Média indocile – nouvelle formule
Jean-Claude Péclet
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Elle me dit son âge: 80 ans. «Le monde va éclater», pronostique-t-elle tandis que je m'apprête à quitter le café, tout en me demandant si elle peut manger le cornichon laissé dans la coupelle du croque-monsieur. Peut-être a-t-elle faim, devrais-je lui offrir un repas, ou est-ce simple gourmandise? Sa prédiction à la Nostradamus m'a pris de court, je lui réponds (à propos de la fin du monde) que je n'en sais rien.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_172133bfb70c48d19d8209452c6cb7a3~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_458,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey2.jpg" alt="Vevey2.jpg" width="500" height="382" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Photographie de Daido Moriyama sur la façade de l'hôtel des Trois-Couronnes</em></h4> <p>Prophète, en aucun cas, mais mordu de photographie, oui. 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Pour ne pas charger le bateau, je recommande quatre expositions, par ordre de préférence décroissant:</p> <p><strong>1.</strong> <a href="https://debsuddha.com/portfolio.html" target="_blank" rel="noopener">Debsuddha</a> (No 10 sur le plan officiel) au musée Jenish, prix du Livre Images Vevey 2023-24. Ce photographe de 35 ans basé à Kolkota (Calcutta) a deux tantes, Gayatri and Swati Goswami, qui depuis leur enfance ont subi l'ostracisme réservé aux personnes albinos. Aujourd'hui âgées, elles se sont réfugiées dans la musique et un maison vieille de presque deux siècles dont elles ne sortent guère que la nuit. Leur neveu, complice de leur solitude, restitue leur univers dans des tonalités crépusculaires, à travers des portraits magnifiques.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_d40103b570604af897c9e852447bb273~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_359,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey9.jpg" alt="Vevey9.jpg" width="500" height="299" /></wow-image></p> <p><strong>2.</strong> <a href="https://www.images.ch/artistes/alessandra-sanguinetti/" target="_blank" rel="noopener">Alessandra Sanguinetti </a>(No 43, dépendance du Château de l'Aile, Grand-Place). Photographe reconnue (elle est chez Magnum), elle suit depuis 1999 la vie de deux cousines, Guillermina Aranciaga et Belinda Stutz, dans une ferme en Argentine, partageant leurs jeux, drôles ou morbides, leurs moments de joie et de tristesse, leurs mises en scène. Images magnifiques là aussi, parfaitement cadrées, pleines de pudeur et troublantes en même temps.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_13d9a9f0af0a476f9591afe81c8ad351~mv2.jpg/v1/fill/w_415,h_561,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey8.jpg" alt="Vevey8.jpg" width="400" height="541" /></wow-image></p> <p><strong>3.</strong> <a href="https://www.images.ch/artistes/gauri-gill/" target="_blank" rel="noopener">Gauri Gill</a> (No 16, quai Perdonnet). Dans le Maharashtra, la photographe a rencontré les artistes d’un village connu pour sa fabrication de masques créés pour des festivals indigènes rejouant des récits mythologiques. En 2015, elle a commandé la confection de nouvelles pièces montrant des êtres humains, animaux ou objets usuels. Gill photographie les villageois improvisant des scénarios ancrés dans la réalité contemporaine de l’Inde.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_533c30d3d6ec4ee9b16bb5a152f6757c~mv2.jpg/v1/fill/w_443,h_568,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Perdonnet.jpg" alt="Perdonnet.jpg" width="400" height="513" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_fa6433d18f874a08ae3b829857952525~mv2.jpg/v1/fill/w_421,h_568,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey3.jpg" alt="Vevey3.jpg" width="400" height="540" /></wow-image></p> <h4><em>Le profil sévère de Vincent Perdonnet et une enseigne "Guillaume Tell" au Musée historique de Veve</em>y</h4> <p><strong>4.</strong> <a href="https://sashakurmaz.com/" target="_blank" rel="noopener">Sasha Kurmaz</a> (No 26, musée Jenisch), grand prix Images Vevey 2023-24. Aux antipodes des reportages élaborés décrits ci-dessus, l'artiste ukrainien tient, dans l'urgence et la précarité, une chronique de la guerre que subit son pays depuis plus de deux ans. Collage de photos d'amateurs, de dessins, bouts de papier, textes rédigés pendant les alertes, «ce projet extrêmement personnel documente l’expérience vécue par l’artiste depuis février 2022 et contribue à l’enrichissement des archives collectives sur le conflit en cours», a estimé – avec raison – le jury. Quelques phrases griffonnées, que j'ai relevées au passage: «Qui n'a pas vécu la peur au ventre ne peut savoir ce que cela représente»; «le pacifisme est la mauvaise réponse à la guerre en Ukraine»; «en Occident, le mot nationalisme est mal vu; c'est le contraire à l'Est, car il signifie la résistance à la Russie»; «dans la société ukrainienne, le mot "héros" devient de plus en plus courant. Pourtant, il faut garder à l'esprit la vérité pénible que très souvent, l'héroïsme est la conséquence des erreurs d'autres personnes».</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_68b5352c71c9415a86ffd7a9af3d7aa0~mv2.jpg/v1/fill/w_894,h_528,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey12.jpg" alt="Vevey12.jpg" width="799" height="472" /></wow-image></p> <p>A voir également, au Musée historique de Vevey, le film fascinant de Kaya et Blank (No 24) suivant le lent et lourd ballet des derricks pompant le pétrole jusqu'au cœur de la ville de Los Angeles (peut-être la dame du Bout-du-Monde a-t-elle raison après tout, <em>the end is near</em>!). Un autre film, grinçant, mérite le détour: celui de l'ex-mannequin Marianna Rothen recréant (avec de vrais mannequins en celluloïd et une malheureuse débutante en chair et en os) l'envers de l'univers de la mode et de la publicité.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_c93724048b214a4f82a62f4e59c8c299~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_398,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey7.jpg" alt="Vevey7.jpg" width="499" height="331" /></wow-image></p> <p>J'ai été moins convaincu par les projets grand format largement médiatisés. Accrocher sur la façade du centre administratif Nestlé la reproduction (2'000 mètres carrés!) d'un vapeur du Léman naviguant sur un lac et sous un ciel qui se confondent dans un gris laiteux est peut-être un exploit technique, cela ne lui confère pas plus de sens, d'autant plus que la lumière, très souvent défavorable, n'arrange pas les affaires. Il en va de même pour l'image géante du glacier d'Aletsch réalisée par le célèbre Andreas Gurski (l'homme-qui-a-vendu-la-photo-la-plus-chère-du-monde), symbolisant le réchauffement climatique sur la façade BCV face à la gare. Je me souviens de l'ancien caissier-projectionniste du Bellevaux à Lausanne, écologiste avant que cela devienne à la mode, qui affichait à l'entrée du cinéma, dans les années 1980, des images «avant-après» montrant la fonte des glaciers. Près d'un demi-siècle plus tard, c'est un cliché.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_c3f1cf7448eb4c98860c1421750e34b8~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_979,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey1.jpg" alt="Vevey1.jpg" width="500" height="816" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Les livres et le smartphone: des écolières passent sous la photographie géante de la George Peabody Library à Baltimore réalisée par Candida Höfer</em></h4> <p>Que dire de l'avion gonflable géant (rigolo, certes) d'Aleksandra Mir (No 35) sous les stucs del Castillo? Ou d'Olivier Frank Chanarin (église Sainte-Claire No 7) qui, d'un bon travail de portraits analogiques sur la Grande-Bretagne post-Brexit, n'a gardé que des épreuves-test, encadrées et confiées à une machine sophistiquée qui les accroche et décroche selon un algorithme aléatoire? La belle prise de tête que voilà pour en arriver à oublier les images! Peut-être était-ce le but, mais alors pourquoi les avoir faites d'abord</p> <p>Inévitablement, plusieurs expositions jouent avec l'intelligence artificielle, que ce soit pour créer de fausses photos-souvenir de famille ou trafiquer des portraits. Ces démarches «interpellantes» m'ont toujours paru relever de l'escroquerie intellectuelle. Au-delà d'un haussement de sourcils entendu, d'un soupçon d'interrogation vite effacé, en quoi font-elles avancer le réflexion sur l'image et son utilisation? Baudelaire, Benjamin, Bataille, Baudrillard, Günter Anders et bien d'autres ont écrit des textes – oui, des textes – agitant plus efficacement nos neurones sur ces sujets, et cela il y a des décennies, voire bientôt deux siècles.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_74f65819a9b74007abc3088221fa8d39~mv2.jpg/v1/fill/w_884,h_469,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey14.jpg" alt="Vevey14.jpg" width="601" height="319" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Vincent Jendly détient le record de la plus grande photographie sur la façade du centre administratif Nestlé</em></h4> <p>Pour la bonne bouche, j'ai conservé ce petit morceau d'anthologie à propos de Sarah Carp (No 5): «Durant le confinement de 2020, elle photographie quotidiennement ses deux filles. Après le succès de cette série, elle décide d’en publier un livre. Mais leur père s’y oppose, invoquant la protection du droit à l’image des enfants. Carp revisite alors ses clichés en masquant les visages. Face à un nouveau refus de son ex-mari, elle fait rejouer les scènes quotidiennes à deux enfants modèles, du même âge que ses filles. La photographe intègre numériquement une trame d’impression sur les visages, troublant l’identité des sujets. A travers un jeu de distance et de regard, les points colorés apparaissent petit à petit, glissant l’individu·e dans l’anonymat. Exposée à proximité d’une place de jeux, Sans Visage soulève le débat autour de la représentation de l’enfance à l’heure des réseaux sociaux.»</p> <p>Dans le genre «pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué» en emmerdant son ex…</p> <p>Je vous avais prévenu: je suis un esprit simple.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_54e1e1d61f314543bb550838070f4353~mv2.jpg/v1/fill/w_511,h_278,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey17.jpg" alt="Vevey17.jpg" width="500" height="272" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_9978bc3469184258b2f0cd16e4e4afba~mv2.jpg/v1/fill/w_490,h_304,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey18.jpg" alt="Vevey18.jpg" width="500" height="310" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_97fb5dbc4f514fa9afe78e12b855db29~mv2.jpg/v1/fill/w_480,h_304,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey16.jpg" alt="Vevey16.jpg" width="499" height="316" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_d68775deb457489ea818deea17bc02c5~mv2.jpg/v1/fill/w_884,h_539,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey13.jpg" alt="Vevey13.jpg" width="602" height="367" /></wow-image></p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'vevey-images-images-de-vevey', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 96, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => 'https://www.pecletphoto.com/vevey-images-2024?fbclid=IwY2xjawFWS0NleHRuA2FlbQIxMAABHbzNG7SL5b1Yu9pCsPsVpS5rCpTJ1JtLgqg3GO-Ig4nLMnpa0PSF477W1w_aem_HP11_LcudmKmcFYFelvZ1g', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 1497, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Aux antipodes des reportages élaborés décrits ci-dessus, l'artiste ukrainien tient, dans l'urgence et la précarité, une chronique de la guerre que subit son pays depuis plus de deux ans. Collage de photos d'amateurs, de dessins, bouts de papier, textes rédigés pendant les alertes, «ce projet extrêmement personnel documente l’expérience vécue par l’artiste depuis février 2022 et contribue à l’enrichissement des archives collectives sur le conflit en cours», a estimé – avec raison – le jury. Quelques phrases griffonnées, que j'ai relevées au passage: «Qui n'a pas vécu la peur au ventre ne peut savoir ce que cela représente»; «le pacifisme est la mauvaise réponse à la guerre en Ukraine»; «en Occident, le mot nationalisme est mal vu; c'est le contraire à l'Est, car il signifie la résistance à la Russie»; «dans la société ukrainienne, le mot "héros" devient de plus en plus courant. 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Un autre film, grinçant, mérite le détour: celui de l'ex-mannequin Marianna Rothen recréant (avec de vrais mannequins en celluloïd et une malheureuse débutante en chair et en os) l'envers de l'univers de la mode et de la publicité.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_c93724048b214a4f82a62f4e59c8c299~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_398,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey7.jpg" alt="Vevey7.jpg" width="499" height="331" /></wow-image></p> <p>J'ai été moins convaincu par les projets grand format largement médiatisés. Accrocher sur la façade du centre administratif Nestlé la reproduction (2'000 mètres carrés!) d'un vapeur du Léman naviguant sur un lac et sous un ciel qui se confondent dans un gris laiteux est peut-être un exploit technique, cela ne lui confère pas plus de sens, d'autant plus que la lumière, très souvent défavorable, n'arrange pas les affaires. Il en va de même pour l'image géante du glacier d'Aletsch réalisée par le célèbre Andreas Gurski (l'homme-qui-a-vendu-la-photo-la-plus-chère-du-monde), symbolisant le réchauffement climatique sur la façade BCV face à la gare. Je me souviens de l'ancien caissier-projectionniste du Bellevaux à Lausanne, écologiste avant que cela devienne à la mode, qui affichait à l'entrée du cinéma, dans les années 1980, des images «avant-après» montrant la fonte des glaciers. Près d'un demi-siècle plus tard, c'est un cliché.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_c3f1cf7448eb4c98860c1421750e34b8~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_979,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey1.jpg" alt="Vevey1.jpg" width="500" height="816" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Les livres et le smartphone: des écolières passent sous la photographie géante de la George Peabody Library à Baltimore réalisée par Candida Höfer</em></h4> <p>Que dire de l'avion gonflable géant (rigolo, certes) d'Aleksandra Mir (No 35) sous les stucs del Castillo? Ou d'Olivier Frank Chanarin (église Sainte-Claire No 7) qui, d'un bon travail de portraits analogiques sur la Grande-Bretagne post-Brexit, n'a gardé que des épreuves-test, encadrées et confiées à une machine sophistiquée qui les accroche et décroche selon un algorithme aléatoire? La belle prise de tête que voilà pour en arriver à oublier les images! Peut-être était-ce le but, mais alors pourquoi les avoir faites d'abord</p> <p>Inévitablement, plusieurs expositions jouent avec l'intelligence artificielle, que ce soit pour créer de fausses photos-souvenir de famille ou trafiquer des portraits. Ces démarches «interpellantes» m'ont toujours paru relever de l'escroquerie intellectuelle. Au-delà d'un haussement de sourcils entendu, d'un soupçon d'interrogation vite effacé, en quoi font-elles avancer le réflexion sur l'image et son utilisation? Baudelaire, Benjamin, Bataille, Baudrillard, Günter Anders et bien d'autres ont écrit des textes – oui, des textes – agitant plus efficacement nos neurones sur ces sujets, et cela il y a des décennies, voire bientôt deux siècles.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_74f65819a9b74007abc3088221fa8d39~mv2.jpg/v1/fill/w_884,h_469,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey14.jpg" alt="Vevey14.jpg" width="601" height="319" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Vincent Jendly détient le record de la plus grande photographie sur la façade du centre administratif Nestlé</em></h4> <p>Pour la bonne bouche, j'ai conservé ce petit morceau d'anthologie à propos de Sarah Carp (No 5): «Durant le confinement de 2020, elle photographie quotidiennement ses deux filles. Après le succès de cette série, elle décide d’en publier un livre. Mais leur père s’y oppose, invoquant la protection du droit à l’image des enfants. Carp revisite alors ses clichés en masquant les visages. Face à un nouveau refus de son ex-mari, elle fait rejouer les scènes quotidiennes à deux enfants modèles, du même âge que ses filles. La photographe intègre numériquement une trame d’impression sur les visages, troublant l’identité des sujets. A travers un jeu de distance et de regard, les points colorés apparaissent petit à petit, glissant l’individu·e dans l’anonymat. Exposée à proximité d’une place de jeux, Sans Visage soulève le débat autour de la représentation de l’enfance à l’heure des réseaux sociaux.»</p> <p>Dans le genre «pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué» en emmerdant son ex…</p> <p>Je vous avais prévenu: je suis un esprit simple.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_54e1e1d61f314543bb550838070f4353~mv2.jpg/v1/fill/w_511,h_278,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey17.jpg" alt="Vevey17.jpg" width="500" height="272" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_9978bc3469184258b2f0cd16e4e4afba~mv2.jpg/v1/fill/w_490,h_304,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey18.jpg" alt="Vevey18.jpg" width="500" height="310" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_97fb5dbc4f514fa9afe78e12b855db29~mv2.jpg/v1/fill/w_480,h_304,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey16.jpg" alt="Vevey16.jpg" width="499" height="316" /></wow-image><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_d68775deb457489ea818deea17bc02c5~mv2.jpg/v1/fill/w_884,h_539,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey13.jpg" alt="Vevey13.jpg" width="602" height="367" /></wow-image></p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'vevey-images-images-de-vevey', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 96, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => 'https://www.pecletphoto.com/vevey-images-2024?fbclid=IwY2xjawFWS0NleHRuA2FlbQIxMAABHbzNG7SL5b1Yu9pCsPsVpS5rCpTJ1JtLgqg3GO-Ig4nLMnpa0PSF477W1w_aem_HP11_LcudmKmcFYFelvZ1g', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 1497, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }
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D'un côté, ce qu'on y voit de meilleur nous renvoie à notre condition d'amateur plan-plan qui se demande «à quoi bon?»; de l'autre, la manifestation engage à écarquiller les yeux, un peu plus que d'habitude, et à garder une trace de cet état, là tout de suite, sur les quais qu'arrosent les premières averses automnales. Et vive le ciel menaçant car oui, il y a urgence à goûter l'instant, quelle que soit l'apocalypse qui nous attend!</p> <p>En plus, Vevey Images est gratuit, habilement mis en scène dans les musées, en plein air ou d'improbables endroits comme une ancienne serrurerie ou un sous-sol aménagé comme un abri anti-atomique (des années 50, il serait non-réglementaire aujourd'hui…).</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_cc63a606c28c40eb8d330edaf87afa71~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_480,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey6.jpg" alt="Vevey6.jpg" width="500" height="400" /></wow-image></p> <p>Sur ce, parlons de l'édition 2024 (jusqu'au 29 septembre). De ce qui précède, le lecteur aura déjà deviné que ma nature me porte plutôt vers les séries dont l'aspect humain est documenté de manière qui parle à mon cœur. Pour ne pas charger le bateau, je recommande quatre expositions, par ordre de préférence décroissant:</p> <p><strong>1.</strong> <a href="https://debsuddha.com/portfolio.html" target="_blank" rel="noopener">Debsuddha</a> (No 10 sur le plan officiel) au musée Jenish, prix du Livre Images Vevey 2023-24. Ce photographe de 35 ans basé à Kolkota (Calcutta) a deux tantes, Gayatri and Swati Goswami, qui depuis leur enfance ont subi l'ostracisme réservé aux personnes albinos. Aujourd'hui âgées, elles se sont réfugiées dans la musique et un maison vieille de presque deux siècles dont elles ne sortent guère que la nuit. Leur neveu, complice de leur solitude, restitue leur univers dans des tonalités crépusculaires, à travers des portraits magnifiques.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_d40103b570604af897c9e852447bb273~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_359,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey9.jpg" alt="Vevey9.jpg" width="500" height="299" /></wow-image></p> <p><strong>2.</strong> <a href="https://www.images.ch/artistes/alessandra-sanguinetti/" target="_blank" rel="noopener">Alessandra Sanguinetti </a>(No 43, dépendance du Château de l'Aile, Grand-Place). Photographe reconnue (elle est chez Magnum), elle suit depuis 1999 la vie de deux cousines, Guillermina Aranciaga et Belinda Stutz, dans une ferme en Argentine, partageant leurs jeux, drôles ou morbides, leurs moments de joie et de tristesse, leurs mises en scène. 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Aux antipodes des reportages élaborés décrits ci-dessus, l'artiste ukrainien tient, dans l'urgence et la précarité, une chronique de la guerre que subit son pays depuis plus de deux ans. Collage de photos d'amateurs, de dessins, bouts de papier, textes rédigés pendant les alertes, «ce projet extrêmement personnel documente l’expérience vécue par l’artiste depuis février 2022 et contribue à l’enrichissement des archives collectives sur le conflit en cours», a estimé – avec raison – le jury. Quelques phrases griffonnées, que j'ai relevées au passage: «Qui n'a pas vécu la peur au ventre ne peut savoir ce que cela représente»; «le pacifisme est la mauvaise réponse à la guerre en Ukraine»; «en Occident, le mot nationalisme est mal vu; c'est le contraire à l'Est, car il signifie la résistance à la Russie»; «dans la société ukrainienne, le mot "héros" devient de plus en plus courant. Pourtant, il faut garder à l'esprit la vérité pénible que très souvent, l'héroïsme est la conséquence des erreurs d'autres personnes».</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_68b5352c71c9415a86ffd7a9af3d7aa0~mv2.jpg/v1/fill/w_894,h_528,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey12.jpg" alt="Vevey12.jpg" width="799" height="472" /></wow-image></p> <p>A voir également, au Musée historique de Vevey, le film fascinant de Kaya et Blank (No 24) suivant le lent et lourd ballet des derricks pompant le pétrole jusqu'au cœur de la ville de Los Angeles (peut-être la dame du Bout-du-Monde a-t-elle raison après tout, <em>the end is near</em>!). Un autre film, grinçant, mérite le détour: celui de l'ex-mannequin Marianna Rothen recréant (avec de vrais mannequins en celluloïd et une malheureuse débutante en chair et en os) l'envers de l'univers de la mode et de la publicité.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_c93724048b214a4f82a62f4e59c8c299~mv2.jpg/v1/fill/w_600,h_398,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey7.jpg" alt="Vevey7.jpg" width="499" height="331" /></wow-image></p> <p>J'ai été moins convaincu par les projets grand format largement médiatisés. Accrocher sur la façade du centre administratif Nestlé la reproduction (2'000 mètres carrés!) d'un vapeur du Léman naviguant sur un lac et sous un ciel qui se confondent dans un gris laiteux est peut-être un exploit technique, cela ne lui confère pas plus de sens, d'autant plus que la lumière, très souvent défavorable, n'arrange pas les affaires. Il en va de même pour l'image géante du glacier d'Aletsch réalisée par le célèbre Andreas Gurski (l'homme-qui-a-vendu-la-photo-la-plus-chère-du-monde), symbolisant le réchauffement climatique sur la façade BCV face à la gare. Je me souviens de l'ancien caissier-projectionniste du Bellevaux à Lausanne, écologiste avant que cela devienne à la mode, qui affichait à l'entrée du cinéma, dans les années 1980, des images «avant-après» montrant la fonte des glaciers. 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Peut-être était-ce le but, mais alors pourquoi les avoir faites d'abord</p> <p>Inévitablement, plusieurs expositions jouent avec l'intelligence artificielle, que ce soit pour créer de fausses photos-souvenir de famille ou trafiquer des portraits. Ces démarches «interpellantes» m'ont toujours paru relever de l'escroquerie intellectuelle. Au-delà d'un haussement de sourcils entendu, d'un soupçon d'interrogation vite effacé, en quoi font-elles avancer le réflexion sur l'image et son utilisation? Baudelaire, Benjamin, Bataille, Baudrillard, Günter Anders et bien d'autres ont écrit des textes – oui, des textes – agitant plus efficacement nos neurones sur ces sujets, et cela il y a des décennies, voire bientôt deux siècles.</p> <p><wow-image><img src="https://static.wixstatic.com/media/94c3e2_74f65819a9b74007abc3088221fa8d39~mv2.jpg/v1/fill/w_884,h_469,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/Vevey14.jpg" alt="Vevey14.jpg" width="601" height="319" /></wow-image></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Vincent Jendly détient le record de la plus grande photographie sur la façade du centre administratif Nestlé</em></h4> <p>Pour la bonne bouche, j'ai conservé ce petit morceau d'anthologie à propos de Sarah Carp (No 5): «Durant le confinement de 2020, elle photographie quotidiennement ses deux filles. Après le succès de cette série, elle décide d’en publier un livre. Mais leur père s’y oppose, invoquant la protection du droit à l’image des enfants. 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Culture / Vevey Images, images de Vevey
Au café «Le Bout-du-Monde», il ne reste plus qu'un croque-monsieur à la carte. Va pour le croque jambon-fromage-oignon, et une bière blonde. Une dame visiblement solitaire cherche à entamer la conversation. «Vous êtes architecte? Médecin?» Rien de tout cela, madame: retraité. «Oui, mais avant?» J'hésite à décliner mon état d'ex-journaliste, car ça ne rate jamais: le regard de l'interlocuteur s'anime. Cette étincelle dans les yeux m'accable d'avance.
Jean-Claude Péclet
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Discrètement conservé jusqu'ici aux archives valaisannes, il fait l'objet d'une exposition et d'un excellent livre de Stève Bobillier, qui en révèlent la foisonnante richesse.</p> <p>L'extrait cité plus haut remonte le ressort du drame: l'orgueil, péché originel. Le ressort va se détendre dans une succession de batailles, d'actes cruels ou héroïques, de catastrophes et de miracles. Cette véritable BD rédigée en vieux français, illustrée de trente-six dessins, mêle l'histoire biblique et l'Histoire tout court, nous entraîne exemples à l'appui dans l'éternelle lutte du Bien contre le Mal.</p> <p>Eternelle? Pas tant que ça, en fait. Si la question «d'où venons-nous, où allons-nous?» est aussi ancienne que l'humanité, la division du temps écoulé et futur en différents «âges» varie selon les civilisations. En Orient, ils sont généralement cycliques. Les chrétiens leur ont donné un caractère plus linéaire: il y a un «début» et une «fin» des temps. Dans son <i>Traité du catéchisme</i>, Augustin d'Hippone (354-430) établit une équivalence entre les six âges de l'homme (naissance/enfance/adolescence/jeunesse/maturité/vieillesse) à ceux du monde (de la Création au Déluge/jusqu'à Abraham/jusqu'à David/jusqu'à la captivité à Babylone/jusqu'à la Nativité/jusqu'à la fin du monde).</p> <p>Mais attendez… Si la naissance du Christ nous a fait entrer dans le sixième et dernier âge, chacun durant entre mille et deux mille ans, le Jugement dernier se rapproche à grands pas! L'ultime combat entre les forces du Bien et celles du Mal, entre Dieu et Lucifer... L'Apocalypse.</p> <p>Certes, l'Apocalypse chrétienne n'a rien à voir avec les terreurs pyrotechniques des séries B hollywoodiennes. Le Prophète revient, c'est plutôt une bonne nouvelle. Meilleure, évidemment, pour ceux qui ont suivi les bons exemples du Manuscrit que pour les autres, dans la perspective du Jugement dernier. Alors comment s'y préparer? En faisant le bien, sans doute, mais cela ne suffit peut-être pas. Au Moyen Age s'y ajoute l'idée qu'il faut anticiper collectivement l'ultime affrontement entre Dieu et et le Diable.</p> <p>C'est ainsi que commencent à circuler des rouleaux tels que celui conservé en Valais. Son auteur anonyme – plusieurs personnes ont probablement contribué à son élaboration – s'est largement inspiré du <em>Compendium historiae in genealogia Christi</em> de Pierre de Poitiers, enseignant aux écoles attachées à la cathédrale de Notre-Dame de Paris à la fin du XIIème siècle. Le manuscrit de Sion, exécuté à la fin du XIVème siècle ou au tout début du XVème, n'est donc pas unique, mais c'est un des plus anciens, qui plus est remarquable par ses dimensions, la qualité de son exécution et son état de préservation.</p> <p>«Comment un document aussi précieux a-t-il abouti dans ce coin reculé qu'était le Valais?», demande une visiteuse de l'exposition à Stève Bobillier, que la question amuse. Au XVème siècle, Sion n'avait rien d'un trou perdu! Son prince-évêque Walter Supersaxo (1402-1482) puis son fils Georges étaient des personnages très puissants et respectés. Le second est aussi connu pour le conflit impitoyable qui l'opposa au cardinal Mathieu Schiner (1465-1522), ce dernier, diplomate et chef de guerre, entraînant les Suisses à Marignan avant de manquer d'un cheveu l'élection à la papauté. Ces trois figures ont marqué non seulement l'histoire valaisanne mais celle de l'Europe et viennent de la même commune du Haut-Valais: Ernen.</p> <p>Rien d'étonnant donc, à ce que le Manuscrit des Six Ages se retrouve dans la riche bibliothèque des Supersaxo, même si on ignore quand et en quelles circonstances il a été acquis. Sur l'utilité qu'il pouvait avoir pour le prince-évêque, Stève Bobillier émet quelques hypothèses. Avant de les développer, examinons le document de plus près. Ecrit en picard, donc en langue «vulgaire», il n'apprend rien aux exégètes lettrés des écritures saintes. D'Adam et Eve au Christ, le rouleau se présente comme un grand arbre généalogique jalonné d'exemples illustrés et édifiants – en bien ou en mal. On dirait aujourd'hui: il est plutôt destiné au grand public.</p> <p>Ce «grand public» est composé notamment des notables, subordonnés, propriétaires rivaux et petits seigneurs auprès desquels Walter puis Georges Supersaxo veulent affirmer leur autorité. Souvenons-nous maintenant des interrogations qui agitent l'époque autour d'un prochain Jugement dernier et des préparatifs que cela implique. Lucifer s'y est déjà mis, il veut «régner et attirer à lui une grande partie des anges», lit-on dans le Manuscrit. Ou prendre possession des faibles humains.</p> <p>Le canton du Valais se signale alors par une première dont il se serait passé: c'est sur son territoire qu'ont eu lieu les premières chasses aux sorcières, dès les années 1428-1430 (Chantal Ammann-Doubliez leur a consacré un livre, <i>Procès de sorcellerie dans la vallée de Conches</i>). Détenteur à la fois du pouvoir spirituel comme évêque et temporel (il possède des terres importantes, bat monnaie), Walter Supersaxo y joue un rôle important. Comme croyant, il anticipe ce Jugement dernier face auquel il ne saurait rester bras croisés. Comme possédant, il est intéressé à l'issue des procès qui se multiplient: un tiers des biens de «sorcières» et «sorciers» condamnés reviennent à l'église qu'il dirige… C'est aussi un moyen d'écarter tel nobliau qui lui fait de l'ombre. En outre, les Supersaxo font office de notaires. Bref, ils interviennent à tous les étages! On les voit ainsi disputer aux autorités civiles locales la haute main judiciaire sur ces procès.</p> <p>Nul ne peut dire aujourd'hui quelle part ont joué ces motifs contradictoires dans l'âme et conscience des Supersaxo. Ce qui est sûr, c'est que le Manuscrit, par sa symbolique et son déroulement chronologique, fournit un socle religieux et moral à leurs actions. Cela est si vrai que les éléments principaux des Six Ages se retrouvent dans le plafond de bois – chef d'œuvre européen d'ébénisterie – sculpté par Jacobinus Malacrida de Côme pour la somptueuse demeure sédunoise de Georges Supersaxo. La maison existe toujours et se visite.</p> <p>Supersaxo, un cynique exploitant les exégèses religieuses pour accroître ses richesses et son pouvoir? Les choses sont un peu plus compliquées que cela, prévient Stève Bobillier. Si le prince-évêque a condamné, il a souvent gracié. Probablement était-il imprégné, comme ses contemporains, de la pensée que des temps décisifs se profilaient.</p> <p>Pourquoi le Manuscrit est-il resté des siècles à l'abri des regards? Première explication, la bibliothèque Supersaxo, longtemps privée, n'a été inventoriée que dans les années 1970 par l'ancien archiviste cantonal et bibliothécaire André Donnet. Celui-ci nous apprend qu'elle «a été acquise en 1930 par l'Etat du Valais, pour le prix de 32'000 francs, grâce aux bons offices du Dr Rudolf Riggenback, de Bâle; elle a été transférée aux Archives au mois de décembre de la même année. Le magnifique rouleau de parchemin, <em>Les six âges du monde</em>, qui faisait partie de la bibliothèque, a été, quant à lui, acquis alors pour le prix de 8'000 francs par la Fondation Gottfried Keller (qui y a apporté une restauration légère, <em>ndlr</em>.), et déposé par elle aux Archives.»</p> <p>Huit mille francs (d'époque, bien sûr)... On n'ose imaginer le prix qu'atteindrait aujourd'hui cette pièce rarissime.</p> <p>La pratique des anciens archivistes explique aussi la discrétion qui a entouré le Manuscrit, explique Stève Bobillier. Leur priorité était la conservation des documents: moins on les montrait, mieux cela valait! Les techniques de reproduction modernes leur étaient inconnues, et la pratique voulait que l'on manipule le moins possible le précieux rouleau. Aujourd'hui, l'approche est un peu différente: on préfère dérouler délicatement le manuscrit de temps à autre pour permettre à la peau sur laquelle il est rédigé de respirer. Bien sûr, il n'est pas accessible au public, l'exposition des archives cantonales du Valais a créé pour l'occasion un fac-similé. L'original sera exposé à la fondation Bodmer à Genève du 3 mars au 9 juillet 2023.</p> <p>En refermant l'ouvrage très documenté de Stève Bobillier, une réflexion plus large se dessine. A partir du «siècle des Lumières», nos sociétés occidentales ont pris leurs distances avec la pratique religieuse comme avec le Moyen Age. Un Jules Michelet contribua à le discréditer en noircissant ses «superstitions» – parmi ces dernières, la fameuse «terreur de l'an mil», fable d'autant plus absurde que les habitants en majorité analphabètes vivant autour de l'époque avaient une autre notion du temps, d'autres calendriers et sans doute pas conscience de franchir un cap décisif.</p> <p>Si la conviction d'un prochain Jugement dernier s'est répandue, c'est plutôt au moment où circulaient des rouleaux tels que le Manuscrit, juste avant la diffusion de l'imprimerie. Celui de la bibliothèque Supersaxo étant un des plus anciens connus, il constitue donc un témoignage irremplaçable de l'histoire de la pensée en Europe.</p> <p>Mais sommes-nous vraiment sortis du schéma psychologique qui s'y déroule? A voir s'accumuler les sombres pronostics des «collapsologues» et autres théoriciens de «l'effondrement», les essais sur le «choc des civilisations» (Samuel Huntington), «la fin de l'Histoire» (Francis Fukuyama) ou la disparition annoncée de l'homo sapiens tel que nous le connaissons (Yuval Harari), on se dit que les craintes et questions revêtent aujourd'hui des formes moins religieuses que celles de nos ancêtres; mais, sur certains aspects, elles n'ont guère changé: le Jour J se profile à l'horizon, à la fois menace et promesse…</p> <p>Le Manuscrit des Six Ages se terminant avec la vie du Christ, certains auteurs ont été tentés d'en écrire la suite. Maurice Chappaz – qui était en contact avec l'archiviste André Donnet – avait-il conscience de le faire quand il publia en 1968 <em>Le match Valais-Judée</em> aux Cahiers de la Renaissance vaudoise? Cette fable hallucinée et truculente raconte la célébration fort agitée du second millénaire valaisan. Revenu sur terre pour l'occasion – incognito, bien sûr – le Bon Dieu est atterré par ce qu'il découvre en marge d'un banquet pantagruélique: égoïsme, mesquinerie et irrespect total de Sa création! Ça braille, rouscaille, ripaille, bataille, pinaille et emmouscaille à tous les étages. Fâché et dépité, le Bon Dieu songe à tout liquider. Allez ouste, fin du monde! On le supplie: «donnez-nous encore une chance!» Dieu se laisse fléchir, mais à une condition: lâchez Satan dans la nature, vous avez huit jours pour le rattraper, sinon…</p> <p>Je ne vous révélerai pas la fin, lisez le livre.</p> <hr /> <h4> Exposition «Toute l'histoire du monde dans un manuscrit», au Centre culturel Les Arsenaux, rue de Lausanne 45, Sion, entrée libre du lundi au samedi inclus. Une copie 1:1 du manuscrit est présentée. L'original devrait être exposé à la fondation Bodmer du 3 mars au 9 juillet 2023 dans le cadre de l’exposition «Trésors enluminés de Suisse».</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1674070649_9782940718207475x5001.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="202" height="287" /></p> <h4>«Le Manuscrit des Six Ages du Monde, généalogie d'une lutte contre le Diable de la Création à l'Apocalypse», Stève Bobillier, Presses Inverses, 270 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'fin-du-monde-un-mode-d-emploi-valaisan', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 371, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 1497, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }
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Discrètement conservé jusqu'ici aux archives valaisannes, il fait l'objet d'une exposition et d'un excellent livre de Stève Bobillier, qui en révèlent la foisonnante richesse.</p> <p>L'extrait cité plus haut remonte le ressort du drame: l'orgueil, péché originel. Le ressort va se détendre dans une succession de batailles, d'actes cruels ou héroïques, de catastrophes et de miracles. Cette véritable BD rédigée en vieux français, illustrée de trente-six dessins, mêle l'histoire biblique et l'Histoire tout court, nous entraîne exemples à l'appui dans l'éternelle lutte du Bien contre le Mal.</p> <p>Eternelle? Pas tant que ça, en fait. Si la question «d'où venons-nous, où allons-nous?» est aussi ancienne que l'humanité, la division du temps écoulé et futur en différents «âges» varie selon les civilisations. En Orient, ils sont généralement cycliques. Les chrétiens leur ont donné un caractère plus linéaire: il y a un «début» et une «fin» des temps. Dans son <i>Traité du catéchisme</i>, Augustin d'Hippone (354-430) établit une équivalence entre les six âges de l'homme (naissance/enfance/adolescence/jeunesse/maturité/vieillesse) à ceux du monde (de la Création au Déluge/jusqu'à Abraham/jusqu'à David/jusqu'à la captivité à Babylone/jusqu'à la Nativité/jusqu'à la fin du monde).</p> <p>Mais attendez… Si la naissance du Christ nous a fait entrer dans le sixième et dernier âge, chacun durant entre mille et deux mille ans, le Jugement dernier se rapproche à grands pas! L'ultime combat entre les forces du Bien et celles du Mal, entre Dieu et Lucifer... L'Apocalypse.</p> <p>Certes, l'Apocalypse chrétienne n'a rien à voir avec les terreurs pyrotechniques des séries B hollywoodiennes. Le Prophète revient, c'est plutôt une bonne nouvelle. Meilleure, évidemment, pour ceux qui ont suivi les bons exemples du Manuscrit que pour les autres, dans la perspective du Jugement dernier. Alors comment s'y préparer? En faisant le bien, sans doute, mais cela ne suffit peut-être pas. Au Moyen Age s'y ajoute l'idée qu'il faut anticiper collectivement l'ultime affrontement entre Dieu et et le Diable.</p> <p>C'est ainsi que commencent à circuler des rouleaux tels que celui conservé en Valais. Son auteur anonyme – plusieurs personnes ont probablement contribué à son élaboration – s'est largement inspiré du <em>Compendium historiae in genealogia Christi</em> de Pierre de Poitiers, enseignant aux écoles attachées à la cathédrale de Notre-Dame de Paris à la fin du XIIème siècle. Le manuscrit de Sion, exécuté à la fin du XIVème siècle ou au tout début du XVème, n'est donc pas unique, mais c'est un des plus anciens, qui plus est remarquable par ses dimensions, la qualité de son exécution et son état de préservation.</p> <p>«Comment un document aussi précieux a-t-il abouti dans ce coin reculé qu'était le Valais?», demande une visiteuse de l'exposition à Stève Bobillier, que la question amuse. Au XVème siècle, Sion n'avait rien d'un trou perdu! Son prince-évêque Walter Supersaxo (1402-1482) puis son fils Georges étaient des personnages très puissants et respectés. Le second est aussi connu pour le conflit impitoyable qui l'opposa au cardinal Mathieu Schiner (1465-1522), ce dernier, diplomate et chef de guerre, entraînant les Suisses à Marignan avant de manquer d'un cheveu l'élection à la papauté. Ces trois figures ont marqué non seulement l'histoire valaisanne mais celle de l'Europe et viennent de la même commune du Haut-Valais: Ernen.</p> <p>Rien d'étonnant donc, à ce que le Manuscrit des Six Ages se retrouve dans la riche bibliothèque des Supersaxo, même si on ignore quand et en quelles circonstances il a été acquis. Sur l'utilité qu'il pouvait avoir pour le prince-évêque, Stève Bobillier émet quelques hypothèses. Avant de les développer, examinons le document de plus près. Ecrit en picard, donc en langue «vulgaire», il n'apprend rien aux exégètes lettrés des écritures saintes. D'Adam et Eve au Christ, le rouleau se présente comme un grand arbre généalogique jalonné d'exemples illustrés et édifiants – en bien ou en mal. On dirait aujourd'hui: il est plutôt destiné au grand public.</p> <p>Ce «grand public» est composé notamment des notables, subordonnés, propriétaires rivaux et petits seigneurs auprès desquels Walter puis Georges Supersaxo veulent affirmer leur autorité. Souvenons-nous maintenant des interrogations qui agitent l'époque autour d'un prochain Jugement dernier et des préparatifs que cela implique. Lucifer s'y est déjà mis, il veut «régner et attirer à lui une grande partie des anges», lit-on dans le Manuscrit. Ou prendre possession des faibles humains.</p> <p>Le canton du Valais se signale alors par une première dont il se serait passé: c'est sur son territoire qu'ont eu lieu les premières chasses aux sorcières, dès les années 1428-1430 (Chantal Ammann-Doubliez leur a consacré un livre, <i>Procès de sorcellerie dans la vallée de Conches</i>). Détenteur à la fois du pouvoir spirituel comme évêque et temporel (il possède des terres importantes, bat monnaie), Walter Supersaxo y joue un rôle important. Comme croyant, il anticipe ce Jugement dernier face auquel il ne saurait rester bras croisés. Comme possédant, il est intéressé à l'issue des procès qui se multiplient: un tiers des biens de «sorcières» et «sorciers» condamnés reviennent à l'église qu'il dirige… C'est aussi un moyen d'écarter tel nobliau qui lui fait de l'ombre. En outre, les Supersaxo font office de notaires. Bref, ils interviennent à tous les étages! On les voit ainsi disputer aux autorités civiles locales la haute main judiciaire sur ces procès.</p> <p>Nul ne peut dire aujourd'hui quelle part ont joué ces motifs contradictoires dans l'âme et conscience des Supersaxo. Ce qui est sûr, c'est que le Manuscrit, par sa symbolique et son déroulement chronologique, fournit un socle religieux et moral à leurs actions. Cela est si vrai que les éléments principaux des Six Ages se retrouvent dans le plafond de bois – chef d'œuvre européen d'ébénisterie – sculpté par Jacobinus Malacrida de Côme pour la somptueuse demeure sédunoise de Georges Supersaxo. La maison existe toujours et se visite.</p> <p>Supersaxo, un cynique exploitant les exégèses religieuses pour accroître ses richesses et son pouvoir? Les choses sont un peu plus compliquées que cela, prévient Stève Bobillier. Si le prince-évêque a condamné, il a souvent gracié. Probablement était-il imprégné, comme ses contemporains, de la pensée que des temps décisifs se profilaient.</p> <p>Pourquoi le Manuscrit est-il resté des siècles à l'abri des regards? Première explication, la bibliothèque Supersaxo, longtemps privée, n'a été inventoriée que dans les années 1970 par l'ancien archiviste cantonal et bibliothécaire André Donnet. Celui-ci nous apprend qu'elle «a été acquise en 1930 par l'Etat du Valais, pour le prix de 32'000 francs, grâce aux bons offices du Dr Rudolf Riggenback, de Bâle; elle a été transférée aux Archives au mois de décembre de la même année. Le magnifique rouleau de parchemin, <em>Les six âges du monde</em>, qui faisait partie de la bibliothèque, a été, quant à lui, acquis alors pour le prix de 8'000 francs par la Fondation Gottfried Keller (qui y a apporté une restauration légère, <em>ndlr</em>.), et déposé par elle aux Archives.»</p> <p>Huit mille francs (d'époque, bien sûr)... On n'ose imaginer le prix qu'atteindrait aujourd'hui cette pièce rarissime.</p> <p>La pratique des anciens archivistes explique aussi la discrétion qui a entouré le Manuscrit, explique Stève Bobillier. Leur priorité était la conservation des documents: moins on les montrait, mieux cela valait! Les techniques de reproduction modernes leur étaient inconnues, et la pratique voulait que l'on manipule le moins possible le précieux rouleau. Aujourd'hui, l'approche est un peu différente: on préfère dérouler délicatement le manuscrit de temps à autre pour permettre à la peau sur laquelle il est rédigé de respirer. Bien sûr, il n'est pas accessible au public, l'exposition des archives cantonales du Valais a créé pour l'occasion un fac-similé. L'original sera exposé à la fondation Bodmer à Genève du 3 mars au 9 juillet 2023.</p> <p>En refermant l'ouvrage très documenté de Stève Bobillier, une réflexion plus large se dessine. A partir du «siècle des Lumières», nos sociétés occidentales ont pris leurs distances avec la pratique religieuse comme avec le Moyen Age. Un Jules Michelet contribua à le discréditer en noircissant ses «superstitions» – parmi ces dernières, la fameuse «terreur de l'an mil», fable d'autant plus absurde que les habitants en majorité analphabètes vivant autour de l'époque avaient une autre notion du temps, d'autres calendriers et sans doute pas conscience de franchir un cap décisif.</p> <p>Si la conviction d'un prochain Jugement dernier s'est répandue, c'est plutôt au moment où circulaient des rouleaux tels que le Manuscrit, juste avant la diffusion de l'imprimerie. Celui de la bibliothèque Supersaxo étant un des plus anciens connus, il constitue donc un témoignage irremplaçable de l'histoire de la pensée en Europe.</p> <p>Mais sommes-nous vraiment sortis du schéma psychologique qui s'y déroule? A voir s'accumuler les sombres pronostics des «collapsologues» et autres théoriciens de «l'effondrement», les essais sur le «choc des civilisations» (Samuel Huntington), «la fin de l'Histoire» (Francis Fukuyama) ou la disparition annoncée de l'homo sapiens tel que nous le connaissons (Yuval Harari), on se dit que les craintes et questions revêtent aujourd'hui des formes moins religieuses que celles de nos ancêtres; mais, sur certains aspects, elles n'ont guère changé: le Jour J se profile à l'horizon, à la fois menace et promesse…</p> <p>Le Manuscrit des Six Ages se terminant avec la vie du Christ, certains auteurs ont été tentés d'en écrire la suite. Maurice Chappaz – qui était en contact avec l'archiviste André Donnet – avait-il conscience de le faire quand il publia en 1968 <em>Le match Valais-Judée</em> aux Cahiers de la Renaissance vaudoise? Cette fable hallucinée et truculente raconte la célébration fort agitée du second millénaire valaisan. Revenu sur terre pour l'occasion – incognito, bien sûr – le Bon Dieu est atterré par ce qu'il découvre en marge d'un banquet pantagruélique: égoïsme, mesquinerie et irrespect total de Sa création! Ça braille, rouscaille, ripaille, bataille, pinaille et emmouscaille à tous les étages. Fâché et dépité, le Bon Dieu songe à tout liquider. Allez ouste, fin du monde! On le supplie: «donnez-nous encore une chance!» Dieu se laisse fléchir, mais à une condition: lâchez Satan dans la nature, vous avez huit jours pour le rattraper, sinon…</p> <p>Je ne vous révélerai pas la fin, lisez le livre.</p> <hr /> <h4> Exposition «Toute l'histoire du monde dans un manuscrit», au Centre culturel Les Arsenaux, rue de Lausanne 45, Sion, entrée libre du lundi au samedi inclus. Une copie 1:1 du manuscrit est présentée. 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Culture / Fin du monde, un mode d'emploi valaisan
«Quand notre sire Dieu eut ainsi fait et ordonné le ciel, la terre et toutes les autres choses qui y sont, Dieu créa les anges pour le servir et il leur donna une vie éternelle. (…) Mais il y en avait un qui avait nom Lucifer, qui était si beau, si brillant et si lumineux, qu'il dépassait tous les autres anges. Et par la grande beauté que Dieu lui avait donnée, Lucifer s'en enorgueillit et voulut être pareil à Dieu son créateur...»
Jean-Claude Péclet
B Article réservé aux abonnés
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Leur coup de maître fut d'échanger un méchant cul-de-sac en triangle coincé entre l'avenue Ruchonnet et les voies ferrées de la gare lausannoise avec une belle bande constructible à Malley où surgiront deux tours, un profitable ensemble bureaux-commerces-logements.</p> <p>Malley, où d'anciens conseillers d’Etat racontent comment ils durent batailler pour arracher aux CFF une halte minimaliste qu'il a d'ailleurs fallu compléter récemment. Quant à Lausanne, le coûteux «pôle muséal» récemment terminé restera enchâssé pendant plus de dix ans dans les cabines de chantier, animé par un bal de camions et bulldozers. Tu parles d'une carte de visite.</p> <p>C'est dans ce contexte qu'il faut situer la gestion calamiteuse de la mise à niveau de la gare de Lausanne. On pourrait hausser les épaules en se disant que les visiteurs de la «capitale olympique» pesteront contre cette ville-chantier qu'ils s'empresseront d'oublier, et que les Lausannois survivront. L'affaire dépasse pourtant l'irritation locale en ceci qu'elle signale une décadence, lente mais perceptible dans ce secteur comme dans d'autres – la crise énergétique par exemple. Il fut un temps où les Suisses étaient fiers de leurs chemins de fer, comme de leurs ingénieurs. Ponctualité des premiers, vision et qualité des seconds. 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Trois siècles après la mort du bon et naïf Davel, nous voici revenus au temps où les notables-sujets vaudois se rendent à Berne faire des ronds-de-jambe… Simonetta Sommaruga, tout en acceptant le principe d'une rencontre, a déjà fait savoir que pour elle, les questions de sécurité priment sur le reste. En clair: je ne peux pas grand-chose pour vous. 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Leur coup de maître fut d'échanger un méchant cul-de-sac en triangle coincé entre l'avenue Ruchonnet et les voies ferrées de la gare lausannoise avec une belle bande constructible à Malley où surgiront deux tours, un profitable ensemble bureaux-commerces-logements.</p> <p>Malley, où d'anciens conseillers d’Etat racontent comment ils durent batailler pour arracher aux CFF une halte minimaliste qu'il a d'ailleurs fallu compléter récemment. Quant à Lausanne, le coûteux «pôle muséal» récemment terminé restera enchâssé pendant plus de dix ans dans les cabines de chantier, animé par un bal de camions et bulldozers. Tu parles d'une carte de visite.</p> <p>C'est dans ce contexte qu'il faut situer la gestion calamiteuse de la mise à niveau de la gare de Lausanne. On pourrait hausser les épaules en se disant que les visiteurs de la «capitale olympique» pesteront contre cette ville-chantier qu'ils s'empresseront d'oublier, et que les Lausannois survivront. L'affaire dépasse pourtant l'irritation locale en ceci qu'elle signale une décadence, lente mais perceptible dans ce secteur comme dans d'autres – la crise énergétique par exemple. Il fut un temps où les Suisses étaient fiers de leurs chemins de fer, comme de leurs ingénieurs. Ponctualité des premiers, vision et qualité des seconds. Or le service des CFF se dégrade (à l'exception, soyons justes, du nombre de liaisons à disposition sur la majorité des lignes), la fluidité décisionnelle entre ingénieurs et politiques semble appartenir au passé.</p> <p>L'heure est à la dilution des responsabilités, aux «task force» palliant la mauvaise communication entre services, aux rapports d'experts permettant aux uns de se défausser sur les autres – ce ballet à peine dérangé par les molles protestations d'élus qui ne maîtrisent ni les dossiers, ni les exécutants.</p> <p>Après le nouveau report du chantier de la gare à Lausanne, la conseillère d’Etat Nuria Gorrite a remercié au téléjournal la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga de bien vouloir lui accorder une audience urgente pour recevoir une délégation romande. On se pince. Trois siècles après la mort du bon et naïf Davel, nous voici revenus au temps où les notables-sujets vaudois se rendent à Berne faire des ronds-de-jambe… Simonetta Sommaruga, tout en acceptant le principe d'une rencontre, a déjà fait savoir que pour elle, les questions de sécurité priment sur le reste. En clair: je ne peux pas grand-chose pour vous. 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A vif / Lausanne, personne ne descend
Encore un petit effort, et vous allez battre le record de Berlin. Vous souvenez-vous? Le nouvel aéroport Berlin-Brandebourg inauguré en 2020, devenu la risée de l'Allemagne et de l'Europe suite à une cauchemardesque succession de couacs qui ont étalé le chantier sur quatorze ans.
Jean-Claude Péclet
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(…) C'est avec les représentants de la CE et des pays membres que les expériences les plus pénibles ont été reçues». «La situation actuelle est misérable», surenchérit Arnold Koller, inquiet de voir la Suisse «se laisser dépecer». Kaspar Villiger: «La CE a mis la Suisse dos au mur et présente sans cesse de nouvelles exigences. Nous sommes sur le chemin d'un Etat colonisé avec statut d'autonomie. L'Alleingang (voie solitaire) serait supportable et préférable à cet EEE». «Dans ce climat, nous n'avons aucune chance devant le peuple», estime Adolf Ogi.</p> <p>Alors, on arrête tout? Non, répond Delamuraz, appuyé par René Felber, car la seule possibilité qui resterait ouverte serait que la Suisse fasse cavalier seul, un scénario «où elle aurait tout à perdre».</p> <p>Dans un courrier personnel adressé à son collègue vaudois le 28 mars, le président de la Confédération Flavio Cotti résume son double scepticisme: «L'EEE ne peut plus être matériellement considéré comme un accord favorable pour notre pays. De plus, il contient toute une série de "bombes", menues mais effectives; l'espoir de le voir approuver par le peuple suisse semble très mince. J'en viens à imaginer qu'une adhésion pure et simple à la CE pourrait être envisagée avec davantage de sympathie; mais ne nous méprenons pas, à ce sujet aussi ma vision à moyenne échéance reste très pessimiste.»</p> <p>De cette analyse qui pousserait d'autres à jeter l'éponge, le Conseil fédéral va paradoxalement tirer un scénario offensif que résume Arnold Koller dans la fameuse séance du 17 avril: «Nous pourrions essayer de sauver ce contrat (l'EEE, ndlr.), bien que mauvais, en le considérant comme une solution transitoire». C'est-à-dire comme un premier pas vers une future adhésion. Sinon, il faudrait «reprendre la main» en traçant et en rendant publiques les limites à ne pas dépasser dans les négociations, quitte à assumer l'échec de ces dernières.</p> <h3>Sauver ce contrat, bien que mauvais</h3> <p>Or à aucun moment le Conseil fédéral ne définit clairement ces lignes rouges évoquées à plusieurs reprises. Les a-t-il posées par écrit? Ce n'est pas clair, on le verra plus loin. Le voici donc qui s'embarque dans une stratégie d'une audace peu banale: vendre un traité mal fichu en le présentant comme une étape vers une adhésion... dont il répété pendant des lustres qu'elle était hors de question. Ce qui équivaut à ajouter un morceau de bœuf dans une soupe insipide pour convaincre des végétariens de l'avaler.</p> <p>«Nous avons imaginé une tactique qui n'a pas marché», reconnaîtra sobrement René Felber le 4 décembre 2012 dans une des rares interviews qu'il a données après sa retraite.</p> <p>Avant de juger la stratégie du gouvernement, rappelons ce qu'était cette peu banale année 1991. L'URSS implose, la guerre civile éclate en Yougoslavie, les Américains et leurs alliés déclarent la guerre à Saddam Hussein, l'Allemagne achève sa réunification en choisissant Bonn pour capitale. Les événements s'accélèrent, pour la Communauté européenne aussi. Si, à aucun moment, le Conseil fédéral ne montre le moindre enthousiasme pour en devenir membre, un argument revient en boucle dans ses discussions: si la Suisse attend trop pour négocier une adhésion, elle risque d'être traitée «comme la Pologne, la Tchécoslovaquie ou la Hongrie» (Arnold Koller). Humiliante perspective pour le conseiller fédéral qui présente en 1991 le modèle migratoire dit des «trois cercles», les ressortissants de l'Est gravitant quelque part entre le deuxième et le troisième.</p> <p>Otto Stich n'a pas besoin de se référer à la Pologne pour dire tout le mal qu'il pense de la solution qui se met en place: «On a d'abord vu dans l'EEE une possibilité de ne pas adhérer. Maintenant, on le présente comme un pas vers l'adhésion. Un mauvais contrat n'est jamais un pas dans la bonne direction. L'EEE tel qu'il se dessine signifie une satellisation de la Suisse.» Le Soleurois ne variera pas d'un pouce dans son opposition.</p> <p>A l'issue de sa séance du 17 avril, le Conseil fédéral décide – si l'on peut dire – «de se pencher sur la suite à donner, lors de sa prochaine séance, sur la base d'un document de travail qui définira les <em>bottom lines</em> absolues pour la Suisse. Il décidera après discussion de l'information du public sur la position adoptée.»</p> <p>Aucun document publié ne porte la trace de ces <em>bottom lines, </em>ni de leur discussion<em>. </em>Sur le PV de la séance du 8 mai 1991, on lit que «le président Cotti souhaite que les <em>bottom lines</em> que le Conseil a définies lors de sa dernière séance fassent l'objet d'un procès-verbal de décision». Puis, deux paragraphes plus bas: «La proposition de publier des <em>bottom lines</em> n'est plus opportune. On accuse déjà la Suisse d'être responsable si les négociations devaient mal tourner: il ne faudrait pas alimenter encore cette thèse».</p> <h3>Exit, donc, la variante «ça passe ou ça casse»</h3> <p>Mais le Conseil fédéral est sur des charbons ardents. «Unanime» à vouloir poursuivre les négociations sur l'EEE et à ne pas vouloir signer un «mauvais traité» (tous les membres du collège le jugent tel), il ne l'est pas «quant au message politique qu'il faudrait transmettre en cas d'échec», constate Jean-Pascal Delamuraz. Les discussions avec la CE sont «toujours empoisonnées», admet le Vaudois, le projet de déclaration pour la conférence ministérielle «absolument inacceptable». Des parlementaires suisses sont rentrés choqués après avoir entendu le commissaire européen Frans Andriessen déclarer que «la Suisse a profité depuis 40 ans de la CE».</p> <p>Delamuraz, appuyé par Felber, n'en répète pas moins sa conviction: «Il est impossible, irréaliste et inimaginable de dégager à long terme une autre solution qu'une adhésion à la CE». Otto Stich, Flavio Cotti, Adolf Ogi et Arnold Koller ne sont pas d'accord. Il est trop tôt pour parler d'adhésion, estiment-ils; Koller dénonce «une fuite en avant qui ne serait pas comprise». Kaspar Villiger louvoie.</p> <p>La discussion part dans tous les sens, ponctuée de récriminations contre les hauts fonctionnaires (Franz Blankart en particulier) qui donnent leur avis publiquement. Elle se conclut par un curieux communiqué: on annoncera au peuple suisse que les discussions sur l'EEE se poursuivent et que la perspective d'une future adhésion «a significativement gagné en importance». Et tant pis si ladite perspective suscite le scepticisme ou la franche opposition de cinq conseillers fédéraux sur sept.</p> <p>Lors de sa séance extra-muros de Gerzensee les 18 et 19 octobre 1991, le gouvernement suisse ne peut plus jouer la montre. Le sort de l'EEE se joue trois jours plus tard, il ne concerne pas que la Suisse, mais les autres membres de l'AELE, dont plusieurs ont signalé leur désir d'adhérer à la CE. «Il est vrai que la partie institutionnelle ne peut pas satisfaire la dignité de la Suisse, car on peut parler de satellisation», constate Jean-Pascal Delamuraz, qui défend néanmoins les avantages économiques du traité. Il a toujours le soutien de René Felber et, désormais, celui d'Arnold Koller. Adolf Ogi et Kaspar Villiger soufflent le chaud et le froid, Otto Stich campe sur son refus, Flavio Cotti n'est pas convaincu: l'élément institutionnel «amplement insuffisant suffit à refuser le traité», dit-il.</p> <p>C'est dans cette configuration pour le moins fragile, sans connaître le résultat final de la négociation, sans avoir fait connaître ses lignes rouges et majoritairement rétif à une future adhésion, que le Conseil fédéral accepte, «par consensus et sans vote», le traité EEE comme solution transitoire vers une adhésion à l'UE qui devient l'objectif officiel du gouvernement. Charge aux deux Romands du collège d'annoncer la bonne nouvelle au peuple...</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1641289003_capturedcran2022010119.54.40.png" class="img-responsive img-fluid center " width="495" height="659" /></p> <h3>Rétrospectivement</h3> <p>Trente ans plus tard, l'Histoire a rattrapé le gouvernement suisse. Répétons-le, il n'est pas question de juger les décisions prises dans une période très particulière. Tout au plus l'ex-journaliste auteur de ces lignes peut-il se livrer à une autocritique: je travaillais alors à <em>L'Hebdo</em>, favorable à l'intégration de la Suisse dans l'Europe; agréablement surpris par un revirement allant dans le sens de mes idées, je n'ai pas suffisamment questionné un acte étonnant, courageux à première vue mais qui exprimait en fait le désarroi d'un collège divisé - comme l'était et l'est restée la Suisse sur le sujet.</p> <p>Les documents diplomatiques publiés ces jours renferment aussi quelques perles. Le 7 juin 1991, Flavio Cotti et Jean-Pascal Delamuraz reçoivent le président de la République François Mitterrand, et parlent d'intégration, celle de la Suisse bien sûr mais aussi celle des pays de l'Est. Et le finaud Mitterrand de lâcher: «Pour les pays de l'Est, il s'agit d'une situation difficile, parce qu'ils se présentent en pays quémandeurs. Ce n'est évidemment pas le cas de la Suisse, mais on ne peut pas non plus fonder une civilisation sur les banques.»</p> <p>Depuis ces propos, la civilisation du secret bancaire a connu quelques hoquets, et les «quémandeurs» sont désormais membres à part entière d'une Union européenne à vingt-sept. La Suisse qui se déciderait à réactiver sa demande d'adhésion y serait probablement moins bien reçue que, mettons, des Polonais. Arnold Koller ne l'avait pas imaginé dans ses pires cauchemars.</p> <p>Le 26 juin 1991, le négociateur suisse Franz Blankart partage un repas informel avec Horst Krenzler, responsable des relations extérieures pour la CE. Mettant allègrement les pieds dans le plat, Krenzler assène que la Suisse souffre, «across the board» d'un «déficit de modernité de trente ans». Déficit dans les processus décisionnels, législatifs, de conscience solidaire et finalement dans les mentalités.</p> <p>A la lecture des documents déclassifiés, on peut difficilement lui donner tort sur les processus décisionnels. Quant aux lois, le conseiller national Roger Nordmann a demandé, en 2006, que l'administration fédérale indique systématiquement lesquelles sont copiées-collées du droit européen. Trop compliqué et trop cher, lui a-t-on répondu. On sait juste que cette part de notre droit est de plus en plus importante.</p>', 'content_edition' => 'L'étonnement fut donc considérable, ce 22 octobre 1991, quand au terme d'un dernier round de négociations sur l'Espace économique européen (EEE), le gouvernement annonça que non seulement il avait signé un traité que beaucoup considéraient comme mort-né, mais envisageait dans la foulée l'adhésion de la Suisse à la CE. Quelle révolution copernicienne avait frappé l'esprit des sept Sages? 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(…) C'est avec les représentants de la CE et des pays membres que les expériences les plus pénibles ont été reçues». «La situation actuelle est misérable», surenchérit Arnold Koller, inquiet de voir la Suisse «se laisser dépecer». Kaspar Villiger: «La CE a mis la Suisse dos au mur et présente sans cesse de nouvelles exigences. Nous sommes sur le chemin d'un Etat colonisé avec statut d'autonomie. L'Alleingang (voie solitaire) serait supportable et préférable à cet EEE». «Dans ce climat, nous n'avons aucune chance devant le peuple», estime Adolf Ogi.</p> <p>Alors, on arrête tout? Non, répond Delamuraz, appuyé par René Felber, car la seule possibilité qui resterait ouverte serait que la Suisse fasse cavalier seul, un scénario «où elle aurait tout à perdre».</p> <p>Dans un courrier personnel adressé à son collègue vaudois le 28 mars, le président de la Confédération Flavio Cotti résume son double scepticisme: «L'EEE ne peut plus être matériellement considéré comme un accord favorable pour notre pays. De plus, il contient toute une série de "bombes", menues mais effectives; l'espoir de le voir approuver par le peuple suisse semble très mince. J'en viens à imaginer qu'une adhésion pure et simple à la CE pourrait être envisagée avec davantage de sympathie; mais ne nous méprenons pas, à ce sujet aussi ma vision à moyenne échéance reste très pessimiste.»</p> <p>De cette analyse qui pousserait d'autres à jeter l'éponge, le Conseil fédéral va paradoxalement tirer un scénario offensif que résume Arnold Koller dans la fameuse séance du 17 avril: «Nous pourrions essayer de sauver ce contrat (l'EEE, ndlr.), bien que mauvais, en le considérant comme une solution transitoire». C'est-à-dire comme un premier pas vers une future adhésion. Sinon, il faudrait «reprendre la main» en traçant et en rendant publiques les limites à ne pas dépasser dans les négociations, quitte à assumer l'échec de ces dernières.</p> <h3>Sauver ce contrat, bien que mauvais</h3> <p>Or à aucun moment le Conseil fédéral ne définit clairement ces lignes rouges évoquées à plusieurs reprises. Les a-t-il posées par écrit? Ce n'est pas clair, on le verra plus loin. Le voici donc qui s'embarque dans une stratégie d'une audace peu banale: vendre un traité mal fichu en le présentant comme une étape vers une adhésion... dont il répété pendant des lustres qu'elle était hors de question. Ce qui équivaut à ajouter un morceau de bœuf dans une soupe insipide pour convaincre des végétariens de l'avaler.</p> <p>«Nous avons imaginé une tactique qui n'a pas marché», reconnaîtra sobrement René Felber le 4 décembre 2012 dans une des rares interviews qu'il a données après sa retraite.</p> <p>Avant de juger la stratégie du gouvernement, rappelons ce qu'était cette peu banale année 1991. L'URSS implose, la guerre civile éclate en Yougoslavie, les Américains et leurs alliés déclarent la guerre à Saddam Hussein, l'Allemagne achève sa réunification en choisissant Bonn pour capitale. Les événements s'accélèrent, pour la Communauté européenne aussi. Si, à aucun moment, le Conseil fédéral ne montre le moindre enthousiasme pour en devenir membre, un argument revient en boucle dans ses discussions: si la Suisse attend trop pour négocier une adhésion, elle risque d'être traitée «comme la Pologne, la Tchécoslovaquie ou la Hongrie» (Arnold Koller). Humiliante perspective pour le conseiller fédéral qui présente en 1991 le modèle migratoire dit des «trois cercles», les ressortissants de l'Est gravitant quelque part entre le deuxième et le troisième.</p> <p>Otto Stich n'a pas besoin de se référer à la Pologne pour dire tout le mal qu'il pense de la solution qui se met en place: «On a d'abord vu dans l'EEE une possibilité de ne pas adhérer. Maintenant, on le présente comme un pas vers l'adhésion. Un mauvais contrat n'est jamais un pas dans la bonne direction. L'EEE tel qu'il se dessine signifie une satellisation de la Suisse.» Le Soleurois ne variera pas d'un pouce dans son opposition.</p> <p>A l'issue de sa séance du 17 avril, le Conseil fédéral décide – si l'on peut dire – «de se pencher sur la suite à donner, lors de sa prochaine séance, sur la base d'un document de travail qui définira les <em>bottom lines</em> absolues pour la Suisse. Il décidera après discussion de l'information du public sur la position adoptée.»</p> <p>Aucun document publié ne porte la trace de ces <em>bottom lines, </em>ni de leur discussion<em>. </em>Sur le PV de la séance du 8 mai 1991, on lit que «le président Cotti souhaite que les <em>bottom lines</em> que le Conseil a définies lors de sa dernière séance fassent l'objet d'un procès-verbal de décision». Puis, deux paragraphes plus bas: «La proposition de publier des <em>bottom lines</em> n'est plus opportune. On accuse déjà la Suisse d'être responsable si les négociations devaient mal tourner: il ne faudrait pas alimenter encore cette thèse».</p> <h3>Exit, donc, la variante «ça passe ou ça casse»</h3> <p>Mais le Conseil fédéral est sur des charbons ardents. «Unanime» à vouloir poursuivre les négociations sur l'EEE et à ne pas vouloir signer un «mauvais traité» (tous les membres du collège le jugent tel), il ne l'est pas «quant au message politique qu'il faudrait transmettre en cas d'échec», constate Jean-Pascal Delamuraz. Les discussions avec la CE sont «toujours empoisonnées», admet le Vaudois, le projet de déclaration pour la conférence ministérielle «absolument inacceptable». Des parlementaires suisses sont rentrés choqués après avoir entendu le commissaire européen Frans Andriessen déclarer que «la Suisse a profité depuis 40 ans de la CE».</p> <p>Delamuraz, appuyé par Felber, n'en répète pas moins sa conviction: «Il est impossible, irréaliste et inimaginable de dégager à long terme une autre solution qu'une adhésion à la CE». Otto Stich, Flavio Cotti, Adolf Ogi et Arnold Koller ne sont pas d'accord. Il est trop tôt pour parler d'adhésion, estiment-ils; Koller dénonce «une fuite en avant qui ne serait pas comprise». Kaspar Villiger louvoie.</p> <p>La discussion part dans tous les sens, ponctuée de récriminations contre les hauts fonctionnaires (Franz Blankart en particulier) qui donnent leur avis publiquement. Elle se conclut par un curieux communiqué: on annoncera au peuple suisse que les discussions sur l'EEE se poursuivent et que la perspective d'une future adhésion «a significativement gagné en importance». Et tant pis si ladite perspective suscite le scepticisme ou la franche opposition de cinq conseillers fédéraux sur sept.</p> <p>Lors de sa séance extra-muros de Gerzensee les 18 et 19 octobre 1991, le gouvernement suisse ne peut plus jouer la montre. Le sort de l'EEE se joue trois jours plus tard, il ne concerne pas que la Suisse, mais les autres membres de l'AELE, dont plusieurs ont signalé leur désir d'adhérer à la CE. «Il est vrai que la partie institutionnelle ne peut pas satisfaire la dignité de la Suisse, car on peut parler de satellisation», constate Jean-Pascal Delamuraz, qui défend néanmoins les avantages économiques du traité. Il a toujours le soutien de René Felber et, désormais, celui d'Arnold Koller. Adolf Ogi et Kaspar Villiger soufflent le chaud et le froid, Otto Stich campe sur son refus, Flavio Cotti n'est pas convaincu: l'élément institutionnel «amplement insuffisant suffit à refuser le traité», dit-il.</p> <p>C'est dans cette configuration pour le moins fragile, sans connaître le résultat final de la négociation, sans avoir fait connaître ses lignes rouges et majoritairement rétif à une future adhésion, que le Conseil fédéral accepte, «par consensus et sans vote», le traité EEE comme solution transitoire vers une adhésion à l'UE qui devient l'objectif officiel du gouvernement. Charge aux deux Romands du collège d'annoncer la bonne nouvelle au peuple...</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1641289003_capturedcran2022010119.54.40.png" class="img-responsive img-fluid center " width="495" height="659" /></p> <h3>Rétrospectivement</h3> <p>Trente ans plus tard, l'Histoire a rattrapé le gouvernement suisse. Répétons-le, il n'est pas question de juger les décisions prises dans une période très particulière. Tout au plus l'ex-journaliste auteur de ces lignes peut-il se livrer à une autocritique: je travaillais alors à <em>L'Hebdo</em>, favorable à l'intégration de la Suisse dans l'Europe; agréablement surpris par un revirement allant dans le sens de mes idées, je n'ai pas suffisamment questionné un acte étonnant, courageux à première vue mais qui exprimait en fait le désarroi d'un collège divisé - comme l'était et l'est restée la Suisse sur le sujet.</p> <p>Les documents diplomatiques publiés ces jours renferment aussi quelques perles. Le 7 juin 1991, Flavio Cotti et Jean-Pascal Delamuraz reçoivent le président de la République François Mitterrand, et parlent d'intégration, celle de la Suisse bien sûr mais aussi celle des pays de l'Est. Et le finaud Mitterrand de lâcher: «Pour les pays de l'Est, il s'agit d'une situation difficile, parce qu'ils se présentent en pays quémandeurs. Ce n'est évidemment pas le cas de la Suisse, mais on ne peut pas non plus fonder une civilisation sur les banques.»</p> <p>Depuis ces propos, la civilisation du secret bancaire a connu quelques hoquets, et les «quémandeurs» sont désormais membres à part entière d'une Union européenne à vingt-sept. La Suisse qui se déciderait à réactiver sa demande d'adhésion y serait probablement moins bien reçue que, mettons, des Polonais. Arnold Koller ne l'avait pas imaginé dans ses pires cauchemars.</p> <p>Le 26 juin 1991, le négociateur suisse Franz Blankart partage un repas informel avec Horst Krenzler, responsable des relations extérieures pour la CE. Mettant allègrement les pieds dans le plat, Krenzler assène que la Suisse souffre, «across the board» d'un «déficit de modernité de trente ans». Déficit dans les processus décisionnels, législatifs, de conscience solidaire et finalement dans les mentalités.</p> <p>A la lecture des documents déclassifiés, on peut difficilement lui donner tort sur les processus décisionnels. Quant aux lois, le conseiller national Roger Nordmann a demandé, en 2006, que l'administration fédérale indique systématiquement lesquelles sont copiées-collées du droit européen. Trop compliqué et trop cher, lui a-t-on répondu. On sait juste que cette part de notre droit est de plus en plus importante.</p>', 'content_edition' => 'L'étonnement fut donc considérable, ce 22 octobre 1991, quand au terme d'un dernier round de négociations sur l'Espace économique européen (EEE), le gouvernement annonça que non seulement il avait signé un traité que beaucoup considéraient comme mort-né, mais envisageait dans la foulée l'adhésion de la Suisse à la CE. Quelle révolution copernicienne avait frappé l'esprit des sept Sages? On connaît la suite de l'histoire: l'EEE échoue de peu en votation populaire le 6 décembre 1992 (50,3% de non, une participation de 78%, et une forte majorité de oui en Suisse romande); la Suisse et la CE (devenue depuis Union européenne) négocient des traités bilatéraux pour combler le vide; la Suisse retire sa demande d'adhésion en 2016, puis interrompt unilatéralement des négociations sur un accord-cadre en mai 2021. Les faits parlent d'eux-mêmes. La question, elle, demeure: Qu'est-ce qui avait amené le Conseil fédéral au virage pro-européen de 1991? Les documents s'y rapportant – dont les fameux feuillets verts «vertraulich-confidentiel» résumant les séances du Conseil fédéral, des courriers diplomatiques et notes internes – viennent d'être rendus publics. Ce qu'on y lit stupéfie. En fait, la majorité du gouvernement n'avait pas changé d'avis et n'était favorable ni au traité EEE, ni à l'adhésion. Lors d'une séance à Gerzensee les 18 et 19 octobre 1991, soit trois jours seulement avant la fin des négociations, il n'en décide pas moins, «par consensus et sans vote (c'est l'auteur de ces lignes qui souligne) de dire oui au traité EEE et d'autoriser MM. Delamuraz et Felber à annoncer officiellement que le Conseil fédéral s'est fixé comme objectif une adhésion de la Suisse à la CE». La phrase suivante vaut son pesant de läckerli: «Cette décision présuppose que la dernière phase de la négociation donne des résultats acceptables dans les domaines qui sont encore ouverts. 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Analyse / Comment la Suisse a marqué son auto-goal européen
A l'inverse du malicieux Sacha Guitry proclamant «je suis contre les femmes, tout contre», le Conseil fédéral affichait, jusqu'au début des années 90, une retenue toute helvétique face à la Communauté européenne (CE): «rapprochons-nous en autant que possible, pour ne jamais avoir à en faire partie».
Jean-Claude Péclet
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Actuel / Moudon, un amour
Une pétition signée par 4000 personnes demande que le sommet de la colline de Moudon soit déclaré inconstructible. Ceci pour éviter qu’un immeuble et des villas défigurent ce lieu symbolique de la ville broyarde, qui abrite notamment le Musée Eugène Burnand. Reportage lors de la remise de la pétition aux Autorités cantonales, à Lausanne.
Jean-Claude Péclet
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Rival en amour d'un Anglais, Louis constate non sans une certaine satisfaction que ce dernier a le visage marqué par la petite vérole. Le père de ce rival meurt noyé quand le bateau l'amenant en Chine fait naufrage. </p> <p>Les Européens tentant de pénétrer dans la ville de Canton y risquent leur vie. Et pour cause: ce sont après tout eux les envahisseurs. Plusieurs sont promenés à travers les rues dans des cages, en butte à toutes les injures. Aucune femme européenne n'est autorisée à habiter la «factorerie» même, et tous les commerçants mariés ont leur ménage à Macao.</p> <p>On imagine que dans ces conditions – sans parler du climat politique et religieux qui régnait à Neuchâtel avant 1848 – s'y afficher avec une femme chinoise posait quelques problèmes.</p> <p>D'autant plus que les médisances allaient bon train entre horlogers dont la réussite légèrement insolente inspirait la jalousie. A ce propos, Louis fait la leçon à ses parents en 1838 quand de nouveaux concurrents (Vaucher et Bugnon) s'établissent à Canton: «J'espère que mes oncles auront soin de ne pas jaser dans le public sur leur compte, et de ne pas faire les fanfarons. (…) Plus vous jaserez sur leur compte et plus vous montrerez de jalousie et plus les gens du village seront contents… Faites plutôt de belles montres, voilà la vraie manière de nous défendre.»</p> <p>Bugnon et Vaucher finiront assassinés en Chine. En 1840, Louis Bovet et Auguste Jeanneret ont eux-mêmes des sueurs froides quand ils se retrouvent seuls à Canton avec cinq ou six étrangers seulement. Bovet demeure quelque temps sans aucun compagnon dans l'immense «factorerie» hollandaise où il habite et ne s'y promène que le revolver au poing. «C'est comme si l'on marchait dans un caveau, écrit-il, j'aurais beau crier au secours, personne ne m'entendrait.» Bovet et Jeanneret ont la bonne inspiration de transférer leur précieuse marchandise à Macao: peu après, les «factoreries» sont pillées et saccagées. Un peu plus tard, trois maisons de commerce européennes sont incendiées; celle des Bovet y échappe, tout comme ce sera le cas en 1860. D'une certaine manière, cette présence continue a gardé les portes ouvertes à l'industrie suisse en Chine, car selon le traité imposé par les Anglais en 1843, seuls les citoyens de nations qui avaient fait du commerce jusque-là bénéficiaient d'une autorisation de séjour dans les nouveaux ports.</p> <p>Telle est – fort partiellement – l'histoire des Bovet en Chine, plus terre-à-terre sans doute que ne le laisse supposer l'apparition de la «dame en rouge» dans la grotte chère à Rousseau. Mais la justice et l'air du temps commandent de rendre hommage à celle qui donna vie au fils d'Edouard Bovet et dont le nom même fut effacé – «invisibilisé» selon le néologisme barbare à la mode.</p> <p>Un dernier clin d'œil de cette histoire concerne Rousseau, dont on sait qu'il quitta précipitamment Môtiers, voisine de Fleurier, en 1765 après que la maison où il avait trouvé asile fut copieusement caillassée par des habitants du lieu (qui ne l'aimaient guère) un soir de fête trop arrosée. 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Histoire / Môtiers: la dame en rouge, Bovet-de-Chine et Rousseau
A 21 ans, en août 1818, un jeune homme engagé par la maison londonienne d'horlogerie Magniac embarque à bord de l'Orwell, alors le navire le plus rapide de la Compagnie des Indes Orientales, destination Canton...
Jean-Claude Péclet
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En l'occurrence: le système hospitalier dont on ne savait pas s'il résisterait à l'afflux de patients «covidiens» aux soins intensifs.</p> <p>La santé est notre bien le plus précieux − les vœux d'anniversaire et de Nouvel-An en témoignent à l'envi − mais souvenons-nous des conseils que prodiguait, entre autres, le CHUV en mars: nous devions éviter de nous promener, même seuls, dans la nature parce qu'en cas de chute, de jambe cassée, nous encombrerions les urgences. Un malheur est si vite arrivé...</p> <p>Depuis, on a appris deux ou trois choses sur cette pandémie. Même dans la phase initiale, où l'on intubait à tout-va (avec, parfois, plus d'effets dommageables que positifs, semble-t-il), JAMAIS les hôpitaux suisses, plus adaptables qu'on ne l'imaginait, n'ont atteint, ni même approché le point de rupture. Des médecins alarmistes ont alors déclaré que les patients souffrant d'autres maladies, contraints d'attendre une intervention, allaient en payer le prix. Cela reste à prouver.</p> <p>Le serait-ce qu'il faudrait encore soupeser ces dégâts face aux ravages psychologiques que provoque la perte d'auto-détermination provoquée par le carcan sanitaire qui isole l'individu. Un quart des jeunes Suisses souffrent de peur et d'états dépressifs à cause de l'inquiétude suscitée − entretenue? − autour du Covid-19, écrit le <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/jeder-vierte-jugendliche-hat-psychische-stoerungen-949861119166" target="_blank" rel="noopener"><em>Tages Anzeiger</em></a>.</p> <p>En Suisse, et apparemment dans d'autres pays, un décès sur deux dû au virus (le plus souvent lié à d'autres pathologies) a été enregistré dans des homes pour personnes âgées, ce dont les autorités ne se sont pas vantées. Il a fallu que la presse soulève le lièvre pour qu'elles abordent la question, à reculons. 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Idem au concert, au match. Si ce n'est pas encore en fonction, cela va venir.</p> <p>Tout cela pour enrayer la pandémie et protéger le système, bien entendu.</p> <p>Que les traceurs soient <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/zuercher-contact-tracer-haben-die-kontrolle-verloren-316123524329" target="_blank" rel="noopener">débordés à partir de quelques dizaines de cas déjà</a> n'est pas un problème: on en engagera davantage. Que l'application Swiss Covid soit défaillante et incapable de mesurer sa propre efficacité importe peu: la télécharger est un acte civique.</p> <p>Vous rechignez? Vous voilà taxé de «corona-sceptique». Notez, j'y reviendrai, que ce néologisme dérive d'un autre dont l'usage s'est répandu ces dernières années: «climato-sceptique».</p> <p>Vous exprimez votre réticence face à cette nouvelle couche de contrôle sur votre vie privée? Hypocrite que vous êtes! N'avez-vous pas déjà révélé des secrets bien plus intimes à Facebook, Google et consorts? Et ne venez pas dire que ces données ont été prélevées à votre insu, faux naïf que vous êtes. Vous deviez savoir que rien n'est gratuit dans la vie.</p> <p>La Père Noël n'existe pas. Ou plutôt: il est occupé à sauver le système.</p> <p>Après la «distance sociale» − au fait, qui a inventé cet autre néologisme, auquel on aurait dû préférer celui de «distance sanitaire»? −, l'épidémie impose le contrôle social. </p> <p>Pour notre bien à tous, vous dit-on! Provisoirement bien sûr, jusqu'à un vaccin efficace; jusqu'à ce que le Conseil fédéral ait décrété la fin de la pandémie − sur quels critères, on n'en sait rien; jusqu'à ce que ne soit plus «nécessaire» selon le mot du ministre socialiste qui se croyait drôle. Pendant ce provisoire, on aura accumulé une expérience utile en matière de contrôle social pour la prochaine occasion, qui ne manquera pas de se présenter. D'ici là, les gens se seront habitués, seuls quelques grincheux protesteront encore.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1602660629_renens18.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="612" height="612" /></p> <h4>© Jean-Claude Péclet</h4> <p>Pierre-Yves Maillard, politicien de bon sens, a <a href="https://www.letemps.ch/suisse/pierreyves-maillard-monde-nen-finit-finir?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article&fbclid=IwAR0ovMCTGFttkUtYPBbPM0sACgFsb9aD7qgQjLS8z7PhtgnqNQ4FLAjiFtg" target="_blank" rel="noopener">rappelé cette vérité toute simple</a>: «On ne peut pas faire comme si la Suisse ne vivait que pour la santé de ses citoyens». Dans l'interview donnée au quotidien <em>Le</em> <em>Temps</em>, il admet avoir commis une erreur quand, ministre vaudois de la santé en pleine grippe aviaire, il avait cédé aux injonctions de l'OMS et acheté des stocks de Tamiflu qui ont surtout servi à gonfler les profits de Roche. «Il y a des zones grises, constate-t-il. Il faut arrêter de croire que les intérêts particuliers ne sont pas à l’œuvre dans cette pandémie. Raison pour laquelle il faut que la dialectique démocratique perdure. Il faut entendre les voix discordantes, sans crier au complotisme pour autant. Que ce soit celles de scientifiques et médecins critiques ou celle du philosophe André Comte-Sponville qui met en garde contre le sacrifice de la jeunesse.»</p> <p>Pierre-Yves Maillard ajoute quelque chose de plus fondamental: «Cette crise renforce une tendance lourde. Celle qui nous tient toujours plus à distance les uns des autres. Les GAFA nous revendent sur écran l’amitié, la séduction, les socialisations dont nous jouissions gratuitement et entre nous. Je crois au contraire qu’il est bon d’apprendre en regardant un professeur dans les yeux, de se séduire face à face, de se réunir pour travailler ou militer. Aujourd’hui, des mesures de prudence sont nécessaires. Mais les crises imposent leurs normes. Et ce qui est commun aux crises actuelles, c’est de considérer l’être humain comme une nuisance. C’était déjà le cas pour le climat. Désormais, les interactions humaines deviennent des vices en termes de santé publique (c'est moi qui souligne). On moralise, on dit: "Si le virus revient, c’est notre faute ou celle des jeunes ou des voisins." Le moment venu, il faudra résister à cette «nouvelle normalité».</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1602660659_renens21.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="583" height="685" /></p> <h4>© Jean-Claude Péclet</h4> <p>Aïe! Mettre dans le même sac une pandémie et la cause sacrée du climat? Et pourquoi pas?</p> <p>Une partie du courant écologiste nous entraîne elle aussi vers un monde dont les <a href="https://www.rts.ch/info/monde/11667800-pas-plus-dune-entrecote-toutes-les-deux-semaines-reclame-le-wwf.html" target="_blank" rel="noopener">dernières recommandations du WWF sur sa plateforme <em>Planet Based Diets </em></a>donnent une idée chiffrée, précise: limitation de la consommation de viande à 100 grammes par... semaine, réduction des deux tiers pour les produits laitiers consommés par les Suisses.</p> <p>Cela pour préserver la planète, cela va de soi, en particulier la biodiversité menacée.</p> <p>Il faut sauver Gaia, le système «Terre». Cause sacrée entre toutes, plus encore que celle de la santé publique!</p> <p>Peu importe que sur ce système-là, et comment il interagit avec l'Homme, nous en sachions encore moins que sur le virus. Certains portent la Foi comme une baudruche bourrée de certitudes.</p> <p>Une cuisse de poulet? Passe encore pour aujourd'hui, mais après, tu mangeras pendant cinq jours des bio-granulés à base d'algues parfumées au succédané de saumon écossais dans les emballages recyclables certifiés par Nestlé, avec les tomates du potager participatif de ton quartier.</p> <p>Cœurs purs...</p> <p>Dans «Les Dieux ont Soif», Anatole France raconte le destin funeste du brave et un peu con Evariste Gamelin, avalé par la Révolution française, sincère jusqu'à la guillotine. «Il fallait suivre les impulsions de la nature, cette bonne mère, qui ne se trompe jamais; il fallait juger avec le cœur, et Gamelin faisait des invocations aux mânes de Jean-Jacques:</p> <p>- Homme vertueux, inspire-moi avec l'amour des hommes, l'ardeur de les régénérer!»</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1602660716_renens22.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="464" height="750" /></p> <h4>© Jean-Claude Péclet</h4> <p>La Révolution de 1789, soulèvement légitime des exclus, s'est muée en un système de Terreur qu'il fallait défendre à tout prix, contre ses ennemis intérieurs extérieurs. On coupa des têtes à la chaîne pour couronner dix ans plus tard celle d'un empereur. Les inégalités, relève Thomas Piketty dans son dernier livre, s'affichèrent de plus belle dans les décennies qui suivirent, jusqu'à la première guerre mondiale.</p> <p>Heureusement, les systèmes contemporains sont moins violents que celui-là, plus proches du «Meilleur des Mondes» que de «1984», plus confortables à vivre. Plus pernicieux aussi dans la mesure où leur complexité grandissante engendre deux réactions découlant l'une et l'autre d'un sentiment d'impuissance et aussi dommageables l'une que l'autre: le dogmatisme ou le relativisme, comme le relève Jonas Follonier dans son excellent «<a href="https://bonpourlatete.com/analyses/eloge-du-scepticisme" target="_blank" rel="noopener">Eloge du scepticisme</a>» publié sur ce site.</p> <p>La Suisse, où fleurissent confort et obéissance, est plus encline que d'autres à multiplier les systèmes, à les ériger au-dessus de tout. Voyez l'assurance-maladie. Au nom de la stabilité du système, les assureurs ont accumulé des réserves financières gigantesques tandis que les assurés aux abois n'arrivent plus à payer leurs primes. J'ai assisté à des conférences de presse au cours desquels les conseillers et fonctionnaires fédéraux chargés d'en contrôler l'équité n'avaient qu'une priorité à la bouche: la solidité du système.</p> <p>Puisqu'on parle du climat, quelqu'un a-t-il compris comment fonctionnera l'usine à gaz qu'est la loi sur le CO2 récemment adoptée par le Parlement suisse? Face au lobbying des uns et des autres, les députés ont imaginé un système où − c'est devenu une habitude − on mélange des pommes et des poires, où la seule certitude du citoyen réside dans la taxe qu'il paiera, sa redistribution faisant l'objet d'arrangements et de calculs byzantins. D'où la tentation de tout rejeter, à droite comme pour les activistes du climat.</p> <p>Tout cela pour notre bien, encore une fois.</p> <p>Qui, au fait, définit ce qu'est «notre bien»? Les élus, les élites, le magma incandescent des réseaux sociaux?</p> <p>L'être humain a besoin de recoins, de terrains vagues et de cafés pour y cultiver l'insouciance et l'esprit collectif. Et de moins de slogans officiels sur l'avenir radieux que l'on construit pour lui.</p> <p>Désapprenons à vénérer les systèmes.</p> <hr /> <h4><a href="https://www.pecletphoto.com/" target="_blank" rel="noopener">Lire la version originale sur le site de Jean-Claude Péclet</a></h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'sauver-le-systeme', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 625, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2626, 'homepage_order' => (int) 2866, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Analyse', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 1497, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }
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Les experts enchaînent les discours discordants sur fond de crainte pour des centaines de milliers de commerces, d'hôtels ou d'employés de «l'événementiel» réduits au chômage ou au demi-chômage, d'angoisse et de précarité pour des millions de pauvres. Dans le public, une guerre de religion se développe entre les prudents qui soutiennent les mesures sanitaires, voire en réclament davantage, et ceux pour qui elles représentent la vraie menace pour des pans entiers de l'économie − et plus largement les rapports humains. Envolée, la belle solidarité printanière.</p> <p>Celle-ci reposait sur une injonction dont le fondement m'a immédiatement interpellé. Il fallait à tout prix sauver le système. En l'occurrence: le système hospitalier dont on ne savait pas s'il résisterait à l'afflux de patients «covidiens» aux soins intensifs.</p> <p>La santé est notre bien le plus précieux − les vœux d'anniversaire et de Nouvel-An en témoignent à l'envi − mais souvenons-nous des conseils que prodiguait, entre autres, le CHUV en mars: nous devions éviter de nous promener, même seuls, dans la nature parce qu'en cas de chute, de jambe cassée, nous encombrerions les urgences. Un malheur est si vite arrivé...</p> <p>Depuis, on a appris deux ou trois choses sur cette pandémie. Même dans la phase initiale, où l'on intubait à tout-va (avec, parfois, plus d'effets dommageables que positifs, semble-t-il), JAMAIS les hôpitaux suisses, plus adaptables qu'on ne l'imaginait, n'ont atteint, ni même approché le point de rupture. Des médecins alarmistes ont alors déclaré que les patients souffrant d'autres maladies, contraints d'attendre une intervention, allaient en payer le prix. Cela reste à prouver.</p> <p>Le serait-ce qu'il faudrait encore soupeser ces dégâts face aux ravages psychologiques que provoque la perte d'auto-détermination provoquée par le carcan sanitaire qui isole l'individu. Un quart des jeunes Suisses souffrent de peur et d'états dépressifs à cause de l'inquiétude suscitée − entretenue? − autour du Covid-19, écrit le <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/jeder-vierte-jugendliche-hat-psychische-stoerungen-949861119166" target="_blank" rel="noopener"><em>Tages Anzeiger</em></a>.</p> <p>En Suisse, et apparemment dans d'autres pays, un décès sur deux dû au virus (le plus souvent lié à d'autres pathologies) a été enregistré dans des homes pour personnes âgées, ce dont les autorités ne se sont pas vantées. Il a fallu que la presse soulève le lièvre pour qu'elles abordent la question, à reculons. Le confinement tue plus sûrement que tout le reste, mais on encourage la population à mettre des masques dans la rue. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1602660578_renens14.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h4>© Jean-Claude Péclet</h4> <p>Un état de délire ne surgit pas d'un coup. Il se manifeste progressivement insidieusement, par des signes imperceptibles, d'apparence anodine. Cela est encore plus vrai pour les états de délire collectif.</p> <p>Notre société hyper-organisée et hyper-connectée vient d'inventer, illuminée par la Covid-19, une nouvelle profession: «traceur». C'est-à-dire une sorte de flic chargé de traquer les «cas positifs» et de les mettre en quarantaine. </p> <p>Tout cela pour notre bien, évidemment.</p> <p>Désormais, avant de boire un café sur une terrasse, il faut dégainer son téléphone portable et s'enregistrer à l'aide d'un code électronique ou inscrire son nom et son numéro sur une feuille. Idem au concert, au match. Si ce n'est pas encore en fonction, cela va venir.</p> <p>Tout cela pour enrayer la pandémie et protéger le système, bien entendu.</p> <p>Que les traceurs soient <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/zuercher-contact-tracer-haben-die-kontrolle-verloren-316123524329" target="_blank" rel="noopener">débordés à partir de quelques dizaines de cas déjà</a> n'est pas un problème: on en engagera davantage. Que l'application Swiss Covid soit défaillante et incapable de mesurer sa propre efficacité importe peu: la télécharger est un acte civique.</p> <p>Vous rechignez? Vous voilà taxé de «corona-sceptique». Notez, j'y reviendrai, que ce néologisme dérive d'un autre dont l'usage s'est répandu ces dernières années: «climato-sceptique».</p> <p>Vous exprimez votre réticence face à cette nouvelle couche de contrôle sur votre vie privée? Hypocrite que vous êtes! N'avez-vous pas déjà révélé des secrets bien plus intimes à Facebook, Google et consorts? Et ne venez pas dire que ces données ont été prélevées à votre insu, faux naïf que vous êtes. Vous deviez savoir que rien n'est gratuit dans la vie.</p> <p>La Père Noël n'existe pas. Ou plutôt: il est occupé à sauver le système.</p> <p>Après la «distance sociale» − au fait, qui a inventé cet autre néologisme, auquel on aurait dû préférer celui de «distance sanitaire»? −, l'épidémie impose le contrôle social. </p> <p>Pour notre bien à tous, vous dit-on! Provisoirement bien sûr, jusqu'à un vaccin efficace; jusqu'à ce que le Conseil fédéral ait décrété la fin de la pandémie − sur quels critères, on n'en sait rien; jusqu'à ce que ne soit plus «nécessaire» selon le mot du ministre socialiste qui se croyait drôle. Pendant ce provisoire, on aura accumulé une expérience utile en matière de contrôle social pour la prochaine occasion, qui ne manquera pas de se présenter. D'ici là, les gens se seront habitués, seuls quelques grincheux protesteront encore.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1602660629_renens18.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="612" height="612" /></p> <h4>© Jean-Claude Péclet</h4> <p>Pierre-Yves Maillard, politicien de bon sens, a <a href="https://www.letemps.ch/suisse/pierreyves-maillard-monde-nen-finit-finir?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article&fbclid=IwAR0ovMCTGFttkUtYPBbPM0sACgFsb9aD7qgQjLS8z7PhtgnqNQ4FLAjiFtg" target="_blank" rel="noopener">rappelé cette vérité toute simple</a>: «On ne peut pas faire comme si la Suisse ne vivait que pour la santé de ses citoyens». Dans l'interview donnée au quotidien <em>Le</em> <em>Temps</em>, il admet avoir commis une erreur quand, ministre vaudois de la santé en pleine grippe aviaire, il avait cédé aux injonctions de l'OMS et acheté des stocks de Tamiflu qui ont surtout servi à gonfler les profits de Roche. «Il y a des zones grises, constate-t-il. Il faut arrêter de croire que les intérêts particuliers ne sont pas à l’œuvre dans cette pandémie. Raison pour laquelle il faut que la dialectique démocratique perdure. Il faut entendre les voix discordantes, sans crier au complotisme pour autant. Que ce soit celles de scientifiques et médecins critiques ou celle du philosophe André Comte-Sponville qui met en garde contre le sacrifice de la jeunesse.»</p> <p>Pierre-Yves Maillard ajoute quelque chose de plus fondamental: «Cette crise renforce une tendance lourde. Celle qui nous tient toujours plus à distance les uns des autres. Les GAFA nous revendent sur écran l’amitié, la séduction, les socialisations dont nous jouissions gratuitement et entre nous. Je crois au contraire qu’il est bon d’apprendre en regardant un professeur dans les yeux, de se séduire face à face, de se réunir pour travailler ou militer. Aujourd’hui, des mesures de prudence sont nécessaires. Mais les crises imposent leurs normes. Et ce qui est commun aux crises actuelles, c’est de considérer l’être humain comme une nuisance. C’était déjà le cas pour le climat. Désormais, les interactions humaines deviennent des vices en termes de santé publique (c'est moi qui souligne). On moralise, on dit: "Si le virus revient, c’est notre faute ou celle des jeunes ou des voisins." Le moment venu, il faudra résister à cette «nouvelle normalité».</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1602660659_renens21.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="583" height="685" /></p> <h4>© Jean-Claude Péclet</h4> <p>Aïe! Mettre dans le même sac une pandémie et la cause sacrée du climat? Et pourquoi pas?</p> <p>Une partie du courant écologiste nous entraîne elle aussi vers un monde dont les <a href="https://www.rts.ch/info/monde/11667800-pas-plus-dune-entrecote-toutes-les-deux-semaines-reclame-le-wwf.html" target="_blank" rel="noopener">dernières recommandations du WWF sur sa plateforme <em>Planet Based Diets </em></a>donnent une idée chiffrée, précise: limitation de la consommation de viande à 100 grammes par... semaine, réduction des deux tiers pour les produits laitiers consommés par les Suisses.</p> <p>Cela pour préserver la planète, cela va de soi, en particulier la biodiversité menacée.</p> <p>Il faut sauver Gaia, le système «Terre». Cause sacrée entre toutes, plus encore que celle de la santé publique!</p> <p>Peu importe que sur ce système-là, et comment il interagit avec l'Homme, nous en sachions encore moins que sur le virus. Certains portent la Foi comme une baudruche bourrée de certitudes.</p> <p>Une cuisse de poulet? Passe encore pour aujourd'hui, mais après, tu mangeras pendant cinq jours des bio-granulés à base d'algues parfumées au succédané de saumon écossais dans les emballages recyclables certifiés par Nestlé, avec les tomates du potager participatif de ton quartier.</p> <p>Cœurs purs...</p> <p>Dans «Les Dieux ont Soif», Anatole France raconte le destin funeste du brave et un peu con Evariste Gamelin, avalé par la Révolution française, sincère jusqu'à la guillotine. «Il fallait suivre les impulsions de la nature, cette bonne mère, qui ne se trompe jamais; il fallait juger avec le cœur, et Gamelin faisait des invocations aux mânes de Jean-Jacques:</p> <p>- Homme vertueux, inspire-moi avec l'amour des hommes, l'ardeur de les régénérer!»</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1602660716_renens22.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="464" height="750" /></p> <h4>© Jean-Claude Péclet</h4> <p>La Révolution de 1789, soulèvement légitime des exclus, s'est muée en un système de Terreur qu'il fallait défendre à tout prix, contre ses ennemis intérieurs extérieurs. On coupa des têtes à la chaîne pour couronner dix ans plus tard celle d'un empereur. Les inégalités, relève Thomas Piketty dans son dernier livre, s'affichèrent de plus belle dans les décennies qui suivirent, jusqu'à la première guerre mondiale.</p> <p>Heureusement, les systèmes contemporains sont moins violents que celui-là, plus proches du «Meilleur des Mondes» que de «1984», plus confortables à vivre. Plus pernicieux aussi dans la mesure où leur complexité grandissante engendre deux réactions découlant l'une et l'autre d'un sentiment d'impuissance et aussi dommageables l'une que l'autre: le dogmatisme ou le relativisme, comme le relève Jonas Follonier dans son excellent «<a href="https://bonpourlatete.com/analyses/eloge-du-scepticisme" target="_blank" rel="noopener">Eloge du scepticisme</a>» publié sur ce site.</p> <p>La Suisse, où fleurissent confort et obéissance, est plus encline que d'autres à multiplier les systèmes, à les ériger au-dessus de tout. Voyez l'assurance-maladie. Au nom de la stabilité du système, les assureurs ont accumulé des réserves financières gigantesques tandis que les assurés aux abois n'arrivent plus à payer leurs primes. J'ai assisté à des conférences de presse au cours desquels les conseillers et fonctionnaires fédéraux chargés d'en contrôler l'équité n'avaient qu'une priorité à la bouche: la solidité du système.</p> <p>Puisqu'on parle du climat, quelqu'un a-t-il compris comment fonctionnera l'usine à gaz qu'est la loi sur le CO2 récemment adoptée par le Parlement suisse? Face au lobbying des uns et des autres, les députés ont imaginé un système où − c'est devenu une habitude − on mélange des pommes et des poires, où la seule certitude du citoyen réside dans la taxe qu'il paiera, sa redistribution faisant l'objet d'arrangements et de calculs byzantins. D'où la tentation de tout rejeter, à droite comme pour les activistes du climat.</p> <p>Tout cela pour notre bien, encore une fois.</p> <p>Qui, au fait, définit ce qu'est «notre bien»? Les élus, les élites, le magma incandescent des réseaux sociaux?</p> <p>L'être humain a besoin de recoins, de terrains vagues et de cafés pour y cultiver l'insouciance et l'esprit collectif. Et de moins de slogans officiels sur l'avenir radieux que l'on construit pour lui.</p> <p>Désapprenons à vénérer les systèmes.</p> <hr /> <h4><a href="https://www.pecletphoto.com/" target="_blank" rel="noopener">Lire la version originale sur le site de Jean-Claude Péclet</a></h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'sauver-le-systeme', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 625, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2626, 'homepage_order' => (int) 2866, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Analyse', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 1497, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Analyse / Sauver le Système
Dans ce texte, initialement publié sur son site, Jean-Claude Péclet livre ses sentiments et ses réflexions sur la pandémie de coronavirus, évoquant
Jean-Claude Péclet
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S'il se peut que Trump soit réélu pour quatre ans, il est tout autant possible que nous assistions en ce moment à son auto-destruction.»</p> <p>Quand un fabricant de <strong>désinfectants</strong>, Reckitt Benckiser, en vient à avertir les Américains de ne pas avaler ou s'injecter, sous aucun prétexte, ses produits - dont leur président a suggéré l'usage pour tuer le Covid-19 - on se dit qu'un point de non-retour a peut-être été atteint. </p> <p><em>Peut-être.</em></p> <p>Pourquoi notre réticence à l'envisager? Parce que nous avons trop souvent été pris à <strong>contrepied</strong>. Donald Trump, improbable héritage bling-bling des années quatre-vingt, ne devait pas être élu: il l'a été, à la <strong>stupéfaction</strong> générale. Il arrondirait les angles dans son nouvel habit de président: il les a au contraire aiguisés. Les contre-pouvoirs de la féroce démocratie américaine calmeraient ses appétits: il les a noyautés ou constamment rabaissés. Aucun scénariste n'avait imaginé la délirante <strong>escalade</strong>. Nous naviguons à vue dans une série où le pire se niche au prochain épisode - ou au suivant. </p> <p>Nous nous sommes dits alors que le problème n'était pas Donald Trump mais les fissures culturelles, sociales, idéologiques, religieuses d'un pays où les partisans du port d'armes généralisé sortent renforcés de chaque massacre dans une école, les ploutocrates plus riches de chaque crise financière, les évangélistes plus influents de chaque scandale où trempent leurs prédicateurs, les pauvres plus résignés de chaque coupe budgétaire (voir <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2020/06/underlying-conditions/610261/?fbclid=IwAR2gD8C1HaJ2SIXvAiPJW2F49PQKtbHJ2Mj8HRt9XZSHGCKF2Nie_GgjShw" target="_blank" rel="noopener">l'article de The Atlantic</a>).</p> <p>Ce pays dont nous envions l'esprit «<strong>pourquoi pas?</strong>», qui a su faire de technologies souvent nées ailleurs que chez lui des nécessités planétaires, qui a donné au monde Spike Jones, Frank Zappa et Captain Beefheart (bon, là je parle de mes goûts...) a peu à peu échappé à notre radar intellectuel et affectif.</p> <p>La dernière fois que nous nous sommes sentis «tous Américains», c'était après les attentats du 11 septembre 2001. Encore y avait-il <strong>malentendu</strong>: nous nous sentions <strong>New-yorkais</strong>. Parce qu'envers et contre tout, cette ville incarne la fraternité, la résilience, la beauté. Wendy et moi y avons fait notre voyage de noces en 1980, nous y sommes arrivés le jour où John Lennon était assassiné et sommes allés voir la foule se recueillir devant l'immeuble où il vivait. La bouteille de rhum pour écouter deux orchestres latinos à Harlem, dont celui de Ray Barretto, coûtait 20 dollars, 33 tours vinyle compris. Violence, amour, générosité, bienvenue dans la Pomme!</p> <p>Mais New York, ce n'est pas les Etats-Unis; <em>le </em>New York Times<em> n'est pas la voix de l'Amérique</em>, ce serait plutôt Fox News depuis 15 ans, cela nous le savons aussi. Beaucoup d'Américains méprisent la «Sodome du Nord» et les journalistes donneurs de leçons. Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont rapidement dilapidé le <strong>capital de sympathie</strong> des attentats en réagissant comme ils le font depuis la Deuxième guerre mondiale: à coups de bottes et de bombes - «intelligentes» cette fois. </p> <p>D'où la sinistre anticipation:</p> <p><em>«Et pourtant, il sera réélu...»</em></p> <p>Et si nous nous <strong>trompions</strong>, encore une fois?</p> <p>«Regarde qui il aura en face, m'avertit un ex-collègue journaliste: Joe Biden». D'accord, <strong>Joe Biden</strong> est aussi appétissant qu'un double cheese MacDo oublié un quart d'heure sur le comptoir. Mais l'enjeu n'est pas là. Ce que Trump a réussi avec son instinct de conquérant brutal prêt à tous les coups fourrés, seul Trump peut le défaire, en <strong>s'auto-dévorant</strong>. C'est ce qui semble en train de se produire.</p> <p>Il faut lire <a href="https://www.nytimes.com/2020/04/23/us/politics/coronavirus-trump.html" target="_blank" rel="noopener">l'enquête de Katie Rogers et Annie Karni</a> (dans le <em>NYT</em> aussi). On savait Donald Trump incapable de se concentrer plus de deux minutes sur un dossier, erratique, âge mental d'un gosse criseux de cinq ans, malade de son image dans les médias qu'il hait et qui l'obsèdent. La crise du coronavirus et le confinement qui en résulte pour lui aussi - plus de bains de foule, de golf à Mar-a-Lago - ont sur lui des effets délétères. Réveillé dès 5 heures du matin, il ne pénètre dans le bureau ovale de la Maison Blanche que vers midi. Avant cela, il regarde la télévision, canal après canal. Et ce qu'il voit le <strong>déprime</strong>. Jusqu'ici, il avait ses entrées à <strong>Fox News</strong> où il pouvait s'en prendre aux diffuseurs de <em>fake news</em> (selon lui) comme CNN. Depuis peu, même la chaîne amie commence à prendre ses distances.</p> <p>Frustré, le président voit son principal atout se défaire entre ses doigts. Vingt-six millions de chômeurs enregistrés en un mois, du <strong>jamais vu</strong> dans l'histoire américaine. Les gains boursiers des dix dernières années effacés en moins de temps que cela. «Make America great again», allez dire ça aux électeurs quand la barre des 50'000 morts du Covid-19 a été franchie, que la courbe ne s'aplatit pas beaucoup, contrairement à celle des autres pays développés, et que les manifestations pour «libérer» l'économie américaine tournent en pétards mouillés...</p> <p>Que la gestion trumpienne de la pandémie vire au désastre ne surprend que le dernier carré de ses affidés. «Vous demandez à un homme arrivé au Bureau Ovale en manipulant les techniques d'information virale de lutter contre un virus? <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/apr/24/donald-trump-coronavirus-president-advice-bleach" target="_blank" rel="noopener">interroge Marina Hyde dans le Guardian</a>. Pas étonnant qu'il ne puisse s'y résoudre. Imaginez plutôt qu'il est tenté de s'identifier à une maladie indifférente aux souffrances humaines, qui s'en prend de manière disproportionnée aux minorités ethniques et résiste affreusement aux thérapies. En termes de sciences comportementales, le meilleur moyen d'encourager Trump à vaincre le virus serait de le rendre professionnellement jaloux de ce dernier».</p> <p>Sarcasme à part, c'est peut-être ce qui se joue actuellement. Privé de meetings, le président a cru trouver dans les briefings quotidiens sur la pandémie une visibilité renouvelée. Mais le manque crasse d'empathie - sa phrase «<em>I don’t take responsibility at all</em>» restera gravée dans les mémoires - liée à <strong>l'impréparation</strong> due à son absence aux réunions de spécialistes donnent ce que nous voyons depuis une dizaine de jours.</p> <p>L'Ubu américain est nu. Il s'en rend compte et, fidèle à son caractère, s'enferre. Ses amis l'appellent moins souvent, les conversations sont plus courtes. Les «gourous» du président se nomment Hope Hicks, Johnny McEntee, Dan Scavino, Brad Parscale, Kellyane Conway et Jared Kushner, des conseillers de l'ombre qu'on voit peu dans les médias, à part les deux derniers. Tous les autres, notamment les conseillers scientifiques, courbent l'échine - que ce soit pour limiter les dégâts, dans l'intérêt national, ou par peu d'être virés, on ne sait pas au juste. C'est en général ainsi que fonctionnent les dictatures. Après, les lâches peuvent toujours bégayer qu'ils ne faisaient qu'obéir aux ordres. </p> <p>Vous souvenez-vous du haut fonctionnaire (anonyme) qui avait dénoncé dans le <em>New York Times</em> les pressions subies dans l'administration Trump? Il n'a guère été imité.</p> <p>Reprenons maintenant le raisonnement de l'éditorialiste Frank Bruni. Donald Trump peut encore retomber sur ses pattes, mais les signaux ne sont pas bons. Sa popularité a certes un peu progressé au début de la crise Covid-19 (ce dont il n'a pas manqué de se féliciter bruyamment), mais l'effet de rassemblement autour des chefs est fréquent dans ces situations - voir le Conseil fédéral, ou même Boris Johnson. La vraie nouvelle, observe Bruni, est que ce <em>bonus</em>, modeste, s'est vite évaporé. </p> <p>Dans trois Etats clés qui ont permis sa victoire en 2016 - Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin - les sondages le placent assez loin derrière son adversaire démocrate. Donald Trump s'en est pris à ses boucs émissaires habituels - la Chine, les immigrés - pour masquer ses propres erreurs, il veut encore croire à une normalisation rapide de l'activité économique. Le problème est que les Américains, eux,<strong> n'y croient pas</strong>. Ils ont peur, se débattent dans les difficultés quotidiennes. </p> <p>Donald Trump continue de gesticuler. Cela a toujours été sa vraie passion, la seule peut-être de ce fils à papa mégalomane. 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S'il se peut que Trump soit réélu pour quatre ans, il est tout autant possible que nous assistions en ce moment à son auto-destruction.»</p> <p>Quand un fabricant de <strong>désinfectants</strong>, Reckitt Benckiser, en vient à avertir les Américains de ne pas avaler ou s'injecter, sous aucun prétexte, ses produits - dont leur président a suggéré l'usage pour tuer le Covid-19 - on se dit qu'un point de non-retour a peut-être été atteint. </p> <p><em>Peut-être.</em></p> <p>Pourquoi notre réticence à l'envisager? Parce que nous avons trop souvent été pris à <strong>contrepied</strong>. Donald Trump, improbable héritage bling-bling des années quatre-vingt, ne devait pas être élu: il l'a été, à la <strong>stupéfaction</strong> générale. Il arrondirait les angles dans son nouvel habit de président: il les a au contraire aiguisés. Les contre-pouvoirs de la féroce démocratie américaine calmeraient ses appétits: il les a noyautés ou constamment rabaissés. Aucun scénariste n'avait imaginé la délirante <strong>escalade</strong>. Nous naviguons à vue dans une série où le pire se niche au prochain épisode - ou au suivant. </p> <p>Nous nous sommes dits alors que le problème n'était pas Donald Trump mais les fissures culturelles, sociales, idéologiques, religieuses d'un pays où les partisans du port d'armes généralisé sortent renforcés de chaque massacre dans une école, les ploutocrates plus riches de chaque crise financière, les évangélistes plus influents de chaque scandale où trempent leurs prédicateurs, les pauvres plus résignés de chaque coupe budgétaire (voir <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2020/06/underlying-conditions/610261/?fbclid=IwAR2gD8C1HaJ2SIXvAiPJW2F49PQKtbHJ2Mj8HRt9XZSHGCKF2Nie_GgjShw" target="_blank" rel="noopener">l'article de The Atlantic</a>).</p> <p>Ce pays dont nous envions l'esprit «<strong>pourquoi pas?</strong>», qui a su faire de technologies souvent nées ailleurs que chez lui des nécessités planétaires, qui a donné au monde Spike Jones, Frank Zappa et Captain Beefheart (bon, là je parle de mes goûts...) a peu à peu échappé à notre radar intellectuel et affectif.</p> <p>La dernière fois que nous nous sommes sentis «tous Américains», c'était après les attentats du 11 septembre 2001. Encore y avait-il <strong>malentendu</strong>: nous nous sentions <strong>New-yorkais</strong>. Parce qu'envers et contre tout, cette ville incarne la fraternité, la résilience, la beauté. Wendy et moi y avons fait notre voyage de noces en 1980, nous y sommes arrivés le jour où John Lennon était assassiné et sommes allés voir la foule se recueillir devant l'immeuble où il vivait. La bouteille de rhum pour écouter deux orchestres latinos à Harlem, dont celui de Ray Barretto, coûtait 20 dollars, 33 tours vinyle compris. Violence, amour, générosité, bienvenue dans la Pomme!</p> <p>Mais New York, ce n'est pas les Etats-Unis; <em>le </em>New York Times<em> n'est pas la voix de l'Amérique</em>, ce serait plutôt Fox News depuis 15 ans, cela nous le savons aussi. Beaucoup d'Américains méprisent la «Sodome du Nord» et les journalistes donneurs de leçons. Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont rapidement dilapidé le <strong>capital de sympathie</strong> des attentats en réagissant comme ils le font depuis la Deuxième guerre mondiale: à coups de bottes et de bombes - «intelligentes» cette fois. </p> <p>D'où la sinistre anticipation:</p> <p><em>«Et pourtant, il sera réélu...»</em></p> <p>Et si nous nous <strong>trompions</strong>, encore une fois?</p> <p>«Regarde qui il aura en face, m'avertit un ex-collègue journaliste: Joe Biden». D'accord, <strong>Joe Biden</strong> est aussi appétissant qu'un double cheese MacDo oublié un quart d'heure sur le comptoir. Mais l'enjeu n'est pas là. Ce que Trump a réussi avec son instinct de conquérant brutal prêt à tous les coups fourrés, seul Trump peut le défaire, en <strong>s'auto-dévorant</strong>. C'est ce qui semble en train de se produire.</p> <p>Il faut lire <a href="https://www.nytimes.com/2020/04/23/us/politics/coronavirus-trump.html" target="_blank" rel="noopener">l'enquête de Katie Rogers et Annie Karni</a> (dans le <em>NYT</em> aussi). On savait Donald Trump incapable de se concentrer plus de deux minutes sur un dossier, erratique, âge mental d'un gosse criseux de cinq ans, malade de son image dans les médias qu'il hait et qui l'obsèdent. La crise du coronavirus et le confinement qui en résulte pour lui aussi - plus de bains de foule, de golf à Mar-a-Lago - ont sur lui des effets délétères. Réveillé dès 5 heures du matin, il ne pénètre dans le bureau ovale de la Maison Blanche que vers midi. Avant cela, il regarde la télévision, canal après canal. Et ce qu'il voit le <strong>déprime</strong>. Jusqu'ici, il avait ses entrées à <strong>Fox News</strong> où il pouvait s'en prendre aux diffuseurs de <em>fake news</em> (selon lui) comme CNN. Depuis peu, même la chaîne amie commence à prendre ses distances.</p> <p>Frustré, le président voit son principal atout se défaire entre ses doigts. Vingt-six millions de chômeurs enregistrés en un mois, du <strong>jamais vu</strong> dans l'histoire américaine. Les gains boursiers des dix dernières années effacés en moins de temps que cela. «Make America great again», allez dire ça aux électeurs quand la barre des 50'000 morts du Covid-19 a été franchie, que la courbe ne s'aplatit pas beaucoup, contrairement à celle des autres pays développés, et que les manifestations pour «libérer» l'économie américaine tournent en pétards mouillés...</p> <p>Que la gestion trumpienne de la pandémie vire au désastre ne surprend que le dernier carré de ses affidés. «Vous demandez à un homme arrivé au Bureau Ovale en manipulant les techniques d'information virale de lutter contre un virus? <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/apr/24/donald-trump-coronavirus-president-advice-bleach" target="_blank" rel="noopener">interroge Marina Hyde dans le Guardian</a>. Pas étonnant qu'il ne puisse s'y résoudre. Imaginez plutôt qu'il est tenté de s'identifier à une maladie indifférente aux souffrances humaines, qui s'en prend de manière disproportionnée aux minorités ethniques et résiste affreusement aux thérapies. En termes de sciences comportementales, le meilleur moyen d'encourager Trump à vaincre le virus serait de le rendre professionnellement jaloux de ce dernier».</p> <p>Sarcasme à part, c'est peut-être ce qui se joue actuellement. Privé de meetings, le président a cru trouver dans les briefings quotidiens sur la pandémie une visibilité renouvelée. Mais le manque crasse d'empathie - sa phrase «<em>I don’t take responsibility at all</em>» restera gravée dans les mémoires - liée à <strong>l'impréparation</strong> due à son absence aux réunions de spécialistes donnent ce que nous voyons depuis une dizaine de jours.</p> <p>L'Ubu américain est nu. Il s'en rend compte et, fidèle à son caractère, s'enferre. Ses amis l'appellent moins souvent, les conversations sont plus courtes. Les «gourous» du président se nomment Hope Hicks, Johnny McEntee, Dan Scavino, Brad Parscale, Kellyane Conway et Jared Kushner, des conseillers de l'ombre qu'on voit peu dans les médias, à part les deux derniers. Tous les autres, notamment les conseillers scientifiques, courbent l'échine - que ce soit pour limiter les dégâts, dans l'intérêt national, ou par peu d'être virés, on ne sait pas au juste. C'est en général ainsi que fonctionnent les dictatures. Après, les lâches peuvent toujours bégayer qu'ils ne faisaient qu'obéir aux ordres. </p> <p>Vous souvenez-vous du haut fonctionnaire (anonyme) qui avait dénoncé dans le <em>New York Times</em> les pressions subies dans l'administration Trump? Il n'a guère été imité.</p> <p>Reprenons maintenant le raisonnement de l'éditorialiste Frank Bruni. Donald Trump peut encore retomber sur ses pattes, mais les signaux ne sont pas bons. Sa popularité a certes un peu progressé au début de la crise Covid-19 (ce dont il n'a pas manqué de se féliciter bruyamment), mais l'effet de rassemblement autour des chefs est fréquent dans ces situations - voir le Conseil fédéral, ou même Boris Johnson. La vraie nouvelle, observe Bruni, est que ce <em>bonus</em>, modeste, s'est vite évaporé. </p> <p>Dans trois Etats clés qui ont permis sa victoire en 2016 - Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin - les sondages le placent assez loin derrière son adversaire démocrate. Donald Trump s'en est pris à ses boucs émissaires habituels - la Chine, les immigrés - pour masquer ses propres erreurs, il veut encore croire à une normalisation rapide de l'activité économique. Le problème est que les Américains, eux,<strong> n'y croient pas</strong>. Ils ont peur, se débattent dans les difficultés quotidiennes. </p> <p>Donald Trump continue de gesticuler. Cela a toujours été sa vraie passion, la seule peut-être de ce fils à papa mégalomane. 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Analyse / Les drôles de vacances - Donald Trump
La gestion désastreuse de la crise du Covid-19 par Donald Trump fera-t-elle du Président américain la victime la moins regrettée de la pandémie?
Jean-Claude Péclet