et de regard, les points colorés apparaissent petit à petit, glissant l’individu·e dans l’anonymat. Exposée à proximité d’une place de jeux, Sans Visage soulève le débat autour de la représentation de l’enfance à l’heure des réseaux sociaux.»
Dans le genre «pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué» en emmerdant son ex…
Je vous avais prévenu: je suis un esprit simple.
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Sa prédiction à la Nostradamus m'a pris de court, je lui réponds (à propos de la fin du monde) que je n'en sais rien.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_172133bfb70c48d19d8209452c6cb7a3~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_458,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey2.jpg" alt="Vevey2.jpg" width="500" height="382" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Photographie de Daido Moriyama sur la façade de l'hôtel des Trois-Couronnes</em></h4> <p>Prophète, en aucun cas, mais mordu de photographie, oui. Mordu façon vieille école, qui fait hausser les épaules des spécialistes, mordu comme d'autres reconstituent des batailles célèbres avec des soldats de plomb ou perfectionnent des maquettes de trains électriques. Toujours en train de refaire plus ou moins le même genre de photos depuis qu'adolescent, j'ai tripoté mon premier Kodak Retina Reflex. Certes, en variant quelque peu les approches, en améliorant ma technique au fil des ans mais, en un mot comme en cent: papi-photographe.</p> <p>Ce qui est une des raisons pour lesquelles j'aime venir à Vevey Images. On y est bousculé dans ses habitudes, le foisonnement d'idées me fait sentir bien peu de chose – et même un peu couillon avec mon propre appareil photographique en bandoulière qui pèse soudain toue le poids d'un accessoire démodé. Mais néanmoins agréablement stimulé – que ce soit via l'agacement suscité par certaines démarches trop conceptuelles, ou l'enthousiasme généré par des expositions originales.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_81cfa70d985c43c7ac98c452d5a63bb5~mv2.jpg/v1/fill/w_769,h_500,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey11.jpg" alt="Vevey11.jpg" width="500" height="325" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>L'avion gonflable d'Aleksandra Mir dans la salle del Castillo</em></h4> <p>D'une manière générale, je n'ai pas besoin de nombreux stimuli pour sortir mon appareil et cadrer une scène, un paysage, un effet de lumière. La Fontaine le notait il y a longtemps: «j'étais là, telle chose m'advint». Et pour autant que je n'aie pas trop mal travaillé, «vous y croirez vous-même».</p> <p>Vevey Images déclenche néanmoins une excitation supplémentaire, paradoxale. D'un côté, ce qu'on y voit de meilleur nous renvoie à notre condition d'amateur plan-plan qui se demande «à quoi bon?»; de l'autre, la manifestation engage à écarquiller les yeux, un peu plus que d'habitude, et à garder une trace de cet état, là tout de suite, sur les quais qu'arrosent les premières averses automnales. Et vive le ciel menaçant car oui, il y a urgence à goûter l'instant, quelle que soit l'apocalypse qui nous attend!</p> <p>En plus, Vevey Images est gratuit, habilement mis en scène dans les musées, en plein air ou d'improbables endroits comme une ancienne serrurerie ou un sous-sol aménagé comme un abri anti-atomique (des années 50, il serait non-réglementaire aujourd'hui…).</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_cc63a606c28c40eb8d330edaf87afa71~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_480,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey6.jpg" alt="Vevey6.jpg" width="500" height="400" /></wow-image></p> <p>Sur ce, parlons de l'édition 2024 (jusqu'au 29 septembre). De ce qui précède, le lecteur aura déjà deviné que ma nature me porte plutôt vers les séries dont l'aspect humain est documenté de manière qui parle à mon cœur. Pour ne pas charger le bateau, je recommande quatre expositions, par ordre de préférence décroissant:</p> <p><strong>1.</strong> <a href="https://debsuddha.com/portfolio.html" target="_blank" rel="noopener">Debsuddha</a> (No 10 sur le plan officiel) au musée Jenish, prix du Livre Images Vevey 2023-24. Ce photographe de 35 ans basé à Kolkota (Calcutta) a deux tantes, Gayatri and Swati Goswami, qui depuis leur enfance ont subi l'ostracisme réservé aux personnes albinos. Aujourd'hui âgées, elles se sont réfugiées dans la musique et un maison vieille de presque deux siècles dont elles ne sortent guère que la nuit. Leur neveu, complice de leur solitude, restitue leur univers dans des tonalités crépusculaires, à travers des portraits magnifiques.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_d40103b570604af897c9e852447bb273~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_359,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey9.jpg" alt="Vevey9.jpg" width="500" height="299" /></wow-image></p> <p><strong>2.</strong> <a href="https://www.images.ch/artistes/alessandra-sanguinetti/" target="_blank" rel="noopener">Alessandra Sanguinetti </a>(No 43, dépendance du Château de l'Aile, Grand-Place). Photographe reconnue (elle est chez Magnum), elle suit depuis 1999 la vie de deux cousines, Guillermina Aranciaga et Belinda Stutz, dans une ferme en Argentine, partageant leurs jeux, drôles ou morbides, leurs moments de joie et de tristesse, leurs mises en scène. Images magnifiques là aussi, parfaitement cadrées, pleines de pudeur et troublantes en même temps.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_13d9a9f0af0a476f9591afe81c8ad351~mv2.jpg/v1/fill/w_415,h_561,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey8.jpg" alt="Vevey8.jpg" width="400" height="541" /></wow-image></p> <p><strong>3.</strong> <a href="https://www.images.ch/artistes/gauri-gill/" target="_blank" rel="noopener">Gauri Gill</a> (No 16, quai Perdonnet). Dans le Maharashtra, la photographe a rencontré les artistes d’un village connu pour sa fabrication de masques créés pour des festivals indigènes rejouant des récits mythologiques. En 2015, elle a commandé la confection de nouvelles pièces montrant des êtres humains, animaux ou objets usuels. Gill photographie les villageois improvisant des scénarios ancrés dans la réalité contemporaine de l’Inde.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_533c30d3d6ec4ee9b16bb5a152f6757c~mv2.jpg/v1/fill/w_443,h_568,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Perdonnet.jpg" alt="Perdonnet.jpg" width="400" height="513" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_fa6433d18f874a08ae3b829857952525~mv2.jpg/v1/fill/w_421,h_568,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey3.jpg" alt="Vevey3.jpg" width="400" height="540" /></wow-image></p> <h4><em>Le profil sévère de Vincent Perdonnet et une enseigne "Guillaume Tell" au Musée historique de Veve</em>y</h4> <p><strong>4.</strong> <a href="https://sashakurmaz.com/" target="_blank" rel="noopener">Sasha Kurmaz</a> (No 26, musée Jenisch), grand prix Images Vevey 2023-24. Aux antipodes des reportages élaborés décrits ci-dessus, l'artiste ukrainien tient, dans l'urgence et la précarité, une chronique de la guerre que subit son pays depuis plus de deux ans. Collage de photos d'amateurs, de dessins, bouts de papier, textes rédigés pendant les alertes, «ce projet extrêmement personnel documente l’expérience vécue par l’artiste depuis février 2022 et contribue à l’enrichissement des archives collectives sur le conflit en cours», a estimé – avec raison – le jury. Quelques phrases griffonnées, que j'ai relevées au passage: «Qui n'a pas vécu la peur au ventre ne peut savoir ce que cela représente»; «le pacifisme est la mauvaise réponse à la guerre en Ukraine»; «en Occident, le mot nationalisme est mal vu; c'est le contraire à l'Est, car il signifie la résistance à la Russie»; «dans la société ukrainienne, le mot "héros" devient de plus en plus courant. Pourtant, il faut garder à l'esprit la vérité pénible que très souvent, l'héroïsme est la conséquence des erreurs d'autres personnes».</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_68b5352c71c9415a86ffd7a9af3d7aa0~mv2.jpg/v1/fill/w_894,h_528,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey12.jpg" alt="Vevey12.jpg" width="799" height="472" /></wow-image></p> <p>A voir également, au Musée historique de Vevey, le film fascinant de Kaya et Blank (No 24) suivant le lent et lourd ballet des derricks pompant le pétrole jusqu'au cœur de la ville de Los Angeles (peut-être la dame du Bout-du-Monde a-t-elle raison après tout, <em>the end is near</em>!). Un autre film, grinçant, mérite le détour: celui de l'ex-mannequin Marianna Rothen recréant (avec de vrais mannequins en celluloïd et une malheureuse débutante en chair et en os) l'envers de l'univers de la mode et de la publicité.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_c93724048b214a4f82a62f4e59c8c299~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_398,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey7.jpg" alt="Vevey7.jpg" width="499" height="331" /></wow-image></p> <p>J'ai été moins convaincu par les projets grand format largement médiatisés. Accrocher sur la façade du centre administratif Nestlé la reproduction (2'000 mètres carrés!) d'un vapeur du Léman naviguant sur un lac et sous un ciel qui se confondent dans un gris laiteux est peut-être un exploit technique, cela ne lui confère pas plus de sens, d'autant plus que la lumière, très souvent défavorable, n'arrange pas les affaires. Il en va de même pour l'image géante du glacier d'Aletsch réalisée par le célèbre Andreas Gurski (l'homme-qui-a-vendu-la-photo-la-plus-chère-du-monde), symbolisant le réchauffement climatique sur la façade BCV face à la gare. Je me souviens de l'ancien caissier-projectionniste du Bellevaux à Lausanne, écologiste avant que cela devienne à la mode, qui affichait à l'entrée du cinéma, dans les années 1980, des images «avant-après» montrant la fonte des glaciers. Près d'un demi-siècle plus tard, c'est un cliché.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_c3f1cf7448eb4c98860c1421750e34b8~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_979,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey1.jpg" alt="Vevey1.jpg" width="500" height="816" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Les livres et le smartphone: des écolières passent sous la photographie géante de la George Peabody Library à Baltimore réalisée par Candida Höfer</em></h4> <p>Que dire de l'avion gonflable géant (rigolo, certes) d'Aleksandra Mir (No 35) sous les stucs del Castillo? Ou d'Olivier Frank Chanarin (église Sainte-Claire No 7) qui, d'un bon travail de portraits analogiques sur la Grande-Bretagne post-Brexit, n'a gardé que des épreuves-test, encadrées et confiées à une machine sophistiquée qui les accroche et décroche selon un algorithme aléatoire? La belle prise de tête que voilà pour en arriver à oublier les images! Peut-être était-ce le but, mais alors pourquoi les avoir faites d'abord</p> <p>Inévitablement, plusieurs expositions jouent avec l'intelligence artificielle, que ce soit pour créer de fausses photos-souvenir de famille ou trafiquer des portraits. Ces démarches «interpellantes» m'ont toujours paru relever de l'escroquerie intellectuelle. Au-delà d'un haussement de sourcils entendu, d'un soupçon d'interrogation vite effacé, en quoi font-elles avancer le réflexion sur l'image et son utilisation? Baudelaire, Benjamin, Bataille, Baudrillard, Günter Anders et bien d'autres ont écrit des textes – oui, des textes – agitant plus efficacement nos neurones sur ces sujets, et cela il y a des décennies, voire bientôt deux siècles.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_74f65819a9b74007abc3088221fa8d39~mv2.jpg/v1/fill/w_884,h_469,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey14.jpg" alt="Vevey14.jpg" width="601" height="319" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Vincent Jendly détient le record de la plus grande photographie sur la façade du centre administratif Nestlé</em></h4> <p>Pour la bonne bouche, j'ai conservé ce petit morceau d'anthologie à propos de Sarah Carp (No 5): «Durant le confinement de 2020, elle photographie quotidiennement ses deux filles. Après le succès de cette série, elle décide d’en publier un livre. Mais leur père s’y oppose, invoquant la protection du droit à l’image des enfants. Carp revisite alors ses clichés en masquant les visages. Face à un nouveau refus de son ex-mari, elle fait rejouer les scènes quotidiennes à deux enfants modèles, du même âge que ses filles. La photographe intègre numériquement une trame d’impression sur les visages, troublant l’identité des sujets. A travers un jeu de distance et de regard, les points colorés apparaissent petit à petit, glissant l’individu·e dans l’anonymat. 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Certes, en variant quelque peu les approches, en améliorant ma technique au fil des ans mais, en un mot comme en cent: papi-photographe.</p> <p>Ce qui est une des raisons pour lesquelles j'aime venir à Vevey Images. On y est bousculé dans ses habitudes, le foisonnement d'idées me fait sentir bien peu de chose – et même un peu couillon avec mon propre appareil photographique en bandoulière qui pèse soudain toue le poids d'un accessoire démodé. Mais néanmoins agréablement stimulé – que ce soit via l'agacement suscité par certaines démarches trop conceptuelles, ou l'enthousiasme généré par des expositions originales.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_81cfa70d985c43c7ac98c452d5a63bb5~mv2.jpg/v1/fill/w_769,h_500,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey11.jpg" alt="Vevey11.jpg" width="500" height="325" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>L'avion gonflable d'Aleksandra Mir dans la salle del Castillo</em></h4> <p>D'une manière générale, je n'ai pas besoin de nombreux stimuli pour sortir mon appareil et cadrer une scène, un paysage, un effet de lumière. La Fontaine le notait il y a longtemps: «j'étais là, telle chose m'advint». Et pour autant que je n'aie pas trop mal travaillé, «vous y croirez vous-même».</p> <p>Vevey Images déclenche néanmoins une excitation supplémentaire, paradoxale. D'un côté, ce qu'on y voit de meilleur nous renvoie à notre condition d'amateur plan-plan qui se demande «à quoi bon?»; de l'autre, la manifestation engage à écarquiller les yeux, un peu plus que d'habitude, et à garder une trace de cet état, là tout de suite, sur les quais qu'arrosent les premières averses automnales. Et vive le ciel menaçant car oui, il y a urgence à goûter l'instant, quelle que soit l'apocalypse qui nous attend!</p> <p>En plus, Vevey Images est gratuit, habilement mis en scène dans les musées, en plein air ou d'improbables endroits comme une ancienne serrurerie ou un sous-sol aménagé comme un abri anti-atomique (des années 50, il serait non-réglementaire aujourd'hui…).</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_cc63a606c28c40eb8d330edaf87afa71~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_480,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey6.jpg" alt="Vevey6.jpg" width="500" height="400" /></wow-image></p> <p>Sur ce, parlons de l'édition 2024 (jusqu'au 29 septembre). De ce qui précède, le lecteur aura déjà deviné que ma nature me porte plutôt vers les séries dont l'aspect humain est documenté de manière qui parle à mon cœur. Pour ne pas charger le bateau, je recommande quatre expositions, par ordre de préférence décroissant:</p> <p><strong>1.</strong> <a href="https://debsuddha.com/portfolio.html" target="_blank" rel="noopener">Debsuddha</a> (No 10 sur le plan officiel) au musée Jenish, prix du Livre Images Vevey 2023-24. Ce photographe de 35 ans basé à Kolkota (Calcutta) a deux tantes, Gayatri and Swati Goswami, qui depuis leur enfance ont subi l'ostracisme réservé aux personnes albinos. Aujourd'hui âgées, elles se sont réfugiées dans la musique et un maison vieille de presque deux siècles dont elles ne sortent guère que la nuit. 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Aux antipodes des reportages élaborés décrits ci-dessus, l'artiste ukrainien tient, dans l'urgence et la précarité, une chronique de la guerre que subit son pays depuis plus de deux ans. Collage de photos d'amateurs, de dessins, bouts de papier, textes rédigés pendant les alertes, «ce projet extrêmement personnel documente l’expérience vécue par l’artiste depuis février 2022 et contribue à l’enrichissement des archives collectives sur le conflit en cours», a estimé – avec raison – le jury. Quelques phrases griffonnées, que j'ai relevées au passage: «Qui n'a pas vécu la peur au ventre ne peut savoir ce que cela représente»; «le pacifisme est la mauvaise réponse à la guerre en Ukraine»; «en Occident, le mot nationalisme est mal vu; c'est le contraire à l'Est, car il signifie la résistance à la Russie»; «dans la société ukrainienne, le mot "héros" devient de plus en plus courant. 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Il en va de même pour l'image géante du glacier d'Aletsch réalisée par le célèbre Andreas Gurski (l'homme-qui-a-vendu-la-photo-la-plus-chère-du-monde), symbolisant le réchauffement climatique sur la façade BCV face à la gare. Je me souviens de l'ancien caissier-projectionniste du Bellevaux à Lausanne, écologiste avant que cela devienne à la mode, qui affichait à l'entrée du cinéma, dans les années 1980, des images «avant-après» montrant la fonte des glaciers. Près d'un demi-siècle plus tard, c'est un cliché.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_c3f1cf7448eb4c98860c1421750e34b8~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_979,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey1.jpg" alt="Vevey1.jpg" width="500" height="816" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Les livres et le smartphone: des écolières passent sous la photographie géante de la George Peabody Library à Baltimore réalisée par Candida Höfer</em></h4> <p>Que dire de l'avion gonflable géant (rigolo, certes) d'Aleksandra Mir (No 35) sous les stucs del Castillo? Ou d'Olivier Frank Chanarin (église Sainte-Claire No 7) qui, d'un bon travail de portraits analogiques sur la Grande-Bretagne post-Brexit, n'a gardé que des épreuves-test, encadrées et confiées à une machine sophistiquée qui les accroche et décroche selon un algorithme aléatoire? La belle prise de tête que voilà pour en arriver à oublier les images! Peut-être était-ce le but, mais alors pourquoi les avoir faites d'abord</p> <p>Inévitablement, plusieurs expositions jouent avec l'intelligence artificielle, que ce soit pour créer de fausses photos-souvenir de famille ou trafiquer des portraits. Ces démarches «interpellantes» m'ont toujours paru relever de l'escroquerie intellectuelle. Au-delà d'un haussement de sourcils entendu, d'un soupçon d'interrogation vite effacé, en quoi font-elles avancer le réflexion sur l'image et son utilisation? Baudelaire, Benjamin, Bataille, Baudrillard, Günter Anders et bien d'autres ont écrit des textes – oui, des textes – agitant plus efficacement nos neurones sur ces sujets, et cela il y a des décennies, voire bientôt deux siècles.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_74f65819a9b74007abc3088221fa8d39~mv2.jpg/v1/fill/w_884,h_469,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey14.jpg" alt="Vevey14.jpg" width="601" height="319" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Vincent Jendly détient le record de la plus grande photographie sur la façade du centre administratif Nestlé</em></h4> <p>Pour la bonne bouche, j'ai conservé ce petit morceau d'anthologie à propos de Sarah Carp (No 5): «Durant le confinement de 2020, elle photographie quotidiennement ses deux filles. Après le succès de cette série, elle décide d’en publier un livre. Mais leur père s’y oppose, invoquant la protection du droit à l’image des enfants. Carp revisite alors ses clichés en masquant les visages. Face à un nouveau refus de son ex-mari, elle fait rejouer les scènes quotidiennes à deux enfants modèles, du même âge que ses filles. La photographe intègre numériquement une trame d’impression sur les visages, troublant l’identité des sujets. A travers un jeu de distance et de regard, les points colorés apparaissent petit à petit, glissant l’individu·e dans l’anonymat. Exposée à proximité d’une place de jeux, Sans Visage soulève le débat autour de la représentation de l’enfance à l’heure des réseaux sociaux.»</p> <p>Dans le genre «pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué» en emmerdant son ex…</p> <p>Je vous avais prévenu: je suis un esprit simple.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_54e1e1d61f314543bb550838070f4353~mv2.jpg/v1/fill/w_511,h_278,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey17.jpg" alt="Vevey17.jpg" width="500" height="272" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_9978bc3469184258b2f0cd16e4e4afba~mv2.jpg/v1/fill/w_490,h_304,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey18.jpg" alt="Vevey18.jpg" width="500" height="310" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_97fb5dbc4f514fa9afe78e12b855db29~mv2.jpg/v1/fill/w_480,h_304,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey16.jpg" alt="Vevey16.jpg" width="499" height="316" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_d68775deb457489ea818deea17bc02c5~mv2.jpg/v1/fill/w_884,h_539,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey13.jpg" alt="Vevey13.jpg" width="602" height="367" /></wow-image></p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'vevey-images-images-de-vevey', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 97, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => 'https://www.pecletphoto.com/vevey-images-2024?fbclid=IwY2xjawFWS0NleHRuA2FlbQIxMAABHbzNG7SL5b1Yu9pCsPsVpS5rCpTJ1JtLgqg3GO-Ig4nLMnpa0PSF477W1w_aem_HP11_LcudmKmcFYFelvZ1g', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 1497, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4043, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Fin du monde, un mode d'emploi valaisan', 'subtitle' => '«Quand notre sire Dieu eut ainsi fait et ordonné le ciel, la terre et toutes les autres choses qui y sont, Dieu créa les anges pour le servir et il leur donna une vie éternelle. 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Discrètement conservé jusqu'ici aux archives valaisannes, il fait l'objet d'une exposition et d'un excellent livre de Stève Bobillier, qui en révèlent la foisonnante richesse.</p> <p>L'extrait cité plus haut remonte le ressort du drame: l'orgueil, péché originel. Le ressort va se détendre dans une succession de batailles, d'actes cruels ou héroïques, de catastrophes et de miracles. Cette véritable BD rédigée en vieux français, illustrée de trente-six dessins, mêle l'histoire biblique et l'Histoire tout court, nous entraîne exemples à l'appui dans l'éternelle lutte du Bien contre le Mal.</p> <p>Eternelle? Pas tant que ça, en fait. Si la question «d'où venons-nous, où allons-nous?» est aussi ancienne que l'humanité, la division du temps écoulé et futur en différents «âges» varie selon les civilisations. En Orient, ils sont généralement cycliques. Les chrétiens leur ont donné un caractère plus linéaire: il y a un «début» et une «fin» des temps. Dans son <i>Traité du catéchisme</i>, Augustin d'Hippone (354-430) établit une équivalence entre les six âges de l'homme (naissance/enfance/adolescence/jeunesse/maturité/vieillesse) à ceux du monde (de la Création au Déluge/jusqu'à Abraham/jusqu'à David/jusqu'à la captivité à Babylone/jusqu'à la Nativité/jusqu'à la fin du monde).</p> <p>Mais attendez… Si la naissance du Christ nous a fait entrer dans le sixième et dernier âge, chacun durant entre mille et deux mille ans, le Jugement dernier se rapproche à grands pas! L'ultime combat entre les forces du Bien et celles du Mal, entre Dieu et Lucifer... L'Apocalypse.</p> <p>Certes, l'Apocalypse chrétienne n'a rien à voir avec les terreurs pyrotechniques des séries B hollywoodiennes. Le Prophète revient, c'est plutôt une bonne nouvelle. Meilleure, évidemment, pour ceux qui ont suivi les bons exemples du Manuscrit que pour les autres, dans la perspective du Jugement dernier. Alors comment s'y préparer? En faisant le bien, sans doute, mais cela ne suffit peut-être pas. Au Moyen Age s'y ajoute l'idée qu'il faut anticiper collectivement l'ultime affrontement entre Dieu et et le Diable.</p> <p>C'est ainsi que commencent à circuler des rouleaux tels que celui conservé en Valais. Son auteur anonyme – plusieurs personnes ont probablement contribué à son élaboration – s'est largement inspiré du <em>Compendium historiae in genealogia Christi</em> de Pierre de Poitiers, enseignant aux écoles attachées à la cathédrale de Notre-Dame de Paris à la fin du XIIème siècle. Le manuscrit de Sion, exécuté à la fin du XIVème siècle ou au tout début du XVème, n'est donc pas unique, mais c'est un des plus anciens, qui plus est remarquable par ses dimensions, la qualité de son exécution et son état de préservation.</p> <p>«Comment un document aussi précieux a-t-il abouti dans ce coin reculé qu'était le Valais?», demande une visiteuse de l'exposition à Stève Bobillier, que la question amuse. Au XVème siècle, Sion n'avait rien d'un trou perdu! Son prince-évêque Walter Supersaxo (1402-1482) puis son fils Georges étaient des personnages très puissants et respectés. Le second est aussi connu pour le conflit impitoyable qui l'opposa au cardinal Mathieu Schiner (1465-1522), ce dernier, diplomate et chef de guerre, entraînant les Suisses à Marignan avant de manquer d'un cheveu l'élection à la papauté. Ces trois figures ont marqué non seulement l'histoire valaisanne mais celle de l'Europe et viennent de la même commune du Haut-Valais: Ernen.</p> <p>Rien d'étonnant donc, à ce que le Manuscrit des Six Ages se retrouve dans la riche bibliothèque des Supersaxo, même si on ignore quand et en quelles circonstances il a été acquis. Sur l'utilité qu'il pouvait avoir pour le prince-évêque, Stève Bobillier émet quelques hypothèses. Avant de les développer, examinons le document de plus près. Ecrit en picard, donc en langue «vulgaire», il n'apprend rien aux exégètes lettrés des écritures saintes. D'Adam et Eve au Christ, le rouleau se présente comme un grand arbre généalogique jalonné d'exemples illustrés et édifiants – en bien ou en mal. On dirait aujourd'hui: il est plutôt destiné au grand public.</p> <p>Ce «grand public» est composé notamment des notables, subordonnés, propriétaires rivaux et petits seigneurs auprès desquels Walter puis Georges Supersaxo veulent affirmer leur autorité. Souvenons-nous maintenant des interrogations qui agitent l'époque autour d'un prochain Jugement dernier et des préparatifs que cela implique. Lucifer s'y est déjà mis, il veut «régner et attirer à lui une grande partie des anges», lit-on dans le Manuscrit. Ou prendre possession des faibles humains.</p> <p>Le canton du Valais se signale alors par une première dont il se serait passé: c'est sur son territoire qu'ont eu lieu les premières chasses aux sorcières, dès les années 1428-1430 (Chantal Ammann-Doubliez leur a consacré un livre, <i>Procès de sorcellerie dans la vallée de Conches</i>). Détenteur à la fois du pouvoir spirituel comme évêque et temporel (il possède des terres importantes, bat monnaie), Walter Supersaxo y joue un rôle important. Comme croyant, il anticipe ce Jugement dernier face auquel il ne saurait rester bras croisés. Comme possédant, il est intéressé à l'issue des procès qui se multiplient: un tiers des biens de «sorcières» et «sorciers» condamnés reviennent à l'église qu'il dirige… C'est aussi un moyen d'écarter tel nobliau qui lui fait de l'ombre. En outre, les Supersaxo font office de notaires. Bref, ils interviennent à tous les étages! On les voit ainsi disputer aux autorités civiles locales la haute main judiciaire sur ces procès.</p> <p>Nul ne peut dire aujourd'hui quelle part ont joué ces motifs contradictoires dans l'âme et conscience des Supersaxo. Ce qui est sûr, c'est que le Manuscrit, par sa symbolique et son déroulement chronologique, fournit un socle religieux et moral à leurs actions. Cela est si vrai que les éléments principaux des Six Ages se retrouvent dans le plafond de bois – chef d'œuvre européen d'ébénisterie – sculpté par Jacobinus Malacrida de Côme pour la somptueuse demeure sédunoise de Georges Supersaxo. La maison existe toujours et se visite.</p> <p>Supersaxo, un cynique exploitant les exégèses religieuses pour accroître ses richesses et son pouvoir? Les choses sont un peu plus compliquées que cela, prévient Stève Bobillier. Si le prince-évêque a condamné, il a souvent gracié. Probablement était-il imprégné, comme ses contemporains, de la pensée que des temps décisifs se profilaient.</p> <p>Pourquoi le Manuscrit est-il resté des siècles à l'abri des regards? Première explication, la bibliothèque Supersaxo, longtemps privée, n'a été inventoriée que dans les années 1970 par l'ancien archiviste cantonal et bibliothécaire André Donnet. Celui-ci nous apprend qu'elle «a été acquise en 1930 par l'Etat du Valais, pour le prix de 32'000 francs, grâce aux bons offices du Dr Rudolf Riggenback, de Bâle; elle a été transférée aux Archives au mois de décembre de la même année. Le magnifique rouleau de parchemin, <em>Les six âges du monde</em>, qui faisait partie de la bibliothèque, a été, quant à lui, acquis alors pour le prix de 8'000 francs par la Fondation Gottfried Keller (qui y a apporté une restauration légère, <em>ndlr</em>.), et déposé par elle aux Archives.»</p> <p>Huit mille francs (d'époque, bien sûr)... On n'ose imaginer le prix qu'atteindrait aujourd'hui cette pièce rarissime.</p> <p>La pratique des anciens archivistes explique aussi la discrétion qui a entouré le Manuscrit, explique Stève Bobillier. Leur priorité était la conservation des documents: moins on les montrait, mieux cela valait! Les techniques de reproduction modernes leur étaient inconnues, et la pratique voulait que l'on manipule le moins possible le précieux rouleau. Aujourd'hui, l'approche est un peu différente: on préfère dérouler délicatement le manuscrit de temps à autre pour permettre à la peau sur laquelle il est rédigé de respirer. Bien sûr, il n'est pas accessible au public, l'exposition des archives cantonales du Valais a créé pour l'occasion un fac-similé. L'original sera exposé à la fondation Bodmer à Genève du 3 mars au 9 juillet 2023.</p> <p>En refermant l'ouvrage très documenté de Stève Bobillier, une réflexion plus large se dessine. A partir du «siècle des Lumières», nos sociétés occidentales ont pris leurs distances avec la pratique religieuse comme avec le Moyen Age. Un Jules Michelet contribua à le discréditer en noircissant ses «superstitions» – parmi ces dernières, la fameuse «terreur de l'an mil», fable d'autant plus absurde que les habitants en majorité analphabètes vivant autour de l'époque avaient une autre notion du temps, d'autres calendriers et sans doute pas conscience de franchir un cap décisif.</p> <p>Si la conviction d'un prochain Jugement dernier s'est répandue, c'est plutôt au moment où circulaient des rouleaux tels que le Manuscrit, juste avant la diffusion de l'imprimerie. Celui de la bibliothèque Supersaxo étant un des plus anciens connus, il constitue donc un témoignage irremplaçable de l'histoire de la pensée en Europe.</p> <p>Mais sommes-nous vraiment sortis du schéma psychologique qui s'y déroule? A voir s'accumuler les sombres pronostics des «collapsologues» et autres théoriciens de «l'effondrement», les essais sur le «choc des civilisations» (Samuel Huntington), «la fin de l'Histoire» (Francis Fukuyama) ou la disparition annoncée de l'homo sapiens tel que nous le connaissons (Yuval Harari), on se dit que les craintes et questions revêtent aujourd'hui des formes moins religieuses que celles de nos ancêtres; mais, sur certains aspects, elles n'ont guère changé: le Jour J se profile à l'horizon, à la fois menace et promesse…</p> <p>Le Manuscrit des Six Ages se terminant avec la vie du Christ, certains auteurs ont été tentés d'en écrire la suite. Maurice Chappaz – qui était en contact avec l'archiviste André Donnet – avait-il conscience de le faire quand il publia en 1968 <em>Le match Valais-Judée</em> aux Cahiers de la Renaissance vaudoise? Cette fable hallucinée et truculente raconte la célébration fort agitée du second millénaire valaisan. Revenu sur terre pour l'occasion – incognito, bien sûr – le Bon Dieu est atterré par ce qu'il découvre en marge d'un banquet pantagruélique: égoïsme, mesquinerie et irrespect total de Sa création! Ça braille, rouscaille, ripaille, bataille, pinaille et emmouscaille à tous les étages. Fâché et dépité, le Bon Dieu songe à tout liquider. Allez ouste, fin du monde! On le supplie: «donnez-nous encore une chance!» Dieu se laisse fléchir, mais à une condition: lâchez Satan dans la nature, vous avez huit jours pour le rattraper, sinon…</p> <p>Je ne vous révélerai pas la fin, lisez le livre.</p> <hr /> <h4> Exposition «Toute l'histoire du monde dans un manuscrit», au Centre culturel Les Arsenaux, rue de Lausanne 45, Sion, entrée libre du lundi au samedi inclus. Une copie 1:1 du manuscrit est présentée. L'original devrait être exposé à la fondation Bodmer du 3 mars au 9 juillet 2023 dans le cadre de l’exposition «Trésors enluminés de Suisse».</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1674070649_9782940718207475x5001.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="202" height="287" /></p> <h4>«Le Manuscrit des Six Ages du Monde, généalogie d'une lutte contre le Diable de la Création à l'Apocalypse», Stève Bobillier, Presses Inverses, 270 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'fin-du-monde-un-mode-d-emploi-valaisan', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 372, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 1497, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 3857, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Lausanne, personne ne descend', 'subtitle' => 'Encore un petit effort, messieurs-dames, et vous allez battre le record de Berlin. 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A qui demander des explications, des comptes pour les inévitables surcoûts qu'il engendrera? Les CFF et l'Office fédéral des transports se renvoient la balle depuis plus d'un an. Il y a, dit-on, un souci de statique et de sécurité dans le projet présenté (les responsables ont eu plus de dix ans pour le peaufiner). Veut-on en savoir plus? Les CFF dévient vers les bureaux d'ingénieurs mandatés… qui renvoient aux CFF. Motus et bouche cousue, on paie assez de communicants pour ne rien dire! Le bon peuple se satisfera d'une lapalissade vaseuse: le chantier lausannois est «très complexe».</p> <p>Sans blague? Parce que celui de la gare de Zurich – plusieurs étages en souterrain à proximité immédiate de deux cours d'eau – ne l'était pas, peut-être? Il a été mené à bien il y a belle lurette, en même temps que le projet Rail 2000, qui a accéléré la vitesse commerciale des trains entre Zurich et Berne à 170 km/h. Celle du trajet Berne-Lausanne reste limitée à 90 km/h. Les CFF promettaient de l'améliorer grâce aux nouveaux trains pendulaires plus rapides dans les courbes. Mais non: après moult pannes et retards, là aussi, les CFF ont piteusement admis que ces trains ne pourront pas circuler plus vite. Quant à l'axe Lausanne-Genève, paralysé au printemps dernier par une simple excavation sous les voies, les voyageurs entassés savent-ils que le trajet prend un peu plus de temps en 2022 qu'il y a un siècle?</p> <p>Incompétence à tous les étages, sous-investissement. Notez qu'il serait faux d'en déduire que les CFF dédaignent la Suisse romande: ils s’y intéressent beaucoup… quand il s'agit d'immobilier. Entre Morges et Lausanne, les grues s'agitent en tous sens sur les chantiers de terrains appartenant à la régie fédérale. Là encore, les citoyens-contribuables savent-ils que ces vastes zones longtemps gardées en réserve pour d'éventuelles voies de garage (les CFF étant très gourmands et peu partageux en la matière) leur ont été offertes par la Confédération, notamment pour contribuer au renflouage de leur caisse de pension? Les retraités du privé n'ont pas eu cette chance.</p> <p>Lente à réaliser le potentiel de ses hectares inoccupés, la régie s'y est mise hardiment ces vingt-cinq dernières années. Cela coïncidait avec le nouveau mantra des urbanistes: densifions le bâti le long des axes de transports publics, près des gares. Jackpot pour les CFF, en particulier dans l'ouest lausannois. Leur coup de maître fut d'échanger un méchant cul-de-sac en triangle coincé entre l'avenue Ruchonnet et les voies ferrées de la gare lausannoise avec une belle bande constructible à Malley où surgiront deux tours, un profitable ensemble bureaux-commerces-logements.</p> <p>Malley, où d'anciens conseillers d’Etat racontent comment ils durent batailler pour arracher aux CFF une halte minimaliste qu'il a d'ailleurs fallu compléter récemment. Quant à Lausanne, le coûteux «pôle muséal» récemment terminé restera enchâssé pendant plus de dix ans dans les cabines de chantier, animé par un bal de camions et bulldozers. Tu parles d'une carte de visite.</p> <p>C'est dans ce contexte qu'il faut situer la gestion calamiteuse de la mise à niveau de la gare de Lausanne. On pourrait hausser les épaules en se disant que les visiteurs de la «capitale olympique» pesteront contre cette ville-chantier qu'ils s'empresseront d'oublier, et que les Lausannois survivront. L'affaire dépasse pourtant l'irritation locale en ceci qu'elle signale une décadence, lente mais perceptible dans ce secteur comme dans d'autres – la crise énergétique par exemple. Il fut un temps où les Suisses étaient fiers de leurs chemins de fer, comme de leurs ingénieurs. Ponctualité des premiers, vision et qualité des seconds. Or le service des CFF se dégrade (à l'exception, soyons justes, du nombre de liaisons à disposition sur la majorité des lignes), la fluidité décisionnelle entre ingénieurs et politiques semble appartenir au passé.</p> <p>L'heure est à la dilution des responsabilités, aux «task force» palliant la mauvaise communication entre services, aux rapports d'experts permettant aux uns de se défausser sur les autres – ce ballet à peine dérangé par les molles protestations d'élus qui ne maîtrisent ni les dossiers, ni les exécutants.</p> <p>Après le nouveau report du chantier de la gare à Lausanne, la conseillère d’Etat Nuria Gorrite a remercié au téléjournal la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga de bien vouloir lui accorder une audience urgente pour recevoir une délégation romande. On se pince. Trois siècles après la mort du bon et naïf Davel, nous voici revenus au temps où les notables-sujets vaudois se rendent à Berne faire des ronds-de-jambe… Simonetta Sommaruga, tout en acceptant le principe d'une rencontre, a déjà fait savoir que pour elle, les questions de sécurité priment sur le reste. En clair: je ne peux pas grand-chose pour vous. 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Quelle révolution copernicienne avait frappé l'esprit des sept Sages?</p> <p>On connaît la suite de l'histoire: l'EEE échoue de peu en votation populaire le 6 décembre 1992 (50,3% de non, une participation de 78%, et une forte majorité de oui en Suisse romande); la Suisse et la CE (devenue depuis Union européenne) négocient des traités bilatéraux pour combler le vide; la Suisse retire sa demande d'adhésion en 2016, puis interrompt unilatéralement des négociations sur un accord-cadre en mai 2021. Les faits parlent d'eux-mêmes. La question, elle, demeure:</p> <h3>Qu'est-ce qui avait amené le Conseil fédéral au virage pro-européen de 1991?</h3> <p>Les documents s'y rapportant – dont les fameux feuillets verts «vertraulich-confidentiel» résumant les séances du Conseil fédéral, des courriers diplomatiques et notes internes – viennent d'être rendus publics. Ce qu'on y lit stupéfie. En fait, la majorité du gouvernement n'avait pas changé d'avis et n'était favorable ni au traité EEE, ni à l'adhésion. Lors d'une séance à Gerzensee les 18 et 19 octobre 1991, soit trois jours seulement avant la fin des négociations, il n'en décide pas moins, «<em>par consensus et sans vote </em>(c'est l'auteur de ces lignes qui souligne) de dire oui au traité EEE et d'autoriser MM. Delamuraz et Felber à annoncer officiellement que le Conseil fédéral s'est fixé comme objectif une adhésion de la Suisse à la CE». La phrase suivante vaut son pesant de läckerli: «Cette décision présuppose que la dernière phase de la négociation donne des résultats acceptables dans les domaines qui sont encore ouverts. 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Le voici donc qui s'embarque dans une stratégie d'une audace peu banale: vendre un traité mal fichu en le présentant comme une étape vers une adhésion... dont il répété pendant des lustres qu'elle était hors de question. Ce qui équivaut à ajouter un morceau de bœuf dans une soupe insipide pour convaincre des végétariens de l'avaler.</p> <p>«Nous avons imaginé une tactique qui n'a pas marché», reconnaîtra sobrement René Felber le 4 décembre 2012 dans une des rares interviews qu'il a données après sa retraite.</p> <p>Avant de juger la stratégie du gouvernement, rappelons ce qu'était cette peu banale année 1991. L'URSS implose, la guerre civile éclate en Yougoslavie, les Américains et leurs alliés déclarent la guerre à Saddam Hussein, l'Allemagne achève sa réunification en choisissant Bonn pour capitale. Les événements s'accélèrent, pour la Communauté européenne aussi. Si, à aucun moment, le Conseil fédéral ne montre le moindre enthousiasme pour en devenir membre, un argument revient en boucle dans ses discussions: si la Suisse attend trop pour négocier une adhésion, elle risque d'être traitée «comme la Pologne, la Tchécoslovaquie ou la Hongrie» (Arnold Koller). Humiliante perspective pour le conseiller fédéral qui présente en 1991 le modèle migratoire dit des «trois cercles», les ressortissants de l'Est gravitant quelque part entre le deuxième et le troisième.</p> <p>Otto Stich n'a pas besoin de se référer à la Pologne pour dire tout le mal qu'il pense de la solution qui se met en place: «On a d'abord vu dans l'EEE une possibilité de ne pas adhérer. Maintenant, on le présente comme un pas vers l'adhésion. Un mauvais contrat n'est jamais un pas dans la bonne direction. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@miwy 20.09.2024 | 11h55
«Merci Jean-Claude pour ce bel article, plein de sensibilité et parfait pour (re)donner goût à la photographie. Que c'est reposant et gratifiant de te lire, de sentir ta passion pour cet art et ses appareils, surtout après avoir lu - j'aurais dû m'en passer - les opinions prévisibles, banales et souvent dénuées de toute analyse sérieuse des Mettan et autres experts autoproclamés en géopolitique. »